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CA 319 avril 2022

Politicaillerie : Le mercato est ouvert

mardi 5 avril 2022, par Courant Alternatif


En football le mercato c’est à la fin de l’été ou en automne, en politique c’est plutôt tous les cinq ans au printemps lorsqu’une élection à la présidentielle est en vue. Dans un cas comme de l’autre il y a plusieurs cas de figure de transfert d’un club à un autre.

• Un jeune footeux talentueux cherche un club plus huppé (et une meilleure paie) pour poursuivre sa carrière. En politique on a connu ça dans les années post 70 principalement dans le mouvement trotskiste fournisseur de cadre au PS naissant. On pense à Henri Weber ou Julien Dray pour la LCR ou à Lionel Jospin et Cambadelis pour les lambertistes. Les Verts aussi, quoique moins talentueux, ont eu leur part de transfuges intéressés : de Pompili à de Rugy les exemples ne manquent pas.

• Un joueur confirmé s’étiole dans une formation en difficulté qui n’est plus ce qu’elle était. Il cherche à être transféré dans un club en bonne santé et plein d’avenir, quitte à ne plus y jouer provisoirement un rôle de premier plan ou même, s’il est en fin de carrière, à accepter un second rôle sur le banc. Le PS est un bon fournisseur de ces deux cas d’école que ce soit après l’élection de 2017 avec Ferrand, Parly ou Le Drian qui quittèrent un navire endommagé pour poursuivre une carrière de premier plan, ou plus récemment avec Marie-Sol Touraine, Elisabeth Guigou ou François Rebsamen qui préfèrent terminer une carrière sous le maillot d’« En marche » comme second couteau plutôt que sombrer dans l’anonymat d’une équipe de troisième division (Rebsamen avait été jadis dans le cas de figure précédent, transféré de la Ligue communiste au PS).

• Il y a aussi le cas d’honnêtes joueurs de terrain dont la carrière un temps prometteuse, stagne et qui acceptent des transferts à l’autre bout du monde ou l’herbe est plus verte financièrement et la considération locale plus alléchante, en Chine ou au Moyen-Orient par exemple. L’échec est parfois au bout et le retour dans la mère patrie douloureux, demandez à Manuel Valls.

• Enfin il y a les transferts réussis de joueurs qui deviennent ou restent des vedettes dans des clubs européens prestigieux. On ne connaît pas à ce jour d’équivalent en politique sinon celui de Bernadotte [1] qui date un peu.

Le parallèle entre la vie footballistique et la vie politique s’arrête là car la première, malgré toute la répulsion qu’elle peut provoquer de par la valse des millions, la corruption et l’embrigadement des masses, elle nous procure quand même quelques petits plaisirs dans ce monde de brute. Un but de Kylian Mbappé est quand même plus jouissif qu’un orgasme électoral où tout le monde prétend n’avoir pas perdu. La vie politique ne nous procure, elle que du dégoût tellement elle est obscène.

La mutation du corps enseignant

Nous sommes jusque-là dans des cas plus ou moins individuels. Mais, en politique, il existe aussi parfois des transferts plus ou moins massifs qui correspondent à des modifications structurelles et idéologiques de classe. Un cas en exemple : le corps enseignant et les mutations de la gauche.

Jusqu’aux années 70 la grande majorité des enseignants, surtout les instituteurs étaient d’origine sociale qualifiée de modeste. Issus des classes prolétariennes, ils baignaient dans l’aire culturelle du socialisme tel qu’on l’entendait à la fin du XIXe siècle et au début du XXe et par conséquent la syndicalisation y était importante. Le SNI (Syndicat national des instituteurs) jusqu’en 1970 syndiquait plus de 80 % de la profession et se partageait entre socialistes, communistes et syndicalistes révolutionnaires. Devenir instit ou prof c’était bien entendu une ascension sociale mais aussi un choix politique conclu par un engagement : ainsi, la quasi-totalité des instits firent une grève politique contre le putsch du général de Gaulle en 1958. C’était aussi une volonté de mettre l’éducation et la pédagogie au diapason d’un projet social, aussi flou ou parfois totalitaire soit-il.

A partir des années 1970, un changement se fait progressivement perceptible. L’origine sociale des enseignants évolue. Celles et ceux qui arrivent sur le marché sont souvent d’une deuxième génération d’éducateurs, ce ne sont plus directement des « fils du peuples » comme leurs parents. S’ils passent encore par l’École normale, l’ambiance de cette dernière change et se mute progressivement en une simple école de formation technique jusqu’à disparaître en 1989 remplacée par les IUFM (universitaire) ; d’autres viennent aussi de l’Université mais sans avoir entièrement terminé leurs cycles, formant les bataillons de maitres-auxiliaires. La vocation s’estompe avec la difficulté de trouver un emploi et la multiplication du nombre de diplômés. Le repli sur une carrière enseignante se fait davantage pour une certaine sécurité de l’emploi et des vacances provisoirement assurées, malgré un salaire jugé faible, que sur une vocation ancrée et affirmée. C’est ainsi que taux de syndicalisation chute au profit d’engagements plus individuels et même individualistes. Il n’est plus question de lutter mais de se caser, tout en se revendiquant d’une certaine éthique, quand même. Les années 1970 finissantes, la contre révolution idéologique s’installe et est couronnée par l’accession au pouvoir des deux partis auxquels le corps enseignant se référait (le PC et le PS) unis pour achever les grandes réformes que le capitalisme requérait, mais dont on pouvait prévoir le déclin une fois leur forfait accompli.

L’écologie survient à point dans le paysage politique pour permettre un transfert d’une partie milieu enseignant vers une autre crèmerie, tout aussi inoffensive contre le capital mais plus en phase avec la période : la fin des grands projets collectifs est actée, l’horizon tend à se borner à une accumulation d’actes vertueux qui, s’ils ne changent pas le monde nous permettront de vivre mieux entre nous tout en pouvant se regarder dans la glace. Mais pour que ce transfert se réalise il a fallu attendre la fin des années 1980 que l’écologie politique qui ambitionnait de participer au redéploiement des mouvements sociaux, se transforme en une écologie politicienne, digérée par la bourgeoisie et susceptible alors d’attirer des jeunes, vertueux mais ambitieux, vers des charges publiques « dans le vent ». Une fois la revendication écologique séparée du mouvement social, les partis écologistes se sont succédés et multipliés au gré de vagues d’arrivistes voulant tenter leur chance en première division. Peu y sont parvenus, sauf à une nouvelle fois solliciter un nouveau transfert et être « en marche » vers de nouvelles aventures. Le corps enseignant, les formateurs en tous genres, ont plus que de raison fourni leur quota de candidats au transfert.

JPD

Notes

[1Le Français Jean-Baptiste Bernadotte (1763-1844), devenu prince héréditaire de Suède en 1810, devient roi de Suède et de Norvège sous le nom de Charles XIV, en 1818

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