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Des interluttes à la croisée des chemins

vendredi 2 octobre 2009, par Courant Alternatif

Nous ne prétendons pas faire ici un tour complet des différents interluttes apparus au cours de l’année sociale écoulée. L’ambition se limite à tirer quelques conclusions, mais surtout à des remarques et à des questions issues des échanges que nous avons eu aux rencontres de cet été, et qui ne portent que sur une dizaine de points de l’hexagone ; c’est loin d’être exhaustif mais nous pensons que c’est quand même un peu représentatif et que d’autres peuvent s’y reconnaître. Nous sommes évidemment preneur d’autres témoignages et réflexions que nous publierons dans la rubrique « courrier du Web »


Des interluttes à double face

Constatant la multiplication des conflits sociaux, il s’agissait à l’origine de renouer avec des pratiques de rencontres à la base entre différents acteurs de ces luttes afin à la fois d’unir les forces et de sortir du cycle infernal des journées d’action dans lesquelles les syndicats nous enfermaient.
L’initiative est venue la plupart du temps de gens politisés, encartés ou non à l’extrême gauche ou chez les libertaires, mais qui rarement agissaient au nom de leur organisation, officiellement du moins. Dans les premières réunions le nombre des participants allait au de la centaine à quelques centaines parfois.

Une première constatation sur la composition sociale de ces interluttes :
D’abord, une bonne proportion d’étudiants ou de semi ex étudiants de ceux qui, jadis, après deux ou trois ans de fac et quelques années de précarité, entraient par un biais ou un autre aux PTT à la SNCF ou dans l’enseignement, bref dans la fonction public. Maintenant les mêmes resteront précaires beaucoup plus longtemps ! Précaires, intermittents, chômeurs, Rmistes issus souvent de classes moyennes déclassées (Rien de péjoratif là-dedans !).
Ensuite des salariés, certes, mais en moins grand nombre et presque toujours dans une frange du salariat qui recouvre en gros la fonction publique ou ex-publique : enseignement, telecom, SNCF, hospitalier…
Enfin, pratiquement jamais de « représentants » des gros bataillons du salariat industriel, celui qui pourtant a fait le plus parler de lui cet hiver et ce printemps, et dont certains issus des boîtes en lutte qui ont fait parler d’elles, ont pris des initiatives de réunions (entre sections CGT surtout), en dehors des appareils fédéraux (par exemple la réunion qui s’est tenue à Blanquefort, voire article sur la CGT)

Constat a été fait également que les interluttes ne parvenaient que peu à rassembler au-delà des mouvances libertaires et de quelques syndiqués dans les boîtes, le plus souvent proches de Sud ou du NPA. Il était très difficile de toucher les secteurs où il y avait des luttes fortes (EDF, automobile, etc.) dont les acteurs ne voyaient pas l’intérêt de venir dans un autre collectif dans la mesure où eux-mêmes se sentaient localement, sinon très forts, du moins organisés et soudés et qui n’exprimaient guère de demande de soutien.
Il fut préciser quand même que le verrouillage syndical était bien souvent trop fort pour qu’une dynamique se crée au-delà des poignées de militants généralement présents sur tous les fronts. Ce fut le cas à Saint-Nazaire où l’interlutte ce fut bel et bien l’intersyndicale qui coordonnait les luttes !

A Grenoble des camarades ont tenté d’aller dialoguer avec les Caterpillar et en sont revenus avec quelques explications concernant les difficultés à élargir les interluttes à l’ensemble du salariat en particulier industriel : « Rendez-vous compte, dans notre usine on est 2500, les licenciements concernent 700 personnes, on ne sait pas encore qui, il y a une énorme partie des gens qui ne se mobilisent pas et on a déjà du mal à faire qu’on soit plus fort à l’intérieur, comment voulez- vous qu’on se sente fort pour aller voir d’autres secteurs… ». Il y a aussi cette idée que tout ça c’est un peu des fantasmes de gauchistes… Une explication qui est loin d’être totalement fausse mais qui est largement entretenue et amplifiée par les syndicats pour empêcher toute ouverture et tout dépassement de ces obstacles… et surtout toute réflexion collective !
Enfin, et ce n’est pas là la moindre des difficultés, les rythmes de vie et de militantisme. Le milieu social dont nous parlions plus haut et qui est dominant dans ces interluttes, a tendance à ne pas compter son temps puisque n’étant pas ou peu salariés et le plus souvent jeunes. Tandis que les travailleurs et les travailleuses plus âgées et qui mènent en général une vie plus réglée ont un temps beaucoup plus limité à consacrer à des discussions souvent interminables. Par ce fait les premiers ont tendance à se transformer en révolutionnaires professionnels et les seconds à être éloignés des lieux de décision. Il y a là un problème qui est vieux comme le mouvement révolutionnaire, entre manuels et intellectuels, mais qui doit être pris en compte par tout le monde au sein des interluttes. C’est une simple question de démocratie ! Et pour dépasser ce problème il y a un élément essentiel : la grève ! Un salarié qui ne travaille plus, même pour un temps court, a plus de temps. Sans grève il ne peut y avoir de mouvement contrairement à ce que les directions syndicales tentent de nous faire croire. Et que pour que les grèves marchent, il ne faut pas qu’elles soient éparpillées comme des petits cailloux sur la route destinée à retrouver le chemin de la négociation, faisant ainsi perdre un maximum de fric, sans aucune efficacité, sans aucun plaisir lié au plaisir de s’arrêter et d’en jouir… Il faut que les journées de grèves soient regroupées, et que fric perdu pour fric perdu, elles permettent aux salariés de vivre autre chose, de se sortir du cycle infernal de la journée de travail et du repos. Générale, sans doute mais surtout reconductible !

Entre les deux pôles évoqués là, il y a aussi une question de compréhension entre les désirs des uns et les revendications des autres. Il y a réellement là une question d’écoute à respecter et à mettre en place. Des camarades de Grenoble ont commencé à essayer d’entamer des dialogues dans le cadre de ce qu’ils appellent « enquête ouvrière ». Il s’agit tout simplement d’essayer de se parler, et ça marche parfois : on découvre alors souvent un autre discours moins convenu, plus global, moins « corporatiste ».

Une autre difficulté fréquemment rencontrée, à l’intérieur d’interlutte cette fois, est le décalage entre une frange « radicalisée » — la « Totoland » (1) pour faire court — et une frange de gens, d’ailleurs souvent majoritaires, ne se situant ni dans le camps anar/radical ni dans celui de la social-démocratie.
Les premiers sont issus directement de plusieurs années de luttes, d’un milieu essentiellement étudiant puis précaire qui s’est radicalisé, et qui estiment (pour faire vite) qu’il n’est pas besoin de revendications, qu’ils ne se définissent plus comme étudiant, chômeurs ou autre et qui se sentent suffisamment nombreux pour pourvoir agir de manière autonome sans se poser la question du rapport avec celles et ceux qui n’ont pas encore suivi leur cheminement. L’idée, c’est que « les autres viendront avec nous s’ils le désirent sinon, tant pis ».
Evidemment cela a entraîné des situations pour le moins compliquées et parfois inacceptables.

On se rappelle l’exemple de St-Nazaire où, lors d’une manifestation contre la répression, le 19 mars, les affrontements ne furent pas une réaction collective face à la violence policière mais un choix déterminé et préparé de quelques dizaines de personnes que nous qualifiions de « hors sol » et qui « évoque une sorte de nouvelle avant-garde armée du prolétariat, qui importe sa bonne parole et sa violence exemplaires indépendamment des contextes locaux, au mépris, par méconnaissance ou par suffisance, des dynamiques et des luttes qui s’y déroulent. » (voir http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article543 et débat qui s’en est suivi.)

A Toulouse, le 11 mars, c’est une autoréduction qui tourne vinaigre suite aux agissements non décidés collectivement de cette mouvance. Un blessé grave et des arrestations. A la suite de cela, interlutte se prend une réputation d’ « autonome » et une partie des participants désertent : celles et ceux qui y trouvaient un espace radical respirable qui ne soit ni syndicaliste ni insurrectionnaliste… et qui étaient parvenus à dessiner un espace entre les deux.
A Grenoble aussi on constate que cette mouvance a l’impression qu’elle occupe une place de plus en plus importante, à tel point qu’interlutte est estampillé encore là « toto-anar », si bien que des gens qui ne se considèrent pas comme aussi radicaux se sentent hors-jeu, le disent ou s’en vont.

S’il convient de critiquer ces orientations et ces comportements en ce qu’ils ont de réellement avant-gardistes (alors que théoriquement les militants qui les pratiquent sont contre toute forme d’avant-gardisme) on doit aussi constater que l’émergence de cette mouvance est aussi un signe d’élargissement de la politisation et de la radicalité liés aux mouvements de ces dernières années.
Aspects par conséquent positif mais…. A condition que cette radicalité ne laisse pas penser qu’elle est suffisamment ample et partagée pour exister de manière autonome, alors qu’en réalité, ne l’est pas assez pour peser d’un poids significatif et surtout dynamique, dans la société.
Dans le cas contraire il y a tendance à s’isoler, volontairement parfois, jusqu’à friser l’élitisme, involontairement souvent, en imprimant son propre rythme et ses propres objectifs aux assemblées ou aux rassemblements.

(1) Tout en étant conscient qu’il est difficile de classer une mouvance de ce genre sous une seule appellation et, qu’en plus, une de ses caractéristiques est le refus d’être classés nous faisons allusion là à ce qui tourne autour de l’insurrectionnalisme, de l’ « Appel » à de « l’insurrection qui vient ».

Le besoin de référence et d’accroche politique, de débouché politique

La conclusion de tout ce qui précède peut paraître aux plus pessimistes sans appel : les interluttes n’ont jamais été des lieux réellement d’échanges et de coordination des luttes, du moins des luttes les plus diverses. Jamais non plus, évidemment, ils n’ont permis que soit brisé le cycle infernal des journées d’action afin que nous ne soyons pas menés par le bout du nez et que nous puissions reprendre l’initiative. Mais ce n’est pas parce que cela n’a pas marché qu’il faut renoncer… tout cela est encore embryonnaire.

Et puis il y a, pensons-nous une autre manière de voir les choses qui laissent, elle, place à un optimisme mesuré. C’est la multiplication des désirs de politique et dont, à notre avis, les interluttes furent un signe parmi d’autres.

Depuis 1995, dans les entreprises et suite aux échecs successifs, l’idée selon laquelle l’union, le « tous ensemble » pouvait changer les choses n’a cessé de reculer. Ce cycle se termine et à force d’être devant un mur pas mal de gens se tournent vers la nécessité de débouchés politiques. Et à partir de là il y a plusieurs possibilités. La plus simple est de réduire le concept de débouché politique à la création d’organisations qui s’insèrent plus ou moins dans le jeu de la représentation électorale et parlementaire. C’est cette lecture qui domine et qui explique un certain succès du NPA que nous avons tous constaté. Il ne sert pas à grand chose de dire que le NPA ce ne sont pas des révolutionnaires, qu’ils trompent leur monde etc. Ils sont simplement de fruit de leur temps et finalement plutôt que de sombrer dans un désespoir inactif il est sans doute préférable que ces militants aillent au NPA.

Mais on peut entendre autre chose par débouché politique : une volonté de réappropriation de tous les espaces qui nous sont arrachés les uns après les autres et sur lesquels nous voulons nous réapproprier des possibilités de décision. Et le premier de ces espaces à reconquérir, c’est l’entreprise. L’entreprise, le lieu de production a toujours été le premier exclu de l’ « agora démocratique » ; celui qui est mis hors jeu, celui que l’on ne discute pas, celui où on n’a pas le droit de « faire de la politique ». Dans l’entreprise, le salarié devient un mineur sans droit autre que de discuter le prix de sa force de travail (au mieux), comme un lycéen au collège : pas de politique, un lieu qui se veut fermé aux influences extérieures, un lieu dit « neutre ». Faire pénétrer le politique dans l’entreprise c’est oser la regarder autrement comme une chose qui nous appartient, que l’on peut discuter, changer, autogérer si c’est nécessaire, détruire si c’est encore plus nécessaire, un lieu que l’on peut ouvrir et faire visiter à celles et ceux qui utilisent ce qui en sort. C’est exclure dans les têtes et dans l’appréhension de l’espace entreprise ses propriétaires et ses gérants. Il ne s’agit pas d’un simple « contrôle syndical » exercé par des bureaucrates que les salariés auraient mandatés pour quasi toujours. Il ne s’agit pas non plus de l’esprit « scop » ou d’une pseudo reprise d’entreprise par les travailleurs, il s’agit de considérer le lieu de production autrement que comme un simple élément pour fabriquer profits et salaires, mais comme un lieu où nous participons à un effort commun pour vivre.

Et ce qui est valable pour l’entreprise l’est aussi pour la ville, pour le territoire. Et d’une certaine manière, les collectifs qui ont fleuri sont à la confluence de l’entreprise et du territoire. Il est évident qu’il y a eu un décalage entre le discours initial et officiel qui s’en tenait à la stricte définition du départ et le désir implicite qui s’exprimait sans s’affirmer comme tel, celui d’exister politiquement sur une ville, sur un quartier, celui de se réappropriés des espaces et des paroles. Et c’est sans doute en prenant en considération ces besoins, qui sont certes ceux d’une minorité militante et plus ou moins politisée, que nous aurons des pistes pour que l’ouverture se fasse plus facilement et que les clivages « radicaux/pas radicaux » se dépassent.


Des fantasmes qui ne correspondent pas à la réalité

C’est lors de la très grosse journée d’action du 20 mars que le numéro zéro de Rebetiko/ (chants de la plèbe) a été distribué. Ce jour-là il y avait dans les rues des centaines de milliers de gens, voire des millions, dans toute la France, puissamment encadrés par les syndicats, en particulier la CGT. Or que pouvait-on lire dans ce journal ?
Que « les formes du vieux mouvement ouvrier, dont les structures ont quasiment disparu (plus d’usines qui regroupent des milliers d’ouvriers, plus vraiment de syndicats capables de les mobiliser, vraiment plus de parti communiste pour les représenter politiquement). » (« Pratiques du désordre » p.6).
Dans le même article distance est prise avec les analyses de classe : si les structures du vieux mouvement ouvrier ont disparues, il est des formes qui demeurent : grèves, sabotages, occupations, résistance au travail, affrontement avec les flics, « autant de pratiques qui, privées de la tutelle du mouvement ouvrier, ne sont plus assignables à une catégorie sociale et sont immédiatement appropriables par n’importe qui.
Va pour le PC, on peut discuter des usines, mais pour les syndicats le jour était mal choisi. De journées d’action en journées d’action les syndicats on fait la preuve de leur capacité mobilisatrice et surtout d’encadrement en même temps que de nuisance !. En tout cas toutes les forces qui auraient voulu s’opposer à eux et les voir débordés, n’ont pas pu s’opposer à leur stratégie.

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1 Message

  • Ceux qui connaissent aujourd’hui une situation de chômage et de précarité affrontent une double nécessité, lutter contre la situation qui leur est faite, situation qui n’a fait qu’empirer ces derniers mois, et remettre en cause les politiques de l’emploi telles qu’elles sont menées, nous laissant le choix entre la radiation et les petits boulots mal payés, exténuants et précaires.

    Dans un premier temps, la crise de l’économie a signifié pour les chômeurs et précaires l’instauration d’un climat propice à l’accentuation du contrôle et des radiations, moyen de résorber les effets de la crise et d’éviter à tout prix une explosion des chiffres du chômage. Mais la crise de l’économie pourrait bien apparaître pour nous chômeurs et précaires comme une bonne nouvelle, comme le moyen d’échapper aux pressions et contrôle quotidien de l’institution, car Pôle emploi se trouve maintenant confronté à une situation qui n’était pas prévue : des pans entiers de l’industrie sont désormais touchés par un chômage de masse. Effets différés de la crise qui commencent seulement à apparaître et dont on n’a pas fini de mesurer l’ampleur, en particulier dans les secteurs de l’automobile et du textile.

    L’équilibre précaire, maintenu entre les nouvelles inscriptions de demandeurs d’emploi et les radiations, ne va pas tenir longtemps dans cette situation et Pôle emploi ne sera plus en mesure d’assurer un contrôle aussi strict, ni de maintenir le même rythme de radiation, à moins de prendre le risque de voir enfler une population de pauvres à qui l’on a supprimé les revenus et qui pourrait devenir un réservoir de colère et de désespoir prêt à éclater à tout moment.

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