Antirépression
mercredi 22 novembre 2017, par
Le 17 novembre s’est déroulé à Poitiers le procès de dix personnes qui avaient occupé avec des centaines d’autres les voies ferrées, le 19 mai 2016, dans le cadre d’une manifestation contre la loi travail (voir CA d’octobre). Petit retour sur cette journée, avant le délibéré qui sera rendu le 21 décembre.
Il n’est guère ordinaire de sortir d’un procès en se disant qu’on a passé un bon moment, et pourtant c’est (presque, bien sûr !) le sentiment qu’ont pu avoir les prévenu-e-s en quittant la salle d’audience, vers 13 heures, sous les acclamations des quelque 300 personnes venues les soutenir, à l’intérieur comme à l’extérieur du tribunal correctionnel. Ce sentiment était dû à la satisfaction d’avoir réussi à dénoncer le grossier ciblage policier dont ils et elles ont fait l’objet, mais aussi à la solidarité qui se manifeste à leur égard depuis des mois, ainsi qu’à leur propre démarche qui, en étant commune, leur a permis de présenter une défense… offensive, collective et politique.
Une solidarité à maintenir !
L’affluence a été inhabituellement matinale sur la place du palais de la justice car il fallait l’occuper tôt, et pour ce faire arriver en nombre afin de pouvoir installer tables de presse, buvette, barbecue, sono… malgré les nombreux policiers et le regard de la nouvelle caméra placée la veille au soir à l’angle de la cour d’appel.
Depuis septembre, de multiples initiatives ont été prises, notamment par le comité de soutien aux « neuf prévenu-e-s de Poitiers » (qui pour finir étaient dix !), avec comme objectif de faire connaître ce procès : réunion publique, soirée concert, soirée cinéma, blog, pétition… autocollants, affiches, film, émissions de radio… Et d’autres viendront (dont une soirée coinche le 14 décembre) car tout n’est pas terminé – et la solidarité, tant financière que militante, demeure nécessaire.
En effet, si les deux avocats de la défense ont plaidé la relaxe, le procureur a requis – en punition de l’infraction ayant consisté à pénétrer et circuler, « sans autorisation, dans les parties de la gare SNCF non affectées à la circulation publique » – une amende de 1 000 euros pour huit des prévenu-e-s et de 1 500 euros pour les deux autres (avec « sursis partiel » ?). De son côté, la SNCF réclame 6 755,52 euros pour avoir, à « plusieurs ( !) », « envahi sans autorisation les voies ferrées, causant un arrêt total du trafic ferroviaire ». Enfin, l’inculpation pour avoir refusé le prélèvement d’ADN ainsi que les prises d’empreintes et de photos, qui n’a pas été traitée lors du procès en raison d’un vice de forme, pourrait faire l’objet d’un autre procès.
Contre le ciblage policier
et la politique antisociale du gouvernement, toujours !
Ce procès n’en a pas moins été pour les dix prévenu-e-s l’occasion de démontrer le ciblage politique opéré par la police à leur encontre.
Ainsi, à la question de la « mise en danger d’autrui » qu’aurait représentée selon le procureur le fait de circuler sur des voies ferrées électrifiées, il a été répondu que, d’après le dossier d’instruction, la police, informée de l’action projetée – en solidarité avec les cheminots alors en grève au niveau national depuis trois jours –, en avait averti la SNCF dès le matin du 19 mai 2016, et que l’électricité avait été coupée avant que 400 à 600 manifestant-e-s y pénètrent.
Cette action a été réalisée avec succès pendant près de deux heures, et s’est déroulée jusqu’à la fin sans dégradations ni interpellations : c’est seulement trois semaines plus tard que des convocations au commissariat ont commencé à arriver à certains domiciles, sur plainte de la SNCF. Là encore, le dossier d’instruction a permis d’éclairer le choix de ces domiciles, car un officier de police y explique sans fard : « Compte tenu du nombre très important de manifestants ayant envahi les voies ferrées le 19 mai 2016, ciblons aux fins d’identification le groupe ayant refusé de les quitter à 17 heures et s’y étant maintenu jusqu’aux environs de 17 h 30, groupe essentiellement sans affiliation syndicale (aucun drapeau de ces organisations) et émanant prioritairement de la mouvance d’extrême gauche locale. Procédons dès lors au visionnage des vidéos enregistrées par les effectifs entre 17 heures et 17 h 30. Constatons que plusieurs individus bien connus de nos services sont parfaitement identifiables. »
Ainsi, d’après la police, un groupe – qui serait les dix inculpé-e-s – serait resté jusqu’à la fin de l’action et, pour cette raison, il en serait responsable. L’infraction commise n’aurait donc pas tant été d’avoir occupé les voies que, pour ce groupe, d’y avoir séjourné quelques minutes de plus que le gros des troupes ? Voilà qui était piquant – mais qui a été démenti tant par le constat de l’huissier qu’a envoyé sur les lieux la SNCF que par le procès-verbal d’un autre officier de police : non seulement les manifestant-e-s ont été en nombre sur les rails jusqu’à la fin, mais tout le monde en est reparti volontairement avant une sommation de la police.
De ce fait, à l’inverse de ce qu’elle affirme, celle-ci n’a pas visionné les dernières vidéos qu’elle avait prises parce que c’était plus « pratique » pour elle d’identifier les quelques « retardataires » : si elle est parvenue à tirer de ces vidéos le portrait de certaines personnes parmi bien d’autres, elle pouvait le faire également avec celles portant sur le début de l’action, où se sont exprimé-e-s au mégaphone les responsables de l’intersyndicale, qui avait appelé à la manifestation.
Enfin, les « individus bien connus » de ses services ne se réduisent évidemment pas aux dix prévenu-e-s : ce jour-là étaient présent-e-s les militant-e-s des diverses sensibilités politiques opposées à la loi travail. La police a donc bel et bien opéré un tri parmi les manifestant-e-s de façon à cibler ceux qu’elle voulait voir inculper – des militant-e-s (dont deux de l’OCL et deux de Solidaires) appartenant aux milieux anticapitalistes et/ou libertaires – milieux stigmatisés par les pouvoirs publics poitevins depuis les bris de vitrines et graffitis réalisés lors d’une manifestation anticarcérale, le 10 octobre 2009, au centre-ville de Poitiers.
C’est pourquoi, en recevant tour à tour une convocation au commissariat, ces militant-e-s anticapitalistes et libertaires avaient décidé de ne répondre à aucune question de la police, d’assumer publiquement leur participation à l’action du 19 mai 2016 et de dénoncer les poursuites engagées à leur encontre comme étant une atteinte à la liberté d’expression, voire d’opinion.
Espérons à présent que la dynamique collective suscitée par ce procès va s’élargir et trouver à s’exprimer sur bien d’autres terrains que l’antirépression.
Vanina
Solidarité financière : chèques à l’ordre d’Acratie, avec mention « Soutien aux dix prévenu-e-s de Poitiers », à adresser à : L’Essart, 86310 La Bussière.
Contact comité de soutien : https://soutienpoursuiviespoitiers....