samedi 25 août 2012, par
A la suite du massacre de la mine de Marikana le 16 août dernier, et les jours précédents, nous publions deux documents provenant de deux organisations sociales des « damnés de la terre » sud-africains opposées au gouvernement de Jacob Zuma et de l’ « alliance tripartite » de la gauche politique et syndicale regroupant l’ANC, le Parti Communiste et le Congrès des syndicats (COSATU).
Le bilan total officiel des tueries s’établit actuellement à 44 morts, 34 lors de l’assaut policier et 10 autres (dont 2 policiers) au cours des attaques précédentes menées soit par la police, soit par des gardes de sécurité, soit par des nervis du syndicat officiel des mineurs (NUM), le 10 août dernier, qui voulaient empêcher par la force le déclenchement de la grève, déclarée « illégale » par le gouvernement car échappant au syndicat officiel des mineurs.
Tandis la direction de l’ANC exprimait ses « condoléances » aux familles des victimes et que la COSATU appelait les travailleurs sud-africains à « maintenir la cohésion et l’unité face aux tentatives de division et de déstabilisation », en référence au syndicat dissident AMCU (Association des mineurs et du syndicat de la construction), le Parti Communiste d’Afrique du sud n’a pas hésité à aller encore plus loin dans l’ignominie. Après le massacre, non seulement il défend l’action de la police mais a exigé l’« arrestation immédiate » des leaders du syndicat AMCU dont le développement dans cette mine est directement né du conflit en cours, qu’il accuse de semer le chaos sous prétexte de conflit social (et d’être selon les termes du communiqué, « les coordonnateurs, les planificateurs et les leaders de cette violence anarchique entre travailleurs », “SACP North West Media Statement, 17 August 2012”). Dans le même communiqué, le PC demande la création d’une « commission d’enquête présidentielle » spécialement sur le syndicat AMCU lui-même « partout où il s’implante », de vérifier s’il ne commet pas d’illégalités, de « renforcer la LRA, [la loi sur les relations du travail] sur la formation des syndicats » contre « la situation actuelle où les individus ont le droit de former un syndicat comme d’ouvrir des comptes personnels ou de souscrire des polices d’assurance », et finalement de tout faire pour empêcher qu’il se développe.
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Les 3/4 des mineurs ont désobéi aux injonctions à reprendre le travail et aux menaces de licenciements proférées, sous forme d’un ultimatum aux grévistes, par la direction de la société Lomnin exploitant la mine de platine de Marikana, société au conseil d’administration de laquelle siège Cyril Ramaphosa, milliardaire, membre éminent de l’ANC, de la Coca-Cola Compagny, du conseil d’administration d’Unilever Afrique du sud, patron entre autre des 145 restaurants de la franchise Mc Donald’s dans le pays, ex-sympathisant communiste et ancien dirigeant du syndicat des mineurs NUM.
Le mouvement se poursuit. L’ultimatum de la direction a été annulé. Dans au moins deux autres mines – celle de Thembelani de la société Anglo American Platinum’s (Amplats) et celle de Rasimone de la compagnie Royal Bafokeng Platinium – des revendications ont été formulées et des débrayages ont eu lieu dans la semaine. L’attaque meurtrière de la police a aussi laissé 78 blessés hospitalisés. Plusieurs centaines de grévistes ont été arrêtés et passés à tabac par les policiers. Plus de cent plaintes pour violence auraient été déposées contre la police.
Passées les obsèques officielles, tout peut de nouveau encore arriver dans ce conflit de classe qui, d’ores et déjà, marquera un tournant dans une période post apartheid qui avait vu se nouer une alliance entre la vieille bourgeoisie blanche, surtout d’origine britannique et industrielle qui détenait, et détient encore pour l’essentiel, les leviers économiques de l’accumulation et la « nouvelle bourgeoisie » noire montante, de gauche, politique et syndicale, issue de la lutte contre l’apartheid et dont les compromissions intéressées de ses leaders et apparatchiks ont permis d’accélérer sa victoire, de s’emparer des institutions du pouvoir politique et à partir de 1994 de se voir attribuée une fraction de la propriété du capital, notamment dans les assurances, les banques, le secteur minier (jusqu’à 26% selon la Charte minière de 2002).
Un compromis historique, une alliance de classe et d’intérêts bien compris que ce conflit, et cette sanglante répression du mois d’août 2012, a au moins le triste mérite de révéler au grand jour, si l’on ne s’arrête pas à ce que répète en boucle la presse mainstream reprenant la thèse dominante du conflit qui serait intersyndical et causé par la surenchère d’un petit groupe d’agitateurs… air connu.
Nous publions deux documents qui illustrent bien le contexte de ce conflit et montrent qu’il n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein, mais s’inscrit dans une longue histoire de misère, d’exploitation, de rébellions et de répression que la fin de l’apartheid, il y a 20 ans, n’aura modifié qu’en surface.
XYZ
par Bandile Mdlalose (mouvement Abahlali baseMjondolo)
L’Afrique du Sud a la plus belle Constitution de tous les pays. Sa beauté est parfaitement attestée et respectée. Mais nous vivons dans une prison démocratique.
Nous devons saluer le combat du Docteur Nelson Mandela, de Steve Biko et les luttes de la communauté des années 1980, de la jeunesse de 1976 [Soweto] et des ouvriers de 1973 [vague de grèves dans la région de Durban]. Les luttes du passé ont vaincu les Boers Blancs et nous ont apporté la démocratie avec tous ces beaux droits sur le papier. Nous avons tant de droits attestés, comme le droit au logement et à la protestation. Mais chaque jour, nos droits sont violés par les Boers Noirs. Ils ont fait le serment de protéger nos droits, mais le serment était un faux serment.
Au lieu de soutenir les luttes du peuple afin que nous puissions faire une véritable démocratie et faire de nos droits une réalité, ils envoient leurs forces de sécurité et de police pour expulser les pauvres, pour nous enfermer en dehors des villes et écraser nos luttes. Au lieu de travailler avec le peuple pour transformer la société, ils répriment le peuple pour protéger la société inégalitaire qu’ils ont pris en charge en 1994.
Les politiciens ne se sont pas unis avec le peuple. Ils se sont unis avec les capitalistes. Le résultat de cette nouvelle alliance entre les politiciens et les capitalistes, c’est que le 1% de l’élite prend pour elle-même la plupart des fruits de cette démocratie. Les classes moyennes ont toujours leurs belles vies, mais pour les pauvres, avec ou sans emploi, les choses ont empiré et elles continuent d’empirer.
Les arrestations, les passages à tabac, la torture, la destruction des maisons des gens et les tueries ont continué après l’apartheid. Maintenant, nous avons aussi le massacre.
Chaque année, les Boers Noirs nous disent de nous rappeler de 1976, mais ils ne disent rien à propos de la répression de nos luttes après l’apartheid. Ils ne disent rien à propos de Thembinkosi Mpanza et de Vukani Shange, abattus par la Farm Watch [gardes armés, association des fermiers dédiée à la Surveillance des Fermes] à eMasangweni en 2006. Ils ne disent rien au sujet des attaques de la police contre Abahlali baseMjondolo en 2008, les attaques armées contre notre mouvement à Kennedy Road [Durban] en 2009 et la répression de la Campagne anti-expulsion [Anti-Eviction Campaign], le Mouvement des Sans Terre [Landless People’s Movement], le Mouvement des Chômeurs [Unemployed People’s Movement]. Ils ne disent rien à propos de l’assassinat par la police de Andries Tatane l’année dernière ni de la longue liste des personnes qui ont été tuées par la police alors qu’ils protestaient.
Maintenant que les grévistes de Marikana ont été tués, ils en parlent comme s’il s’agissait d’une catastrophe naturelle, alors qu’en fait c’est une catastrophe politique perpétrée par les capitalistes et les politiciens.
Allons-nous rester les bras croisés et regarder chacun de nos mouvements se faire écraser un par un ? Combien d’entre nous doivent mourir avant que nous soyons reconnus et inclus dans la société ? Combien d’entre nous doivent mourir avant que la terre et la richesse soit équitablement partagées et que chacun ait son mot à dire dans toutes les décisions qui le concernent ? Quand les opprimés se lèveront-ils et parleront-ils d’une seule voix ?
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Nous sommes traités comme cela parce que nous sommes pauvres. Nous ne sommes pas autorisés à exercer nos droits face au gouvernement. Sur le papier, les droits sont pour tout le monde. En réalité, ils ne sont là que pour les riches. Nos droits sont bien connus car ils sont écrits, mais ils ne sont pas mis en application. L’alliance entre les politiciens et les capitalistes a créé une prison démocratique. Nous pouvons voter, mais seulement pour notre propre oppression. Nous pouvons voter, mais l’État continue d’ignorer la loi quand il s’agit de pauvres. Il est normal pour nous d’être expulsés et réprimés, même si ces choses sont illégales. C’est pourquoi les gens commencent à appeler les politiciens des Black Boers [des Boers Noirs]. Oui, ils gouvernent le pays, mais ils ne le gouvernent pas pour nous ou avec nous.
Pendant des années, les luttes de la communauté ont été attaquées. Qui aurait imaginé que les luttes actuelles des travailleurs seraient également attaquées par la police ? La lutte se propage à partir des cabanes vers les mines et des mines elle revient aux cabanes. En regardant le silence de la COSATU [confédération des syndicats] et l’ensemble des associés des Boers Noirs, je ne peux pas m’empêcher de me demander ce qu’il va se passer à partir de maintenant. Il semble que les pauvres sont de notre côté. Il semble que beaucoup d’entre nous devront être emprisonnés, battus et tués avant que nous comptions dans cette société.
Je souhaite que chaque personne regarde soigneusement cette soi-disant démocratie. Je souhaite à chacun et chacune de se demander si nous sommes réalistes quand nous disons que nous sommes dans une démocratie ou si nous vivons vraiment dans une prison démocratique. Il est clair que nous n’avons pas réellement les droits et libertés qui sont écrits dans la Constitution. Il est clair que nos gouvernants utilisent la force armée pour nous exclure de la société et pour nous réprimer quand nous résistons. Regardez ce qui est arrivé à Abahlali baseMjondolo en 2009. Regardez ce qui est arrivé au Mouvement des Sans Terre en 2010. Regardez ce qui est arrivé à Andries Tatane l’année dernière [un manifestant abattu en pleine rue par la police en avril 2011]. Regardez ce qui est arrivé au Mouvement des Chômeurs récemment. Regardez ce qui est arrivé aux grévistes de Marikana.
Ne nous leurrons pas en disant que nous sommes dans un pays démocratique alors que nous sommes dans une prison démocratique.
Les Boers Noirs pensent que nous, les pauvres, nous sommes ‟Dom”. Ils pensent qu’en nous faisant voter pour eux et qu’en nous souvenant de la lutte contre les Boers Blancs, nous penserons que nous sommes ‟Free”[2]. Nous avons seulement été libérés du régime de l’apartheid et de la domination des Boers Blancs, mais le même système qui rend certaines personnes riches et d’autres pauvres existe toujours. Le même système qui maintient solidement les pauvres à l’écart et réprime nos luttes existe toujours.
Il est clair que ce pays est dirigé par la main sanglante et que, tant qu’il est pris par la même main sanglante, nous continuerons à verser notre sang. Mais nous les pauvres nous devons mettre un terme à cela et nous libérer de telle sorte que nos enfants soient heureux de vivre dans notre pays. Nous devons façonner notre propre avenir, car de la façon dont nous vivons, nous ne faisons que garantir l’avenir des Boers Noirs. Nous avons besoin d’un pays dans lequel il n’y a plus de Boers, de quelque couleur qu’ils soient. Nous avons besoin d’un pays où nous sommes tous, juste des gens, des gens qui comptent tous autant et ont les mêmes droits.
Personne ne nous fournira la liberté. Nous devons nous battre pour prendre notre propre liberté dans nos propres mains. Mais la politique de la main sanglante est la politique des Boers, noirs et blancs. Notre politique doit être différente et meilleure. Notre politique doit être la politique d’un peuple organisé, uni et déterminé.
Bandile Mdlalose
Bandile Mdlalose est la secrétaire générale du mouvement Abahlali baseMjondolo.
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Note de la traduction :
[1] En septembre 2009, un rassemblement contre les conditions de vie, organisé par le mouvement Abahlali baseMjondolo (AbM) dans le bidonville de Kenedy Road (Durban, province du KwaZulu-Natal) a été attaqué par une bande d’une quarantaine de nervis et de militants locaux de l’ANC équipés d’armes à feu, de bâtons et de couteaux.
Cette descente, qui s’est faite en plusieurs fois, procédait à la fois du nettoyage ethnique (nationalisme zulu) et de la liquidation politique (écraser un mouvement social dissident en pleine expansion). La police, présente sur place, n’est pas intervenue. Il y a eu plusieurs morts, les cabanes des militants du AbM détruites, ces militants ont été arrêtés ou contraints à la clandestinité et un millier de sans-abris non-zulus (sur 7 000 habitants du bidonville) contraints de quitter les lieux. Des cadres de l’ANC sont ensuite venus prendre le contrôle politique du bidonville.
[2] Jeu de mots à partir de Freedom : Free = libre et Dom, qui vient de l’anglais et du hollandais anciens, et voulant dire : appartenant à un domaine, à un territoire, à une juridiction. Ainsi, on est “free” ou “dom” ; c’est pas la même chose…
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Ce mouvement des shack dwellers (littéralement « habitants des cabanes ») s’est donné le nom d’Abahlali baseMjondolo (en zulu, « mouvement des habitants des cabanes de bidonvilles »).
C’est à la fois un mouvement de défense des habitants des cabanes, des squatters, pour une vie digne, le « droit à la ville », mais aussi un mouvement de base qui cherche à construire une « politique de l’opprimé », dans une démarche autonome, « par et pour les pauvres ». AbM refuse les partis politiques, boycotte les élections (« No land, no house, no vote ! »), se réfère à l’autonomie, pratique l’action directe et la désobéissance, insiste sur les processus délibératifs et démocratiques, regroupe les habitants sans tenir compte de l’ethnie ou la nationalité, évoque parfois la perspective d’un « communisme vivant ».
Le mouvement est né en 2005 dans le bidonville de Kennedy Road (banlieue de Durban). Il existe maintenant dans les villes de Pietermaritzburg et la zone ouest du Cap.
Sur ces luttes urbaines post apartheid, voir cet article paru dans Echanges n°131 (hiver 2009-2010).
http://mondialisme.org/spip.php?article1434
Sur le mouvement d’Abahlali baseMjondolo, des informations ici :
http://www.lavoiedujaguar.net/Abahlali-baseMjondolo-les
http://www.lavoiedujaguar.net/Abahlali-baseMjondolo-et-la-lutte
Site du mouvement :
par Ayanda Kota
(Mouvement des Chômeurs)
Cela fait maintenant deux jours qu’a été perpétré le bain de sang, froid, brutal, cruel et impitoyable de 45 mineurs de Marikana par les services de la police sud-africaine. Cela a été un massacre !
L’Afrique du Sud est le pays le plus inégalitaire du monde. La quantité de pauvreté est extravagante. Dans chaque township, il y a des cabanes sans assainissement ni électricité. Le taux de chômage se maintient autour de 40%. L’inégalité économique va de pair avec l’inégalité politique. Partout les militants sont confrontés à la répression sévère de la police et aux structures locales du parti.
L’exploitation minière a été au centre de l’histoire de la répression en Afrique du Sud. Les mines ont fait que Sandton soit Sandton [quartier d’affaires de Johannesburg] et que les bantoustans du Cap-Oriental soient les lieux désolés qu’ils sont encore aujourd’hui. L’exploitation minière en Afrique du Sud a également fabriqué des élites riches en Angleterre en exploitant des travailleurs en Afrique du Sud. Vous ne pouvez pas comprendre pourquoi la population rurale du Cap-Oriental est pauvre sans comprendre pourquoi Sandton et la City de Londres sont riches.
L’exploitation minière s’est récemment retrouvée aux informations en Afrique du Sud. Malema [ex-président de la Ligue de la jeunesse de l’ANC, exclu en début d’année pour indiscipline], un démagogue corrompu et autoritaire qui représente une faction de l’élite BEE [Black Empowerment Economy, mesures de discrimination positive], s’en est est allé exiger la nationalisation. Les forces progressistes à l’intérieur et à l’extérieur de l’alliance s’opposent à Malema, car il représente la fraction la plus prédatrice de l’élite et recherche une caution massive pour ses amis qui possèdent des mines non rentables. Ce que nous défendons, c’est la socialisation, sous contrôle ouvrier, des mines. Nous voulons également des réparations pour les centaines d’années d’exploitation.
Les choses commencent à changer, mais pas pour le mieux. Khulubuse Zuma, le neveu du président et Zondwa Mandela, le petit-fils de l’ancien président, et bien d’autres ayant des liens familiaux étroits avec les politiciens, sont devenus des magnats de la mine du jour au lendemain. La Chine, en pillant nos ressources, a elle aussi rejoint le train en marche.
Frans Baleni, le secrétaire général du Syndicat national des mineurs (NUM) gagne 105 000 rands par mois [10 000 euros]. Le NUM est devenu une voie d’accès à de hautes fonctions dans le gouvernement et même à des places dans les conseils d’administration des sociétés minières. Le syndicat est en train de perdre toute crédibilité dans les mines. Il est clair qu’il est maintenant coopté dans le système et qu’il fait partie des structures de contrôle. C’est la police qui utilise le NUM pour s’adresser aux travailleurs. La trahison des travailleurs par Baleni a fait de lui un homme très riche - un homme riche qui condamne et essaie d’en finir avec les luttes des pauvres. Il n’est pas surprenant que les travailleurs rejettent le NUM, en essayant de construire un syndicat alternatif ou en agissant par eux-mêmes, sans aucun syndicat qui les représente. Les travailleurs ont raison de chasser les dirigeants du NUM loin de leurs grèves.
La mine de Marikana est la plus riche mine de platine du monde, et pourtant ses travailleurs vivent dans des cabanes. La plupart des travailleurs qui ont été assassinés sont des foreurs de roches, le travail le plus difficile et le plus dangereux dans la mine. Ils font le travail le plus dangereux dans la mine et pourtant ils ne gagnent que 4000 rands par mois [380 euros]. Par leur sang et leur sueur dans les mines, ils ne produisent pas seulement de la richesse qui leur est aliénée, ils produisent aussi les gros chats, qui boivent du vin et dinent sur des corps nus et appellent cela des sushis.
Les travailleurs qui occupaient la colline sont venus de nombreux endroits, y compris du Swaziland et du Mozambique. Mais la plupart d’entre eux venaient de la région rurale du Cap-Oriental, des anciens bantoustans où les gens vivent leur vie comme des morts vivants soumis à des chefs, sans travail, sans terre et sans espoir. Chaque rand [entre 9 et 10 centimes d’euros] qu’ils arrachent aux capitalistes est un rand qui va à la partie la plus pauvre du pays. La partie du pays qui a été la plus dévastée par les mines au cours du siècle dernier. Nous fêtons chaque rand que les travailleurs reprennent des mains des capitalistes et nous soutenons totalement leur revendication d’un salaire de 12 500 rands par mois [1190 euros]. Est-ce que Baleni ou Nzimande [secrétaire général du Parti Communiste et ministre de l’Enseignement supérieur et de la Formation professionnelle] ou Zuma accepteraient 4000 rands par mois ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi quelqu’un d’autre l’accepterait ?
Les grévistes voient les dirigeants du NUM comme des traîtres. Ils se sont dissociés du NUM parce qu’ils ont vu qu’il fallait se dissocier de l’alliance des capitalistes et des entrepreneurs qui dirigent l’ANC. Leur décision de rompre a été très courageuse ! Nous allons devoir nous dissocier dans tous les secteurs si nous voulons construire un véritable mouvement pour le changement.
Sous l’alliance tripartite [ANC-Parti Communiste-COSATU, au pouvoir depuis 1994] les travailleurs se détachent du socialisme ; ils sont seulement invités à voter pour le parti au pouvoir. Rien n’est fait pour qu’ils forgent leur conscience sociale dans la lutte. Ils sont encouragés à participer à la politique sensationnaliste, la politique de savoir qui doit diriger et qui doit être éliminé. Ils sont encouragés à voir les communautés et les travailleurs qui s’organisent de manière indépendante comme leurs ennemis.
Il est facile de décider de ne pas décider. Il est beaucoup plus difficile de prendre une décision significative de risques et de promesses. Pour les mineurs, se séparer des amis de Baleni et de l’alliance tripartite a été une décision courageuse. Ils comprennent que le courage est un élément important de toutes les luttes. Ils comprennent qu’il n’y a pas de solution miracle dans la lutte pour une société plus juste, une société qui respecte et défende les droits des travailleurs et la nature, une société qui sera régie sur le principe de chacun selon ses besoins. Cette société-ci est fondée sur chacun de ses membres, selon les liens politiques qu’il entretient avec l’élite qui s’est emparé de l’ANC et ses partenaires de l’alliance.
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Si les grévistes avaient protesté sous la bannière de l’alliance tripartite, ils n’auraient pas été abattus. Les grèves de la COSATU (Congress of South African Trade Unions) ont souvent été violentes, mais leurs membres n’ont pas été tirés comme des animaux. En fait, les campagnes de soutien à Zuma dans son procès pour corruption et viol étaient pleines de menaces de violence et pourtant les partisans de Zuma n’ont pas été abattus.
Avant que les mineurs occupent la colline, ils avaient fait le serment qu’aucune balle ne les en dissuaderait. Ils étaient prêts à se battre et à mourir pour obtenir une part équitable de la richesse de cette mine, pour eux-mêmes et leurs familles. Ce que cela démontre, c’est que ce sont des gens qui étaient au courant des risques que leurs décisions impliquaient, qui avaient réfléchi soigneusement à ces risques, guidés par leur conscience et en avaient conclu qu’ils étaient prêts à faire face aux conséquences qui pourraient survenir.
[…]
L’immense courage des mineurs qui se sont rassemblés sur la colline Nkaneng a été merveilleux. Ils étaient prêts à résister réellement. Ils étaient prêts à faire face à des risques réels. Nous ne voyons pas ce courage au sein de la gauche. En fait, la plupart de la gauche a abandonné la lutte réelle dans les communautés réelles au profit de réunions, de conférences et des courriers électroniques. La gauche est devenue quelque chose qui ressemble au fonctionnement des ONG. Cela consiste à transporter par autobus de pauvres Noirs dans des réunions où ils n’ont aucun contrôle et qui sont très éloignées des réalités de nos luttes réelles. Il s’agit d’éduquer les pauvres et non pas de se battre avec les pauvres. Lorsque des luttes réelles se produisent dans des endroits comme les bidonvilles de Zakheleni, de eTwatwa ou de Kennedy Road, la majorité de la gauche n’est pas là. Mais quand il y a une grande conférence, ils sont tous là.
Le gouvernement de l’ANC a tué des travailleurs qui exigeaient une augmentation des salaires auprès d’une compagnie notoirement exploiteuse et très très riche. Les travailleurs gagnent seulement 4000 rands par mois [380 euros] en faisant le travail le plus dangereux. Le président de l’ANC et les ministres ne gagnent pas moins de 2 millions de rands par an [190 000 euros]. Et en plus de cela, la corruption est partout. Nos politiciens font partie de l’élite mondiale. Le permanent le plus en bas de l’échelle de l’ANC gagne pas moins de 20000 rands [1900 euros] sans compter les avantages.
Les mineurs de Marikana vivent dans des cabanes avec leurs familles. Le président de l’ANC a construit récemment une maison de maitre dans sa propriété, un manoir que les contribuables ont financé pour plus de 200 millions de rands (19 millions d’euros).
C’est le gouvernement de l’ANC qui tire sur des manifestants et les tue quand ils se battent pour l’affirmation de leur humanité. Ils ont récemment tué Tatane Andries. Ils ont tué au moins 25 autres personnes dans les manifestations depuis l’année 2000. Si vous êtes pauvres et noirs, pour l’ANC, votre vie ne compte pour rien.
Quelle leçon peut-on tirer de ce massacre des mineurs de Marikana ? La cruauté de ce gouvernement ne diminue pas, mais au contraire augmente avec le nombre de travailleurs et de chômeurs qui meurent de faim. Ils criminalisent nos luttes et militarisent leur police. Il est clair que quiconque s’organise en dehors de l’ANC, dans les communautés ou dans les lieux de travail, devra faire face à la répression sévère et violente du parti et de la police.
Le NUM et le SACP (Parti Communiste d’Afrique du Sud) ont dit très clairement de quel côté ils se trouvent. En soutenant le massacre et en appelant à plus de répression contre les travailleurs, ils ont montré très clairement qu’ils sont du côté de l’alliance impitoyable entre le capital et les politiciens. Ils ont déclaré très clairement qu’ils soutiennent la guerre contre les pauvres. Leurs réactions à ce massacre sont une honte totale. Aucune formation de gauche crédible en Afrique du Sud ou n’importe où dans le monde ne peut plus travailler avec le NUM ou le PC. La décision des mineurs de Marikana de se séparer de la politique corrompu et impitoyable de l’alliance s’est trouvée justifiée.
Les choses ne vont pas s’améliorer, mais ne vont faire qu’empirer. Quand l’élite au pouvoir se sent menacée, elle répond avec de plus en plus de violence. La guerre a été déclarée contre les pauvres et contre quiconque s’organise en dehors du contrôle de l’ANC. Nous sommes nos propres libérateurs. Nous devons nous organiser et continuer de construire en dehors de l’ANC. Nous devons faire face aux réalités de la situation que nous affrontons avec clarté et courage. Beaucoup d’entre nous seront emprisonnés et tués dans les années à venir.
Ce qu’ils ont fait ne pourra jamais être oublié ni pardonné.
Ayanda Kota
Ayanda Kota est le porte-parole du Mouvement des Chômeurs (Unemployed People’s Movement) à Grahamstown.
Le 24 août 2012
[ Présentation et traduction : XYZ pour OCLibertaire ]