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[Equateur] La bataille pour la défense de l’eau continue.

lundi 17 mai 2010, par OCLibertaire

Suite de la décision des parlementaires de repousser le débat en deuxième lecture et l’adoption de la loi sur l’eau, consécutif aux mobilisations et affrontements autour du Parlement, les mobilisations se poursuivent et le gouvernement entend passer en force. Des milliers d’indigènes avaient en effet cerné le bâtiment de l’Assemblée le 4 mai dernier pendant plusieurs heures, empêchant les élus d’en sortir.


Répit dans l'adoption de la loi. La bataille pour la défense de l'eau continue.

L’enjeu est toujours le même : un projet de loi qui sous couvert de donner la gestion de l’eau à un organisme gouvernemental, non seulement dépossèdera les communautés indigènes du contrôle gratuit de la ressource (et des systèmes locaux d’adduction qu’elles ont mis en place elles-mêmes et qu’elles gèrent depuis longtemps par intermédiaire de conseils locaux de captage, distribution et irrigation) et permettra sa privatisation et son utilisation au profit de l’industrie minière et aussi sa commercialisation, sa transformation en marchandise, par une industrie de la mise en bouteille.

Après deux semaines d’intenses mobilisations dans Quito et dans diverses régions du pays, la cour constitutionnelle vient d’accorder un délai en ordonnant au Parlement de suspendre le vote de la loi, pour « consultation » préalable des populations affectées. Un répit, une trêve de quelques mois.

Le 10 mai

Action
Blocage d’une route important dans la province andine d’Imbabura (nord), où les indigènes ont placé des morceaux de bois, de pierres et allumé des pneus pour empêcher la circulation.
Dans le région du Cayambe, au nord-est de Quito, localité de Guachalá, trois milles manifestants Quechuas Kayambis ont été chargés et dispersés par les forces de polices à coup de grenades lacrymogènes.

Le président accuse les indigènes de vouloir prendre le pouvoir
Dans une déclaration faite depuis le Costa Rica où il se trouve, a déclaré qui ne permettra pas que les organisations indigènes contrôlent le Conseil national de l’eau.
Selon l’agence de presse officielle Andes, devant un groupe d’émigrants équatoriens résidant dans le pays centro-américain, le président a accusé certains groupes indigènes « d’avoir toute une stratégie » pour, au nom d’ « une plurinationalité mal comprise » s’emparer des institutions. Rappelant que la nouvelle Constitution de pays, adoptée en 2008, a établi la reconnaissance des différentes nationalités aborigènes qui habitent le pays, il déclare que « certains ont compris que la plurinationalité signifiait gouverner sans gagner les élections ». « L’eau est aux indigènes mais aussi aux Montubios, aux afro-équatoriens, aux gens qui vivent dans les villes ».
Il a ajouté que la Constitution établit que c’est une Autorité Unique de l’Eau, représentée par une entité gouvernementale, qui gèrera la ressource naturelle.
Ces déclarations ont été reprises par le “vice-ministre des peuples, des mouvements sociaux et de la participation citoyenne”(sic), en charge des communautés indigènes, Orlando Pérez, accusant celles-ci de chercher à « renverser » le président.

Démenti des organisations amérindiennes
Pour leur part, les organisations amérindiennes ont déclaré qu’elles n’avaient pas l’intention de déstabiliser ou de renverser le gouvernement, contrairement à ce qu’avaient écrits certains journaux.
Marlon Santi, président le la CONAI, principale organisation indigène, a dénoncé ces fausses information en ajoutant qu’ils « veulent donner une image fausse de moi et me mettre en opposition avec l’opinion publique » et a annonce que les mobilisations reprendrait le lendemain lundi à Quito.
Il a rappelé que les organisations indigènes ont formulé des contre-propositions et demande au gouvernement « de les prendre en compte de manière démocratique ».

Mobilisation policière
Dans la soirée, le commandant général de la police a déclaré lors d’une conférence de presse que la police avait un mandat constitutionnel à accomplir et que c’est pourquoi elle ne permettra pas à certains groupes de menacer la sécurité des citoyens.
Ces déclarations ont été faites à partir des services de renseignements de la police selon lesquels des groupes autochtones cherchent à fermer les routes et à détruire les biens de l’Etat à partir de lundi sous couvert de radicaliser leur lutte contre la loi sur l’eau débattues à l’Assemblée nationale.
« Nous sommes prêts pour éviter toute aucune obstruction des routes, ainsi que les abus qui menacent la sécurité des personnes et des biens », a-t-il ajouté. La police anti-émeutes est mobilisée dans la capitale ainsi que dans les provinces où sont prévus des blocages de route.

Les indigènes déclarent qu’ils ne se laisseront pas faire
Dans une déclaration, le président de la Ecuarunari, Delfín Tenesaca a menacé de bloquer les routes si la police les empêche de manifester. La mobilisation policière vise à bloquer les manifestants qui veulent se rendre à Quito pour protester contre la loi sur l’eau.
« Si la police ne laisse pas passer les Indigènes, alors nous laisserons pas passer (les véhicules) »

Le 11 mai

Les mobilisations en province
Dans différentes provinces, des rassemblements ont été organisés avec tentatives de blocage de route avec troncs d’arbre, pierres et pneus enflammés. Partout la police est intervenue et a empêché ces blocages.
Des Indigènes et des paysans ont bloqué partiellement plusieurs routes reliant Quito au nord du pays et au sud.
Au lendemain d’une manifestation avec femmes et enfants brutalement dispersée, plus 500 personnes ont bloqué le trafic routier au niveau de la localité de Guachala (60 km au nord de Quito), en plaçant notamment des troncs d’arbre en travers de la route, la "Panaméricaine", auxquels ils ont mis feu.
Dans la province d’Imbabura, au nord de Quito, la route reliant l’Equateur à la Colombie a de nouveau également été bloquée, de même que dans la province de Cotopaxi (sud).

Nouvelle déclaration de Correa
Une fois de plus Rafael Correa a déclaré lundi soir, qu’il ne céderait pas aux pressions des indigènes équatoriens
« Nous ne céderons pas aux pressions d’un groupe, quelle que soit son importance », a-t-il déclaré lors d’une cérémonie officielle. Il a repris les menaces déjà formulées plusieurs fois d’organiser des contre-manifestations. « Levons-nous, marchons, nous sommes bien plus nombreux. Ne nous laissons pas imposer les caprices et les abus d’une poignée d’insensés », a-t-il ajouté. Le chef de l’Etat a invité ses partisans à organiser des « soulèvements » contre les mobilisations en défense de l’eau, reprenant le terme des organisations indigènes opposées au gouvernement qui ont annoncé la semaine dernière qu’elles étaient prêtes à « radicaliser » leur mouvement.

Le 12 mai

Après deux journées de remobilisation et à moins de deux jours de la date de reprise des débats parlementaires sur la loi, les principales organisations indigènes lancent un appel à la « désobéissance civile ».

Nouveau sursis pour la loi sur l’eau !
Dans la soirée, un arrêt de la Cour constitutionnelle est rendu et impose la consultation préalable des communautés amérindiennes avant toute lecture et adoption de la loi au Parlement.

Le 13 mai

Les organisation indigènes ont décidé ce jour de suspendre provisoirement leurs actions de protestation à la suite d’une décision de la Cour constitutionnelle obligeant le Congrès à les consulter sur le projet de loi sur l’eau.
L’arrêt a pour effet immédiat d’empêcher l’adoption de la loi, prévue ce même jeudi par le Parlement.
D’après plusieurs sources, avec cet arrêt de la Cour constitutionnelle, le projet gouvernemental est repoussé de plusieurs mois.
C’est donc un sérieux sursis qui vient d’être arraché. Ce qui n’est pas rien, Fernando Cordero, le président de l’Assemblée ayant déclaré que ce processus prendra « au moins six mois ».

Conclusion provisoire

Une parenthèse s’ouvre. Mais la question reste entière et les clivages n’ont cessés de s’élargir entre les organisations indigènes et les secteurs sociaux qui les soutiennent et ceux qui appuient le régime de Correa. Ceux-ci n’hésitent pas à faire le parallèle entre les mouvements indigènes de l’Equateur actuels et les mineurs chiliens qui avaient contribués, par des grèves, au coup d’Etat de Pinochet et à la fin de l’expérience de gouvernement de gauche dirigé par Allende.
Pour Maria del Carmen Garcés, historienne, écrivaine, essayiste, « la droite, avant ou maintenant, là-bas ou ici, infiltre les organisations populaires en utilisant la même stratégie. » (Página/12 du 7 mai 2010). Alors que les organisations indigènes n’ont cessé de rappeler qu’ « elles ne feront jamais le jeu de la droite oligarchique » (communiqué de Ecuarunari du 14 décembre 2009) mais que par contre, le gouvernement mène une politique qui n’a pas rompue avec le néo-libéralisme et le productivisme. Les organisations urbaines qui participent à cette bataille pour l’eau, rappellent que les grandes exploitations de l’agriculture exportatrice utilisent 64% du volume d’eau alors qu’elles représentent à peine plus de 1% des unités productives tandis que 86% des petits et moyens paysans n’accèdent qu’à 13% de ce volume. Elles rappellent que le prix de l’eau est de 1,84 $ par hectare cultivé et que dans d’autres secteurs de petites et moyenne agriculture, le prix peut être de 35, 60, 120 fois supérieur. Elles rappellent que, par exemple dans la grande ville de Guyaquil, la municipalité a cédé les droit d’exploitation à une entreprise privée, Interagua, qui a augmenté ses tarifs de 167% depuis le début. (Source : Manifeste du Front des Communautés urbaines pour la Plurinationalité et en Défense de l’eau)

Tandis que Correa n’a cessé de dénigrer les organisations indigènes, que ses ministres les ont accusé de faire le jeu de la droite, d’être financés par des ONG étrangères dont bien sûr certaines aux Etats-Unis, (ce qui dans les milieux de la gauche latino équivaut immédiatement à soutenu par les gringos des agences du gouvernement US), les chaînes de TV, avec de nombreux spots, n’ont cessés de diaboliser les dirigeants indigènes. Pour Mónica Chuji G., le gouvernement « manipule le public avec de fausses informations et encourage la haine raciale et la xénophobie. Ces chaînes de TV méritent une condamnation morale nationale et internationale et montrent un gouvernement prêt à pousser les Équatoriens à s’affronter entre eux, à exacerber la haine raciale à l’aide de mensonges et de distorsions de la vérité, pour sauver ses intérêts. » (Boletín Rimanakuy, rapporté dans Kaos en la Red)

Malgré ce répit surtout formel, les mouvements indigènes entendent ne pas lâcher la pression. Dans un communiqué en date du 14 mai, celles de la zone amazonienne appellent à « rejeter massivement la consultation pré-législative proposée aux communautés au sujet de la Loi sur l’eau, car c’est là une mesure manipulatrice du Gouvernement National et des députés de Alianza País, dans la mesure où le résultat ne sera pas contraignant. » Elles appellent en outre à « une grande marche historique de l’Amazonie équatorienne pour le respect et la reconnaissance de nos territoires et pour la défense de la vie et du droit de la nature. »

Fin de l’épisode.
Le 16 mai 2010

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