CA 340 mai 2024
Big Brother 340
dimanche 26 mai 2024, par
L’étau se resserre petit à petit contre toutes celles et ceux qui risquent de faire tâche dans le décor clinquant. On connaissait déjà les galériens expulsés des squats ou virés des hôtels sociaux pour les dégager de la capitale à l’approche des JO ; on connaissait déjà le déploiement spécial JO de la vidéosurveillance algorithmique (développé par les start-ups Wintics, ChapVision et Videtics) destinée à « identifier des situations anormales » dans la rue, ou encore la création de laisser-passer en mode attestation et QR code pour les riverains des sites et des cérémonies. Et voici que le pouvoir commence à dévoiler chichement les « mesures de sécurité préventives » qu’il entend mettre en œuvre contre ses différents ennemis de l’intérieur
La première salve d’annonces en ce sens a débuté mardi 5 mars devant la commission des lois du Sénat, qui recevait une brochette de responsables à glands dorés et à galons venus accompagner le ministre de l’Intérieur : la directrice de la DGSI, les préfets de Paris et de la région Île-de-France, ou encore les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie. Là, en plus des événements comme le parcours de la flamme dans 400 villes pendant 68 jours ou de la cérémonie d’ouverture sur la Seine le 26 juillet, considérés plus largement au sein d’une période de tensions potentielles qui s’étendra du 8 mai (arrivée de la flamme par bateau à Marseille depuis la Grèce) au 8 septembre (fin des jeux paralympiques), c’est toute une série de « menaces » qui ont ainsi été ciblées par les autorités.
Selon les services concernés, ces dernières vont classiquement, de la « menace terroriste d’inspiration islamiste » jusqu’à la « menace contestataire ». Cette dernière, jugée « la plus probable », se décline à son tour entre « environnementalistes radicaux » (à l’exemple de Sainte-Soline, explicitement citée), « contestations d’ultra-gauche/d’ultra-droite », mais aussi en menace « économique et sociale » ou liée à des « particularismes locaux » - la Corse et les agriculteurs ont été cités lors de cette audition. Mais là où les choses prennent une ampleur réelle, c’est lorsque le ministre de l’Intérieur a fait afficher sur l’écran géant du Sénat les mesures policières déjà en cours.
D’abord, il y a ce qu’ils nomment le criblage. Celui-ci concerne tous les individus qui pourront accéder de près ou de loin aux zones des Jeux Olympiques (agents de sécurité, porteurs de flamme, riverains proches, volontaires de l’organisation, employés dans la restauration ou la logistique, touristes louant sur Airbnb, conducteurs de taxis et bus) : un million d’enquêtes doivent être réalisées à cette fin, dont 89 000 auraient déjà été effectuées par le Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS), conduisant à écarter 280 personnes, dont 6 fichés S et 25 sous OQTF. Concrètement, le nom de chaque personne est entré dans le système Accred (automatisation de la consultation centralisée de renseignements et de données), qui interroge onze fichiers au total, dont le fameux fichier TAJ (traitement des antécédents judiciaires), avant qu’un petit fonctionnaire émette ou pas un avis d’incompatibilité.
Ensuite, il y a la centralisation de tout « signalement » reçu au sein d’une cellule ad hoc, regroupant les différents services de l’anti-terrorisme (de la DGSI aux renseignements territoriaux et ceux de la gendarmerie ou le SAT de la police judiciaire parisienne). Mais surtout, il y a les mesures dites préventives, nommées dans la novlangue bureaucratique « dispositif spécifique d’anticipation, de suivi et d’entrave ».Soit concrètement des perquisitions administratives et des assignations à résidence programmées en amont et pendant les Jeux olympiques.
Ces mesures préfectorales sont directement issues des dernières lois antiterroristes ayant fait entrer dans le droit commun de nouvelles possibilités administratives, jusqu’alors réservées à la seule déclaration de l’état d’urgence. Alors que ce dernier avait été déclaré en novembre 2015 suite aux attentats du Bataclan et aux terrasses des cafés, puis prolongé six fois de suite jusqu’à l’automne 2017, en permettant assignations à résidence, fermeture de lieux, interdiction de manifester et perquisitions administratives de jour comme de nuit, c’est la loi SILT du 30 octobre 2017 qui a permis d’intégrer ces dispositions dans la loi ordinaire. Oh ! bien sûr, dans son immense sagesse, le pouvoir avait prévu que l’élargissement de ses prérogatives extra-judiciaires ne seraient que provisoires, avec une limite fixée à trois ans par cette loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » (SILT), soit au 31 décembre 2020. Sauf que chacun connaît bien l’habituelle carotte des pouvoirs dits exceptionnels qui deviennent vite des plus banals, et c’est ainsi que non seulement la SILT fut prolongée de sept mois supplémentaires, mais qu’elle fut aussi définitivement pérennisée par une nouvelle loi datée du 30 juillet 2021, dite « relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement » - voir à ce sujet, de nombreuses rubriques « Big Brother ».
C’est donc dans ce cadre législatif antiterroriste somme toute récent que les mesures de police conférées aux autorités administratives (soit le préfet) vont être déployées à l’occasion des JO. Si on en croit le visuel du ministère de l’Intérieur projeté le 5 mars au Sénat, sont programmées d’une part des « visites domiciliaires », et d’autre part des MICAS (« mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance »). Ces mesures administratives sont passées de la loi d’urgence à la loi ordinaire, au sein du Code de la sécurité intérieure.
Les visites domiciliaires
Elles sont administratives avec saisie de tout objet ou donnée –soit l’équivalent des perquisitions menées dans un cadre judiciaire–, peuvent être effectuées en tout lieu (privé, public ou dans un autre dont l’existence est découverte lors de la « visite ») sur ordonnance d’un juge des libertés et de la détention (JLD) et après avis du procureur de la République antiterroriste, le tout sur simple demande du Préfet. Ses horaires légaux sont 6h-21h, mais peuvent aussi s’étendre à la nuit lorsque les flics mettent en avant « l’urgence ou les nécessités de l’opération ». Ces perquisitions administratives se basent sur les fameuses notes blanches des services de renseignement, chargées de décrire comportements et convictions, selon une acceptation très large.
Les MICAS - mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance
Elles sont basées sur les mêmes éléments et justifications que les « visites domiciliaires » –soit un comportement et des liens avec d’autres personnes à base de notes blanches suspicieuses – et comportent pour leur part de nombreuses mesures, dont plusieurs sont cumulables. Elles émanent directement du ministre de l’Intérieur, après en avoir informé le procureur de la République antiterroriste et le procureur territorialement compétent, et leur violation monte jusqu’à 3 ans de prison. Voici leur liste non-exhaustive : assignation à résidence dans un périmètre donné (commune ou département), pointage au comico qui va de plusieurs fois par semaine à une fois par jour, déclaration et justification de son lieu d’habitation ainsi que de tout changement de ce dernier, placement sous surveillance électronique mobile (soit sous bracelet électronique) avec un périmètre géographique départemental ou national, interdiction de paraître dans un lieu déterminé (c’est arrivé pour la braderie de Lille ou un sommet international), obligation de signaler tout déplacement en dehors de la commune de son domicile, interdiction d’entrer en relation directe ou indirecte avec certaines personnes (jusqu’à plus de dix). Tout cela pour une durée déterminée qui peut aller jusqu’à un maximum de 3 mois, renouvelables jusqu’à un an au total.
Pour conclure
On notera que le ministère de l’Intérieur a également fourni des détails supplémentaires depuis ses annonces du 5 mars devant la commission des lois du Sénat. C’est d’abord dans le JDD du dimanche 10 mars, que G. Darmanin a tenu à livrer quelques chiffres lors d’une interview : 20 000 personnes seraient ainsi actuellement suivies par les renseignements, « 5 000 peuvent passer à l’acte d’une manière ou d’une autre », dont « à peu près 800, qui sont la première cible à l’approche des Jeux » et font l’objet d’un suivi physique quotidien.
Ensuite, c’est au cours d’une visite au camp militaire de Beynes (Yvelines) le lundi 18 mars, où est testée la « bulle de sécurité » prévue pour protéger la flamme olympique sur son parcours mais aussi l’efficacité du fusil Skywall pour chasser les drones, que le ministre de l’Intérieur est une nouvelle fois revenu sur les fameux risques liés au JO. Selon la presse (Huffington Post, 18/3), parmi les quatre menaces ciblées par ses sbires, il a par exemple mis en garde contre une « menace contestataire qui ne vise pas à tuer des personnes ou à les blesser, mais à faire des revendications. Et là c’est l’écologie radicale, parmi d’autres mouvements contestataires, qui évidemment est la première menace. Ils ont déjà fait un certain nombre de communiqués ou de messages sur les réseaux sociaux pour dire qu’ils vont essayer d’éteindre la flamme. On voit même sur Internet des tutoriels pour voir comment on l’éteint. »
Source : Sansnom.noblogs.org
----------------
C’est un document essentiel, au cœur de toutes les batailles judiciaires et politiques sur les tirs policiers mortels. Il existe depuis 2021, il n’avait jamais été publié – et il aura fallu plus de trois mois de bras de fer juridique avec le ministère de l’Intérieur pour que le site flagrant-déni.fr (site du club de médiapart) l’obtienne. L’instruction du 26 mai 2021 (toujours en vigueur) de la police nationale « relative à l’arme individuelle ou de service » est enfin un document public - du moins en partie, puisque le texte fourni par le ministère de l’Intérieur est partiellement censuré. Ce texte est en fait une simple directive adressée à tous les chefs de service de police et répercutée à l’ensemble des policiers du territoire, qui fait office de manuel interne sur les conditions d’usage de l’arme. Son interprétation fait depuis l’objet d’une grande confusion aux effets dramatiques, puisqu’elle a conduit à une forte hausse du nombre de tués par la police.
Darmanin refuse de tenir compte des évolutions du droit. En effet depuis 2018, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) impose qu’un tir par arme à feu ait lieu seulement en riposte à un danger « immédiat » – et précise la manière dont ce danger « immédiat » doit s’interpréter. Par exemple, pour la CEDH, si une voiture est en train de prendre la fuite à l’opposé des policiers, sans les mettre en danger, le tir du policier est illégal. Ce principe a d’ailleurs été repris par la Cour de cassation en 2021. Or l’instruction de la police se borne à rappeler les principes « d’absolue nécessité et de proportionnalité » en une phrase, sans aucune précision complémentaire. Elle ne dit strictement rien sur le danger « immédiat » ou sur l’interdiction de tirer sur une voiture en fuite en l’absence de danger. Elle recopie ensuite les différents textes de loi qui encadrent l’usage des armes. Les imprécisions de cette instruction interne de la police la rendent dangereuse !
Source : flagrant-deni.fr
Brest était l’une des dernières grandes villes françaises sans caméras de surveillance. À la demande du préfet, la mairie PS a décidé de copier les autres métropoles, en installant à son tour ces dispositifs liberticides. Le maire de la ville bretonne a même mis les grands moyens, puisque son bataillon de 15 caméras est équipé d’un « logiciel de pointe » israélien, pour un coût total de 900 000 euros. Il s’agit de caméras sphériques qui captent les images à 360°.
Ce système est édité par la société israélienne Briefcam, propriété du groupe Canon.
Il permet de visionner des heures d’images en quelques minutes, de compter le nombre de personnes, de véhicules ou d’animaux présents sur une vidéo. Il est aussi doté d’un système de reconnaissance faciale, dont l’usage était illégal encore récemment. Briefcam dispose de « filtres », que les agents peuvent utiliser pour identifier des véhicules, des « personnes d’apparence similaire », et pour repérer en quelques secondes les vêtements, le genre ou le « comportement » des personnes filmées. Les autorités ont implanté une de ces caméras au cœur d’un quartier militant de la ville, celui de la Place Guérin. Avec cette caméra, la mairie et la préfecture tentent de soumettre un quartier qui dérange : en juillet dernier, la police était massivement intervenue sur cette place pour expulser un lieu nommé L’Avenir. Il s’agissait d’« un espace commun et non marchand, qui se construit par les habitant·e·s, pour les habitant·e·s », né des luttes d’associations et d’individus qui ont investi et rénové cet espace situé en plein centre-ville de Brest depuis 2010. Menacé par des projets immobiliers, l’Avenir résistait depuis des années aux autorités pour faire vivre un endroit de solidarités et de rencontres. Des constructions ont été réalisées en autogestion, en 2018 et 2019, l’endroit faisait le lien entre des mouvements et des personnes d’horizons divers. Mais pour le régime en place, tous les lieux qui échappent aux griffes du profit et du pouvoir sont voués à la disparition. Enfin, ces caméras sont présentées comme étant impossibles à vandaliser. Elles sont installées en haut de mats métalliques à 6 mètres du sol et équipées d’un dispositif censé les protéger. Mais « impossible » n’est pas breton ! « La camera qui trônait depuis le 11 mars sur la place Guérin a été recouverte de peinture dans la nuit du 23 mars » explique Ouest-France. Deux des six caméras scrutant la Place ont été rendues inopérantes. « Des agents de police sont venus constater les dégâts et faire des photos. Reste à savoir comment les auteurs s’y sont pris pour atteindre la caméra, perchée à six mètres de hauteur… » s’interroge le journal. Tout espoir n’est pas perdu.
Sources : l’herminerouge.fr et contre-attaque.net