Positions de l’OCL
lundi 7 septembre 2009, par
LUTTE DES CLASSES
“L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de la luttes de classes” affirmaient déjà Marx et Engels dans Le Manifeste du Parti communiste. Avant eux, la lutte des classes avait déjà été reconnue par des révolutionnaires comme Proudhon ou Babeuf ou par des économistes bourgeois comme Guizot.
Mais l’originalité de Marx résidait dans le fait d’affirmer :
1. que les classes sont liées à des phases précises du développement des forces productives ;
2. que la lutte des classes débouche automatiquement sur des phases transitoires vers une société sans classe : la dictature du prolétariat.
Si nous sommes d’accord avec le premier point, nous ne partageons pas, en revanche, cette vision linéaire de l’histoire qui considère le communisme comme inéluctable, les phases d’accumulation du capital et le développement du capitalisme, la constitution d’Etats-nation, de démocraties parlementaires, comme des étapes nécessaires pour parvenir à une société sans classes.
Car cette vision “progressiste” de l’Histoire a fait que, pour une grande part, le rôle réel du mouvement révolutionnaire a été d’accélérer le développement capitaliste, plutôt que de le dépasser ou de le détruire. Cela explique que cette tradition s’est construite et développée dans une Europe où le capitalisme en plein développement rencontrait un obstacle de taille : un très fort secteur non capitaliste, l’agriculture (surtout en France et dans les pays latins), et que de ce fait il a dû mettre en place des Etats marchand avec des fonctionnaires et un système éducatif idoine, secrétant une intelligentsia prête à se joindre aux mouvement ouvriers et paysans avec pour “fonction” de les intégrer à l’extension du système capitaliste. Alors qu’aux USA où le capitalisme était déjà largement implanté, le mouvement socialiste n’a eu que peu d’impact.
En fait, on peut dire que même les éléments les plus à gauche du mouvement ouvrier, souvent à leur corps défendant, ont plus œuvré à achever la révolution bourgeoise et à éliminer le précapitalisme que le capitalisme lui-même.
C’est aussi dans ce cadre-là qu’il faut comprendre l’histoire et le rôle du syndicalisme comme à la fois représentatif d’une volonté émancipatrice des exploités mais aussi comme élément d’intégration et d’intermédiaire entre le capital et le travail.
Sans entrer plus avant dans des considérations historiques sur l’histoire de l’humanité, nous pouvons affirmer que le fondement de la société capitaliste repose sur l’antagonisme entre bourgeoisie et prolétariat.
On assiste aujourd’hui à un renforcement de l’idéologie du consensus qui est aussi celle de la prétendue fin de la lutte des classes. Les périodes et les gens prédisant cette fin n’ont pas manqué par le passé ; ce qui peut paraître nouveau c’est que cette idéologie n’est pas seulement portée par ceux qui y ont intérêt : la bourgeoisie, mais aussi partagée par nombre de ceux qui s’étaient attribué pour fonction de représenter le prolétariat.
Or ce qui s’écroule ce n’est pas la lutte des classes mais la façon dont elle s’est exercée jusqu’à présent et dont elle a été représentée et expliquée.
Pendant presque un siècle, le prolétariat était symbolisé par son noyau dur, la classe ouvrière. De plus en plus concentrée dans de grandes entreprises localisées dans de grands centres industriel, celle-ci a développé un fort sentiment d’appartenance qui lui a permis de jouer un rôle important sur la scène politique des pays développés. Maintenant son éclatement géographique et sa légère diminution (en France) ont mis à mal cette homogénéité relative. Mais cela ne signifie nullement qu’elle a disparu, pas plus que le prolétariat lui-même. Nous sommes dans une nouvelle période où ce dernier doit trouver et inventer de nouveaux repères collectifs, de nouveaux lieux géographiques, culturels, politiques où se fixe l’appartenance et les dynamiques de lutte.
Par conséquent, non seulement la lutte des classes n’a pas disparue, mais au contraire, elle tend à s’intensifier, même si, dans un premier temps, c’est de manière très fragmentée et tellement diversifiée que l’opposition de base entre bourgeoisie et prolétariat tend à s’obscurcir.
Il faut bien comprendre que la lutte des classes ce n’est pas seulement les grands moments d’opposition frontale, mais aussi les mille résistances quotidiennes, le plus souvent anonymes, qui se déroulent chaque jour dans les boîtes et ailleurs et qui, le plus souvent, sont ignorées des “observateurs”.
Ce prolétariat, qui pour certains n’existerait plus, quel est-il ?
Il y a, en France, en gros,
• 8 millions d’ouvriers (10 millions il y a 20 ans, donc diminution, certes, mais pas disparition !) ;
• 5 millions de chômeurs et de précaires ;
• 1 millions de petits paysans ;
• 2 à 3 millions de fonctionnaires ou employés municipaux modestes (gratte-papiers, PTT Cheminots, etc.) ;
• 2 millions d’employés du privé ;
• 1 million de petits artisans.
C’est ça le prolétariat !
Environ 20 millions d’actifs ou supposés l’être. Signalons de plus que sur les quelques 27 millions d’ “actifs”, on considère le plus souvent qu’il y en a 13 millions qui sont en situation de risque de précarisation ! En face il y a deux à trois millions de cadres supérieurs, de financiers, de patrons de grosses et moyennes entreprises, de hauts cadres de l’appareil d’Etat, de rentiers de haut rang, etc... c’est ça la bourgeoisie. Dès lors que l’on reconnait cet état de fait il importe peu de savoir où classer les “autres” : cadres moyens, enseignants de rang moyen, petits commerçants, c’est-à-dire ce que l’on dénomme les “classes moyennes”. Laissons aux sociologues le soin de s’enliser sur les cas peu évidents : quant à nous ne raisonnons pas sur des cas particuliers !
Les luttes de ces trente dernières années ont même démontré de manière éclatante que les oppositions de classes s’exprimaient à travers une foule de mouvements non pris en compte par le “mouvement ouvrier” classique : luttes écologistes, de femmes, de libération nationale, sexuelles, sur l’école, etc.
Dès lors, la question qui se pose est : “qu’est-ce qu’une position de classe dans une lutte ?”
Un antimilitarisme sans analyse de classe du rôle de l’armée et de la conscription peut déboucher sur un pacifisme renvoyant dos à dos l’oppresseur et l’opprimé.
Un antifascisme qui ne s’accompagne pas d’une analyse de classe et se livre à des pratiques frontistes, tombe dans un humanisme social-démocrate dont la tare est au mieux l’inefficacité, au pire débouche sur une défaite.
Un soutien à certaines luttes de libération nationales qui ne prendrait pas en compte la lutte des classes et les antagonismes qui en découlent risque fort de ne pas apercevoir le moment où cette lutte risque de devenir exclusivement nationaliste.
Une stratégie autogestionnaire ne s’appuyant pas sur la réalité de la lutte des classes peut amener à un simple corporatisme .
Etc. etc…
Et quand nous parlons d’analyse de classe et de reconnaissance de la lutte de classe ce n’est pas pour faire une pseudo analyse objective de type sociologique mais bien pour faire des choix de lutte, de camp, pour changer les choses et pas seulement pour les comprendre.
Faire une analyse de classe de la société, affirmer qu’il y a une lutte des classes, ne signifie pas s’arrêter à la simple reconnaissance des deux pôles antagoniste, la bourgeoisie et le prolétariat mais aussi comprendre qu’au sein de chaque camp il y a aussi des oppositions, des contradictions, des intérêts immédiats divergents.
Organisation communiste libertaire