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Sionisme et Antisémitisme

jeudi 18 septembre 2008, par Administrateur OCL Web

Nous vivons en pleine confusion. Juif, cela désigne des peuples
qui ont une communauté de destin liée à la religion.
Sioniste c’est une idéologie. Israélien, c’est une nationalité.
Et israélite, c’est le nom (napoléonien) donné à la religion
juive. À cause de ces confusions, le peuple palestinien paie depuis
des décennies pour un crime qu’il n’a pas commis : l’antisémitisme
et le génocide Nazi. À cause de ces confusions, l’Etat
d’Israël bénéficie d’une impunité totale malgré des violations
incessantes du droit international. À cause de ces confusions,
toute critique de la politique israélienne est instantanément qualifiée
d’antisémite. Si elle émane de citoyens juifs, ceux-ci sont aussitôt
qualifiés de traîtres ayant la haine de soi. Enfin, à cause de
ces confusions, une nouvelle forme d’antisémitisme (ré)apparaît
qui attribue à tous les Juifs les crimes commis par l’Etat Israélien.
Bien sûr, il n’est pas facile de distinguer juif, sioniste et israélien
 : l’Etat d’Israël se définit comme « juif ». On parle de colonies juives,
pas de colonies israéliennes. La distinction est pourtant indispensable.


Une histoire fantasmée

Pour les sionistes, les Juifs ont des droits imprescriptibles sur « la terre de leurs ancêtres ». Ils en ont été chassés il y a deux mille ans, ils ont connu « l’exil », et grâce au sionisme, ils ont fait leur « montée » (Alya) vers Israël et ont pu reconstituer enfin le royaume unifié de David et Salomon. Pour les sionistes même non-croyants, la prière « l’an prochain à Jérusalem » justifie la nécessité d’un Etat Juif en Palestine. Les sionistes sont allés chercher dans la Bible tous les épisodes pouvant justifier les conquêtes et le nettoyage ethnique aujourd’hui à l’oeuvre. Pour les sionistes, la « centralité » d’Israël n’est pas discutable et la Diaspora (dispersion) n’est qu’une malencontreuse parenthèse. Tout a été fait pour en effacer la trace. Les langues de la Diaspora (judéo-arabe, ladino, yiddish) ont disparu au profit d’une « résurrection » de l’Hébreu. Les valeurs et la culture des diasporas ont été gommées au profit d’un « homo judaicus » nouveau, militariste, chauvin et « défrichant sa terre » pour « transformer le désert en jardin ». Pour les sionistes, la Diaspora a été une suite ininterrompue de persécutions et de catastrophes à l’image du livre d’André Schwartz-Bart (« le Dernier des Justes ») qui commence au Moyen-Âge avec le pogrom d’York et se termine à Auschwitz. Pour les sionistes, l’antisémitisme est inéluctable, il
est omniprésent et il est inutile d’essayer de le combattre.
Autrement dit, les Juifs ne peuvent vivre qu’entre eux et ne peuvent compter que sur eux-mêmes, d’où le projet fou (et criminel) de
faire venir tous les Juifs du monde entier en Israël. Donc pour les
sionistes, la fin justifie les moyens et cela explique leur stratégie permanente : le fait accompli et la fuite en avant. Les sionistes ont
mythifié l’épisode de Massada où des Zélotes révoltés contre l’empire
romain ont préféré le suicide collectif à la soumission. Le complexe
de Massada repose sur la peur permanente de l’anéantissement.
Les Israéliens ont peur. Pour eux, tout recul signifie « les Juifs
à la mer ». Ils ont peur de ne plus avoir peur, ce qui les obligerait
à réfléchir sur le sens et l’avenir du projet colonial
qu’ils ont mis
en place depuis plus d’un siècle. De façon symbolique, à la sortie
du musée de Yad Vashem à Jérusalem consacré au génocide Nazi, il
y a un monument célébrant la fondation d’Israël. Le tour est joué :
Israël serait LA réponse à l’antisémitisme et son issue naturelle.
Dans cette optique, il est logique que les sionistes n’aient jamais
vraiment admis l’existence du peuple Palestinien. Pour un des premiers
sionistes, Israël Zangwill, il fallait trouver une « terre sans
peuple pour un peuple sans terre » et les sionistes ont décidé que ce
serait la Palestine. L’histoire enseignée en Israël parle d’une présence
juive massive ininterrompue en Palestine. Elle parle de
pogrom à propos de la révolte palestinienne de 1936 contre le colonialisme sioniste. Plus près de nous, les dirigeants israéliens ont
qualifié Arafat de « nouvel Hitler » et Ariel Sharon, lors du 60e anniversaire de la libération d’Auschwitz, a justifié le bouclage de la
Palestine et les assassinats ciblés au nom de l’extermination. Bref,
le fantôme du génocide sert de bouclier et de prétexte pour associer
les Palestiniens aux Nazis et justifier ainsi la destruction de la
société Palestinienne. Pour les sionistes, les Juifs du monde arabe
ont été persécutés et les Ashkénazes les ont sauvés en les faisant
« monter » vers Israël. Les sionistes ont gommé les différences idéologiques. De gauche comme de droite, tous propagent la même
fable sur l’histoire du judaïsme, oubliant même de dire qu’une
bonne partie des victimes du génocide n’avaient rien à voir avec
leur idéologie et étaient souvent non-croyants. Pour les sionistes, les
Juifs ont été, sont et seront des victimes. Du coup, ils sont totalement
insensibles à la douleur de l’autre ou à son vécu.

Démystifier

Beaucoup de crimes sont régulièrement commis au moyen d’une
manipulation de l’histoire, de la mémoire et de l’identité. La
guerre du Proche-orient ne fait pas exception.
Ce sont des Israéliens principalement qui ont fait le travail de
démystification du sionisme. Commençons par l’archéologie1. Elle
infirme totalement la lecture littérale de la Bible sur laquelle même
des athées comme Ben Gourion s’étaient appuyés. Elle montre que
dans l’Antiquité (la Bible l’évoque aussi), la Palestine a toujours été
habitée par des peuples distincts : Hébreux bien sûr mais aussi
Iduméens, Moabites, Philistins, Cananéens … Les Hébreux sont un
peuple autochtone et les épisodes de l’arrivée de Mésopotamie
(Abraham) ou de l’exil en Egypte (Moïse) sont légendaires. On ne
trouve aucune trace de la conquête sanglante de Canaan par Josué
et même le royaume unifié de David et Salomon n’a sans doute pas
existé comme le dit le récit biblique : à l’époque, Jérusalem n’était
qu’un village. Donc la reconstitution d’une patrie ancienne antérieure
à l’exil est largement fantasmée : les royaumes d’Israël et de
Juda ont probablement toujours été des entités distinctes. Les mots
d’ordre régulièrement répétés par les colons religieux du Gush
Emonim (le Bloc de la foi) affirmant que Dieu a donné la Judée-
Samarie au peuple Juif ne reposent sur rien et ils sont d’ailleurs
totalement réfutés par d’autres courants religieux.
Y a-t-il eu exil ? Si l’on en croit plusieurs historiens dont
Shlomo Sand qui le dit clairement, au moment de la destruction du
2e temple par les troupes de Titus (70 ap JC), seule une minorité
d’habitants est partie, en particulier les rabbins. À cette époque, la
dispersion a déjà commencé et il y a déjà des Juifs à Babylone, à
Alexandrie ou en Afrique du Nord. Les Palestiniens d’aujourd’hui
qui sont un peuple autochtone seraient donc essentiellement les descendants de ceux qui sont restés (dont beaucoup de Juifs romanisés). Alors d’où viennent les Juifs ? Pendant les premiers siècles de l’ère chrétienne, la religion juive est prosélyte. C’est la religion qui
s’est dispersée, pas les hommes. Des Berbères, des Espagnols, des
Grecs, des Romains, des Germains se convertissent au judaïsme.
Plus tard, des Khazars, peuple d’origine turque entre Caspienne et
Mer Noire feront de même. La religion juive cesse d’être prosélyte dans l’empire romain quand l’empereur Constantin impose le christianisme
comme religion officielle. Shlomo Sand remet en cause
l’existence d’un peuple Juif.
Qu’y a-t-il de commun entre des
Juifs Yéménites, des Juifs Espagnols et ceux du Yiddishland ? Il y
a une religion et un livre, mais parler de peuple exilé, ça ne correspond
pas à la réalité. Les sionistes ont surfé sur la persécution des
Juifs Européens pour inventer cette notion de peuple exilé faisant
son retour.

La diaspora n’est pas une parenthèse de l’histoire du
judaïsme. C’est son centre.
C’est dans la diaspora que l’essentiel
des rites et des croyances se sont établis. Les références à
Jérusalem, au mur des Lamentations et aux scènes racontées dans
la Bible sont symboliques. Elles n’ont jamais signifié une « aspiration
 » à recréer un Etat Juif en « Terre promise ». Elles ont un peu la
même signification que la prière des Musulmans en direction de La
Mecque. La notion de « peuple élu » n’a jamais conféré aux Juifs des
droits supérieurs à ceux des autres (les « goys », les « gentils »). Elle
exprime juste une relation particulière avec Dieu.
De la révolte de Bar Kochba au IIe siècle ap JC à l’arrivée des
premiers colons sionistes à la fin du XIXe siècle, les Juifs n’ont
jamais représenté plus de 5% de la population de la Palestine. C’est
moins que dans les pays voisins (Egypte, Mésopotamie, Perse,
Yémen). C’est beaucoup moins que dans l’Espagne du XIVe siècle
ou dans la « zone de résidence » de l’empire russe du XIXe siècle
(Vilnius, Varsovie, Minsk, Odessa …).

De l’antijudaïsme chrétien à l’antisémitisme racial

La plupart des royaumes ou des empires ont très mal toléré le
pluralisme religieux. Les Romains exigeaient des peuples soumis
qu’ils ajoutent les divinités romaines à leurs propres divinités. Ce
qui a fonctionné avec les Grecs et les Gaulois n’a pas fonctionné
avec les Juifs, monothéisme oblige. Une partie des Juifs a adopté la
langue grecque et a accepté la « romanité ». Pas tous et la révolte
contre Titus a commencé dans Jérusalem par une guerre civile entre
Juifs, très bien décrite par Pierre Vidal-Naquet. Ce conflit entre
ceux qui acceptent le monde des « gentils » et ceux qui le refusent au
nom d’une conception exclusive du judaïsme se poursuit 2000 ans
plus tard.
Le Christianisme n’a jamais été pluraliste et dès qu’il parvient
au pouvoir, il s’acharne contre les autres religions
. Le culte
de Mithra ou l’Aryanisme n’ont pas survécu. Le judaïsme a survécu,
mais à quel prix ! Les Chrétiens ont enfermé les Juifs (les
juderias, les ghettos…), leur ont interdit la possession de la terre et
les ont poussés à l’exercice de métiers qui leur ont valu la haine des
peuples (le colportage, l’usure, la banque). Dès le Haut Moyen-âge,
les expulsions se succèdent occasionnant des drames. Un des premiers
pogroms (massacre de masse) est commis par la première
croisade qui avant de « tuer de l’infidèle » et de « délivrer » le Saint-
Sépulcre, s’est entraînée sur les communautés juives de la vallée du
Rhin, provoquant le début du déplacement vers l’Est des
Ashkénazes.
Le monde musulman n’a pas produit le même phénomène : le
statut de dhimmi qui est réservé aux « Peuples du livre » (Chrétiens,
Juifs, Zoroastriens …) a permis aux Juifs du monde musulman de
connaître une paix relative et une certaine stabilité. Les moments de
tension sont rares (l’arrivée des Almohades en Andalousie, le massacre
de l’oasis du Touat dans le Sahara …) et ils correspondent surtout
à des périodes de crise. Avant le sionisme, il n’y a eu ni expulsion,
ni pogrom contre les Juifs dans le monde musulman.
L’antijudaïsme chrétien a fabriqué la plupart des stéréotypes
antijuifs
 : le peuple déicide, les crimes rituels, la volonté de
diriger le monde. L’épisode espagnol du XVe siècle est annonciateur
de l’antisémitisme racial. Au moment où l’Espagne se réunifie,
l’Etat moderne qui se crée ne peut plus tolérer ses minorités (Juifs
et Musulmans). Ce rêve fou de pureté ira jusqu’à rechercher la
« limpieza de sangre » (la pureté du sang), inventant là une pseudo
race juive. En même temps, l’histoire des Juifs dans le monde chrétien
ne doit pas être réduite à la persécution. Il y a eu quelques
périodes fastes.
L’émancipation des Juifs commence en Europe au XVIIIe siècle
en Allemagne puis en France où les Juifs obtiennent la citoyenneté.
Paradoxalement, c’est cette émancipation qui va transformer l’antijudaïsme chrétien en antisémitisme racial. Le XIXe siècle voit la
naissance de nombreux nationalismes. Ceux-ci véhiculent l’idée
simpliste un peuple = un Etat et la plupart d’entre eux sont particulièrement intolérants vis-à-vis des minorités. Le Juif est perçu
comme étant cosmopolite, hostile à toute idée de nation. Il est souvent
un paria, même quand il a réussi socialement. Il représente un
obstacle naturel au rêve meurtrier de pureté raciale. C’est d’ailleurs
à cette époque que des pseudo scientifiques inventent les
notions de « races » aryenne ou sémite qui ne reposent sur rien. La
violence de cet antisémitisme aboutira à une espèce de consensus
en Europe contre les Juifs, consensus qui facilitera l’entreprise
d’extermination Nazi.

Le sionisme est-il une réponse à l’antisémitisme ?

Curieusement, le sioniste a puisé dans le même terreau nationaliste
européen que celui de diverses idéologies qui ont mené à la
boucherie de 1914 et pour certaines au nazisme. En ce qui concerne
la droite sioniste, on trouve même chez Jabotinsky (qui a vécu plusieurs
années en Italie) des ressemblances avec le fascisme de
Mussolini. En tout cas, Jabotinsky est le premier à avoir théorisé le
« transfert », terme de novlangue qui signifie l’expulsion de tous les
Palestiniens au-delà du Jourdain. En Europe orientale, le sionisme
a toujours été minoritaire chez les Juifs face aux différents courants
socialistes et face au Bund. Pour les Juifs des différents partis socialistes, la Révolution devait émanciper le prolétariat et, dans la foulée, elle règlerait la question de la persécution des Juifs qui n’était
pas pour eux un problème spécifique. L’histoire a montré que cela
n’allait de soi. Pour le Bund, parti révolutionnaire juif, il existait en
Europe orientale un peuple yiddish (le Bund ne s’adressait pas aux
Juifs séfarades ou à ceux du monde arabe) et dans le cadre de la
révolution, celui-ci devait obtenir « l’autonomie culturelle » sur
place sans territoire spécifique.
Socialistes et Bundistes étaient
farouchement opposés au sionisme. Pendant qu’Herzl rencontrait
un des pires ministres antisémites du tsar pour lui dire qu’ils pouvaient
avoir des intérêts communs, faire partir des Juifs Russes en
Palestine, le Bund organisait (après le pogrom de Kichinev) des
milices d’autodéfense contre les pogromistes. Au début du XXe siècle,
les sionistes sont absents de la lutte contre l’antisémitisme.
Prenons l’affaire Dreyfus. Pour Herzl, ça a été un élément tout à fait
déterminant prouvant la justesse du projet sioniste. Il y a pourtant
une lecture diamétralement opposée de « l’Affaire ». D’abord, ça n’a
pas été seulement le problème des Juifs. C’est devenu le problème
central de la moitié de la société française, celle qui était attachée à
la république et à la citoyenneté. Et puis le dénouement n’est pas
négligeable. La réhabilitation finale de Dreyfus a montré que ce
combat avait un sens et pouvait être gagné.
En 1917, c’est la déclaration Balfour. Il faut le savoir, ce
Britannique, comme la grande majorité des politiciens de son époque,
avait de solides préjugés contre les Juifs. Pour lui, un foyer
Juif, c’était faire coup double pour l’empire britannique : une présence
européenne au Proche-Orient et en même temps, l’Europe se
débarrassait de ses Juifs.
Pendant les années du mandat britannique, les sionistes n’ont eu
qu’une seule préoccupation : construire leur futur état. En 1933,
quand les Juifs Américains décrètent un boycott contre l’Allemagne
Nazi, Ben Gourion le rompt. Pendant la guerre, alors que l’extermination
a commencé, il y a une grande incompréhension ou
insensibilité parmi les Juifs établis en Palestine.
Aujourd’hui, les
Israéliens rappellent la visite (scandaleuse) du grand mufti de
Jérusalem à Himmler. À la même époque, Itzhak Shamir, dirigeant
du groupe Stern et futur premier Ministre israélien faisait assassiner
des soldats britanniques. Pire, un de ses émissaires prenait contact
avec le consulat Nazi d’Istanbul.
Dans l’Europe occupée, il y a eu une résistance juive assez
importante. Les sionistes y ont joué un rôle plutôt marginal. Cette
résistance a été essentiellement communiste, à l’image de la MOI2
en France. Il est significatif qu’au musée de Yad Vashem, on trouve
l’Affiche Rouge », on y fait remarquer que la grande majorité des
compagnons de Manouchian étaient juifs, mais on omet juste de
dire qu’ils étaient communistes. Les sionistes rappellent que le
commandant de l’insurrection du ghetto de Varsovie, Mordekhaï
Anielewicz était membre de l’Hashomer Hatzaïr (donc sioniste),
mais ils ont essayé de minimiser le rôle de Marek Edelman, qui a
survécu et qui est toujours Bundiste et farouchement antisioniste.
Israël n’aurait pas existé sans le génocide Nazi. Après 1945, il y
eu un consensus de la communauté internationale. Elle a lavé sa
culpabilité concernant l’antisémitisme et le génocide pour favoriser
la création d’Israël et aider militairement et économiquement
le nouvel Etat.
En Europe de l’Est, le pogrom de Kielce en
Pologne (1946), l’élimination de nombreux dirigeants communistes
juifs ayant fait la guerre d’Espagne et la résistance (Slansky, Rajk,
Pauker …) ou le « complot des blouses blanches », bref le renouveau
d’un antisémitisme d’Etat provoque chez les Juifs une rupture avec
communisme et un ralliement progressif au sionisme. L’épisode
antisémite en Europe du l’Est se prolongera avec la répression en
Pologne de la révolte de 1968 qui aboutira à l’expulsion de plusieurs
milliers de Juifs Polonais.
Après 1945, le Yiddishland a disparu et de nombreux rescapés
vivent dans des camps en essayant d’émigrer vers l’Amérique ou
d’autres pays. La plupart des portes se ferment. Il y a consensus
pour les envoyer en Israël et la plupart y partiront, souvent
contraints et forcés. Ils y seront pourtant fort mal accueillis. La propagande
sioniste oppose l’Israélien nouveau fier de lui et qui se
bat, aux victimes du génocide qui auraient accepté passivement
l’extermination.
Aujourd’hui près de la moitié des 250000 survivants
du génocide vivant en Israël sont sous le seuil de pauvreté,
en particulier ceux qui sont arrivés d’Union Soviétique.
Certains dignitaires religieux israéliens sont particulièrement
odieux vis-à-vis des victimes du génocide. Entre deux propos racistes
contre les Palestiniens, ils ressassent que le génocide a été une
punition divine contre les Juifs qui s’étaient mal conduits.
C’est petit à petit qu’Israël a vu le parti à tirer du génocide.
y a eu la création de Yad Vashem puis le procès Eichman. On en
est arrivé au « devoir de mémoire » obligatoire. Sauf que cette
mémoire » résulte d’une certaine manipulation de l’histoire et de
l’identité. En ce qui concerne les Juifs du monde arabe, ce « devoir
de mémoire » se substitue à leur véritable histoire, certes douloureuse
 : ils ont dû quitter leurs pays avec la décolonisation alors
qu’ils n’étaient pas des colonisateurs. Ils ont été en Algérie les victimes
du décret Crémieux3. Mais cette histoire n’est en aucun cas
celle du génocide.
Après la guerre, Israël a demandé et obtenu des « réparations
 » économiques énormes publiques et privées à l’Allemagne
de l’Ouest.
Ces milliards de marks ont assuré le décollage économique
et militaire d’Israël et la réinsertion de l’Allemagne dans la
diplomatie internationale. Il serait plus hasardeux de dire ce que
cette somme mirobolante a « réparé » dans les souffrances intimes
ou le traumatisme.
Peut-on associer le souci d’aider les Juifs et le soutien à Israël ?
Pas nécessairement du tout. Balfour était antisémite. Beaucoup
d’antisémites trouvent intéressante l’idée d’un Etat Juif qui les
débarrasserait de leur minorité encombrante. C’est le cas de certains
membres du Front National. Aujourd’hui, le courant « chrétien sioniste
 » qui représente des millions de personnes surtout aux Etats-
Unis apporte une aide financière et politique énorme à Israël. Ils ont
financé une partie de la colonisation (en particulier la construction
de Maale Adoumim). Ce sont pourtant des antisémites !
Peut-on considérer que, face à l’antisémitisme, le sionisme a
apporté un « havre de paix » aux Juifs ? Pour les Juifs du monde
arabe, sûrement pas, ils n’ont pas été persécutés avant l’apparition
du sionisme. Pour les Juifs européens, la question a pu se poser. En
tout cas, aujourd’hui, s’il y a bien un pays où les Juifs ne connaissent
pas la sécurité, c’est … Israël et il en sera ainsi tant que le sionisme
essaiera de détruire la Palestine.

Si on parlait racisme ?

L’antisémitisme est-il un racisme comme les autres ? Y a-t-il
« unicité » du « judéocide » Nazi ? Il n’est pas facile de répondre à
ces questions. L’antisémitisme a été un racisme à part car la plupart
du temps, les racistes ne programment pas l’extermination du peuple
haï. S’y ajoute le fait que les Nazis ont inventé le concept
(absurde) de « race juive ». Aujourd’hui, les principales victimes
du racisme dans un pays comme la France sont incontestablement
les Arabes, les Noirs, les Roms,
mais pas les Juifs dont certains
ont oublié les souffrances passées et s’imaginent même être
passés « de l’autre côté du miroir », du côté de ceux qui n’ont rien à
dire contre le racisme ordinaire ou la chasse aux sans papiers. Dans
son livre « Le Mal-être Juif », Dominique Vidal montre comment la
plupart des préjugés contre les Juifs ont reculé. Quand on demande
aux Français s’ils accepteraient un-e président-e de la république
ou un beau-fils/belle-fille juif/ve, seule une petite minorité répond
non. Il y a 40 ans, c’était la majorité. Affirmer comme le fait le
CRIF qu’il y a un renouveau de l’antisémitisme, voire qu’on est à
la veille d’une « nouvelle nuit de cristal » est très exagéré.
Bien sûr, l’antisémitisme n’a pas disparu. Il reste essentiellement
lié à l’extrême droite, mais même les antisémites les plus obsessionnels
ne rêvent plus à un « remake » du génocide. Ils préfèrent nier ou
minimiser son ampleur.
Et « l’unicité » du génocide ? Primo Levi parlait de « l’indicible ».
Il est extrêmement rare dans l’Histoire de voir l’Etat le plus puissant
du moment engager tous ses moyens pour exterminer des millions
de personnes, même quand cela ne lui apporte rien en terme
financier ou militaire. Parler de génocide n’a qu’un seul intérêt :
analyser les causes, décrire le processus pour qu’il n’y ait « plus
jamais cela », permettre aux rescapés et à leurs descendants de revivre.
Or il y a eu d’autres génocides (Cambodge, Rwanda, Bosnie).
Et il y a surtout eu des politiciens sans scrupules qui ont fait du
génocide leur « fond de commerce » alors qu’ils n’ont aucun droit et
aucun titre pour s’approprier cette mémoire. Il y a des « intellectuels
 » français (BHL, Glucksmann, Finkelkraut, Lanzmann…) qui
font croire qu’au Proche-Orient la victime est israélienne, éternel
retour de la persécution millénaire.
Certains qui voient l’antisémitisme partout sont étrangement discrets
pour condamner le racisme anti-arabe dans un Etat qui se
dit Juif
. Que dire du rabbin Ovadia Yossef, dirigeant du Shass pour
qui les Palestiniens sont des serpents ou des propos du ministre
Vilnaï promettant une « Shoah » aux habitants de Gaza enfermés
dans un laboratoire à ciel ouvert ? Des transféristes Avigdor
Liberman ou Raffi Eitam qui prônent tous les jours la déportation
des Palestiniens ? Du rabbin Rosen, représentant des colons, qui
déclare tranquillement « que les Palestiniens sont des Amalécites et
que la Torah autorise qu’on les tue tous, leurs femmes, leurs
enfants, leur bétail » ? Dans tout pays démocratique, de telles déclarations
conduiraient leurs auteurs au tribunal. Mais Israël est une
démocratie pour les Juifs. Pour les autres, c’est l’Apartheid, c’est
une forme de sous citoyenneté incompatible avec le droit international.
Il faudrait aussi parler du racisme des soutiens inconditionnels
à Israël, par exemple quand Roger Cukierman a osé dire que Le Pen
au deuxième tour, c’était un avertissement pour les musulmans.
En Israël, il y a une obsession de la démographie (que les Juifs
soient plus nombreux que les Palestiniens). Du coup, sont considérés
comme « Juifs » des dizaines de milliers de personnes qui n’ont
rien à voir avec le judaïsme : des Ethiopiens chrétiens qu’on dit
« cousins » des Falachas, des Amérindiens du Pérou convertis au
judaïsme et installés dans des colonies mais surtout des ex-soviétiques
qui ont quitté un pays en perdition. D’où l’existence de sites
antisémites en Israël.

Quand sionisme et antisémitisme
se nourrissent l’un l’autre.


Le sionisme a besoin de la peur. Il a besoin d’une fuite en avant
qui lui donnerait du temps pour consolider ses conquêtes. Il a
besoin de slogans simplistes du genre « nous n’avons pas de partenaire
pour la paix » ou « Le Hamas, le Hezbollah et l’Iran veulent
détruire Israël » pour obtenir un consensus derrière la poursuite de
son projet colonial et son refus de reconnaître les droits des
Palestiniens. Inversement, celles et ceux qui soutiennent les
Palestiniens (et encore plus les Juifs qui au nom de leur J se sont
engagés dans ce combat) doivent avoir pour souci et pour but la
« rupture du front intérieur »
aussi bien en Israël que dans les
« communautés juives organisées », c’est-à-dire la fin du soutien
inconditionnel à une politique criminelle contre les Palestiniens (et
suicidaire à terme pour les Israéliens). Vaste programme sans doute
dont l’issue est hélas lointaine.
Il n’empêche : toute manifestation d’antisémitisme n’est pas
seulement immorale, elle porte un coup grave à la cause palestinienne.

Ce n’est pas nouveau. L’antisémitisme des pays de l’Est a renforcé
Israël en terme politique (le sionisme a remplacé le communisme
comme idéologie des Juifs d’Europe Orientale) et en termes
humains avec l’arrivée massive des Juifs soviétiques. De même,
non seulement les principaux dirigeants des Pays Arabes se sont
montrés bien peu solidaires des Palestiniens pendant la guerre de 48
ou celles qui ont suivi, mais leur complicité avec les sionistes dans
l’émigration d’un million de Juifs du monde arabe a été un coup de
poignard dans le dos de la cause palestinienne.
La guerre du Proche-Orient n’est ni raciale, ni religieuse, ni
communautaire. Elle porte sur des principes universels : l’égalité
des droits, le refus du colonialisme.
Ceux qui (comme les sionistes)
mélangent sciemment juif, sioniste et israélien pour attribuer
aux Juifs les tares du sionisme ne sont pas nos amis. Les
Palestiniens l’ont parfaitement compris à l’image de Mahmoud
Darwish, Edward Saïd et Elias Sanbar qui s’étaient opposés à un
colloque négationniste organisé à Beyrouth par Roger Garaudy.
Bien sûr, au nom de « l’antiisraélisme », pour reprendre un terme
d’Edgar Morin, on trouve dans le monde arabe ou en Iran des gens
qui diffusent le « Protocole des Sages de Sion » ou qui organisent des
colloques révisionnistes comme celui de Téhéran. On trouve en
France quelques rares personnes issues de l’immigration qui singent
l’extrême droite en reprenant les stéréotypes antijuifs. Ces
judéophobes confondent aussi juif et sioniste. Bien sûr, on ne peut
pas nier que le sionisme ait « une part de l’héritage juif ». Une part
seulement. Rappelons une anecdote : en 1948, Menachem Begin
veut visiter les Etats-Unis. Les plus grands intellectuels Juifs américains
avec en tête Hannah Arendt et Albert Einstein écrivent à
Truman en lui disant que Begin est un terroriste et qu’il faut l’arrêter
ou l’expulser. À l’époque, le judaïsme, c’est encore très majoritairement
Arendt ou Einstein, ce n’est pas Begin. Les assassins
Nazis s’en sont pris aux parias des shtetls4 ou à des gens comme
Arendt ou Einstein, insupportables parce qu’universalistes.
L’antisémitisme n’a pas frappé les tankistes israéliens.
Il existe en petite minorité dans les rangs de ceux qui soutiennent
la Palestine des gens qui imaginent que puisque l’Etat d’Israël se
justifie au nom du génocide, c’est que celui-ci n’a pas existé ou
qu’on exagère beaucoup à propos des 6 millions de morts (En fait
les dernières recherches historiques sur la « Shoah par balles » tendraient
à dire le contraire, le nombre des morts est peut-être supérieur).
Il y a des militants qui reprennent les élucubrations d’Israël
Shamir, soviétique émigré en Israël qui a repris les délires antisémites
sur les crimes rituels commis par les Juifs mais qui est totalement
inconnu dans les rangs des anticolonialistes israéliens ou des
militants palestiniens. Pour Shamir, le problème, ce n’est pas le sionisme,
c’est le judaïsme.
Certains militants parfaitement honnêtes pensent qu’on doit
laisser librement s’exprimer toutes les critiques contre Israël, y
compris les critiques antisémites
. Je pense que ces militants se
trompent et que les antisémites ne sont pas seulement d’odieux
racistes, ils renforcent aussi le sionisme qu’ils s’imaginent combattre.
Ils alimentent le réflexe de peur qui est un carburant indispensable
pour le sionisme. Lutter contre l’impunité d’Israël est une
priorité qui est l’exact inverse d’une telle démarche : les sionistes
veulent clore l’histoire juive. Ils prétendent qu’il n’existe
qu’une seule voie, la leur.
Ils prétendent représenter l’ensemble
des Juifs, ils parlent en leur nom, ils ont le rêve fou de les faire tous
« monter » vers Israël. Ils prétendent que toute critique d’Israël est
forcément antisémite alors qu’au contraire leur politique provoque
un nouvel antisémitisme. Cette politique remet en cause plusieurs
siècles de lutte des Juifs pour l’égalité des droits et la citoyenneté.

Les antisémites qui mélangent sciemment juif et sioniste vont
exactement dans le même sens. Ces deux courants se nourrissent
l’un l’autre.

Soutenir concrètement les Palestiniens et dénoncer inlassablement
l’impunité d’Israël qui permet la fuite en avant criminelle doit
donc s’accompagner d’une dénonciation du sionisme qui est un
obstacle à la paix et d’une dénonciation de l’antisémitisme
qui
n’est pas seulement un racisme odieux (comme tous les racismes).
Il renforce aussi ce qu’il prétend combattre.
Les militant-e-s ont aussi une tâche plus difficile à remplir : « 
déconstruire » toutes les manipulations de la mémoire et de l’identité
qui prolongent cette guerre.

Pierre Stambul


(1) « La Bible dévoilée » de I. Finkelstein et N.A. Silberman.
(2) Main d’oeuvre immigrée qui organisait les communistes étrangers.
(3) En 1870, le décret Crémieux accorde aux Juifs Algériens la nationalité
française mais pas aux musulmans.
(4) Villages juifs d’Europe orientale systématiquement détruits pendant la guerre.


Texte paru dans :
l’Emancipation syndicale et pédagogique, n° 1-septembre 2008.
Contact : http://www.emancipation.fr/emancipa/

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