Courant Alternatif n° 310 mai 2021
dimanche 9 mai 2021, par
En proie à des attaques incessantes depuis une trentaine d’années, les foyers sont actuellement en pleine restructuration. Ils sont progressivement transformés en « résidences sociales », ce qui change beaucoup de choses. De fait, les attaques dont ils sont victimes sont à relier à l’ensemble des attaques contre l’immigration.
Pour expliquer ce qui se passe, je vais reprendre l’exemple du foyer des Ardoines à Vitry sur Seine, pas parce que ce foyer est historiquement connu, nos lecteurs les plus anciens se rappellent certainement de l’affaire du bulldozer de Vitry, quand le PCF s’était opposé à la construction du foyer à coup de bulldozers en décembre 80 [1], mais parce que les résidents s’opposent à leur relogement en « résidence sociale »et que leurs revendications sont très claires. Cet article est rédigé en avril, mois qui a été fixé pour leur déménagement vers une « résidence sociale ». Les citations proviennent du tract des résidents.
Tous ne sont pas relogés, et c’est le premier problème. En effet, les lits se transmettent familialement. Il y a des remplaçants qui paient les lits des membres de leurs familles partis à la retraite. C’est une pratique qui s’est imposée petit à petit et qu’on peut aujourd’hui considérer comme un acquis informel. Or, bien sûr, ces remplacements ne sont pas reconnus par l’organisme qui se réserve le droit de choisir les occupants (mais qui en attendant encaisse quand même les loyers !). Le relogement de ces « remplaçants » n’est pas prévu. De même que celui de ceux qui sont provisoirement coincés chez eux du fait de la situation mondiale. C’est une revendication aussi vieille que les luttes autour du relogement.
Comme le dénonce le tract des résidents, les « résidences sociales » sont un véritable racket : 450€ pour 15m2 là où le prix moyen du logement par mètre carré (en logement social) est de 6,89€. Le tout pour ne même pas bénéficier des droits d’un locataire.
Le tout aussi alors que l’entretien laisse souvent à désirer comme l’énoncent en creux les revendications : « fourniture des services contractuellement à la charge d’Adef, chauffage, eau chaude, ventilation salubre, numéro d’astreinte pour corriger les pannes de courant ou d’ascenseur, sécurisation ».
C’est une revendication récurrente des foyers en luttes depuis longtemps, revendication qui concerne tous ceux qui sont logés en meublés ou en hôtels. Les résidents n’ont qu’une seule clef et un seul badge, et les gestionnaires se permettent d’entrer faire des vérifications dans leurs chambres sans leur autorisation ni mandat d’un juge. D’où la revendication du « droit à une vie privée égal à ceux dont jouissent les locataires ». Et les résidents poursuivent : « droit d’héberger qui on veut, pour le temps qu’il faut pour que la personne puisse faire une demande de logement en son nom ; ceci concerne notamment les nombreux hébergés « sans papiers » dans le foyer ». C’est là un des nœuds du problème. Sous couvert de rénovation de foyers effectivement insalubres et surpeuplés, c’est un véritable contrôle policier qui est instauré, et c’est un objectif officiel de la politique de rénovation des logements des foyers immigrés.
Peu de gens ont suivi et se souviennent du rapport Cuq, rapport parlementaire qui dénonçait les foyers immigrés comme des zones de non-droit et préconisait leur destruction dès 1996 et qui posait la première pierre d’une politique officielle jamais démentie depuis. Henri Cuq était un député RPR des Yvelines, ancien flic et RG, qui s’est aussi illustré depuis par un rapport sur la délinquance des mineurs en 2001 pas piqué des hannetons non plus. Le malheureux est mort en 2010 et n’a donc pas pu voter la loi sur le séparatisme, loi qui l’aurait comblé, lui qui dénonçait les foyers comme lieux de trafics en tous genres favorisés par un communautarisme mafieux.
Les nouveaux contrats interdisent de s’absenter sur une longue durée. Or souvent les travailleurs immigrés africains ou maghrébins cumulent leurs congés sur plusieurs années (ou prennent des congés sans solde) pour partir 4 ou 5 mois dans leur famille.
Évidemment, dans ces « résidences sociales », finis les commerces informels et notamment les cantines bon marché. Loin de trafics mafieux, les foyers étaient un lieu où on était sûr de manger bon marché, où on pouvait à toute heure se dépanner en dentifrice, savon, cigarettes, où on pouvait prendre un café et manger du maïs grillé... Ouverts toute l’année et sur une grande amplitude horaire, ils faisaient un peu fonction de restos du cœur et d’épiceries sociales, et servaient de mosquée pour le quartier.
Mais surtout, plus d’espaces collectifs autogérés. La cuisine collective permet de manger à ceux des résidents qui n’ont pas de revenu, d’autres se cotisant pour eux. Les salles communes servent de salles de prières, mais permettent aussi la tenue des réunions villageoises qui financent les projets de développement au pays, ou de n’importe quelles autres réunions, associatives ou familiales. Les foyers sont en effet aussi un repère et un lieu de rencontres pour les familles qui vivent dans des appartements.
Oh, il y a toujours des salles polyvalentes. Mais insuffisantes, pas de salles de prières, et surtout gérées par le gestionnaire à qui il faut demander la clef et rendre des comptes. D’où une autre revendication : « Il faut que le comité de résidents puisse jouer son rôle de coordonnateur de cette vie collective par des conventions renouvelables permettant au comité de disposer des clefs des salles et d’en ordonner l’usage. » En effet, les travailleurs immigrés ont acquis avec des décennies de lutte sur le logement une organisation collective que bien des français·e·s pourraient leur envier. Ils élisent des comités de résidents qui sont réellement représentatifs à la différence des associations de locataires souvent peu connues et mal implantées. Ils ont l’habitude de gérer collectivement les différents aspects et soucis d’une vie quotidienne dans des bâtiments dont les habitants se comptent souvent par centaines.
Ce sont cette vie collective et la solidarité matérielle qu’elle permet qui sont dénoncées comme du communautarisme autrefois, du séparatisme aujourd’hui. Ce sont elles qui sont dénoncées comme des zones de non-droit. Pouvons-nous accepter sans rien dire qu’on enferme les immigrés qui ont laissé leur famille au pays dans des logements-prisons, qu’on leur interdise toute vie sociale ? Loin de se résumer à des ghettos, ces foyers sont aussi des lieux de solidarité ouvrière dont nous aurions à apprendre. Et c’est en tant que lieux de solidarité qu’ils sont attaqués.
À Vitry, pour le moment, la situation est bloquée. Le gestionnaire, ADEF, et la préfecture refusent de négocier quoi que ce soit. Non seulement ils refusent la titularisation des remplaçants, mais par des expulsions ils ont fait tomber en 5 mois le nombre « d’officiels » de 516 à 454. Ils refusent toute dérogation à leur règlement intérieur, tout droit de regard des résidents sur le « restaurant social », etc. Ces derniers, avec ou sans papiers, ayant droit au relogement, remplaçants ou hébergés, restent unis pour refuser le déménagement. Un piquet permanent devant le foyer empêche les camions de déménagement de pénétrer (mais ceux qui veulent aller dans la nouvelle résidence le peuvent). Une manifestation sur le double thème du logement et des papiers a réuni pas loin d’un millier de personnes à Vitry le samedi 24 avril, ce qui est très bien pour une ville de banlieue. Ils ont même obtenu le soutien (du bout des lèvres) de la mairie. Il va maintenant falloir tenir longtemps pour obliger les autorités à céder.
Sylvie
[1] Pour un rappel de cet événement : https://94.citoyens.com/2020/il-y-a...,24-12-2020.html