mardi 9 juin 2009
Bain de sang dans l’Amazonie péruvienne (suite n°7)
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Mise à jour : Lundi 8 juin, minuit ici (17 h au Pérou)
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Route bloquée
Depuis dimanche midi, environ 4 000 personnes, réparties sur près de 2 kilomètres, continuent de bloquer une route proche de la localité de Yurimaguas. Les communautés de la Haute Amazonie demandent le départ de Alan García pour les tueries du vendredi 5 juin. Les dirigeants indiens des ethnies shawis, chayawitas, candoshi, cocama-cocamilla et shibilos, qui bloquent la route Tarapoto-Yurimaguas, province de Alto Amazonas, ont annoncé que leurs actions de protestation se poursuivront jusqu’à l’abrogation des décrets-lois qui attentent aux droits des peuples originaires.
Le représentant du peuple shawi, Luis Huansi Pizango, qui est un parent du leader de la Asociación Interétnica de Desarrollo de la Selva Peruana (Aidesep), ainsi que Armin Yahuarcani, dirigeant de la communauté de Apahuante, ont déclaré que les amérindiens soutenaient le travail effectué par Alberto Pizango et ont manifesté leur solidarité avec lui devant l’ordre de capture qui le frappe. « Le gouvernement cherche à l’accuser de la tuerie pour éluder sa responsabilité. Nous, nous restons déterminés ici, jusqu’à l’abrogation des décrets. Nos peuples ne vont pas tomber dans la provocation. »
A proximité de là, se tiennent des petits tanks de la police. Les amérindiens surveillent les alentours de peur d’être surpris par une arrivée massive de renforts de l’armée par voie fluviale (depuis Iquitos) ou terrestre.
Plusieurs personnalités locales (député) et représentants de l’Etat (le chef de la police de Yurimaguas) ont demandé aux manifestants de débloquer la route pour éviter toute effusion de sang mais jusqu’à présent sans convaincre : le blocage continue.
Pendant ce temps, des amérindiens de l’ethnie Ashaninkas, au nombre de 1500 environ, ont pris l’aéroport de Trompeteros, province voisine de Daten del Marañón, région de Loreto dans la partie nord-orientale du Pérou.
Les manifestants exigent les mêmes revendications que les amérindiens de Bagua, l’abrogation des décrets-lois qui portent atteinte à leurs territoires. Les manifestants ont été délogés des pistes mais pas du terminal.
Les manifestants ont aussi affirmé qu’ils avaient pris le contrôle de la parcelle n°8 dans la zone forestière, dont la concession est au bénéfice de la société argentine PlusPetrol
Les autorités ont donné jusqu’à 16 h (heure locale) pour que les manifestants évacuent l’aéroport, faute de quoi ils emploieront la force
Une grève régionale de 24 heures en soutien à la lutte des amérindiens et contre la barbarie du gouvernement sera organisée à l’appel du Front patriotique de Loreto jeudi 11 juin prochain.
Cette décision a été prise lors d’une réunion de 130 délégués de diverses organisations qui se sont retrouvés lors d’une assemblée samedi dernier.
En même temps, une grande mobilisation se déroulera dans les principales rues d’Iquitos jeudi après-midi.
La région de Loreto est la plus grande de la zone amazonienne et septentrionale du Perou et la moins densément peuplée. Iquitos, la capitale provinciale, accessible que par air et par voie fluviale, est une ville d’environ 400 000 habitants.
Couvre-feu dans les deux provinces de Bagua et Uctubamba, région de Amazonas, est de fait devenue une zone occupée militairement. La police et l’armée multiplient les patrouilles. Le couvre-feu est total de 15 h à 6 heures du matin : de nombreuses personnes sont ainsi arrêtés dans l’après-midi et relâchées le lendemain.
Les déplacements de la population à l’intérieur de la zone sont rendus pratiquement impossibles et les habitants doivent demandes des sauf-conduits.
Malgré ce déploiement de forces de l’ordre et la violence des affrontements de ces derniers jours, la situation reste conflictuelle. Le directeur de radio Oriente, Geovani Acate, a ainsi informé que les blocus sur la route Fernando Belaúnde (celle où s’est produit la violente intervention policière du vendredi 5 juin) se poursuivent aux kilomètres 34 et 17 où il y a des piquets et des rondes paysannes. Le point de blocage le plus important se situerait au kilomètre 4,5.
Le père d’un des policiers tués au cours des affrontements accuse le gouvernement.
Héctor Núñez Callisaga, père d’un sous-officier de la police décédé lors des affrontements de vendredi a rendu responsable le gouvernement d’avoir envoyé les policiers dans une “boucherie” après qu’il ait tardé à négocier avec les populations amérindiennes de la région. Dans le cimetière municipal de la petite ville de Ilo, il a déclaré ne pas comprendre que le gouvernement prenne tant de retard pour prendre en compte les demandes des habitants originaires de l’Amazonie. « S’ils ont eu le temps de négocier, pourquoi ont-ils attendu qu’il y ait des morts ? »Il en veut aux politiciens qui ont envoyé mon fils et ses collègues à la mort et que son fils a été sacrifié en faisant son devoir.
Lors des funérailles d’autres policiers, des familles et proches se sont aussi exprimés contre la décision d’envoyer les effectifs débloquer la route.
Pertes côté police : 24 morts
Le cadavre d’un policier disparu a été retrouvé, ce qui porte à 24 les pertes dans les rangs des forces de répression (le 23ème était un blessé qui a succombé).
Côté amérindien, le chiffre officiel serait maintenant de 11 tués (jusqu’à dimanche soir, le chiffre était de 3). Ce chiffre correspond en fait au nombre de cadavres répertoriés et vérifiés par la Defensoría del Pueblo.
Pour d’autres sources, le chiffre se situerait autour de 30 voire 40 car de nombreux corps ont été enlevés par les forces de l’ordre.
Il semble confirmé que des corps d’amérindiens tués par la police ont été précipités dans la rivière. Selon Radio Capital qui rapporte cette information, le procureur provincial de Bagua, Salatiel Vásquez, aurait confirmé la découverte de plusieurs cadavres dans la zone de El Reposo, confirmant ce que n’ont pas cessé de dénoncer de nombreux témoins dont le curé de Bagua Grande, Casinaldo Ramos. Cette infiormation a été démentie juste après par la défenseuse du peuple, Beatriz Merino.
Blessés : le chiffre officiel s’élève maintenant à 155.
Détenus : officiellement ils seraient au nombre de 72.
Amérindiens
Colombie
La Organización Nacional Indígena de Colombia (ONIC) a appelé à un rassemblement devant l’ambassade du Pérou à Bogotá
Bolivie
La Confederación Sindical Única de Trabajadores Campesinos de Bolivia (CSUTCB) a exprimé sa solidarité avec es frères du Pérou. Regretant de ne pouvoir être présent avec eux « pour les renforcer » ; elle réaffirme son appui et sa solidarité avec ses frères en disant que ce qui se passe au Pérou est équivalent à la situation bolivienne il y a « quatre ou cinq ans : la mort pour le peuple, la mort pour ceux qui parlent contre le gouvernement »
Les Kichwa d’Equateur et les Mapuches du Chili ont manifesté leur solidarité avec leurs frères de Bagua et appellent à une mobilisation continentale pour que le président Alan García soit poursuivi pénalement par la justice internationale pour sa politique attentatoire aux droits des peuples originaires et les actes de répression criminelle dont il est responsable.
Bain de sang au Pérou : Survival International demande le retrait des compagnies pétrolières
Communiqué.
Le 8 juin 2009. Survival International a appelé aujourd’hui les compagnies pétrolières opérant en Amazonie péruvienne à suspendre leurs activités alors que le pays est entré dans la pire des violences politiques depuis l’insurrection du Sentier Lumineux dans les années 1980.
Sont concernées, entre autres, les compagnies Perenco (franco-britannique, dirigée par François Perrodo), PlusPetrol (argentine), Petrolifera (canadienne), Repsol (espagnole), Petrobras (brésilienne).
Les violents affrontements qui ont eu lieu vendredi dernier entre les Indiens bloquant des routes et des rivières et des unités militaires et policières tentant de briser les manifestations, ont fait une douzaine de morts parmi les Indiens et au moins 23 parmi les forces policières.
Les Indiens manifestent depuis deux mois contre une série de lois qui ouvrent leurs forêts communautaires aux compagnies d’exploitation pétrolière et gazière. Ces dernières années, plus de 70 % de l’Amazonie a été divisée en concessions de prospection pétrolière et gazière et la récente découverte de plusieurs gisements importants menacent de détruire la plus grande partie des forêts vierges où vivent les Indiens. Des projets similaires ont déjà eu un effet dévastateur en Equateur et ont entraîné une pollution chronique et de graves conséquences sanitaires sur les Indiens qui vivent dans les régions exploitées.
Les manifestations indiennes ont été traitées avec mépris par le gouvernement : le président Garcia n’a prêté aucune attention aux tentatives des membres du Congrès de remettre en question les lois qui sont au cœur du conflit, traitant les manifestations de “conspiration” et leurs auteurs d’‘“ignorants”. Avant d’entrer en clandestinité, le leader indien Alberto Pizango a déclaré : “Nous ressentons amèrement que le gouvernement nous a toujours traités comme des citoyens de seconde zone.”
Stephen Corry, directeur de Survival Interntional, a déclaré aujourd’hui : ‘Les Indiens péruviens sont contraints de prendre des mesures désespérées pour tenter de sauver les terres qui leur ont été spoliées depuis cinq siècles.
“Ces mouvements de protestation sont le signe que l’ère coloniale est définitivement révolue. Les Indiens amazoniens ne se laisseront plus traiter avec la brutalité et l’injustice qui ont inlassablement régné jusqu’à présent. Cette époque est terminée. C’est le Tiananmen de l’Amazonie et s’il se termine de la même façon, cela entachera définitivement la réputation du Pérou.
“Les compagnies pétrolières opérant au Pérou devraient suspendre toutes leurs activités tant que le calme ne sera pas restauré et que les droits territoriaux des Indiens ne seront pas respectés et garantis – c’est alors seulement qu’ils pourront négocier équitablement.“
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Images d’une rébellion (mai 2009) : Occupation d’une station pétrolière, toute bloquée et déjà des blessés.
http://www.flickr.com/photos/diogen...
Images d’une sanglante répression (5 juin 2009)
http://www.flickr.com/photos/341735...