mardi 9 novembre 2010, par
L’armée marocaine a attaqué un camp pacifique de protestation sahraoui dans les environs de El-Ayoun (capitale des territoires occupés du Sahara Occidental) : il y a des morts (on ne sait pas combien) et des blessés par centaines… Sans prétendre à l’exhaustivité, quelques informations utiles…
A l’aube de ce 8 novembre, des unités de la gendarmerie des forces d’occupation marocaines ont donné l’assaut au camp de toile de Gdeim Izik, situé à environ 18 kilomètres à l’est de la ville d’El-Ayoun (ou Lâayoune), capitale du Sahara Occidental, où s’étaient regroupées près de 25 000 personnes sous environ 8000 khaimas (tentes traditionnelles des nomades du désert). Ce « camp de la dignité » avait été dressé le 9 octobre dernier par des milliers de personnes fuyant volontairement El-Ayoun pour protester collectivement et pacifiquement contre les conditions de vie et les discriminations de toutes sortes que subissent les populations sahraouies dans ce Sahara occidental occupé et annexé par le Maroc en 1975. Au fil des jours, la population de ce camp n’avait cessé de croître.
Il s’agissait avant tout d’un mouvement de protestation sociale, assez spectaculaire et dont la forme avait été décidé ainsi parce que les manifestations des Sahraouis sont interdites dans la ville d’El-Ayoun. Par la mise en place de ce campement, les manifestants exigeaient l’accès à l’emploi, aux logements, etc. Dans le contexte colonial et dans le moment actuel de reprise de discussions sous l’égide de l’ONU, ce mouvement social avait évidemment une dimension politique.
Lors de l’opération policière d’élimination du camp, des grenades lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des canaux à eau très puissants ont été utilisés par les forces de répression marocaine pour déloger les familles. Des lacrymos ont été lancées dans les tentes où se trouvaient des familles, certains témoins parlent de tirs à balles réelles depuis des hélicoptères. Des dizaines de personnes ont été arrêtées. Le camp a été entièrement saccagé, toutes les tentes ont été brûlées, détruites.
Plusieurs blessés ont été dénombrés dès le début de l’opération. De nombreuses ambulances ont été vues entrer et sortir du camp. Un peu plus tard, un représentant du comité d’organisation du camp, Brahim Ahmed, a signalé qu’« il y a des morts et des blessés, nous ne savons pas combien. Les hélicoptères et les soldats tirent à la mitraillette, c’est un massacre ».
Alors que les forces de répression occupaient les lieux, les milliers de sahraouis ont entrepris une marche en direction de El-Ayoun (18 kilomètres en plein désert !). Pour accélérer l’évacuation de la zone, la police marocaine a même arrêté les cars de transport du personnel de la compagnie Fosbocraa, qui se dirigeaient vers les mines de phosphate de Boukraa, et les a confisqués pour transporter des sahraouis depuis le campement en flammes jusqu’à El-Ayoun. Mais des centaines de familles, des milliers de personnes, se sont retrouvées à marcher à pied jusqu’à la grande ville.
Dès la nouvelle connue dans la grande ville sahraouie d’El-Ayoun (200 000 habitants), la population est aussitôt descendue dans les rues, des manifestations spontanées ont été organisées et des batailles rangées avec la police marocaine ont commencé, des coups de feu se faisaient entendre, plusieurs incendies ont éclaté semble-t-il dans divers quartiers. D’après des témoins, la ville est devenue très dangereuse et « il y a même des stations services en feu ». Les principales avenues du centre et de l’est de la ville sont aux mains des manifestants.
A la mi-journée, on parle de 7 morts et d’un nombre inconnu de blessés, plusieurs centaines selon toute vraisemblance. Raquel del Castillo, porte parole de l’ONG Thawra a déclaré en fin de matinée dans un entretien téléphonique à une agence de presse qu’ « il y a plusieurs morts à l’hôpital, en provenance du camp comme de la ville. » Après avoir confirmé que le camp avait été entièrement détruit et que toutes les khaimas ont été brûlées, elle a ajouté : « En ce moment, la guerre se poursuit dans la ville », on entend des « coups de feu » dans les principales avenues et « les gens se défendent comme ils peuvent. Ils ont pris un camion anti-émeutes aux Marocains et se défendent avec ». Il y a des barricades symboliques, des pneus enflammés, les manifestants lancent des pierres contre les forces de l’ordre… Des bâtiments officiels auraient été attaqués, certains à l’aide de bouteilles de gaz.
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De leur côté, les forces politiques et gouvernementales marocaines d’El-Ayoun ont appelé la population d’origine marocaine (les colons) à descendre dans la rue pour appuyer et légitimer l’action répressive.
Les forces de répression ne se contentent pas de tirer sur les manifestants : dans les quartiers sahraouis, elles fouillent les maisons, cassent les portes, arrêtent les personnes qui s’y trouvent…
Selon une source officielle marocaine, un gendarme et un sapeur pompier ont été tués lorsque les forces de l’ordre ont attaqué le camp.
Cette opération répressive de la monarchie marocaine intervient au moment même où se déroule une troisième session de discussions entre le Maroc et le Front Polisario sur l’avenir du Sahara occidental sous l’égide des Nations unies, dans la banlieue de New York. C’est aussi le 35ème anniversaire de la marche verte par laquelle le royaume marocain a fait main basse sur le Sahara occidental sous le prétexte fallacieux que cette ancienne colonie espagnole constituait ses “provinces du sud”.
L’assaut du « camp de la dignité » et la répression sanglante dans la ville d’El-Ayoun s’inscrivent dans ce contexte où l’Etat marocain entend ne rien céder et au contraire entend réaffirmer sa souveraineté sur cette colonie, fait tout pour empêcher l’arrivée de témoins (humanitaires, journalistes…), ferme les bureaux de certains médias (y compris Al Jazeera) qui ont le tort de s’intéresser de trop près à la situation au Sahara occidental, accuse les activistes sahraouis d’être des délinquants... Le Polisario maintient sa revendication historique : le droit à l’autodétermination et l’organisation d’un référendum sans la participation des colons marocains arrivés depuis 1975.
Depuis quelques jours, la tension ne cessait de monter. Le 25 octobre dernier, un jeune sahraoui de 14 ans qui voulait rentrer dans le camp avait été abattu par les forces de l’ordre marocaines. Un autre jeune avait été grièvement blessé. La veille de l’opération, un militant sahraoui des droits de l’homme a été arrêté par des membres de la police secrète et sans doute torturé selon une longue tradition du royaume chérifien. La veille également, des incidents violents entre jeunes sahraouis et forces de l’ordre s’étaient multipliés dans la ville d’El-Ayoun même.
Le nombre de morts serait maintenant de 15 : 13 Sahraouis (selon des sources proches du Polisario) et 2 Marocains (selon l’agence officielle marocaine).
Le siège de la TV régionale d’El-Ayoun est en feu ainsi que les bureaux de la Poste et ceux de l’administration du district minier de Boukraa (les phosphates).
Selon des témoins, des colons en armes se sont joints aux forces de répression et participent aux attaques contre les Sahraouis, entrent dans les maisons les unes après les autres, frappent les parents et grands-parents, emmènent les jeunes... Des centaines d’arrestations, peut-être plus, sont en cours… Dans le centre ville, des colons sont rassemblés, des drapeaux marocains à la main.
Ce que certains n’hésitent pas à qualifier d’Intifada sahraouie sont en tout cas les plus graves évènements survenus au Sahara occidental depuis 1991, date du cessez-le-feu décrété par le Front Polisario.
La ville est coupée du monde. Un député français du PCF, un autre député espagnol, au moins 13 journalistes, ont été empêchés de prendre l’avion à Casablanca ou aux Canaries. Les routes d’accès au territoire sont interdites aux étrangers et des barrages policiers sont installés dans le sud marocain, à la hauteur de Tan-Tan. Les communications sont progressivement rompues avec l’extérieur.
Dans la soirée, c’est un peu la confusion sur l’ampleur de la répression et la comptabilité des victimes. Bien que de nombreux témoins aient assurés avoir vu « au moins dix personnes tuées », le Polisario n’a finalement confirmé la mort que d’une seule personne.
De leur côté, les autorités marocaines ont élevé à 4 le nombre des personnes appartenant aux forces de répression décédées dans la journée.
Au moins 75 personnes auraient été arrêtées lors de l’assaut contre le camp. Dans la ville d’El-Ayoun, impossible de savoir l’ampleur des arrestations.
Dans la soirée, des rassemblements étaient organisés dans plusieurs villes de l’État espagnol.
Cette situation coloniale dure depuis 35 ans grâce à la complicité hypocrite de tous les Etats de la “communauté internationale”, à commencer par celle de l’État français, grand ami et grand protecteur de la monarchie marocaine et de ses intérêts bien compris : phosphates, pêche, tourisme... Mais pas seulement la France : États-Unis, État espagnol, Israël, Ligue arabe… le royaume chérifien peut compter sur beaucoup d’amis, sans compter les nombreuses grandes fortunes du business et des médias qui y possèdent des palais et des résidences de luxe.
Trop peu de temps pour développer ici et maintenant. Mais il faut savoir, ou rappeler et faire savoir, que le conflit du Sahara occidental est le dernier combat anticolonial (au sens classique et historique du terme) mené dans le continent africain qui en a connu tant et qu’encore aujourd’hui des dizaines de milliers de Sahraouis survivent dans des camps de réfugiés, dans la région désertique de Tindouf, en Algérie.
Anomalie historique qui dure. Conflit “oublié” parce que trop d’intérêts en jeu le veulent ainsi. A nous de raviver les mémoires, à nous de faire connaître et de dénoncer cette réalité coloniale surtout ici, auprès d’une opinion française qui ne voit le Maroc que comme un pays de rêve, de villégiature, de vacances, de vie facile et d’exil doré pour classes moyennes à la retraite.
Le conflit semble se raviver depuis un an, en particulier suite à l’expulsion vers l’Espagne d’Aminatou Haidar, une activiste sahraouie et de la grève de la faim qu’elle a ensuite mené contre cette mesure de déportation. En Espagne d’abord, puis dans certaines instances européennes et internationales, le Sahara Occidental a refait parler de lui. Parallèlement, des “conversations informelles” ont débutées en août 2009 entre des émissaires du Front Polisario et du Maroc sous les auspice de Christopher Ross, envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour le Sahara Occidental.
Alors que le Maroc nie toute légitimité au combat pour l’indépendance et préfère n’y voir qu’une manipulation de l’Algérie, l’organisation du campement de Gdeim Izik est venu lui infliger un démenti cinglant. Non, les Sahraouis qui se battent contre la marginalisation sociale et pour l’autodétermination ne sont pas seulement les réfugiés perdus dans les sables de Tindouf depuis un tiers de siècle : au moins 25 000 d’entre ceux qui habitent à El-Ayoun ont clairement manifesté leur opposition à la politique colonialiste du royaume marocain. Opposition que la violence des manifestations à El-Ayoun qui ont suivi la destruction du camp a entièrement confirmé.
C’est d’abord pour cette raison, pour que la réalité ressemble à la propagande, que la puissance coloniale marocaine a décidé de réduire en cendres ce campement de toile. Faisons le pari inverse : qu’en montrant, en faisant connaître, cette réalité coloniale, soit automatiquement démontée et démontrée la propagande qui l’accompagne et la sert.
Le 8 novembre 2010
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Photos, vidéos et informations (en espagnol)
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