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Colonialisme

Yvan Colonna a fait ressurgir la « question corse »

vendredi 11 mars 2022, par Vanina

Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’assassinat du préfet Erignac en février 1998, Yvan Colonna est entre la vie et la mort depuis le 2 mars, jour où il a été violemment agressé par un autre détenu de la prison d’Arles (Bouches-du-Rhône), vétéran du djihad afghan. Si l’on ignore encore ce qui a motivé un tel acte, sa responsabilité en a aussitôt été attribuée en Corse à l’État français, taxé depuis d’« assassin » par des milliers de manifestant-e-s, et conspué pour la « vengeance » qu’il exerce en refusant la libération conditionnelle à laquelle ont droit légalement les trois membres du « commando Erignac » encore emprisonnés.


Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’assassinat du préfet Erignac en février 1998, Yvan Colonna est entre la vie et la mort depuis le 2 mars, jour où il a été violemment agressé par un autre détenu de la prison d’Arles (Bouches-du-Rhône), vétéran du djihad afghan. Si l’on ignore encore ce qui a motivé un tel acte, sa responsabilité en a aussitôt été attribuée en Corse à l’État français, taxé depuis d’« assassin » par des milliers de manifestant-e-s, et conspué pour la « vengeance » qu’il exerce en refusant la libération conditionnelle à laquelle ont droit légalement les trois membres du « commando Erignac » encore emprisonnés.

Sitôt connue l’attaque dont a fait l’objet Yvan Colonna, des centaines de personnes de tous âges sont descendues dans la rue en Corse, en particulier à Bastia et Ajaccio, pour manifester leur indignation. Les collèges, lycées et l’université ont immédiatement subi blocages ou tentatives de blocage, en dépit du fait que la jeunesse fréquentant ces établissements n’était pas née dans les années 1990. Le 4 mars, une trentaine de marins du syndicat des travailleurs corses (STC, nationaliste) a empêché un bateau de la Corsica ferries de débarquer ses passagers dans le port d’Ajaccio, parce que des gendarmes mobiles envoyés en renfort dans l’île se trouvaient parmi eux. A l’appel des syndicats (nationalistes) étudiants, environ 10 000 personnes ont défilé le 6 mars à Corte, où ont eu lieu de violents heurts avec les forces de l’ordre. Le conseil d’administration de l’université cortenaise a adopté à l’unanimité, le 8, une motion demandant « la libération de tous les prisonniers politiques corses ». Un nouveau préfet est arrivé dans l’île le 10… Autant d’événements qui renvoient trente ans en arrière quiconque a vécu les chaudes heures de la lutte de libération nationale insulaire.

Le 9 mars, des rassemblements se sont tenus en divers lieux, et dans la nuit des affrontements avec la police se sont déroulés à Ajaccio, où le palais de justice a été incendié et une agence du Crédit agricole dégradée à la pelle mécanique. Dans le même temps, la sous-préfecture de Calvi était mise à mal par des jets de cocktails Molotov et de pierres, tandis que les forces de l’ordre envoyaient lacrymos, grenades de désencerclement et flashballs sur les manifestant-e-s avant de reculer. On en est à une cinquantaine de blessé-e-s au total dans l’île (dont un assez grave qui a été transféré en réanimation à Marseille).

Cette colère insulaire qui traduit un profond sentiment d’injustice aurait pu s’apaiser en début de semaine, nombre d’organisations appelant au calme devant la forte présence d’adolescents, garçons et filles, dans les manifestations. Mais l’annonce faite le 8 mars par le Premier ministre Castex que le statut de « détenu particulièrement signalé » (DPS) était levé pour Yvan Colonna, sans mentionner les deux autres membres du « commando Erignac », a jeté de l’huile sur le feu. Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, également condamnés à perpétuité et actuellement détenus à Poissy (Yvelines), sont en effet éligibles comme Colonna à une libération conditionnelle, mais se sont comme lui vu jusqu’à aujourd’hui refuser toutes leurs demandes de rapprochement à la maison d’arrêt insulaire de Borgo. L’annonce de Castex a été largement qualifiée de « stupide » sinon de « cynique » : « C’était avant qu’il fallait le faire », lit-on notamment sur le site du comité de soutien à Yvan Colonna.

Le sort des détenus politiques corses<br> a ravivé la lutte contre l'État français

La question de l’amnistie des détenus corses n’a jamais disparu des esprits dans l’île, et elle est restée une revendication constante dans le mouvement nationaliste. Mais il ne faut pas oublier que les diverses organisations qui le composent n’ont pas toujours soutenu les membres du « comité Erignac » encore emprisonnés, ni que ceux-ci n’ont pas toujours voulu être soutenus par elles ou leurs collectifs de soutien respectifs. Alessandri et Ferrandi rappelaient ainsi, le 13 novembre 2015 dans Corse Matin, qu’ils n’avaient jamais demandé leur amnistie ; et ils dressaient un sévère constat de la récupération faite dans leur dos par le mouvement nationaliste, ainsi que du fonctionnement et des objectifs de ce dernier [1]. Les divers collectifs de soutien aux prisonniers politiques corses se sont cependant unis récemment [2] dans une « Unità strategica » pour mieux « faire plier l’État français » sur ce sujet.

Pierre Alessandri et Alain Ferrandi réclament quant à eux, depuis des années, leur transfert en Corse. Leur peine de sûreté de 18 ans s’est achevée en 2017 et ils peuvent donc prétendre à une libération conditionnelle ; mais ils ne l’obtiendront pas tant qu’ils seront classés DPS. Or, en 2018, 2019 et 2020, leur inscription sur ce répertoire national a systématiquement été décidée par le ministre de la Justice ou le Premier ministre, alors que la commission locale avait préalablement rendu un avis favorable à la levée de ce statut. En décembre 2021, pour la première fois en vingt-deux ans, cette commission ne s’était pas réunie concernant Alessandri et Ferrandi ; mais, en février 2022, une commission nouvellement composée a soudain donné un avis défavorable. Un débat contradictoire sur cette décision a paraît-il eu lieu le 2 mars – quelques heures seulement après l’agression d’Yvan Colonna – sans qu’on en sache le résultat.

A la vérité, il est difficile de ne pas parler d’une vengeance d’Etat, concernant les membres du « commando Erignac » :

  • - Pierre Alessandri a obtenu à deux reprises (en octobre 2019 et en juillet 2021) du tribunal d’application des peines antiterroriste (Tapat) un aménagement de peine, et à deux reprises le parquet a fait appel et la cour d’appel a infirmé cette décision. Alessandri s’est pourvu en cassation, et une nouvelle demande d’aménagement de peine a été déposée auprès du Tapat.
  • - Le 25 février dernier, Alain Ferrandi a lui aussi obtenu du Tapat un aménagement de peine. Il aurait ainsi pu rentrer en Corse et bénéficier d’un régime de semi-liberté probatoire pendant deux ans dès le 14 mars, si le parquet n’avait pas fait appel – une nouvelle audience a été programmée le 21 avril prochain.

Derrière la question des prisonniers politiques,<br> les enjeux politiciens

Aux élections territoriales de 2021, Gilles Simeoni a été réélu président de l’exécutif corse. Les nationalistes toutes listes confondues ont emporté 68 % des votes lors de ce scrutin, mais la participation n’a été que de 59 %, et la dynamique des précédentes territoriales (67 % de participation), en 2015, n’était pas au rendez-vous. Simeoni, leader autonomiste à présent bien installé au premier rang, avait auparavant écarté Talamoni, leader indépendantiste avec qui il gouvernait jusque-là. Un choix auquel Macron n’est sans doute pas étranger. Les relations difficiles pendant des années entre l’État français et la collectivité corse semblent s’être brusquement améliorées – et, à l’approche de la présidentielle française, Simeoni peut espérer, après avoir pris ses distances avec les indépendantistes et s’il appelle à voter Macron au second tour de cette présidentielle, faire enfin avancer les « classiques » revendications nationalistes (coofficialité de la langue corse, statut de résident, statut d’autonomie élargie pour l’île) sur lesquelles il est attendu. Ce résultat réduirait peut-être quelque peu les frustrations et déceptions accumulées dans la société corse depuis son accession au pouvoir.

Mais Yvan Colonna a brutalement réveillé cette société, et Simeoni sait qu’il joue aujourd’hui sa réputation sur la façon dont il va gérer la « crise » en cours. Aussi a-t-il assuré dès le 3 mars : « L’État porte une responsabilité accablante, première, dans cette affaire et à plusieurs niveaux. » Et, le 8, il a déclaré : « La mobilisation du peuple corse doit se poursuivre » tout en ajoutant : « Le conseil exécutif appelle néanmoins les jeunes Corses à ne prendre aucun risque et à ne pas mettre en danger leur intégrité physique. Il demande aux forces de l’ordre de cesser sans délai l’utilisation de moyens dangereux. »

Le gouvernement doit « faire un geste » par rapport aux deux autres membres du « commando Erignac », dit-on partout en Corse, s’il ne veut pas risquer de nouveaux embrasements d’une jeunesse insulaire en mal de perspectives : pour celle d’aujourd’hui comme pour celle d’hier, Colonna reste un mythe, que ce soit celui du « berger innocent » ou celui du « rebelle » ; et sur le continent aussi, des voix s’élèvent pour appeler l’État à « solder les dettes ». Une nouvelle manifestation est prévue dimanche à Bastia.

Dans une tribune publiée par Le Monde hier, la présidente autonomiste de l’Assemblée de Corse, Marie-Antoinette Maupertuis, s’est adressée à Macron en affirmant : « Personne, ou presque, ne croit, en Corse mais aussi ailleurs en France, à une simple agression dans les prisons françaises d’un détenu par un codétenu », et en estimant qu’Alessandri et Ferrandi sont « eux aussi en danger ». En 2005, ce dernier a été agressé avec des boules de pétanque par quatre autres détenus et blessé à la tête.

Sur Franceinfo, Gilles Simeoni a indiqué hier aussi avoir « longuement » parlé avec Castex par téléphone au sujet de Pierre Alessandri et d’Alain Ferrandi : « Il m’a dit qu’il me répondrait très rapidement, dans les heures ou les jours à venir. »

Castex a annoncé ce matin que Ferrandi et Alessandri étaient à leur tour radiés du répertoire des DPS, et « proposé qu’une fois le calme revenu sur l’île le dialogue engagé ces derniers mois sur l’évolution du statut de la collectivité de Corse, ainsi que sur les grands dossiers économiques et sociaux du territoire, puisse reprendre »…

Vanina, le 11 mars 2022

Notes

[1Lire, sur oclibertaire.lautre.net : « Témoignage de deux “prisonniers politiques indépendants” », mis en ligne le 30 décembre 2015

[2Voir leur conférence de presse du 20 octobre 2021 à Corte

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