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Courant Alternatif 290 mai 2019

Quand on lutte pour un, on lutte pour tous

Crimes policiers

dimanche 26 mai 2019, par OCL Reims

Le 30 mars 2017, Angelo Garand, membre des gens du voyage est tué de 5 balles par 2 gendarmes de l’antenne du GIGN de Tours. Le 28 septembre 2018, c’est Henri Lenfant, également membre des gens du voyage, qui a été abattu d’une balle dans la nuque par l’antenne du GIGN de Reims. Voici les paroles de ces deux familles compilées et restituées par un camarade lillois, paroles qui sont l’expression de leur douleur mais surtout le récit de leur combat face à l’institution judiciaire et policière.


Angelo Garand, non-lieu inique couvert par la Loi (1)

Cela fait deux ans que notre cher Angelo a été exécuté sans sommation, de 5 balles dans le torse, par deux gendarmes d’un commando de l’antenne GIGN de Tours venu l’interpeller à Seur (village de Sologne au sud de Blois), pendant un repas de famille ; deux ans que chaque 30 du mois, nous revivons la terreur du 30 mars 2017 ; deux ans que nous avons rejoint la grande famille combattant depuis des décennies l’impunité quasi-garantie par l’État à ses agents de la force publique qui en abusent. Dans la mort d’Angelo, une juge n’ayant pas instruit l’enquête a ordonné un non-lieu à Blois en octobre 2018, au prétexte que les tueurs auraient agi en légitime défense. Il est exceptionnel que la justice ose, sur ce motif, préserver les auteurs avérés d’un homicide d’avoir à en être publiquement jugés, au mépris des parties adverses et de leur droit à un vrai procès. Cette décision inique a été durcie en appel à Orléans le 7 février 2019, par un arrêt selon lequel les deux tireurs auraient tué dans le cadre légal propre aux gendarmes et policiers. Selon les termes du récent article L435-1, dénoncé par nos familles en lutte en tant que permis de tuer (2), les agents peuvent faire feu à la condition première de répondre à une « absolue nécessité et de manière strictement proportionnée ».

Mais en aucun cas l’interpellation d’Angelo ne nécessitait ce déchaînement de violence armée, comme en témoignent nos proches présents sur les lieux. Un procès doit avoir lieu pour que soient publiquement examinés les faits. Nous avons donc formé un pourvoi en cassation, car notre parole de Voyageuses et de Voyageurs compte. Nos vies de discriminé.es comptent. Nous menons notre combat, dans la force et la dignité de nos liens avec toutes celles et tous ceux qui luttent pour leurs mort.es, pour leurs blessé.es, avec les exilé.es, les précarisées, les racisé.es, les humilié.es, les invisibles, pour l’égalité réelle, pour nos enfants, qui ne doivent pas grandir dans cette société-là sans nous voir combattre tant qu’il le faudra son injustice. Seules nos solidarités pourront en venir à bout.

Angelo était ce Voyageur âgé de 37 ans. Il était cet homme solaire que nous aimions. Il était ce père, et récemment grand-père, ce fils, ce frère, oncle, cousin, ami…Il n’avait pas regagné la prison de Vivonne où il était détenu pour des faits de vol. Après une journée de permission de sortie familiale, il avait choisi de rester auprès des siens, de ses parents gravement malades, de ses enfants. Cela faisait-il de lui un homme à abattre six mois plus tard en guise d’interpellation ? Était-il nécessaire et proportionné de lui envoyer l’antenne du GIGN ? Était-il absolument nécessaire et strictement proportionné que ces gendarmes surentraînés, surarmés, en tenues d’as-saut, se précipitent sans négociation à l’intérieur de la grange où un bruit avait trahi sa présence, pour aussitôt le cribler de balles ? Les deux tireurs ont prétendu avoir agi en légitime défense, selon un déroulement invraisemblable formellement démenti par les témoins de notre famille. Les décisions rendues reconnaissent que les deux mis en examen pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » ont bien com-mis les faits. Ils ont tué Angelo mais ce ne serait pas un crime. Ils n’en seraient pas pénalement responsables, et il n’y aurait pas lieu d’en juger dans le cadre d’un vrai procès public.
Pourtant des contradictions existent entre leurs deux récits, et ceux de leurs trois collègues présents avec eux dans la remise. Mais tous s’accordent, en complicité, à prétendre qu’Angelo aurait sorti un couteau et furieuse-ment résisté à son interpellation à mains nues ; puis à plusieurs tirs de pistolet à impulsion électrique ; puis aux premières balles. Un dernier tir ayant eu raison d’Angelo, il se serait écroulé en avant, mortellement touché. Alors le tireur déclare l’avoir d’abord menotté, puis détaché et repositionné sur le dos. L’enquête s’appuie dès lors sur une scène modifiée. Le fameux couteau est retrouvé dans le prolongement du bras droit d’Angelo, alors que son corps a été disposé ainsi par l’un de ses deux tueurs. Angelo est torse nu, alors qu’à son entrée dans la remise, il était revêtu non seulement de son pantalon de jogging, mais aussi d’un tee-shirt, jamais retrouvé ni même évoqué dans le procès-verbal.
Nous attendons peu de l’institution judiciaire. En tant que famille du Voyage, nous avons toujours eu à en souffrir et à nous en méfier. Nous savons tout du théâtre des tribunaux, des procédures et des jugements expéditifs réservés aux pauvres et aux discriminé.es. Angelo comme tant d’autres en a fait les frais toute son existence. Que ce soit dans les médias relayant la thèse de la légitime défense, que le procureur de Blois a toujours privilégiée tout en déclarant vouloir « faire la lumière » ; que ce soit dans ses réquisitions, ou dans l’ordonnance puis l’arrêt de non-lieu à poursuivre les tueurs, il y a toujours eu lieu de mettre en avant le casier du mort, et même de lui reprocher des faits non avérés, dont il ne peut plus se défendre.
Deux ans après, seule la parole des deux tueurs assermentés est tenue pour vraie par la justice. Face à eux, notre appartenance à la « communauté des gens du voyage » est sans cesse rappelée, pour justifier le dispositif dis-proportionné utilisé contre nous le 30 mars 2017, souligner la supposée dangerosité ayant valu à Angelo d’être tué, et disqualifier les témoins de notre famille. De nos déclarations ne sont retenues que des bribes déformées, interprétées à charge, jusqu’à en déduire que notre Angelo aurait été une personne déprimée voire suicidaire, ayant préféré la mort à l’interpellation. On se moque de nous dans ces écrits, ces décisions de papier, rendues dans un bureau puis à huis-clos, qui nous bâillonnent pour ne pas nous laisser dire en personnes ce qui s’est vraiment passé. À travers notre pourvoi en cassation, nous maintenons qu’un vrai procès public doit avoir lieu, même si ce sera toujours celui du « gitan en cavale », avant celui de ses bourreaux. C’est le moins qui nous soit dû, ainsi qu’à l’ensemble de la société. Nous exigeons la justice et nous crions la vérité car ce que nous savons, il est de notre devoir de le faire connaître et reconnaître. Nous réaffirmerons haut et fort la nécessité humaine et politique de notre combat. Plus les institutions étalent leur mépris, et plus cette nécessité est démontrée. Plus la vérité reste recouverte d’un non-lieu, et plus il y a lieu de la révéler à toutes et tous. Plus l’État nous refuse le procès auquel nous avons droit, et plus nous sommes en droit de mettre en procès ses institutions protectrices d’un ordre injuste, inégalitaire, faussement démocratique.

Henri Lenfant, même scénario, « même justice » ? (3)

Le 28 septembre 2018, les gendarmes de l’antenne du GIGN de Reims étaient en embuscade, vers 3 h du matin, près d’un camp de gens du voyage à Fouquières-les-Lens dans le Pas-de-Calais. Ils voulaient arrêter Henri dont la caravane se trouve dans ce camp et qui était soupçonné de vol dans un camion. Henri est arrivé et, alors que sa voiture était à l’arrêt, un gendarme lui a tiré, à bout portant ou presque, une balle dans la nuque. Henri n’avait aucune arme. Il n’avait pas encore 23 ans et était père de 2 petites filles de 3 et 5 ans. Henri était autoentrepreneur en récupération de ferraille. Il aimait la mécanique. Tout le monde se souvient de lui comme une personne agréable, très attentionnée et soucieuse des autres. Il était très attaché à sa famille et à ses enfants.
Réveillés par le bruit, la famille de Henri, son père et sa compagne ont voulu s’approcher pour savoir qui était le blessé qu’ils entrevoyaient. Ils ont été repoussés, menacés par des chiens policiers et par les fusils des gendarmes, cibles laser pointées sur leur corps. Les autorités leur ont caché le plus possible la vérité et ce n’est qu’à 10 h du matin et par le journal local que la famille a appris la mort d’Henri. Le gendarme a été placé sous contrôle judiciaire et mis en examen pour « violence ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Mais comment peut-on tirer à bout portant dans la nuque sans intention de donner la mort ? En réalité, tout semble bien indiquer qu’il s’agit d’un meurtre.
Les gendarmes et les autorités vont ensuite faire tout ce qu’ils peuvent pour que l’affaire fasse le moins de bruit possible. Comme après chaque drame semblable, ils vont salir la victime dans les médias. Un procureur va rapidement recevoir le père et la veuve de Henri, mais dans le but de les endormir ; cela se déroulera dans un petit bureau agréablement décoré, et il leur dira qu’il leur parle comme le ferait un père de famille et qu’ils n’ont pas à s’inquiéter : ce gendarme serait condamné. Quand, en mi-janvier, ils déposeront le parcours pour une manifestation à Béthune, le maire et le sous-préfet vont les harceler au téléphone, utilisant tous les arguments possibles pour les amener à annuler la manif. Mais ils ont tenu bon : la manif a bien eu lieu et la famille, ses amis, ses soutiens y ont crié, avec toute la colère et la force calme longtemps retenue, qu’ils veulent obtenir toute la vérité et qu’un procès d’assises ait lieu. Henri n’avait jamais été signalé comme violent. En réalité, quand il s’agit d’intervenir contre les gens du voyage, c’est comme quand il s’agit de le faire dans les quartiers populaires, surtout si ce sont des noirs ou des arabes ou des gitans qui sont visés : on part de l’a priori que ces gens seraient dangereux et on déclenche les grands moyens (ici l’antenne du GIGN) avec, à la clé, des violences policières et même des meurtres policiers.

Conclusion commune aux deux affaires

Nous ne sommes pas des victimes-nées, ni des délinquants génétiques, et encore moins des cobayes. Nos terrains en campagne, nos quartiers populaires en ville, ne doivent plus servir de laboratoires aux créateurs et profiteurs de nos misères, ni de zones d’entraînements pour « forces spéciales » militaires ou policières, envoyées ensuite contenir nos colères. Nous le disons depuis le début, tout le monde est concerné : cette violence d’État expérimentée de longue date sur les discriminé.es est faite pour s’étendre à la répression des mouvements sociaux, des ZAD, des gilets jaunes, avec une férocité croissante, dans le même déni médiatique, politique et judiciaire.

Notes :
1 – En partie, tirées d’un texte d’appel écrit par le comité Justice pour Angelo qui a organisé une manifestation le 30 mars dernier à Blois.
2 - L’article L435-1 (du 28 février 2017) étend la possibilité pour les membres des forces de l’« ordre » de faire usage de leurs armes, dans certaines conditions.
3 – D’après un texte écrit par la famille pour appeler à une manifestation à Béthune le samedi 19 janvier 2019.

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