vendredi 13 novembre 2009, par
L’ADN fait peur ou rassure. L’identification par cet acide semble irréfutable. La Science aurait enfin un moyen infaillible de confondre tous les acteurs d’un délit ou d’un crime. La télé regorge de séries où la police scientifique remplace l’inspecteur ou le commissaire « fin limier ». Certains ados en rêvent et en font leur « projet professionnel ». Et pourtant… c’est une belle arnaque ! Et, par ailleurs, il semble que les recherches sur l’ADN ne se limitent pas à l’identification des individus*…
L’ADN, ou acide désoxyribonucléique, est une macromolécule présente dans les cellules des organismes vivants quels qu’ils soient. Sa fonction principale est de stocker l’information génétique qui conditionne le développement et le fonctionnement d’un organisme vivant. L’ADN a aussi pour fonction de transmettre cette information de génération en génération. C’est ce qu’on appelle l’hérédité. De plus, l’information portée par l’ADN peut se modifier par erreur dans la réplication des séquences ou des recombinaisons des gènes. Cela explique la diversité actuelle des êtres vivants, c’est-à-dire la biodiversité.
Pour un être humain, il existe deux grands types d’ADN bien différents : l’ADN dit « nucléaire » et l’ADN mitochondrial.
L’ADN « nucléaire »
Il est présent dans le noyau des cellules vivantes : la salive, le sang, le sperme, le bulbe des cheveux… Dès qu’il est retiré du corps humain, il se dégrade rapidement avec le temps, la chaleur… Son prélèvement, son stockage, son transport et sa conservation sont difficiles. C’est cet ADN qui est prélevé dans les commissariats grâce à des bâtonnets frottés sur la partie intérieure de la joue. Cet échantillon est alors envoyé dans l’un des 10 laboratoires agréés en France, qui transmet ensuite la lecture de 8 sites (ou locus) de cette séquence ADN au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Ce fichier, commun à la police nationale et à la gendarmerie, gère les traces d’ADN afin de constituer une base de données. Ce fichier, créé en 1998, se trouve à l’Institut national de police scientifique basé à Ecully, dans le département du Rhône. On ignore la proportion des prélèvements reçus par les labos, qui sont réellement décryptables lorsqu’on connaît les conditions de leur collecte dans les commissariats, où la politique du chiffre règne en maître. Il y a actuellement plus de 35 000 prélèvements par mois effectués « à la chaîne » par la police et la gendarmerie. Le FNAEG a plus de 1,1 million de profils ADN dans sa base de données, et comme les moyens de contrôler ces données n’existent pas, on n’ose imaginer le nombre d’erreurs dues aux manipulations humaines que ce fichier doit contenir (voir encarts) !
L’ADN « nucléaire » contient des informations dites « codantes », insuffisantes pour l’identification d’un individu – mais donnant son sexe, la couleur de sa peau et bien d’autres caractéristiques physiques. A part le sexe, ce type d’informations codantes ne se trouve pas ou pas encore… dans les profils ADN du FNAEG. Pour cela, il faudrait supprimer la loi de 1997 de l’Union européenne qui interdit le séquençage des parties codantes de l’ADN.
Alors que le ministre de l’Immigration Besson a dû renoncer, pour des raisons purement techniques, aux tests ADN en ce qui concerne les candidats au regroupement familial en France, son homologue anglais envisage des tests ADN afin de déterminer la nationalité d’un candidat à l’asile ! Or, c’est impossible car les gènes n’ont aucune raison, évidemment, de respecter les frontières. Quant à l’identification du groupe ethnique, ce n’est actuellement pas encore possible puisque les recherches pour déterminer la correspondance entre une structure génétique et un groupe ethnique n’ont pas encore abouti. Mais attention, cette situation pourrait évoluer car aujourd’hui, à partir de l’analyse d’un profil ADN non codant, les scientifiques peuvent déterminer l’« origine géographique » d’un individu, même si cela reste très imprécis sauf… pour les Basques !
En revanche, les parties non codantes de l’ADN « nucléaire » diffèrent, bien souvent, énormément d’un individu à un autre. C’est la lecture de certaines de ces parties qui permettent, à priori, une identification prétendue sans erreur possible. Il faut déjà remarquer que la probabilité que deux individus aient le même profil ADN n’est pas réellement nulle. D’ailleurs, tout dépend déjà du nombre et du choix des sites non codants décryptés. Ces sites ou parties de la séquence ADN ne sont pas les mêmes d’un Etat à un autre. Demain, les scientifiques peuvent d’ailleurs, avec l’expérience, en changer. Leur nombre varie aussi : les Anglais ont choisi de décrypter au moins 10 sites « hypervariables », les Etats-Unis 15 et la France 8 seulement. Cette différence s’explique par le fait que certains Etats ont connu des affaires judiciaires retentissantes où l’identification par l’ADN a entraîné ou a failli entraîner des erreurs judiciaires (voir encarts). Aux Etats-Unis, certains avocats contestent plus vigoureusement qu’en France cette « vérité » sortie d’une analyse ADN.
L’ADN mitochondrial
Cet ADN se trouve dans les mitochondries des cellules vivantes ou mortes. Il se conserve mieux et beaucoup plus longtemps. Mais il est loin d’être unique puisqu’il est transmis par la mère. Toutes les personnes issues d’une même lignée maternelle ont le même ADN mitochondrial. Cet ADN ne présente que deux sites hypervariables, et on estime à 1 chance sur 2 000 le fait que deux personnes prises au hasard aient le même ADN mitochontrial. C’est loin d’être négligeable !
C’est ce type d’ADN que la police scientifique recueille, le plus souvent, sur le terrain de délits ou crimes. L’analyse d’un cheveu ou d’un poil sans sa racine, des traces humaines sur un objet, d’un morceau de peau… ne donne que cet ADN ! Comparer un ADN mitochontrial à un ADN nucléaire, à fortiori sorti de la base de données du FNAEG peut aboutir à des erreurs d’identification dont les conséquences peuvent être particulièrement dramatiques.
La résistance au fichage génétique
Le nombre de personnes qui refusent de donner leur ADN est inconnu, car dans certains cas il n’y a pas de poursuites et dans d’autres cas le procès se termine par une relaxe obligatoirement non comptabilisée. Par contre, nous savons qu’il y a plusieurs centaines de condamnations par an (519 en 2007). Si ce refus de fichage semble augmenter de par le travail militant effectué, il est encore bien minoritaire (moins de 1 %) par rapport à la masse des prélèvements effectués dans les commissariats et gendarmeries. Il faut déjà avoir les moyens de le faire, car en garde à vue c’est loin d’être évident et dans les prisons il est très difficile d’y échapper ; tout refus impliquant la suppression des remises de peine et une condamnation supplémentaire. Le recrutement pour le fichier est très large puisqu’il concerne déjà les personnes qui ont été condamnées dans le cadre de 137 infractions (aux exceptions notables de la consommation de drogue, qui est du ressort du code de la santé publique, des simples contraventions et des délits d’abus de biens sociaux par autoprotection… des législateurs) ; mais aussi, et surtout, les personnes gardées à vue ou simplement convoquées pour « affaire vous concernant ». En effet, seulement 20 % des fichés ont été effectivement condamnés, les autres (c’est-à-dire 4 fois plus) sont fichés génétiquement comme étant « mises en cause dans des affaires judiciaires », selon l’expression consacrée de la police. Des procès ont eu des retentissements importants, d’autant plus importants lorsqu’ils concernent des personnes bien insérées socialement (voir dans ce numéro l’article sur le refus d’un paysan et militant syndical basque). Le refus de ce fichage génétique est important, d’autant plus que donner son ADN, c’est augmenter le risque d’être accusé de certains faits, qu’on les ait commis ou non. Mais il faut aussi démystifier la Science qui apporte la Vérité, contester dans les procès ces « preuves irréfutables » alors que les erreurs ne peuvent que se multiplier avec l’industrialisation des prélèvements. Néanmoins, nous devons éviter de semer à tout vent nos ADN.
« On ne nous dit pas tout »
Si les scientifiques sont capables aujourd’hui de lire tout l’ADN (séquençage du génome), ils sont encore très loin d’avoir trouvé à quoi correspondent exactement tous les sites lus de la partie non codante. Alors… ils cherchent ! Certains voudraient, comme le ministère de l’Intérieur anglais, y trouver le moyen de distinguer les demandeurs d’asile qui se déclarent somaliens alors qu’ils sont peut-être kenyans. D’autres, moins comiques, voudraient y trouver des moyens de dépistage précoce de toutes les formes de déviance. L’ADN ne servirait plus seulement à identifier un individu mais à le caractériser. Dans un précédent article de Courant alternatif (n° 170), nous avions dénoncé une enquête de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) auprès de jeunes majeurs scolarisés dans l’enseignement supérieur en Champagne-Ardenne. Cette enquête était censée étudier l’existence éventuelle d’une dépendance par rapport à une drogue, elle était accompagnée d’un prélèvement de leur ADN. Nous sommes à peu près certains que ce chercheur canadien à l’origine de cette enquête cherchait (et cherche peut-être encore !), par recoupements, des caractéristiques du profil ADN d’individus se droguant ou étant simplement attirés par une drogue. Nous aurons malheureusement l’occasion de revenir sur le contenu des recherches sur l’ADN.
Denis, OCL-Reims,
le 11 octobre 2010
* Beaucoup d’infos contenues dans cet article sont tirées d’une brochure : Du sang, de la chique et du mollard ! Contact :
dusangdelachique(at)gmail.com
En septembre 2002, un Américain est condamné à douze ans de prison pour viol à Houston, au Texas. Cet Américain a été identifié grâce à son ADN décrypté par le laboratoire de la police de Houston. Quatre ans et demi plus tard (en 2007), un laboratoire privé découvre que les traces trouvées ne lui appartenaient absolument pas… Ce labo de la police est d’ailleurs sur la sellette pour d’autres erreurs.
Pendant plus de quinze ans, une « tueuse en série » a été activement recherchée en Allemagne et en France. En effet, son ADN avait été retrouvée sur de multiples scènes de crime. « La preuve de son existence, c’est une empreinte ADN », déclarait une journaliste de TF1 le 11 mai 2008 dans le magazine « 7 à 8 ». En mars 2009, la femme qui avait laissé des traces ADN sur les lieux de dizaines de crimes était enfin identifiée. Elle travaillait dans une société fabriquant des bâtonnets qui avaient été utilisés pour effectuer les prélèvements génétiques ! Elle a été mise hors de cause…
En février 2000, la police anglaise croit avoir trouvé le responsable d’un vol grâce au test ADN. Un parkinsonien qui se déplace avec difficulté et qui habite à 300 km du cambriolage est arrêté. Son ADN examiné en 6 sites différents coïncide exactement avec celui retrouvé par les enquêteurs sur le lieu du délit. Son avocat demande l’examen sur un plus grand nombre de régions de l’ADN, et cet homme sera finalement innocenté car des différences apparaissent. C’est cette affaire qui a contraint la police anglaise à décrypter au moins 10 régions de l’ADN.
Fin décembre 2002, le corps d’une femme est découvert dans des sacs sur une friche à Mulhouse. La police scientifique est sur les lieux. Elle découvre dans la main du cadavre un cheveu appartenant vraisemblablement à son meurtrier. L’analyse génétique de ce cheveu est effectuée. L’ADN qui y est retrouvé est celui du mari, qui est aussitôt arrêté. Aucune autre preuve ou aucun autre indice n’apparaît au cours de l’enquête, mais l’ADN a parlé ! Le mari fait plusieurs mois de détention préventive avant d’être placé sous contrôle judiciaire en 2005. Finalement, en 2007, la police découvre dans le FNAEG un autre homme, sans lien de parenté avec le mari, connu pour proxénétisme (et décédé) et ayant exactement le même profil d’ADN mitochondrial que le mari… qui est enfin innocenté.