vendredi 6 mars 2009, par
Depuis deux mois, Madagascar connaît une tension sociale qui s’est déjà traduite par des centaines de morts et de blessés civils de tous âges et sexes, et que les médias expliquent souvent par la concurrence carriériste sinon l’incompatibilité d’humeur entre le président de la République Ravalomanana et le maire destitué d’Antananarivo Rajoelina. Une façon commode mais pour le moins grossière de masquer des causes autrement importantes, comme le lourd passé colonial de l’île et les règles du jeu imposées par le capitalisme dans les échanges économiques internationaux.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Royaume-Uni a pris possession de Madagascar, qui appartenait à la France depuis 1896, pour la remettre – vu les circonstances et les alliances – à la France libre en 1943. Après l’insurrection déclenchée par le Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM) en 1947 et sa répression aussi féroce qu’arbitraire par les autorités françaises (celles-ci reconnaissent officiellement 89 000 morts), l’île est devenue un territoire d’outre-mer jusqu’au 26 juin 1960, jour où elle a enfin obtenu son indépendance. Mais l’enseignant Tsiranana, qui a été le premier Président de la République autonome, a maintenu une dépendance si évidente par rapport à l’ancienne métropole (entre autres par la présence de techniciens français dans tous les rouages de l’administration et de l’économie) que le mécontentement contre son régime a grandi avec la misère, provoquant des explosions sociales (sévèrement matées) en 1971 et 1972. Ses successeurs ont veillé à ce que la situation néocoloniale du pays saute moins aux yeux sans que les intérêts de la France s’en trouvent pour autant affectés ; et ils ne se sont guère distingués entre eux, entre 1972 et 2002, que par la couleur de leur uniforme (général Ramanatsoa, colonel de gendarmerie Ratsimandrava, capitaine de frégate Ratsiraka…).
A Madagascar comme dans bien d’autres ex-colonies, la pratique du pouvoir consiste en effet à s’enrichir par l’entretien de la corruption dans l’administration, la restriction des « libertés démocratiques » et l’usage de la force publique contre la contestation sociale. De quoi détruire le moindre espoir de changement social, alors que l’horizon est déjà complètement bouché par les méfaits de l’organisation mondiale capitaliste : dans cette île pourtant vantée comme unique pour la richesse de ses ressources naturelles, qui autorise toutes les cultures vivrières, et où la population, aux trois quarts rurale, offre une main-d’œuvre jeune et abondante, il règne une extrême pauvreté… et l’« insécurité alimentaire » ne cesse de grandir.
Même l’épisode Ratsiraka, chef d’Etat et de gouvernement à partir de 1975, avec sa Charte de la Révolution socialiste et son parti Avant-garde de la Révolution malgache (Arema), n’est pas sorti du terrain balisé corruption-répression. Après un début de mandat où il a mis fin à la présence militaire française et contrôlé les échanges vers l’extérieur, il a dérivé vers un ultralibéralisme dont les effets ont une fois de plus entraîné des soulèvements contre le pouvoir ; et il y a répondu comme d’habitude, en lâchant les militaires contre les manifestant-e-s, avec pour conséquence de nombreuses victimes. Enfin, quand il a perdu aux élections de 2002 contre le richissime homme d’affaires Marc Ravalomanana, il a quitté l’île pour la France avec semble-t-il des comptes en banque bien garnis.
Ces élections de 2002 qui ont donc amené au pouvoir l’actuel Président se sont elles aussi déroulées selon les méthodes courantes de la classe politique insulaire. Ravalomanana, maire d’Antananarivo, a affirmé avoir gagné la présidentielle dès le premier tour… sur la base de procès-verbaux que des hommes à lui étaient allés chercher avec ses hélicoptères personnels partout dans l’île. Et comme Ratsiraka s’ingéniait à imposer un second tour et décrétait une modification à 80 % de la haute cour constitutionnelle chargée de valider le résultat des élections, Ravalomanana s’est autoproclamé président de la République. Son adversaire a riposté en érigeant des barrages routiers pour asphyxier la capitale, ce qui a paralysé le pays – et permis déjà aux médias d’attribuer l’extrême pauvreté de sa population à ces péripéties électorales. La période de tension n’a pris fin que quand l’ancienne haute cour a déclaré Ravalomanana vainqueur dès le premier tour avec 51 % des voix contre 44 %.
Bref rappel des événements récents
Devenu au fil des ans très impopulaire, Ravalomanana n’est sans doute resté au pouvoir que parce qu’il ne tolère aucune opposition – Ratsiraka et ses proches menant campagne contre lui depuis la France. En même temps qu’il s’employait activement à accaparer les richesses de l’île, le Président y a en effet supprimé toutes les libertés publiques, allant jusqu’à l’emprisonnement ou à l’élimination physique de ses ennemis (voir encadré 1).
C’est pourquoi l’arrivée sur la scène politique du jeune mais lui aussi très riche maire d’Antananarivo, Andry Rajoelina – surnommé TGV pour son caractère fonceur –, lui déplaît autant. Aux municipales de décembre 2007, Rajoelina l’ayant emporté avec 63 % des voix contre le candidat du parti présidentiel, Ravalomanana confisque en représailles les recettes prévues pour l’assainissement de la ville, et le nouveau maire se trouve confronté à des dettes colossales. Les ordures ne sont ainsi pas ramassées pendant des semaines du fait du non-paiement du carburant des camions-bennes…
Les relations dégénèrent vraiment entre les deux hommes avec la décision présidentielle de fermer la chaîne de radiotélé Viva appartenant à Rajoelina, le 13 décembre 2008 (sous le prétexte qu’elle a diffusé des propos de Ratsiraka « susceptibles de troubler l’ordre et la sécurité publiques »). Le même jour, Rajoelina demande la réouverture de sa radio, et rassemble autour d’une « plate-forme pour la démocratie » partis, syndicats et associations. Il attaque férocement le chef de l’Etat, procédant à un grand déballage des affaires publiques, et se fait l’écho de la misère sociale, ce qui le rend populaire. Le journal La Vérité et Madagate.com deviennent les porte-parole d’une « révolution orange » à la malgache servant à accréditer, notamment aux yeux de l’étranger, la légitimité de l’action menée par Rajoelina. Celui-ci invite alors la population à l’inauguration d’une place de la Démocratie à Antananarivo le 17 janvier 2009. 40 000 personnes y participeront.
Le bras de fer des deux politiciens se durcit le 26 janvier : des milliers de personnes se rassemblent au nouvel appel de Rajoelina (qui s’est déclaré deux jours auparavant prêt à assurer un gouvernement de transition). Son discours enflammé contre le régime (« Le pouvoir appartient au peuple, il peut se l’accaparer… ») va trouver une immédiate traduction concrète dans l’incendie de magasins Tiko et d’autres sociétés appartenant au Président après que leurs stocks de riz, cahiers et bouteilles d’huile ont été emportés par la population. Mais les locaux des investisseurs étrangers ne sont pas davantage épargnés : un certain nombre partent en fumée une fois dévalisés – et il en va de même pour le siège de la radio nationale. Puis des affrontements ont lieu devant MBS, la télé privée de Ravalomanana, où les mercenaires qui en défendent l’accès tuent par balles un adolescent (les forces de l’ordre sont, elles, invisibles). Le Président rentre vite d’Afrique du Sud où il s’était rendu à un sommet ; accueilli à l’aéroport par des milliers de gens et la majorité de ses ministres, il accuse Rajoelina d’avoir lancé un « appel à la révolte et la désobéissance civile » relevant du coup d’Etat.
Les jours suivants, émeutes et pillages continuent (avec 68 morts dans le pays en une semaine, selon la gendarmerie), et la contestation que cherche à cadrer Rajoelina prend une soudaine ampleur. « Les émeutiers ne sont pas des partisans [du maire, mais] des bandes organisées, une armée de crève-la-faim, explique le rédacteur en chef de L’Express de Madagascar sur Afrik.com le 28 janvier. […] C’est une explosion sociale. […] Les conditions sociales se sont dégradées : les revenus sont très bas, les soins médicaux et les frais de scolarité coûtent très cher. [En face,] Rajoelina souhaite la revente de l’avion présidentiel Force One, qui a coûté 68 milliards de dollars, pour acheter des vivres à la population. Il veut également que le contrat entre l’Etat et la compagnie sud-coréenne Daewoo Logistics (voir encadré 2), sur l’octroi de 1,3 million de terres arables pour un bail de quatre-vingt-dix-neuf ans, soit rompu. Il considère que ces terres doivent revenir à la population malgache. »
Le 31, Rajoelina s’autoproclame « en charge » de la République malgache et décrète que ministères, écoles, commerces et entreprises doivent être fermés le 2 février. En fait, il n’est pas tellement suivi ce jour-là, car même les écoles, désertées depuis une semaine, rouvrent, et quelques milliers de personnes seulement viennent au rendez-vous qu’il a fixé. Il n’en annonce pas moins qu’il va déposer auprès de la haute cour une demande de destitution concernant Ravalomanana, et que si celle-ci n’aboutit pas, il attend de ses partisans qu’ils marchent avec lui sur le palais présidentiel pour y prendre le pouvoir.
Le lendemain, le ministre de l’Intérieur le démet de ses fonctions municipales (pour « manquement dans la conduite de sa mission […] par exemple en ce qui concerne la gestion des ordures » [!])… au profit d’un administrateur provisoire recruté parmi les propres conseillers de Rajoelina (!!).
Celui-ci riposte en déclarant à la foule très nombreuse venue le soutenir sur la place du 13-Mai, le 7 février, qu’il prend la tête d’une « haute autorité de transition » ; puis il passe la parole à son « Premier ministre » Roindefo. Ce dernier termine son allocution sur la nécessité pour exercer ses nouvelles fonctions d’avoir un bureau, en interrogeant son auditoire sur l’endroit où celui-ci pourrait se trouver. Réponse : le palais d’Etat. Et les gens de se diriger vers ce palais, les mains nues et l’esprit en fête… pour s’y faire massacrer. Car si les cordons de police et militaires les laissent passer, des membres du régiment des forces d’intervention (paraît-il) planqués dans le palais et l’hôtel voisin leur tirent dessus sans sommation. Bilan : au moins 28 mort-e-s et 212 blessé-e-s, parmi lesquels beaucoup d’enfants. Ensuite, tandis que les hôpitaux et morgues débordent, Ravalomanana menace à la radio : « Il est temps de faire des efforts pour restaurer la paix. Réfléchissez, vous aurez aussi des descendants… » ; quant à Rajoelina, après un hommage aux victimes, il tombe en pleurs en affirmant que c’est là l’œuvre de satan !
Depuis, la tension est palpable, même si la population est encore sous le choc de ces assassinats – avec une inquiétude croissante devant la hausse incessante des prix dans l’alimentation (y compris au marché noir) et en toile de fond le couvre-feu instauré il y a trois semaines. Rajoelina a affirmé : « La lutte continue », et il exige toujours le départ de Ravalomanana – qui refuse, bien sûr. Le 14, leurs partisans respectifs se sont rassemblés à Antananarivo dans deux lieux distincts mais à peine distants d’un kilomètre (plus de 30 000 en faveur du Président, selon l’AFP). Après quoi, des pourparlers ont été entamés entre leurs représentants, sous l’égide du Conseil des églises chrétiennes de Madagascar et avec l’appui d’émissaires des Nations unies, de l’Organisation de l’unité africaine et de la Commission de l’océan Indien. Ils sont restés dans l’impasse.
Rajoelina avait résolu de marcher sur les ministères le lundi 16 – comme son adversaire lors des élections de 2002 –, mais des avertissements émis par les autorités via les médias l’y ont fait renoncer (les bureaux administratifs se trouvent dans une « zone rouge » où aucune sommation n’est requise, a ainsi précisé le préfet). 10 000 personnes se sont néanmoins rassemblées sur la place du 13-Mai ce jour-là et ont affronté les forces de l’ordre en leur lançant des pierres, tandis que celles-ci répliquaient par des tirs de sommation (toujours selon l’AFP).
A l’heure où ce texte est écrit, on en est là.
Le poids des classes sociales et des relations internationales
Un ami français qui se rend souvent dans une petite ville du Sud-Est « ancien fleuron du colonialisme » remarque que les gens y « regrettent cette époque qui assurait l’école, la santé, du travail… Quel paradoxe ! » ; l’association pour laquelle il travaille accueille, soutient et accompagne des femmes abandonnées, prostituées ou mères célibataires (ce qui, précise-t-il, concerne « 60 % des gamines malgaches de 16 ans »). Et si Rajoelina s’est fait le porte-parole de toute l’opposition au régime (Ratsiraka le suivant dans l’ombre, mais sans doute bien davantage pour revenir à la tête de l’Etat malgache que pour l’y placer), mieux vaut ne pas se fier trop à la belle auréole que lui tissent les médias en général, ajoute cet ami, car à la vérité il ressemble fort à Ravalomanana : « C’est le même profil, le même moule… C’est à désespérer. »
Les points communs entre les deux adversaires sont, en effet, assez nombreux : d’abord ils sont tous deux membres de l’ethnie mérina des hauts plateaux, qui incarne depuis le xixe siècle l’aristocratie malgache et dont les familles composent largement l’élite bourgeoise (commerciale, administrative, religieuse et des professions libérales) habitant à présent les quartiers chics de la capitale. Si on aurait tort de réduire les événements en cours à une guerre entre les ethnies (il en existe dix-huit à Madagascar), on peut y voir en revanche sans difficulté un conflit entre cette bourgeoisie et la masse de gens démunis de tout – deux classes entre lesquelles existe un énorme fossé, tant culturel que matérie ; et il faut de plus prendre en compte, pour comprendre la situation, les antagonismes hérités de la décolonisation, cette période encore très proche où nationalistes et tenants du pouvoir colonial se sont affrontés. Par ailleurs, Rajoelina comme Ravalomanana sont partis de rien pour monter des fortunes et connaissent assez le poids des médias pour en avoir vite acquis (Rajoelina ayant également créé la première société d’impression numérique et de panneaux publicitaires Injet). Enfin, tous deux ont fait de la mairie d’Antananarivo le tremplin pour accéder aux plus hautes fonctions – et cherchent à l’heure actuelle une légitimité dans la rue.
Le mécontentement général sur lequel surfe Rajoelina a été engendré par une dégradation des conditions de vie et de santé à laquelle la mainmise présidentielle sur le pays a, certes, pas mal contribué ; sa pratique du protectionnisme pour éviter qu’on lui fasse concurrence maintient par exemple les produits de première nécessité à un prix élevé. Mais la crise économique mondiale a joué bien davantage dans cette paupérisation, en entraînant notamment, avec la baisse considérable des exportations et du cours des matières premières ou la fermeture des chantiers miniers, le développement du chômage…
Résultat de toutes ces opérations capitalistico-politiciennes : selon l’agence de l’ONU en charge de l’aide alimentaire d’urgence, au moins 70 % des Malgaches vivent présentement en dessous du seuil de pauvreté (le Fonds alimentaire mondial en assiste 3,5 %), et « plus de la moitié des enfants de moins de trois ans souffre d’un retard de croissance dû à un régime alimentaire chroniquement inadapté ». L’espérance de vie tourne dans l’île autour de 50 ans, et le salaire mensuel moyen y est inférieur à 30 euros.
Madagascar est très dépendante des investisseurs étrangers. Au cours de 2007, le Canada a remplacé la France en tête des Etats y intervenant, grâce à l’accroissement de 800 % des investissements directs qu’y a effectués son secteur privé ; la Corée du Sud et la Chine y sont aussi de plus en plus présentes dans la recherche pétrolière, l’agriculture et les travaux publics. Depuis quelques années, l’île suscite vraiment la convoitise des grands groupes internationaux, en particulier pour son sous-sol très riche en nickel et en uranium ainsi que pour sa main-d’œuvre très bon marché…
… mais ces groupes apprécient fort peu les tensions sociales, on le sait. C’est pourquoi les organismes internationaux montrent autant de réticence à un changement de régime imposé par la rue – mieux vaut la stabilité d’une dictature qu’une telle anarchie, pour commercer à l’aise, pas vrai ? Dès le début de la guerre des chefs en cours, le secrétaire général des Nations unies Bank-moon comme le Président tanzanien de l’OUA Tikwete ont déclaré qu’il fallait surmonter les conflits par des moyens pacifiques et par le biais des mécanismes constitutionnels en place ; puis le sous-secrétaire aux affaires politiques de l’ONU est passé voir dans l’île « ce que les Nations unies pourraient faire pour aider à prévenir les violences et contribuer au retour de la paix et de la stabilité ».
L’étalage sur la place publique des « bons plans » présidentiels, en décembre dernier, a certes (d’après RFI) forcé la Banque mondiale et le Fonds monétaire international à adresser une lettre au Président – pour lui demander des explications tant sur le financement de son Boeing que sur la loi exonérant sa société Tiko de la TVA et des taxes à l’importation sur l’huile végétale ; mais ces institutions ont pris ensuite, pour sanctionner une réponse jugée insatisfaisante, la décision de geler l’aide de 35 millions de dollars accordée à… Madagascar. Voilà qui devrait améliorer le quotidien de sa population. Néanmoins, la répression sanglante du 7 février a incité la « communauté internationale » à marquer davantage ses distances par rapport à Ravalomanana – l’ONU demandant au gouvernement malgache de traduire en justice les responsables de cette répression. Ça ne mange pas de pain, à défaut d’en donner.
Le directeur financier Daewoo Logistics reconnaissait récemment, d’après allAfrica.com : « Nous avons de graves difficultés à Madagascar. Le projet se déroulait correctement, mais il a été brutalement stoppé à cause des comptes rendus des médias [qui] ont mis en colère les Malgaches car il les rend honteux de faire partie de ce qu’ils appellent un système néocolonial. » Malheureusement, il n’est pas du tout certain que l’« affaire Daewoo » s’arrête là s’il n’apparaît pas une réelle mobilisation contre ce projet. Et il n’est pas plus certain que les événements actuels débouchent sur une issue bénéfique pour la population, car celle-ci n’a guère plus à espérer de Rajoelina que de Ravalomanana (elle en est d’ailleurs pour une bonne part consciente : les manifestant-e-s ne sont pas tant pour le premier – qui s’est entouré d’une équipe de politiciens peu aimés – que contre le second).
A la vérité, fort de son accession à la présidence par les urnes et maître de l’armée, Ravalomanana pourrait rester au pouvoir même en ayant perdu toute crédibilité – il ne serait ni le premier ni sans doute le dernier. L’aura de son adversaire ne dépasse guère les limites de la capitale ; et si la répression menée le 7 février a accru la rancœur ou la haine contre le Président, Rajoelina s’est pas mal déconsidéré en envoyant au casse-pipe des tas de pauvres gens.
Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que la population malgache n’échappera pas à la situation épouvantable dans laquelle elle s’enfonce en s’en remettant à quelque « homme providentiel ».
Vanina,
le 18 février 2009
Les très « bonnes affaires » du Président
Si, en l’espace de sept ans, Ravalomanana a raflé beaucoup de ce qui pouvait l’être dans la société malgache, il avait posé les jalons pour ce faire au cours des années précédentes. Entre 1996 et 2001, par exemple, le groupe Tiko dont il est propriétaire bénéficiait déjà d’une exonération douanière offerte par le Premier ministre d’alors – un cadeau dont il a continué de jouir (Tiko Oil a également été exempté, en 2005, de la taxe qui frappait ses concurrents à hauteur de 20 % sur l’huile brute importée – et cette « aide » lui a permis de tripler son chiffre d’affaires en un an). Tiko ne payait pas davantage d’impôts, selon le site d’opposition Madagate.com – et un incendie dans les locaux de sa comptabilité a fort opportunément détruit en 2001 les dossiers qui auraient pu s’avérer compromettants. Une fois élu, Ravalomanana passe à la vitesse grand V : sa société Travaux routiers malgaches se voit attribuer tous les travaux de bitumage à Antananarivo sans qu’aucun appel d’offres soit jamais passé. En 2002, une association avec le géant sud-africain Shoprite Holding Ltd permet au Président de racheter le Prisunic de la capitale, et d’en ouvrir ensuite d’autres un peu partout dans l’île. En 2007, l’hôtel Hilton est acquis par Tiko, déjà actionnaire à hauteur de 40 % dans l’hôtel Colbert. Dans l’intervalle, bien des sociétés d’Etat sont passées sous son contrôle, certains des cadres de Tiko étant devenus directeurs financiers de ministères ; des nominations qui aident aussi beaucoup à l’achat des fournitures ministérielles chez Malagasy Grossiste (groupe Tiko), etc. Mais les moyens de s’enrichir ne s’arrêtent pas là pour le Président : toujours selon Madagate.com, des centaines de milliards de francs malgaches en billets usagés destinés à être brûlés ont été « récupérés » pour remplir ses caisses et celles de son parti, et les aides internationales comme les bourses d’études sont détournées à son profit comme à celui de ses proches ; d’après une source d’Afrik.com, les entrepreneurs désireux de percer les marchés de Ravalomanana doivent de plus lui céder une part ou un pourcentage de leur affaire – sous peine d’être interdits de séjour sur le territoire malgache ou mis en prison pour le non-paiement de la taxe exorbitante qu’il leur impose. Tiko est aujourd’hui un empire économique tout-puissant dans l’agro-alimentaire, les médias, la grande distribution, l’imprimerie, les spectacles, le BTP, l’aviation… Dernière acquisition, au nom de la République malgache et sans qu’on sache d’où provient l’argent : le fameux Boeing « Force One ».
Grande braderie de la terre pour Daewoo
Fondée en 1967 par Kim Woo-chong, l’entreprise sud-coréenne Daewoo a œuvré dans de nombreux domaines dont la construction navale, les armes, l’électroménager, les appareils électroniques et l’automobile. A la suite d’une faillite frauduleuse, elle a malgré ses appuis politiques été démantelée en 1999 par le gouvernement sud-coréen. Son ancien patron a été condamné en 2006 pour fraude et détournement de fonds… et amnistié l’an dernier. Daewoo Logistics Corporation, apparu dès 1999, se consacre d’abord au transport maritime et à la logistique de ports et d’aéroports ; après 2006, elle développe de grands projets concernant les ressources naturelles en Indonésie (plantation de maïs, huile de palme, caoutchouc et mines de charbon). Et depuis un an elle s’occupe d’agro-business à Madagascar, à travers sa filiale Madagascar Future Entreprise. En octobre 2008 éclate l’« affaire Daewoo », qui va révolter profondément une population très attachée aux terres ancestrales : The Financial Time révèle que la société coréenne vient de signer un contrat de location avec la République malgache concernant 1,3 million d’hectares – soit la moitié de ses terres cultivables ! – afin d’y cultiver des produits de première nécessité, en premier lieu le maïs, et il précise qu’elle va le faire « gratuitement ». Il apparaît vite que non seulement cet accord ne repose sur aucune contrepartie financière, mais encore que toutes les ressources alimentaires en découlant seront exportées en Corée ! Quel intérêt peut donc tirer Madagascar d’une telle opération ? A cette question qui vient aussitôt à l’esprit, il est répondu via la presse qu’elle créera des milliers d’emplois pour ses paysans ainsi que des infrastructures routières, réseaux d’irrigation et équipement pour le stockage des grains. Aujourd’hui, devant le scandale déclenché par la révélation d’un tel accord, les gouvernements malgache et coréen démentent l’exportation future de la production obtenue, mais nul n’ignore que les pays asiatiques se tournent de plus en plus vers l’Afrique pour assurer leur approvisionnement.