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Ἑλλάς - Grèce

Notes sur la conjoncture euro-grecque

Ce qui a conduit au référendum

lundi 6 juillet 2015, par WXYZ


Ces notes ont été rédigées et rassemblées pour essayer d’y voir un peu clair sur ce qu’il se joue entre le gouvernement grec et les institutions politico-financières que sont le FMI, la Banque centrale européenne et le directoire de la Zone euro, au-delà des informations plus ou moins bidons qui circulent, des jugements à l’emporte-pièce, de la propagande à grande échelle à laquelle se livrent politiciens et médias de désinformation, des parties de poker menteur, des coups de bluff et des opérations tactiques auxquels se livrent les uns et les autres, mais où chacune des parties en conflit ne joue pas dans la même catégorie tant le déséquilibre des forces est évident.

Ce texte, qui n’a nulle prétention à l’exhaustivité, a été écrit au cours des jours qui ont précédé le référendum. Le 5 juillet, les électeurs grecs ont clairement et massivement fait savoir (par 61,3% des votes contre 38,7) qu’ils refusaient les conditions imposées par la Troïka.

Mais rien n’est réglé. Le bras de fer continue et la Troïka veut toujours imposer ses conditions. La parenthèse du référendum refermée, un nouveau chapitre s’ouvre, bourré d’incertitudes. Nous aurons l’occasion d’y revenir lorsqu’il sera possible de dégager les grandes tendances qui se dessinent et qui se concoctent déjà dans le secret des palais présidentiels, dans les discussions feutrées au plus haut niveau des instances européennes, des chefs d’Etats, du FMI, de la BCE…

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Les évènements se sont précipités dans la soirée du 26 juin.
Pressions et chantages de la Troïka au bank-run – en menaçant de couper le programme de prêts de liquidités d’urgence ELA, (« Emergency Liquidity Assistance », assistance de liquidités d’urgence) de la BCE aux 4 principales banques de la Grèce –, imposition non seulement de nouvelles règles budgétaires en termes d’équilibre global entre recettes et dépenses (et même d’excédent budgétaire dans une situation de récession économique et de quasi-déflation !), mais surtout sur la manière de les mettre en œuvre : en renâclant sur les recettes du type impôts supplémentaires sur les grandes sociétés ou sur les riches contribuables et en voulant agir exclusivement sur les dépenses. C’est-à-dire en portant l’attaque sur les retraites, déjà réduites et misérables, notamment en voulant faire disparaître un complément (subvention d’Etat appelée EKAS) accordé aux petites retraites (inférieures à 706 euros/mois) et déjà réduite en 2012, en allongeant la durée de cotisation effective à 67 ans (l’âge légal a déjà été porté à 65 ans en 2010, puis à 67 ans en 2013, mais l’âge moyen du départ à la retraite serait de 61 ans d’après la Troïka, il s’agirait donc de “préretraites”, inadmissibles pour l’UE/FMI), en faisant payer des cotisations santé aux retraités…, attaques aussi sur le salaire des fonctionnaires (qui a déjà fortement baissé), en agissant aussi sur le niveau de l’impôt inégalitaire qu’est la TVA (23% pour l’électricité et d’autres biens de première nécessité…) et en annulant les exonérations partielles de TVA dont bénéficient les habitants des îles en contrepartie de leur isolement et des prix plus élevés qui y sont pratiqués.

Bref, en appauvrissant encore plus la majeure partie de la population et en brisant ses capacités de résistance, permettant de créer les conditions optimales pour l’exploitation de la force de travail.

Dans ce chantage, le déblocage de fonds annoncé (au départ, 7,2 milliards d’euros puis jusqu’à 15,5 milliards sur 4 mois)… servirait à payer les échéances précédentes envers les créanciers (dont 1,6 milliard au FMI le 30 juin, 3,5 milliards à la BCE le 20 juillet, 2,5 milliards au FMI en novembre…) et à renflouer les banques grecques, mais il était conditionné à la signature d’un accord ce samedi 27 juin sur les bases voulues par la Troïka, sans autre discussion, pas même sur la reconnaissance du principe d’une renégociation de la dette. Des négociations pour un accord sur de l’argent qui ne rentrera même pas dans le budget de l’Etat et plus largement dans l’économie grecque.

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Depuis 2009, on estime que sur les 310 millions d’euros prêtés, 270 (soit 87%) sont retournés directement aux créanciers.

Le gouvernement Tsipras avait déjà renoncé à 80% de son programme électoral [1] dès l’accord du 20 février dernier et au cours des négociations qui ont suivi (sur l’engagement à honorer l’intégralité de la dette, à ne pas revenir sur les mesures prises par les précédents gouvernements, sur l’acceptation de la tutelle de la Troïka – rebaptisée ‟Institutions” –, sur le volume des privatisations, les retraites, le niveau du salaire minimum, les dépenses publiques et sociales, l’évaluation « au mérite » dans la fonction publique par l’encouragement aux « pratiques managériales », sur la flexibilisation du marché du travail, sur l’élimination des barrières légales et règlementaires empêchant la libre concurrence...) et une grande partie de sa base militante commençait à ruer sérieusement dans les brancards. Mais les dirigeants de l’UE voulaient plus de renoncements, ils voulaient que l’intégralité de leur projet de restructuration de l’Etat et de la société grecque soit acceptée en exerçant un chantage exorbitant : en utilisant l’échéance du 30 juin (remboursement de 1,6 milliard d’euros au FMI), comme un prétexte, une dead line indépassable. Cette accélération de la pression a commencé le dimanche 14 juin quand les négociateurs grecs se sont retrouvés devant des « techniciens » de la Troïka n’ayant aucun mandat politique pour négocier quoi que ce soit. De nouvelles concessions grecques ont été refusées, la réunion dura parait-il moins de 45 minutes.
Pratiquement au même moment, le surlendemain, le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung révélait (le 16 juin) que la direction de l’Union européenne avait établi un plan pour isoler le système financier grec de la Zone euro, à l’instar de ce qui avait été concocté pour Chypre (contrôle des capitaux, blocage des avoirs bancaires, utilisation d’une partie des dépôts pour renflouer les banques et éviter leur faillite…), en cas de refus des conditions imposé par la Troïka à la poursuite du programme de soutien à l’économie grecque. La décision de virer la Grèce de la Zone euro en cas d’échec des négociations et du refus de la partie grecque des conditions imposée par la Troïka était donc prise depuis quelques temps. La pression s’est encore accentuée quelques jours plus tard, le 24 juin, quand les représentants de la Troïka ont rendus les contre-propositions de la partie grecque à ses négociateurs raturées et corrigées en rouge sur toutes les lignes, comme le ferait un maître d’école maniaque et psychorigide à l’ancienne à un (très) mauvais élève.

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Tsipras a donc décidé de la seule mesure qui pouvait empêcher, au moins pour un temps, de signer sa mort politique pour lui-même et son parti (qui d’anti-austérité deviendrait un peu trop clairement, ouvertement et rapidement pro-austérité) : en appeler aux urnes comme avait voulu le faire le socialiste Papandréou en 2011 (mais à l’époque, la Troïka empêcha le référendum de se tenir et organisa même le départ de Papandreou et son remplacement par un vrai pantin nommé Papademos entouré d’un gouvernement de « techniciens », choisis par les « techniciens » de la Commission européenne). Un référendum qui n’est pas vraiment une surprise puisqu’il avait été évoqué à plusieurs reprises, et notamment par le ministre de l’économie Yanis Varoufakis dans une interview le 8 mars dernier au Corriere della Serra : si les ‟Institutions” exigent trop, les Grecs seront consultés.

Car à force jouer le jeu de la négociation, d’accepter le principe d’un excédent budgétaire qui ne peut que signifier de nouvelles coupes, de promettre une liste de « réformes » contre le maintien du programme de prêts de la Troïka, de reconnaître l’existence d’une dette souveraine dont il ne s’agirait que d’en réduire les effets, de séparer la dette des mécanismes capitalistes qui l’ont produit, et aggravé depuis 2010, de respecter le cadre institutionnel de l’UE et de la Zone Euro, de prétendre gérer un pays capitaliste à l’heure où l’accumulation des dettes ‟publiques” ou privées, du crédit, de l’émission de capital fictif, est devenue la condition nécessaire et incontournable pour la création de valeur, l’accumulation du capital et le maintien de ses taux de profitabilité, le gouvernement de la gauche ‟radicale” grecque s’est retrouvé acculé à devoir accepter des mesures qui non seulement n’allègent en rien les contraintes budgétaires et austéritaires imposées par la Troïka depuis 5 ans (ce pour pourquoi Syriza a été précisément élu), mais qui signifieraient exactement le contraire, en les aggravant plus encore, avec de nouvelles attaques sur le niveau des retraites, sur les salaires, le revenu réel (hausse de la TVA sur des produits de base comme l’électricité) et les conditions d’existence dans les classes prolétaires et populaires et même dans une grande partie des classes moyennes.

En échange d’une injection de 15 milliards d’euros, étalée sur 4 ou 5 mois, ayant pour seuls objectifs, 1) de financer le remboursement de tranches de prêts antérieurs (au FMI et à la BCE) jusqu’à la fin-novembre et 2) de renflouer les principales banques du pays. C’est ce que les créanciers appellent une « proposition généreuse » pour « aider » les Grecs.

Le samedi 27 juin, le gouvernement grec a demandé la prolongation du plan d’aide en cours à cause du référendum prévu le 5 juillet. Lu sur une dépêche à 17h ce samedi 27 juin, « les ministres des Finances de la Zone euro ont semble-t-il refusé de prolonger le programme d’aide grec au-delà du 30 juin, contrairement à ce que réclamait Athènes, ont indiqué plusieurs sources concordantes ».

Dimanche 28 juin dans la soirée, on apprend que les banques seront fermées dès le lendemain et toute la semaine, ainsi que la Bourse d’Athènes, que les retraits par carte bancaire seront limités à 60 euros pour jour et par carte (5 fois moins que les limites imposées à Chypre en 2013), que le mécanisme ELA est maintenu en l’état jusqu’au référendum du 5 juillet…

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Pour la suite, c’est un peu un saut dans l’inconnu. Selon le résultat du référendum qui ou bien renforce le gouvernement Syriza par un vote majoritairement négatif, ou bien l’affaiblit dans le cas contraire… Le « Non à l’austérité » qui devrait envoyer une majorité de votes négatifs dans les urnes sera-t-il plus fort que la menace d’une sortie immédiate de la Zone Euro et d’un effondrement total de l’économie déjà largement orchestrée par la plupart des grands médias depuis l’annonce du référendum ?

Situation à la veille du référendum

Sur fond de discrédit quasi-total de la classe politique, Syriza avait convaincu les électeurs grecs qu’il pourrait obtenir de la Troïka une annulation de la dette souveraine de la Grèce, qu’il pourrait obtenir un « délai de grâce significatif dans le service de la dette », exclure les investissements publics des restrictions imposées par les accords (mémorandum) précédents, reconstruire l’État-providence, amener le pays à la reconstruction économique et à la récupération de ses capacités productives, accroître les investissements publics de 4 milliards d’euros, revenir progressivement sur toutes les injustices des mémorandums passés et en cours, restaurer progressivement les salaires et les pensions à leur niveau antérieur pour accroître la demande, fournir des incitations aux petites entreprises pour la création d’emplois, bâtir un plan de reconstruction nationale qui permettrait d’éliminer la crise humanitaire, relancer l’économie y compris en développant le secteur des coopératives, des ONG et des associations, promouvoir la justice fiscale et approfondir la démocratie.

Le problème du gouvernement Syriza est qu’il s’est lancé dans des négociations sans véritable plan de rupture et surtout sans atout, sans volonté et sans capacité de pression, sans rapport de force, sinon avec une seule carte maîtresse dans la manche : celle du non-paiement de la dette. Or celle-ci ne se résume pas à une décision politique mais reflète la réalité économique la plus objective : l’Etat grec est structurellement incapable de générer suffisamment de recettes budgétaires pour rembourser sa dette (312,65 milliards d’euros, 178% du PIB), même à long terme (30 ans et +), même en réduisant au plus bas les taux d’intérêt, même en accroissant encore plus le niveau d’austérité budgétaire.

De l’autre côté, la Troïka – et surtout les créanciers européens – ne souhaite pas s’engager sur un troisième plan d’assistance dans lequel figurerait à la fois une restructuration de la dette (une élimination partielle) et la mobilisation de nouveaux fonds européens – c’est-à-dire des Etats de la Zone Euro via le Fonds européen de stabilité financière – censés relancer l’économie.
Ces États sont déjà exposés à la dette souveraine grecque depuis les plans de sauvetage précédents qui permirent alors de sauver la mise aux banques françaises et allemandes détentrices de bons du trésor grec à hauteur respectivement de 57 milliards d’euros et 34 milliards, et aucun de ces États (principalement Allemagne, France, Italie, Espagne) déclare souhaiter prendre le risque de perdre de l’argent, certains pays comme l’Italie ou le Portugal qui à cause de leur propre dette (respectivement 132% et 124% du PIB) ne pouvant guère contribuer davantage à abonder ce Fonds, même sous forme de garanties supplémentaires sur prêt…

C’est ici que se constitue le véritable point de blocage, et pas les quelques 7,2 milliards en jeu dans la négociation des dernières tranches du mémorandum en cours.

La Troïka est donc paralysée. Elle se contente d’alimenter la cavalerie financière actuelle (les nouveaux prêts servant à rembourser les dettes parvenues à échéance) en échange d’un engagement du gouvernement grec sur plusieurs années à effecteur de nouveaux tours de vis budgétaires et de nouvelles coupes sociales… et donc à poursuivre le cycle récessif faisant exploser un peu plus le niveau de la dette. Le cercle vicieux à l’œuvre sous forme de spirale sans fin.

Pas de “Grexit” dans l’immédiat mais un usage intensif de sa menace

Ceci étant, aucun des deux camps ne semblent vraiment vouloir une sortie de la Grèce de la Zone Euro. Les réactions des créanciers à l’initiative du référendum qui se résumaient à dire que voter non aux exigences de la Troïka reviendrait à voter pour la sortie de l’euro n’auront duré que 24 heures. Rapidement, même le « dur » Schäuble (ministre allemand des Finances) faisait publiquement la distinction entre les deux, manière de signifier que la Grèce reste dans la Zone euro et que les discussions continuent malgré le non-paiement de la tranche de remboursement de 1,6 milliard le 30 juin. Quant à Tsipras, le coup tactique du référendum n’a jamais signifié un chantage au départ de la Grèce contre un certain nombre de désaccords mineurs après les ultimes compromis (TVA dans les îles, étalement du passage du départ à la retraite à 67 ans jusqu’à 2019, décalage dans le temps de la suppression de l’allocation aux petites retraites...) mais un coup de pression pour obtenir quelques engagements écrits pour un nouveau plan d’aide qui inclurait un volet sur l’allègement du poids de la dette contre une acceptation de la quasi intégralité des conditions du plan actuellement en dispute.

Le 2 juin, le FMI fait une pression et sort un rapport diffusé largement dans la presse indiquant que le Grèce aura besoin de financement de 52 milliards d’euros, dont les 2/3, soit 36 milliards de la part de l’UE/BCE dans les 3 ans qui viennent quel que soit le résultat du référendum. Ce rapport indique aussi que les besoins de financement se sont accrus ces derniers mois à cause d’« importants changements politiques » intervenus dans le pays qui conduisent à abaisser la perspective de croissance (de +2,5% à 0%) qui elle-même entraine des moindres recettes fiscales ou celles attendues par le programme des privatisations en cours et nullement remis en cause par la gauche « radicale » et antilibérale de Syriza. Au total, ces besoins de financements et les autres données ne prennent pas en compte la période qui s’est ouverte depuis la fermeture des banques et le contrôle des mouvements de capitaux, qui pourrait encore plus aggraver la situation. En outre, le FMI exprime de nouveau mais cette fois-ci de manière plus explicite et publique qu’une partie de la dette grecque, devenue insoutenable, devra être effacée à hauteur de 30% du PIB (environ 53 milliards [2]) ou voir sa « maturité » (durée de remboursement) allongée à 40 années. Sur cette question « structurelle », le FMI ne fait que donner raison à Syriza finalement.

Le même jour, Martin Schultz, président social-démocrate du Parlement européen, déclare au journal allemand Handelsblatt son souhait « de voir la fin de l’ère SYRIZA en cas de victoire du ‟Oui” aux reformes, pour qu’un gouvernement de technocrates puisse être formé ».

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La pression monte en Grèce. Non seulement les banques sont fermées et les retraits de billets sont limités aux distributeurs, mais les salaires commencent à ne plus être versés, partiellement ou totalement, et dans nombre d’entreprises, les patrons expliquent à leur salariés que dans les circonstances actuelles, ils ne peuvent et ne pourront pas continuer à les payer et qu’une victoire du ‟Non” entrainera des licenciements.
La convergence entre le FMI et Syriza n’a pas tardé à se manifester publiquement. Le lendemain de la publication du rapport de l’organisme financier, Tsipras demandait dans un discours lors d’un rassemblement pour le Non « une décote de 30% » de la dette et une période de suspension des remboursements de 20 ans pour assurer la soutenabilité de la dette.

L’intégralité des médias de masse du pays, c’est-à-dire les radios et les chaînes de TV privées, fait campagne pour le ‟Oui”, sur fond de dramatisation de la situation d’un pays qui serait (une fois de plus) « au bord du gouffre », à deux doigts de « l’Apocalypse »… La Confédération générale des travailleurs de Grèce (GSEE) appelle à voter Oui après avoir demandé l’annulation du référendum. . Les professionnels du tourisme, dont l’influence est importante dans certaines régions, notamment les îles, appellent à accepter les diktats de la Troïka sans condition, sinon, la saison est menacée à cause de l’instabilité et du chaos qui menace.

Comme le dit Romaric Godin, journaliste du quotidien de La Tribune (4 juillet 2015), « le gouvernement grec a accepté l’essentiel des mesures d’austérité exigées par les créanciers, sauf la fin du rabais de TVA dans les îles et la suppression de la retraite complémentaire EKAS pour les plus fragiles en 2018 (il propose 2019) ». Le vrai point de clivage, c’est la dette – son volume, son caractère insoutenable, mais aussi de quoi elle est faite, comment elle a été alimentée par les deux précédents plan de sauvetage de la Troïka –, et le gouvernement Tsipras affirme qu’il ne veut pas se satisfaire d’une vague promesse sur son réexamen. Il dit vouloir un engagement clair avec calendrier et données chiffrées. Les créanciers, surtout européens avec l’Allemagne en tête, jusque-là, refusent. Et il n’est pas certain qu’un Non majoritaire au référendum les fera fléchir.

La victoire du Oui affaiblirait Tsipras mais plongerait la Grèce dans une crise institutionnelle car le gouvernement, même démissionnaire, est l’expression d’une majorité parlementaire. A partir de là, tous les scénarios sont possibles : éclatement de Syriza sur le soutien à un gouvernement ‟technique” plus conciliant, nouvelles élections aux résultats incertains... Incertitude politique, difficultés de concrétiser un accord rapidement, plongeon de l’économie et faillites d’entreprises en série, défaut de paiement plus sérieux à l’approche de l’échéance du 20 juillet où la Grèce doit rembourser une tranche de 3,5 milliards à la BCE… et une dette qui gonflerait un peu plus dans une situation de marasme grandissant.

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La victoire du Non renforcerait Tsipras et la balle sera dans le camp des créanciers, essentiellement la BCE – qui détient le moyen de couper le robinet des liquidités dont ont besoin les banques et l’économie courante – et le gouvernement Merkel – qui détient le pouvoir politique de conclure à un compromis (facile à trouver sur le plan actuel compte tenu des reculs successifs du gouvernement de Syriza, avec un engagement sur un calendrier de discussions sur la dette) ou de le refuser et de mener alors l’épreuve de force avec le gouvernement grec, avec l’objectif de le renverser ou de virer de fait la Grèce de la Zone euro (il n’existe pas de procédure d’expulsion) en laissant la BCE réduire le volume des liquidités d’urgence, c’est-à-dire en poussant la Grèce à émettre une nouvelle monnaie pour non seulement payer ses fonctionnaires mais aussi tout simplement pour faire fonctionner l’économie au jour le jour.

L’hypothèse d’un compromis n’est pas à exclure, même dans le cas d’une victoire du Non, et qui pourrait se résumer ainsi : quelques concessions mineures de la Troïka et un engagement à des discussions sur le devenir de la dette, telle que souhaitée par le FMI autant que par le gouvernement Syriza. La question de la dette – et de sa possible annulation partielle – est le sujet le plus sensible. Non seulement, elle révèlerait que la Troïka s’est trompée et donc qu’elle est faillible (et on sait que le capitalisme fonctionne aussi et en grande partie sur la « confiance »), mais en plus et surtout, elle ouvrirait la possibilité pour les opinions des autres États européens ayant fait appel au même type de mécanisme d’assistance (Irlande, Espagne, Portugal…) de réclamer le même traitement que la Grèce.

Un avenir ouvert et incertain

La crainte que pouvait provoquer le défaut de paiement de la Grèce en 2009-2010 (et les risques de contagion à toute la Zone Euro) ne se pose plus dans les mêmes termes pour l’UE et le FMI : les dettes grecques ont été en partie effacées et ne sont plus détenues par les banques ouest-européennes, mais par les États, la BCE et le FMI.
Laisser sortir la Grèce de la Zone Euro (et de fait de l’UE) n’aurait sans doute pas le même impact aujourd’hui sur le système financier européen mais il en aura de toute façon sur les institutions de l’UE, sur leur solidité, sur l’image d’une puissance économique et d’une monnaie forte qui ne survit qu’en expulsant ses éléments faibles, en creusant les déficits qu’elles disent vouloir réduire, en accélérant la récession d’une économie qu’elle disent vouloir soutenir et développer, en démontrant qu’elles ne maitrisent pas grand-chose et ne prévoient pas les conséquences de leur actes, etc. D’autant que ces institutions de la gouvernance capitaliste expriment des positions de compromis, c’est-à-dire où ne sont pas exclues de multiples contradictions internes (au sein du gouvernement allemand, entre la Bundesbank et Merkel, au sein du FMI, entre gouvernements européens, entre la BCE et les principaux gouvernements européens, entre la Commission européenne et le FMI…)

Surtout aussi qu’avec la sortie de la Zone Euro rien ne sera réglé. La dette structurellement incompressible, sera encore plus insoutenable en cas de réintroduction de la drachme car celle-ci équivaudra à une dévaluation monétaire et donc à une chute des capacités fiscales et budgétaires de l’Etat grec.
Si rien ne bouge dans les jours qui suivent le référendum, l’Etat grec pourra être déclaré à tout moment en défaut de paiement (surtout s’il ne verse pas les 3,5 milliard à la BCE le 20/07), ce qui ne serait pas trop grave en soi si c’était momentané. Toutefois, la poursuite du programme ELA de la BCE (de maintien de la solvabilité du système bancaire) à son niveau actuel avec la poursuite des restrictions sur les retraits bancaires et le contrôle des mouvements de capitaux avec les pays étrangers ne peuvent qu’accentuer la crise, la paralysie de l’activité économique, les licenciements, etc., dans un scénario de pourrissement (comme en Argentine lors du corralito de la fin 2001).

L’interruption ou la réduction du programme ELA viserait ni plus ni moins à assécher les banques, provoquer leur faillite, bloquer totalement le minimum de la « petite circulation monétaire » (paiement des salaires et des pensions, achats courants du quotidien…) qui subsistait, accélérer le dénouement de la crise actuelle dans le sens d’une sortie de fait de la Grèce de la Zone euro.

Dans une telle situation, la seule solution pour un État quelconque est de dévaluer sa monnaie quand il en a une ou d’émettre une ou plusieurs nouvelles monnaies… qui viennent remplacer progressivement l’ancienne, sans nécessairement la faire disparaître.

Dans de nombreux pays, le dollar (en Amérique latine ou en Asie) ou l’euro (dans les Balkans) sont présents comme monnaies courantes à côté de la monnaie officielle ; en Argentine, avant la crise de 2001, de nombreuses provinces avaient émis des monnaies locales sous formes de « reconnaissances de dettes » ou d’« à-valoir » ; dans de nombreuses régions frontalières de la planète – surtout là où règne le business commercial de la bazaar economy – coexistent plusieurs monnaies sans problème…

Quelle rupture avec l’UE et la Zone euro ?

Beaucoup dans l’extrême gauche militent pour une sortie de la Grèce des institutions politiques et économiques de l’Union Européennes. Il se trouve que ces mêmes institutions menacent la population grecque de la même chose en cas de refus du gouvernement Tsipras d’accepter leurs conditions. En même temps, les 6 mois du gouvernement de Syriza montrent que, dans le contexte actuel, il est tout simplement impossible de mener une politique de type néokeynésienne, social-démocrate, refusant l’austérité et la politique de l’offre, tout en restant dans le cadre de l’UE et plus encore de la Zone euro. Le point de rupture est vite atteint.

La meilleure solution serait que le décrochage de la Grèce vis-à-vis de l’UE se fasse sur mode volontaire et offensif, celui qui découlerait du refus effectif de l’austérité. Ce qui supposerait une mobilisation populaire de nature presque révolutionnaire, en tous cas de classe, exigeant, mais surtout assumant et prenant en charge, la rupture avec le cadre politique de l’UE et avec la logique capitaliste de prédation, de dressage et de surexploitation, le rejet du paiement de la dette (et tant pis pour les créanciers !) dans des pratiques collectives et une perspective d’expropriation des capitalistes locaux et transnationaux, la réappropriation communiste des moyens de vivre, des outils de la production matérielle et des sphères de la reproduction sociale, l’invention en actes d’un nouveau pouvoir politique d’autogouvernement populaire, d’en bas, et d’une nouvelle économie assurant, beaucoup mieux que le capitalisme, la définition et la satisfaction des besoins sociaux.

Les conditions objectives semblent être à la rupture des cadres établis et à l’éclosion d’une crise sociale et politique majeure, d’une confrontation potentiellement révolutionnaire, aux contenus toutefois majoritairement anti-libéraux, néokeynésiens et dont les accents souverainistes sont loin d’être exclus. La vraie question qui se pose, car tout dépend de cela en définitive, est de savoir si les conditions subjectives d’un tel soulèvement et d’une telle rupture sont ou seront réunies et à quelle condition.

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Beaucoup de colère et de rage mais aussi de lassitude et de découragement se manifeste dans une population grecque qui s’en est remis aux urnes pour obtenir ce qu’elle n’avait pas obtenu dans la rue (la fin de l’austérité), beaucoup d’ambivalence dans son rapport à la politique traditionnelle, à la délégation de pouvoir, à la lutte collective, à l’auto-organisation à la base. Une réalité contrastée, entre radicalisation de certains secteurs sociaux (bien au-delà de l’aire « anarchiste/antiautoritaire ») et multiples formes de désespoirs, de désocialisation extrême, de sentiment d’impuissance, d’indigence, de suicides frappant les couches populaires placées en première ligne de cette guerre de classe passée sous silence. Des camarades en Grèce parlent de « génocide social » et d’une société devenue « cannibale ». Une population qui se sent isolée, montrée du doigt et stigmatisée comme responsable de ce qui lui arrive, peu soutenue dans les autres pays européens où les luttes contre l’austérité restent trop faibles, trop peu visibles, trop peu efficaces pour briser les chaînes des politiques capitalistes de type néolibérales, modifier à court terme le rapport de force et étendre le conflit à une échelle transnationale sur le Vieux continent.

Car la crise grecque n’est pas grecque. C’est la manifestation en Grèce d’une crise mondiale et européenne, « crise » qui, sans qu’il faille l’interpréter comme un pur prétexte, un simple alibi, est devenue le mode « normal » et logique d’un capitalisme cherchant par cette modalité-là à se maintenir et à se reproduire de manière élargie ; par les menaces, le chantage, la répression des luttes, par la peur du chaos et de la misère, et en repoussant sans cesse ses propres limites que lui imposent ses contradictions inhérentes, notamment celle qui en faisant croitre la productivité du travail (par l’automatisation et la robotisation, la baisse relative donc de la valeur du « travail vivant » par rapport au poids grandissant du « travail mort ») conduit la logique économique capitaliste à réduire la quantité de surtravail (ou plus-value) appropriable par le capital. Ou encore, celle qui voit se combiner les phénomènes de suraccumulation de capital (et/ou de surproduction) et de paupérisation relative ne pouvant conduire qu’à des réajustements violents et à une dévalorisation rapide de capital surnuméraire et inemployable (marchandises, argent, moyens de production…).

En attendant, l’été grec de l’an 2015 s’annonce long et dense. Et particulièrement imprévisible.

M.P. (OCL Périgord-Quercy)

Le 4 juillet 2015


Notes
[1] Le 5 février, soit quelques jours à peine après la formation du gouvernement Syriza-Anel, lors de sa première rencontre avec Schäuble (ministre allemand des finances), Varoufakis (ministre grec de l’économie) reconnaissait lui-même qu’il acceptait « 70% du programme » prévu par les créanciers.
[2] Le PIB de la Grèce était de 178,8 milliards d’euros fin 2014. Pour rappel, il était de 237,42 milliards à la fin 2009, soit une chute de 25% depuis le début de la « crise grecque » et des plans de « soutien » de la Troïka.

La dette grecque

Le montant de la dette grecque est sujet à des appréciations divergentes. Eurostat parle de 315,5 milliards d’euros à fin septembre 2014 ; le Fonds européen de stabilité financière (FESF) de 324 milliards d’euros (fin 2014).
Pour donner un ordre d’idées, celle de la France est de 2.089 milliards d’euros (mars 2015), de 2.194 milliards pour l’Italie (avril 2015) et de 9.293 milliards pour la Zone euro (fin 2014).

Qui possède la dette grecque ?

La dette grecque est maintenant essentiellement entre les mains d’Etats ou d’organismes publics. Les principaux groupes de détenteurs se répartissent ainsi :

  • La BCE possède 8,7% des titres, dont 6,5 milliards sont remboursables cette année.
  • Les Etats européens, pour leur part, détiennent 17% de la dette sous forme de créances bilatérales, remboursables à partir de 2020 (sur 21 ans).
  • Le FESF, structure intergouvernementale européenne, détient la plus grosse part, 41% de la dette grecque, soit 131 milliards remboursables à partir de 2023
  • Le FMI (7,8%), dont, comme pour la BCE, 6,5 milliards remboursables cette année.
  • Les banques et le secteur privé (hedge funds, fonds de pensions, particuliers…) : 19%, remboursables à partir de 2017 (sur 25 ans)

Un des arguments – très nationalistes pour le coup – utilisés par les élites européennes pour renoncer à une remise en cause la dette grecque est de dire que cela coûterait cher aux Etats et donc aux particuliers/citoyens/contribuables. La France, entre les engagements directs et ceux via le Fonds européen de stabilité financière (FESF), est exposée à hauteur de 41,4 milliards d’euros. Pour comparaison, le simple accroissement de la dette publique française au cours du 1er trimestre 2015 a été de 51,6 milliards d’euros…

Rappelons aussi que la dette grecque rapporte de l’argent à ses créanciers.

Sur cette somme globale, seuls 284 milliards sont constitués de prêts remboursables. Les plus grands montants ne sont pas exigibles maintenant, mais à partir de 2020 et 2023. La pression la plus forte vient du FMI et de la BCE qui exigent de 13 à 15 milliards dans l’année 2015. Ce sont ces prêts à court terme qui permettent à ces institutions d’exercer un chantage pour imposer leurs solutions.

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