Ne laissons plus les Kurdes seuls !
Leur lutte est la nôtre ! - OCL
mardi 7 octobre 2014, par
Aujourd’hui mardi 7 octobre, la bataille de Kobanê est entrée dans une phase décisive et particulièrement dramatique.
Les djihadistes ont réalisé des percées au cours de la nuit et, malgré de lourdes pertes, occupent plusieurs quartiers de la ville.
Kobanê peut tomber à tout moment.
Seule une mobilisation générale pour sauver Kobanê.
Depuis le 15 septembre, les habitants majoritairement kurdes de la région de Kobanê font face à une gigantesque offensive militaire des djihadistes de l’État Islamique (EI).
Depuis près de 3 semaines, les combattant-e-s des Unités de défense du peuple (YPG) et des femmes (YPJ) résistent avec des effectifs et surtout un armement totalement inférieurs : armes légères adaptées à la guérilla contre des chars, des blindés, des lance-missiles, de fabrication russe et étatsunienne, tout droit sortis des arsenaux des armées de Damas et de Bagdad.
Ils et elles ont dû céder du terrain et abandonner 70 villages au terme de très violents combats et de très lourdes pertes, de part et d’autre. Cette offensive a provoqué l’exode de 180 000 personnes de l’autre côté de la frontière, malgré les interdictions et blocages des autorités turques qui ont finalement dû reculer. Elle a provoqué des massacres, des kidnappings, des disparitions, des décapitations (le 1er septembre : 10 têtes coupées – 3 femmes et 7 hommes, 6 Kurdes et 4 Arabes – et exposées dans un village à 15 km à l’ouest de Kobanê).
Mais cette offensive a aussi provoqué une formidable mobilisation des Kurdes en Turquie et dans la diaspora : manifestations de masse dans les villes, opérations villes-mortes, rassemblements de milliers de personnes sur la frontière, infiltration de plusieurs centaines de volontaires pour défendre la ville.
Malheureusement, ces soutiens et renforts sont loin d’être suffisants.
L’assaut sur Kobanê, lancé sur trois fronts – ouest, sud et est – bénéficie en effet d’un complément décisif au nord grâce à la Turquie qui a verrouillé la frontière et déployé sa police et son armée pour bloquer les renforts et surtout les acheminements en armes (antichars surtout) susceptibles d’inverser le rapport de forces.
Les Kurdes encerclés par les djihadistes
et l’armée turqueAujourd’hui, les djihadistes sont aux portes de la ville. Malgré la résistance farouche des combattants hommes et femmes, des habitants restés pour se battre et des jeunes volontaires venus de l’autres côté de la frontière, les forces de l’EI semblent pouvoir prendre prochainement la ville de Kobanê et se livrer à un massacre de masse. De leur côté, les YPG-YPJ affirment qu’ils ne se rendront jamais et qu’ils se battront rue par rue, maison par maison.
Cette ‟victoire” des djihadistes – qu’elle que soit l’issue finale – n’est que le résultat tragique des derniers développements en Irak et en Syrie : la montée en puissance de l’entité appelée EI, elle-même conséquence de l’effondrement des régimes en place et du soutien apporté par les pétromonarchies du Golfe persique et la Turquie aux divers mouvements armés de l’islam politique en Syrie comme en Irak qui donneront naissance à l’EI, et par voie de conséquence, l’absence, ou la trop grande faiblesse, d’oppositions laïques, anticoloniales et anticapitalistes...
La Turquie, qui a été parmi les principaux appuis des djihadistes depuis 2011, entend profiter de la situation pour s’imposer comme la première puissance régionale, affaiblir ou liquider la résistance kurde et briser l’émergence d’une nouvelle réalité sociale-politique dans la région porteuse d’une alternative aux découpages et aux États-nations issus de la domination coloniale, et, des islamistes aux dictatures, aux formes les plus totalitaires et barbares de la domination politique.
Les États-Unis et les pays occidentaux, parfaitement informés de ce qui se jouait, ont laissé leurs ‟alliés” dans la région armer, entraîner, encadrer, financer des dizaines de groupes djihadistes qui se sont rassemblés dans l’EIIL (puis EI), pour, à l’époque, faire tomber les régimes de Bachar al-Assad et de Nouri al-Maliki.Mais aujourd’hui, le monstre semble avoir échappé à ses créateurs et se retourne contre eux.
Les quelques bombardements réalisés par la coalition arabo-étatsunienne du « front syrien » sur les forces djihadistes assiégeant Kobanê, pourtant parfaitement visibles, complètement à découvert, ont été volontairement dérisoires et symboliques et n’ont eu aucun effet sur le terrain. Ils ne peuvent s’interpréter autrement que comme un blanc-seing laissé à l’EI et à la Turquie pour affaiblir puis liquider les forces kurdes de Kobanê, c’est-à-dire de l’ensemble du Rojavayê Kurdistanê.
Les Kurdes, seuls une fois de plus
Une fois de plus les Kurdes se sont retrouvés seuls. Pas seulement parce qu’abandonnés et en manque de soutien, mais aussi en butte à une puissante coalition d’intérêts convergents visant à empêcher toute modification des frontières et de la réalité socio-économique de la région.
De l’État turc aux pétromonarchies, du régime de Bachar al-Assad à celui de Bagdad, des USA aux djihadistes, de l’‟Occident” au régime iranien, s’il y a un point qui les rassemble tous – au-delà des apparences, des langages, des références et des conflits qui les opposent – c’est bien que le Kurdistan ne doit pas exister et que le projet de transformation et de remises en question porté par la gauche kurde (pouvoir communal, démocratie d’assemblées populaires, écologie sociale, anti-patriarcat,…) ne doit pas avoir le moindre début de réalité.
L’Etat turc vient de se donner un cadre légal pour une intervention terrestre visant « tous les groupes terroristes » présents en Syrie et en Irak. Ce qui lui permet de continuer à jouer sur tous les tableaux dans la nouvelle situation : rejoindre officiellement la coalition anti-EI, mais aussi continuer d’aider les djihadistes qui lui conviennent et surtout établir une ‟zone tampon” de sécurité sur le côté syrien de la frontière (qui possède jusqu’à 870 km de long), c’est-à-dire la possibilité d’imposer son ordre précisément là où se trouvent les 3 cantons qui forment le Rojava.
La direction du PKK a fait savoir depuis plusieurs jours que si la Turquie laissait les djihadistes commettre un massacre à Kobanê, cela signifierait purement et simplement la fin du processus de résolution du conflit kurdo-turc.
La ‟nouvelle” coalition des pompiers pyromanes dirigée par les États-Unis et à laquelle l’État français s’est rallié, prétend combattre pour éliminer les djihadistes avec des bombardiers et des drones, comme en Afghanistan, au Pakistan, en Somalie, au Yémen... Or sur le terrain, ce sont les mouvements de la gauche kurde qui sont en première ligne, en Irak comme en Syrie ; ce sont eux qui se battent depuis deux ans en Syrie contre les islamistes, ce sont eux qui sont intervenus en Irak au mois d’août dernier pour sauver des milliers de Yézidis réfugiés dans les monts de Sinjar et pour stopper l’offensive djihadiste qui menaçait la capitale de la région autonome kurde.
Contre les dictatures sanglantes de Damas et de Bagdad,
contre les djihadistes,
contre les pétromonarchies,
la lutte kurde ouvre la voie de l’autonomie des peuplesMais il est vrai qu’ils le font à leur manière : en ne faisant aucunement confiance aux États et aux régimes en place. Ce sont eux qui poussent et aident les populations kurdes et non-kurdes, les nombreuses minorités (ethnico-linguistiques et religieuses) de cette vaste région à s’engager directement dans la résistance, à se battre, à s’organiser par elles-mêmes, à s’armer militairement et politiquement, à s’auto-défendre socialement, à coordonner leurs milices populaires, à ne compter que sur leur propre force et mobilisation pour protéger leur territoire et leurs vies et repousser les djihadistes.
Les différents pouvoirs en place l’ont bien compris : cette invitation à l’autodétermination et à l’organisation autonome des luttes et de la vie sociale contient un redoutable parfum de liberté, une menace de sécession et d’insubordination.
C’est cette menace de ruptures dans les relations de pouvoir établies (clientélisme, corruption, féodalisme, patriarcat, étatisme, obéissance à des systèmes de croyances et de transcendances d’origine extra-sociale…) – et en conséquence la possibilité d’en créer, d’en inventer de nouvelles, sur des bases tout autres –, que la coalition ‟arabo-occidentale” entend effacer à tout prix, quitte pour cela à ce que cette menace soit liquidée dans le sang, par djihadistes, autres milices ou armées régulières interposées.
Si nous appelons à mobiliser et à amplifier la solidarité avec la résistance de Kobanê et plus généralement avec la lutte du peuple kurde, c’est d’abord parce qu’il y a urgence et que chaque jour, chaque heure compte. Et si cette urgence nous concerne, c’est parce que ce mouvement de libération du Kurdistan, dans le sens le plus large de mouvement social et populaire – avec ses caractéristiques plutôt positives et d’autres plus discutables et critiquables – nous apparait aujourd’hui, dans cette région du monde, comme la principale force susceptible non seulement de contrecarrer la double barbarie des islamistes et des régimes en place, mais aussi d’introduire dans les zones kurdes, et bien au-delà, suffisamment d’éléments de transformations et de ruptures à partir desquels il devient au moins possible – et pensable – de postuler des formes d’égalité, d’ouvrir des espaces politiques autonomes d’appropriation du commun et d’avancer des perspectives intelligibles et audibles de libération sociale et politique.
C’est là une condition non suffisante mais nécessaire pour faire reculer les barbaries à l’œuvre, pour rendre de nouveau l’air un peu plus respirable et ce monde habitable ici aussi.
Le 3 octobre 2014
Organisation Communiste Libertaire / Courant Alternatif
Texte distribué dans plusieurs villes de la région française depuis les manifestations du 4 octobre et les jours suivants dans le cadre des mobilisations pour la défense de Kobanê et la solidarité avec la résistance et la lutte du mouvement de libération kurde.
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