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ACTUALITES ET VŒUX DU MOUVEMENT ZAPATISTE

mardi 4 février 2020, par admi2


ACTUALITES ET VŒUX DU MOUVEMENT ZAPATISTE

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Depuis les montagnes zapatistes en rébellion, Chiapas, Mexique.

La fin de l’année est toujours l’occasion de faire le bilan, et les zapatistes n’échappent à cette habitude, d’autant plus que pour eux et elles, le passage à la nouvelle année est avant tout l’occasion de fêter l’anniversaire de leurs soulèvement armée le 1er janvier 1994. Cette année ce fêtait ainsi le 26ème anniversaire du soulèvement, qui, rappelons-le, était le fruit de 10 années de préparation. Petit calcul, cela fait donc 36 ans que les zapatistes travaillent à être ce qu’ils sont actuellement ! Et face aux critiques, aussi pertinentes que superficielles soient-elles, les zapatistes sont en général capables de les formuler avant même qu’on ne les juge de l’extérieur et de très loin. Leur longévité, couplée au constat d’une extension territoriale hors-normes pour un mouvement anticapitaliste (environ la superficie de la Belgique) et d’une base sociale qui dépasse les 10 000 personnes, invitent toujours à un peu d’humilité et à tendre l’oreille. S’il on entendait dire cette dernière décennie que le zapatisme était en mauvaise forme, force est de constater que le bilan de 2019 indique le contraire. Tout d’abord, il convient de revenir sur l’annonce en août, de la création de 7 nouveaux caracoles (1) et de 4 communes autonomes(2) , soit une « extension territoriale » non négligeable. Cependant, cette expression recouvre assez mal la réalité et il convient de l’aborder en trois points.
Premièrement, il y a effectivement des territoires nouveaux qui vont s’auto-administrés en intégrant les institutions autonomes zapatistes, ce qui implique un vrai changement et l’amélioration des conditions de vie des communautés, puisqu’elles vont progressivement se doter d’école, d’hôpitaux de campagnes et bénéficier du réseau d’aide zapatiste. Mais il convient de préciser qu’il s’agit surtout d’officialisation plus que de conversion. Les communautés étaient déjà zapatistes, mais soit ne l’avaient pas officialisé, soit elles ne s’étaient pas encore dotées des institutions et structures nécessaires pour qu’elles fonctionnent. Il faut donc relativiser un peu cette extension, qui en réalité était déjà effective par endroit ou en germe dans d’autres. Cela démontre quand même, via le courage de l’officialisation face à un environnement mexicain hostile, un certain tour de force. Deuxièmement, il convient de préciser que derrière la création de nouveaux caracoles, il y a la création de Junta de Buen Gobierno (3) , qui recouvre aussi la dissolution de certains autres. En effet, dans l’esprit de l’autonomie, si une institution n’est plus pertinente ou manque d’efficacité, on la dissout, et c’est ce qu’on fait les zapatistes. Dans une politique autonome, les institutions ont pour objectif de servir le peuple, et non le contraire. La géographie administrative zapatiste a ainsi été remaniée afin d’être, entre autres arguments, plus accessible. En effet, certains anciens caracoles pouvaient se révéler trop éloignés de certaines communautés. Troisièmement, il faut noter que de nouveaux caracoles ont été annoncés et vont être construit prochainement. Certains sont éloignés des traditionnels territoires zapatistes, ce qui présume de l’extension de l’influence zapatiste. Mais on peut aussi citer que le Cideci-Université de la Tierra devient le caracol Jacinto Canek. Les zapatistes vont pour la première fois avoir un point d’ancrage dans la périphérie urbaine de San Cristobal de las Casas. Comme le dit Jérôme Baschet « réjouissante reconfiguration de la géographie rebelle ! ».
On doit aussi noter la performance des zapatistes quant à l’organisation de 7 événements culturels et/ou politiques de grande ampleur tout au long du mois de décembre 2019. Comme ils et elles le disent, décembre a été un « combo pour la vie », puisque les communautés ont organisé de nombreuses activités comme une nouvelle édition du festival CompArte (4) ; le Forum pour la défense de la Madre Tierra (Terre Mère), ou le Festival du film Puy Ta Cuxlejaltic, pour lequel il a fallu construire un auditorium en milieu rural, tâche réalisé en deux mois à peine ! On notera aussi l’organisation du 26 au 29 décembre, de la très attendue deuxième édition des Rencontres internationales des femmes qui luttent qui, selon les compas zapatistes, a rassemblé près de 4 000 femmes de 49 pays et 96 de leurs crias (progénitures), ainsi que 26 hommes qui sont restés dans un espace mixte à 1,5km. A noter que c’est la première fois que les femmes zapatistes ont porté le projet de bout en bout, sans hommes, notamment en se formant à certaines compétences à l’avance, comme à la conduite de camions par exemple. Ces rencontres avaient lieu en territoire zapatiste à l’ejido (5) Morelia, dans les hautes montagnes du Chiapas, et plus précisément au Semillero (Pépinière). Cet espace hybride dont ce sont dotés les zapatistes depuis des années, sert à l’organisation d’événements de grande ampleur ainsi qu’à l’entraînement des milicien-ne-s. Au même endroit le 31 décembre allait aussi avoir lieu le « nouvel an zapatiste ». Mais avant d’exposer quelles ont été leurs vœux pour 2020, revenons sur ces extraordinaires rencontres des femmes en luttes.

Retour et réflexions sur le féminisme à partir des 2èmes « Rencontres Internationales de femmes qui luttent »

Dès le 26 décembre au matin, l’inscription des femmes a commencé à l’entrée du caracol. Une fois l’inscription terminée, les femmes devaient se rendre au Semillero pour installer leurs tentes, tandis que des dizaines de femmes du monde entier continuaient d’arriver. Le Semillero avait été conditionné avec soin pour toutes les accueillir : cantines, réserves d’eau, toilettes, lavoirs et tout le nécessaire. Pendant ce temps, les miliciennes surveillaient l’entrée et les environs, garantissant une atmosphère de sécurité et de respect. Pendant trois jours, elles allaient s’y retrouver avec les mêmes objectifs : rencontrer d’autres femmes qui luttent, partager leurs douleurs et leurs joies, afin de mener ensembles, et ceci malgré leurs origines diverses, ce que les compas zapatistes ont appelé « une guerre pour la vie ».

Photo n°1 : entrée du Semillero, seules les femmes passent

Photo n°2 : la cantine « femmes que nous sommes »

L’installation du camp le premier jour (26 déc.) a été un moment d’émotives retrouvailles entre anciennes amies, accompagnées de musique et ponctuées de cris de guerre : l’aquelarre (6) avait commencé. Le deuxième jour (27 déc.), les activités ont été inaugurées par un poignant discours de la Comandanta Amada ; puis suivi d’un rituel d’ouverture accompagné d’un défilé des miliciennes. Ce 1er jour officiel serait dédié aux dénonciations et à la douleur, tandis que les deux jours suivants allaient porter sur les solutions à apporter et les possibilités de coordination (28 déc.), et enfin sur la culture, l’art et la fête (29 déc.).

Photo n°3 : le défilé vu d’un balcon

Les femmes ont ainsi pu exprimer librement pendant plusieurs jours leurs idées et des critiques et désaccords sur les questions qui les réunissaient. Pour discuter de la douleur et de la rage, il était essentiel qu’elles laissent derrière elles jalousies et rivalités, car elles sont toutes différentes. Comme l’a dit la Comandanta Amada « nous savons qu’il n’est pas bon que nous soyons toutes égales en pensée et en manière, et nous pensons que la différence n’est pas une faiblesse, mais une puissante force s’il y a du respect et un accord pour combattre toutes ensembles. »
À l’assemblée plénière des dénonciations, elles ont pu témoigner d’innombrables façons dont les femmes sont violées, de leurs enfances jusqu’à ce qu’elles deviennent des mujeres de juicio (femmes de jugement). Des défenseuses de l’environnement provenant de peuples originaires du Mexique, mais aussi de Colombie, de Bolivie, du Pérou, d’Équateur et du Brésil ont dénoncé la dépossession de leurs biens communs. Ont été partagé avec le cœur et les larmes des récits de mères qui n’ont pas revu leurs filles parce qu’assassinées ou disparues ou encore des histoires de migrantes qui ont été violées alors qu’elles cherchaient une vie meilleure, sans parler de l’infinité de travailleuses et paysannes qui ont dû se taire face à un système qui les menace. Partout dans le monde, de l’Asie à l’Océanie, de l’Europe à l’Afrique, de l’Amérique latine aux montagnes du sud-est du Mexique, chacune d’elles a connu la violence des hommes qui les entourent, mais aussi de femmes qui pensent et agissent en machiste. Elles ont partagé la douleur de celles qui ont subi des abus sexuels et psychologiques, de la violence au travail, de celles qui ont trouvé de la haine dans ce qui semblait autrefois être de l’amour. Elles ont constaté l’injustice, l’impunité et la misogynie qui oppriment leurs vies et les blessent à mort.
Ce système opprime également les femmes nées dans un corps qui ne leur appartient pas (7) . Espirulina, du collectif Flor y Piedra de Mexico, a partagé son expérience lors de la réunion et combien elle a été touchée d’avoir été admise au Semillero malgré sa naissance dans le corps d’un homme :

« Je m’identifie aux féminismes inconfortables, au féminisme noir, au féminisme trans ou aux féminismes marginaux comme le féminisme fou qui défend les détenues des hôpitaux psychiatriques, celles qu’on appellent neurodivergentes [...]. Je suis venue à cette rencontre pour trouver d’autres personnes comme moi, et ça me réconforte de savoir que d’autres ont aussi perdu leur peur et nous sommes très émues qu’elles nous laissent entrer à ces rencontres, car j’avais peur d’être catalogué comme un homme, tout comme cela se fait dans les institutions de la ville [...] Elles ne m’ont jamais questionné et m’ont laissé entrer [...] dans cette réunion, nous pouvons être toutes des femmes indépendamment de ce que nous avons dans nos parties génitales, comme les femmes qui n’ont ni utérus ni vagin, et le mieux est que cela aide à sensibiliser les autres femmes au fait qu’il existe d’autres réalités et que même parfois le terme de femme ne correspond pas à toute la diversité sexuelle qui existe. »

Concernant le sujet des minorités sexuelles, la compa Lucero, zapatiste du caracol La Realidad, a précisé que « nous ne pouvons pas faire de différence, leur volonté est respectée, cela nous importe peu, c’est leur décision et leur goût, ce que nous disons c’est que nous devons nous organiser ensemble ». Elle également parlé du rôle des femmes au sein des communautés zapatistes :

« Quand nous n’étions pas zapatistes, ils nous discriminaient, nous emprisonnaient, nous assassinaient, c’est pourquoi nous nous sommes organisées, parce que nous ne voulons plus de la menace et du mépris et maintenant, ça suffit, et quand cela se produit ou quand la violence contre les femmes se produit, les autorités de la municipalité autonome et les communautés rendent justice, nous les punissons. »

Savoir comment s’organiser est essentiel, sachant qu’il y a autant de propositions et d’idées que de femmes, de la même manière qu’il n’y a pas qu’un seul féminisme. L’important est de convenir de l’arrêt de ce massacre et de retrouver la valeur et la joie de nos vies. A cet image de diversité, des slogans d’un peu partout on été entendu pendant ces rencontres : « ce n’était pas ma faute », devenu populaire après les récentes manifestations au Chili ; « Le patriarcat va tomber » et « Arriba le féminisme qui triomphera », qui ont accompagné divers mouvements féministes en Amérique latine ; « Brûlez tout et peignez les murs » qui a émergé des émeutes féministes à Mexico ; et « Pas une de moins » qui remonte aux premières années où le concept de féminicide a été reconnu. Ceux-ci ont été combinés à ceux entonnés depuis des années par des femmes autochtones qui défendent leurs territoires, comme celui des femmes du Chiapas : « Nous, les femmes, nous laisserons le tablier et si nécessaire, nous prendrons le fusil », ainsi que « lorsque le peuple se lèvera pour le pain, la liberté et la terre, trembleront les puissants de la côte jusqu’aux montagnes ».
Cette convergence des slogans, des perspectives, des cultures et des corps leurs ont permises de voir les blessures communes et en même temps la diversité des propositions pour s’organiser et revaloriser leur potentiel en tant que « femmes que nous sommes ». Comme le disent les zapatistes, plus que des féministes « nous sommes des femmes qui luttent » de toutes les manières possibles, dans cette guerre contre la dépossession et la mort. Mitigées en ce qui concerne le féminisme occidental et certaines tendances séparatistes, les zapatistes préfèrent se considérer comme des femmes en luttent, ayant bien conscience que l’anti-patriarcat ne peut se détacher de l’anti-capitalisme et que femmes et hommes doivent y travailler ensemble. Si ces deuxièmes rencontres ont été un espace exempt d’hommes, ce n’est pas pour raisons sexistes ou séparatistes, mais pour montrer qu’en tant que femmes elles pouvaient aussi s’organiser :

« Ici, nous n’autorisons pas l’entrée des hommes car nous devons évaluer si nous pouvons faire tout le travail par nous-mêmes. Mais plus tard à l’occasion du 26e anniversaire, nous serons tous ensemble, hommes et femmes. [...] Là c’est uniquement pour que nous puissions observer que, sans la participation des copains, nous pouvons faire le travail. C’est l’exemple que nous voulons donner aux femmes du monde, que dans différents endroits, pays ou états, si nous nous organisons collectivement, nous pouvons lutter, là où nous sommes. C’est la même chose avec nous [les femmes zapatistes] qui venons de différents caracoles et qui parlons des langues différentes, mais nous nous comprenons ».

Photo n°4 : la compa Lucero

Dans le même sens, selon les femmes du collectif Geobrujas (géosorcières) basé à Mexico, l’organisation répond davantage à un besoin de nous garder en vie, fortes et en bonne santé, plutôt qu’à un simple discours :

« Tous les mouvements qui ont lieu dans le monde nous semblent importants, et être dans un espace zapatiste est un symbole de résistance politique pour les femmes du monde, et pendant ces vingt-six années, ont été créées des spatialités autonomes qui sont très belles. Et c’est une inspiration, mais aussi tous les mouvements urbains et populaires, dans tous les contextes, sont très importants. D’autres formes de contestation et de lutte sont importantes, et cela nous amène à comprendre qu’il existe de nombreux féminismes, indigénismes et autres pensées telles que celles du Moyen-Orient et d’ailleurs. Il est nécessaire de partir de différents contextes sociaux, culturels et environnementaux, et pour nous la géographie nous permet de comprendre ces autres relations entre le corps et le territoire. »

Pour les compas de Geobrujas, il est important de voir le corps comme un territoire et d’analyser comment il s’y rapporte, et comment il est vu de l’extérieur. Elles articulent cette idée avec d’autres propositions telles que l’écoféminisme, qui propose la défense du territoire-corps-terre, un concept emprunté à la vision du monde des groupes de femmes autochtones, qui n’est pas un terme académique mais plutôt activiste qui a surgi dans les luttes du quotidien.
À cet égard, la libre expression des émotions, sans tabous et sans limites, a été une caractéristique propre à ces deuxièmes rencontres. Se retrouver dans un espace où les femmes se sont identifiées en tant que genre et sans la répression machiste, leurs ont permis d’embrasser leurs émotions en faisant d’elles un outil pour comprendre d’autres luttes. Comprendre les origines et les cultures des autres ont facilité la compréhension des trajectoires respectives et ainsi d’être émues par la singularité des diverses injustices. En somme, elles ont valorisé le commun et la différence en même temps, un exercice d’époque qui devrait inspirer les mouvements radicaux, qui ont la mauvaise manie cartésienne de s’écharper et de se diviser pour des virgules et points de suspensions mal placés.

Photo n°5 : nous n’avons pas besoin de permission pour être libres

Pour toutes les femmes du monde, celles qui se sont retrouvées comme celles qui n’ont pas pu venir, les compas zapatistes sont une grande inspiration. Elles ont reçues un grand nombre de femmes dans leurs montagnes et elles ont partagé ensemble chaque nuit noire étoilée et chaque lumière matinale. Elles espèrent toutes se revoir à chaque fois que ce sera possible, et en attendant les prochaines rencontres, maintenir le 8 mars comme une journée d’action internationale a été une évidence pour que chacune, depuis sa géographie, continue de lutter.

Anniversaire du soulèvement et vœux 2020 : le train maya ne passera pas !

Dans la foulé de ces rencontres avait lieu au même endroit, le 31 décembre et le 1er janvier, le 26e anniversaire du « commencement de la guerre contre l’oubli », commémoration du soulèvement armée de 1994, moment précis ou entrait en vigueur le traité de libre échange nord-américain.
Comme à l’habitude, les festivités ont commencé dans l’après-midi par un défilé, cette fois-ci initié par les miliciennes restées sur place, puis rejointes par les miliciens, l’occasion de montrer que les zapatistes ont toujours un nombre important de réservistes. Puis vint le discours tant attendu du sub-comandante Moisés (sous-commandant Moïse). Il s’agit toujours d’un moment fort lors de ces anniversaires puisque, hormis être la seule « activité politique », le discours informe généralement sur l’interprétation des zapatistes vis-à-vis de ce qui s’est déroulé pendant l’année, et indique aussi les orientations à venir. Après une première version dans sa langue indigène natale, le sub-comandante Moisés a répété le discours en espagnol.

Photo n°6 : le Sous-commandant Moïse pensant son discours

Après une longue liste de remerciements, il félicita les femmes pour avoir démontré qu’elles n’avaient pas besoins des hommes pour s’organiser. Il rappela la trajectoire de résistance des zapatistes face à celui qu’il appel le mandon (celui qui donne les ordres, métaphore pour parler des grands dirigeants, présidents comme PDGs). Par la force, les mensonges et les pièges, le mandon a suivi son plan pour essayer de détruire les zapatistes, de la même manière qu’il le fait maintenant, référence directe à Manuel Lopez Obrador, social-démocrate de « gauche » président du Mexique depuis 2018. A ce sujet, le sous commandant fut très ferme :

« Nous avons maintenu bien haut, et nous maintenons encore, le drapeau de notre rébellion. Avec l’aide de toute les couleurs du monde entier, nous avons commencé à édifier un projet de vie dans ces montagnes. Poursuivi par la force et les mensonges du mandon, pareil que maintenant, nous nommes restés fermes pour construire quelque chose de nouveau. Nous avons connu des échecs et fait des erreurs, c’est certain, et sûrement que nous en ferons encore sur notre long chemin... Mais jamais nous ne nous sommes rendus, jamais nous ne sommes vendus, jamais nous n’avons renoncé ! »

Plus tard, il rappela l’assassinat de Samir Flores, un des membres du Congrès National Indigène (CNI), qui s’opposait au projet de construction d’une centrale thermo-éléctrique et d’un gazoduc dans sa communauté d’Amilcingo (Etat de Morelos). Samir a été tué pour avoir questionné « où nous mène ce chemin du progrès des mega-projets ? Samir s’est organisé avec sa communauté et il n’a pas eu peur, et le mandon l’a fait tuer. ». Ce moment du discours a été un moment de transition, à la fois pour rendre hommage à ce combattant mais aussi pour rappeler que « les mega-projets servent les bénéfices du grand capital ». Dans cette phase néolibérale et globalisée du capitalisme, le Mexique comme toute l’Amérique latine occupe une nouvelle fonction dans la division internationale du travail. Cette partie du globe est devenue le terrain de jeu des entreprises extractivistes, un espace de dépossession des ressources naturelles dont sont particulièrement victimes les peuples originaires.
La partie la plus attendu du discours arriva donc, annonçant que le président mexicain, fidèle à son poste, après une supercherie de référendum, avait annoncé le lancement du projet « train maya ». Ce mega-projet à pour objectif de relier les « hub-touristique » du sud-mexique et de favoriser le développement de certains zones « enclavées » de la Péninsule du Yucatan jusqu’au Chiapas. Il ne s’agit ni plus ni moins que de convertir la nature en ressources touristiques, mais pour qui ? Personne n’est dupe, et les zapatistes savent bien que le grand capital profitera de cette aubaine pour investir, construire, extraire pour ses propres bénéfices, dépossédant au passage les communautés locales. Le train maya, dont le tracé a été dévoilé il y a peu, doit passer en territoire zapatiste au nord du chiapas. Manuel Lopez Obrador a d’ailleurs précisé dans un discours public, qu’il avait les moyens pour que le projet se réalise… En réponse, le sous-commandant Moïse a déclaré dans ce même discours :

« - Nous les peuples zapatistes, nous le prenons comme s’il voulait nous défier, il dit qu’il à la force et l’argent. Il est en train de dire que ça se passera comme il le dit, et non comme le disent les peuples. Donc nous les peuples zapatistes, nous prenons la part qui nous incombe dans ce défis. [...] Ce que font les maîtres, c’est de nous posez des questions "vous les zapatistes, êtes-vous prêt à perdre tout ce que vous avez ? A perdre tout ce que vous avez avancé avec votre autonomie ? Vous êtes prêt à souffrir de disparitions, emprisonnements, assassinats, calomnies et mensonges pour la terre que vous gardez et prenez soin, la terre ou vous êtes nées, vous naissez, grandissez et mourrez ?"

  • NON ! (répondit la foule) »

Photo n°7 : miliciens et miliciennes, concentré-e-s et à l’écoute

Le gouvernement mexicain a donc clairement insinué que les zapatiste devait faire le choix entre la vie et la mort, faisant reposer ce choix sur leur « bon sens », mais avec un couteau sous la gorge, au cas ou ils perdraient la « raison ». Leur raison leur dit pourtant qu’ils vont résister à ce projet de train mortifère, qui tuera la nature et expropriera les communautés. Ces déclarations n’ont pas entamé l’enthousiasme des uns et des autres et c’est avec un tonnerre d’applaudissement que se conclurent les mots du sous-commandant.
Par la suite, de nombreux poètes, rappeurs-euses, groupes musicaux, chanteurs compositeurs zapatistes, apprentis o confirmés, se sont succédés les un-e-s après les autres sur la même scène. Environ 15 minutes avant 23h (heure occidentale), c’est à dire quelques instants avant minuit (heure zapatiste), la foule commença à se rassembler de nouveau auprès de la tribune. Quatre commandant-e-s, deux hommes de deux femmes, firent de brefs discours de remerciements et de bonne année, et tandis que le dernier intervenant se mis à crier « Viva l’Armée zapatiste de Libération Nationale ! », et que la foule en cœur répondit « VIVA !!! » ; « Viva les bases d’appuis populaires », « VIVA !!! », des feux d’artifices explosaient tout à coup, renforçant la tonalité combative de l’événement. Un bal s’en suivit et les zapatistes, qui ont bannit l’alcool de leurs communautés, n’en avait pas besoin pour danser.
Ce 26e anniversaire du soulèvement, comme ceux qui traversent actuellement le monde entier, semble annoncer la couleur de la décennie qui s’amorce. Au Mexique, les zapatistes ont été clair, le train maya ne passera pas. Au moment même ou nous concluons cet article, les zapatistes viennent d’annoncer une mega-marcha en défense de la terre le 20 février à Mexico. Affaire à suivre !

Photo n°8 : les sous-commandant-e-s de l’EZLN regroupé sur la tribune pour souhaiter les vœux de bonne année

Photos : Monica Piceno
Texte : Renaud Lariagon et Monica Piceno
avec la participation de quelques autres

1 Un caracol (Escargot), est une institution autonome zapatiste d’échelle « régionale ». Sert à coordonner un certain nombres de communes autonomes.
2 Aussi appelées Municipalités Autonomes Rebelles Zapatistes (MAREZ), elles regroupent plusieurs communautés locales ou Bases de apoyo (bases de soutien).
3 Les Conseils de Bon Gouvernement sont des institutions zapatistes à l’échelle des caracoles. Elles en différent en ce qu’elles sont constituées de représentants des communautés, postes rotatifs et révocables à tous moments. Les Juntas de Buen Gobierno ont pour objectif de travailler à faciliter l’aide entre les communauté ainsi que de mieux répartir l’aide provenant de l’extérieur.
4 Jeu de mots entre compa (compagnons), arte (Art) et comparte (partages !).
5 Terres sous le régime de propriété sociale (collective) appartenant à une communauté paysanne et/ou indigène.
6 Réunion nocturne de sorcières.
7 Caractérisées comme femmes transgenre dans la société, et dont l’identité de genre ne correspond pas au sexe qui leur a été assigné à la naissnaissance contrairement aux femmes cisgenres

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