samedi 18 juin 2022
Ce samedi 18 juin à Cherbourg, le collectif piscine stop, appelle à se
mobiliser contre la construction d’une nouvelle piscine d’entreposage de
combustibles nucléaires à l’usine de retraitement de La Hague. Un
rassemblement est prévu devant l’hôtel de ville à 10 heures.
Nous serons quelques-un-e-s à distribuer un tract sur place et à tenir
une table de presse.
La mobilisation sur place est très hétéroclite et joue dans
l’institutionnel. Le collectif Stop piscine à La Hague, est un collectif
de citoyens et citoyennes de la Hague qui se mobilisent contre la
construction d’une nouvelle piscine de stockage en surface. Les piscines
d’entreposage en surface des combustibles usés des centrales et autres
installations nucléaires arrivent à saturation. L’annonce de la relance
du nucléaire et du tout électrique (bagnoles, numériques, énergie, etc.)
rend la situation encore plus tendue. Un premier projet a été proposé à
Belleville-sur-Loire en 2019, mais face à un embryon de mobilisation,
les nucléaristes ont préféré opter pour la presqu’île au nucléaire.
Du côté des opposant-e-s, les perspectives c’est "trop c’est trop", il y
a trop de nucléaire dans la région (EPR, etc.). Ce n’est pas un
collectif antinucléaire ; il n’aborde pas les questions qui fâchent
vraiment sur place, comme l’envoi des déchets d’uranium valorisables en
Russie ou le chantier EPR ou la relance du programme atomique. Le
collectif ne s’aventure même pas sur le "Ni ici, ni ailleurs". Ils ont
lancé une pétition et organisé des débats. Ca semble prendre en partie.
Depuis quelques années et le fiasco EPR, les sondages d’opinion du coin
montre une certaine défiance des habitant-e-s, ce qui est relativement
nouveau dans ce pays colonisé par l’industrie nucléaire.
Le collectif réunit quelques centaines de personnes, ce qui pour un
collectif qui ose critiquer une part de l’industrie nucléaire en terre
nucléaire est pas mal. C’est un groupe très citoyen, qui vise à
convaincre les institutionnels : il réclame dans un récent article en
pièce jointe un débat démocratique de la Commission Nationale du Débat
Public, et a rencontré le haut commissariat à la transparence. Si
certain-e-s protagonistes de la mobilisation sont sans doute naïfs-ves,
on y trouve également quelques vieux et vieilles briscard-e-s de la
cogestion comme les membres du nouveau CRILAN, purgé des historiques
plus critiques, l’ACRO qui participe au programme CORE qui vise à faire
vivre les japonais dans les zones contaminées sous contrainte
radiologique ainsi que Greenpeace.
Bref, s’il est heureux qu’une telle mobilisation surgisse, elle ne
s’annonce pas sous les meilleurs auspices.
Nous sommes quelques-un-e-s à vouloir tenir un autre discours face à
cette nouvelle offensive nucléaire en Cotentin. D’où notre voyage
là-bas.
En espérant croiser certains et certaines d’entre vous,
Un d’Apache
PS : ci dessous le tract que nous distribuerons, un des tracts
d’appel - le moins mauvais -, et un article qui permet de mesurer les
tentations cogestionnaires de certain-e-s.
Depuis des décennies, l’industrie nucléaire, lorsqu’elle n’arrive plus s’en débarrasser discrètement, accumule les déchets radioactifs. Edf, à court de sites pour stocker les combustibles usés produits dans ses centrales, décide en 2019 de construire une nouvelle piscine d’entreposage. Le site de Belleville-sur-Loire est d’abord visé mais, face un début de fronde locale, les nucléaristes se replient sur une terre qu’ils jugent davantage conquise : le Cotentin. Ce sont quelques 130 cœurs de réacteurs usés qui seraient ainsi stockés par l’électricien sur le site de retraitement des combustibles nucléaires de La Hague géré par son complice historique Orano.
Le Cotentin est l’un des pays les plus nucléarisés au monde. Le nucléaire y a depuis les années 60 façonné les paysages puis les esprits. Ce fût tout d’abord l’arsenal de Cherbourg pour fabriquer les sous-marins atomiques, puis l’usine de la Hague, dans un premier temps pour extraire le plutonium nécessaire la construction de la bombe. A l’époque, le pouvoir gaulliste, ne tient pas au courant les habitants et habitantes de La Hague de ce qu’il compte bâtir sur la lande ; il parle tantôt d’usine de casseroles ou d’électroménager. Puis vient le temps où il faut rentabiliser la recherche atomique : l’usine se recycle dans le retraitement des combustibles usés et cherche valoriser ce qui peut l’être. La Hague accueillera dès lors les déchets nucléaires de nombreux pays travers le monde ; les travailleurs de l’usine, qui sont appelés changer de statut, se mobilisent contre la dégradation de leurs conditions de travail. C’est la grande grève de 78. A la même époque, lorsque le pouvoir lance le programme civil, c’est au tour de Flamanville d’accueillir une centrale nucléaire, tandis qu’à Digulleville au nord de l’usine de La Hague les nucléaristes commencent entreposer leur grand héritage : l’Andra entasse pour l’éternité ou presque une partie des déchets produits par l’industrie nucléaire sous de charmants tumulus d’herbe verte.
Dès l’origine, les promoteurs du délire atomique se contrefoutent des populations locales et méprisent les oppositions. Ces dernières seront pourtant massives et tenaces, des occupations de site, aux manifestations offensives, en passant par les blocages de convois, les sabotages, mais sont matées à coup de flic et de fric. C’est le temps des occupations militaires pour protéger les sites de construction comme à Flamanville, des intimidations, des procès, mais également de la promesse d’un avenir radieux pour le pays. Une partie des habitant-e-s de Flamanville où une mine de fer a été fermée y croit. Une fois, les rebelles mis au pas ou intégrés dans des dispositifs de cogestion politiques ou scientifiques, c’est au tour des tractopelles de venir d’éventrer les routes, d’excaver les falaises la dynamite, de faire place nette. Les routes sont bitumées, les stades et les équipements sortent de terre. Il s’agit tout à la fois d’occuper les travailleurs du nucléaire que d’acheter le silence des riverains : une piscine contre un excès de leucémies infantiles ; un port de plaisance contre le silence complice des travailleurs ; un centre équestre contre quelques morts différées.
En 2006, l’État nucléariste mise encore sur la presqu’île au nucléaire pour mettre en œuvre son dernier délire atomique, l’Epr. Ce sera un gouffre financier, une multitude de malfaçons, des morts sur le chantier, pour la promotion d’un nucléaire présenté comme plus sûr et pourtant dans les faits plus dangereux. En Chine, les autorités de sûreté nucléaires françaises et chinoises que l’on ne peut pas vraiment taxer d’alarmistes ont préféré mettre à l’arrêt leurs réacteurs Epr vendus par la France. Elle avaient constaté des fuites radioactives dans le circuit primaire de la centrale. Les crayons de combustibles d’uranium subiraient des altérations à cause des vibrations de la cuve de la centrale. Cette dernière présentée comme un gain de sûreté à l’origine du projet sera sans doute finalement écartée dans les Epr « low cost » promis par le gouvernement Macron.
Au quotidien l’atome charrie des victimes invisibles : un excès de leucémies nié par des experts complices autour de La Hague et d’autres installations nucléaires, des intérimaires que l’industrie nucléaire utilise comme premières lignes dans les zones les plus chaudes des installations touchés dans leur chaire des années après leurs interventions, le silence complice et intéressé des organisations syndicales et des élus locaux. Les morts du nucléaire ce sont également souvent ceux et celles qui sont tués travers les guerres que l’Etat français mène pour soutenir des régimes militaires « amis » travers le monde au- tour des gisements d’uranium, sans oublier les irradiés invisibles de ce néo-colonialisme extractiviste de l’atome. Quant au géant Orano, il deal toujours, même en pleine menace nucléaire, avec la Russie de Poutine et son régime autoritaire et guerrier, pour externaliser une partie des opérations de retraitement et de valorisation de ses déchets. Les oppositions quant à elles ne sont plus invitées qu’à comptabiliser les morts, discuter des périmètres d’évacuation ; et il ne manque malheureusement pas d’écolocrates pour répondre à cet appel à jouer les cogestionnaires.
Et lorsque le désastre nucléaire survient nous voilà condamner soit à la fuite comme à Tchernobyl, soit à la vie sous contrainte radiologique comme à Fukushima. Il faut dire qu’en plus de 30 ans la doctrine post-accidentelle a changé. L’accident n’est plus impossible, il est contingent à nos modes de vie. Est venu le temps de la résilience : en cas d’accident, nous devrons vivre avec la radioactivité, au milieu des décombres dépister les zones chaudes, scruter nos moindres gestes, un dosimètre autour du cou. C’est déjà comme cela que les autorités japonaises « incitent » à coup d’arrêts des indemnisations les irradié-e- s de Fukushima àretourner vivre sur place. L’usine de La Hague, elle-même, a connu son lot d’accidents. La fabrique de l’oubli fonctionnant à plein, on peine aujourd’hui à croire qu’un incendie de silo radioactif en 1980 avait amené nos chers ingénieurs en bricolage nucléaire à gérer la pollution du parking du centre commercial du centre-ville de Cherbourg au jet, ou aller chercher en urgence des groupes électrogènes à Caen pour conjurer une panne de l’alimentation électrique.
Quant aux oppositions surgies après Fukushima dont nous faisions parti, du blocage des castors de combustibles vers l’Allemagne de Valognes aux sabotages de ligne THT et à l’occupation du bois du Chefresne, elles ont affronté une nouvelle fois le véritable visage de l’État nucléariste : ses flics, ses armes dites non létales qui mutilent, ses expropriations, ses procès.
L’histoire des luttes contre le nucléaire, l’État et le capital nous ont prévenu : On arrête pas ce délire nucléocratique en participant à des concertations. Si le collectif Piscine nucléaire stop en appelle à l’organisation d’un débat public, nous pensons au contraire qu’il n’y a rien à attendre des dispositifs de « démocratie technologique » qui sont systématiquement mis en place autour des projets nucléaires et industriels. Ils sont là pour maintenir l’illusion ; comme disait un vieil adage : la dictature c’est ferme ta gueule, la démocratie c’est cause toujours ! Ces dispositifs sont systématiquement viciés, con ne le débat entre experts et contre-experts, alors que les décisions sont déjà actées. Ce fût le cas autour des Cndp de l’Epr ou du centre d’enfouissement de Bure, que nous avons pour notre part sciemment perturbées ou sabotées.
On n’arrête pas plus le programme nucléaire ou sa relance avec un bulletin de vote. Nous avons là aussi connu des précédents. En 1981, François Mitterrand promettait sur l’ensemble des sites nucléaires en construction de les stopper. Ce sera finalement, l’organisation d’un débat parlementaire, la mise en place de Commission Locale d’Information pour intégrer une partie de la contestation, et le maintien de la plupart des projets puis la relance du programme. Plus tard, les écologistes de gouvernement comme Dominique Voynet signeront les décrets d’application du laboratoire de Bure. Là encore, c’est aussi vieux que l’histoire de la Politique : Machiavel ne diagnostiquait–il pas déjà que les promesses n’engageaient que ceux et celles qui y croient ? Mélenchon et la Nupes, les seuls opposant-e-s institutionnels ayant une chance d’accéder au pouvoir, n’en font d’ailleurs pas mystère : la coalition est loin d’être unanime sur le nucléaire et ne promet que l’organisation... d’un débat publique.
Cette piscine d’entreposage de combustibles n’est qu’un in me maillon de la chaine nucléaire. Et si c’est heureux que dans une presqu’île tellement sous l’emprise de l’industrie nucléaire et de l’État surgisse une opposition au projet, pour nous, ce n’est pas seulement cette piscine qu’il faut stopper mais l’industrie nucléaire qui produit les tonnes de déchets ou de combustibles qui finissent par s’y entreposer. C’est surtout ce monde nucléarisé dont la piscine d’entreposage de combustible n’est qu’une verrue supplémentaire que nous voulons abattre. Un monde absurde, qui mesure le bonheur à la taille des écrans plats, à la multiplication des antennes relais, un monde de réseau de marchandises et de données, qui maintient par- tout exploitation, domination et guerres. Un monde toujours plus dévoreur d’énergie, de terres rares et de minerais. Le nucléaire n’est qu’une manifestation particulièrement mortifère et concentrée de l’État et du capital lorsqu’ils se déploient.
Voir en ligne : le nucléaire droit dans le mur