Loppsi’tion sécuritaire
introduction du dossier dans CA 207
mercredi 16 février 2011, par
Adoptée en seconde lecture au Sénat courant janvier, la loi LOPPSI 2 vient renforcer l’édifice sécuritaire qui se construit texte après texte depuis plus de 20 ans, avec une singulière accélération au tournant du siècle depuis les attentats du 11 septembre 2001.
Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure ! Ce nom même est un programme, puisque qu’il s’agit de viser la « performance » de la sécurité, assénant une fois de plus le discours de la compétition, du toujours plus et plus fort, le culte du chiffre en soi, sur fond d’impératif de rentabilité politique et économique, et dans une optique de contrôle total des populations.
Rentabilité politique
Cette loi, qui n’est que la 42ème sur le même thème depuis 10 ans (1), vise en premier lieu à flatter les instincts sécuritaires d’une société qui se délite, en confortant l’idée d’une multitude de dangers qui menacent partout et en permanence la Nation et l’intégrité de Monsieur et Madame Toulemonde. Instituant des mesures annoncées suite à des faits-divers surmédiatisés, cette loi prétend « offrir la sécurité partout, pour tous, (…) et renforcer la tranquillité nationale ». Ainsi ce qui est généralement présenté comme un arsenal législatif hétéroclite, trouve en fait sa cohésion dans les ressorts idéologiques du national chauvinisme paranoïaque, et son objet dans la fabrication d’un ennemi intérieur aux multiples visages : pauvre, jeune, délinquant, étranger, subversif, terroriste, marginal, pervers, criminel… Ennemi d’autant plus redoutable que les nouvelles technologies de l’information et de la communication décuplent ses pouvoirs de nuisance et le rendent omniprésent et insaisissable !
Une fois fabriquées et inventoriées ces populations dangereuses, il devient nécessaire de les maîtriser par un contrôle permanent et total, qui utilise le fichage, la vidéo-surveillance, renforce les possibilités d’enfermement administratif ou médicalisé, réinstaure les conditions de bannissement ou d’exclusion par la déchéance de nationalité…
La mise en œuvre de ce contrôle est facilitée par le développement d’un arsenal juridique toujours plus répressif, mais aussi par une mise sous tutelle du pouvoir juridique qui s’estompe au profit d’une toute puissance administrative et policière. L’Etat crée ainsi des régimes d’exception qui deviennent progressivement la règle (il n’est qu’à penser à la permanence de Vigipirate), dont l’impunité pour ses agents de contrôle. Cet ébranlement de la séparation des pouvoirs atteint les principes de l’Etat de droit, soi-disant fondateur des Etats démocratiques, et instaure les conditions d’une « Terrorisation démocratique » (2) du corps social, ébauchant, si ce n’est encore vraiment un Etat policier, au moins les contours d’un « totalitarisme soft », qui place chacun sous le contrôle permanent de tous.
Rentabilité économique
Un des volets de LOPPSI 2 consacre la privatisation des missions de surveillance et de gestion de l’ordre public, attentant ainsi au « monopole de la violence légitime » jusqu’ici spécifique aux fonctions régaliennes de l’Etat. Car la sécurité est aussi un marché, une dynamique économique qui stimule la recherche, et rentabilise les applications des technologies de pointes : nanotechnologie et géo-localisation, informatisation et croisement des données, images numérisées et identifications intelligentes, décryptage du génome et fichage génétique ou biométrique…
Ainsi le budget alloué à LOPPSI 2 se monte à 2,15 milliards d’euros d’ici à 2013, dont 631 millions dédiés au seul saut technologique, selon un alibi qui serait de compenser la baisse du nombre de postes dans l’appareil répressif d’Etat consécutif à la politique de résorption des déficits publics !
Mais le partage de ce gâteau n’est pas dévolu aux seules technologies, mais tout autant aux entreprises privées de sécurité, selon un principe d’externalisation de la gestion de l’ordre public qui favorise le partenariat public-privé en matière de surveillance, et de gestion du contrôle de l’information et du renseignement. Au-delà de l’émergence de nouveaux agents rémunérés, c’est également toute la population qui est invitée au contrôle, que ce soit par la collaboration des services sociaux, l’extension de la Réserve civile de la police nationale, la dénonciation sur internet, et autres mesures incitant à une délation généralisée.
Dans la même logique de contrôle total, de normalisation des individus et des comportements cette loi décuple l’arsenal juridique afin d’éliminer certaines formes d’organisation sociale échappant encore au contrôle de l’Etat. Les exemples les plus commentés concernent l’habitat choisi, ou nomade, ou encore les squats. Mais les aspects concernant les vendeurs à la sauvette sont tout autant significatifs de la volonté d’empêcher toute débrouille ou organisation de fait, pourtant de plus en plus indispensables à la survie d’une population paupérisée. A ce titre, il est intéressant de souligner comment l’immolation d’un commerçant ambulant tunisien qui s’était vu confisqué son échoppe par la police a pu être commentée dans les médias nationaux, sans qu’à aucun moment il ne soit dit que l’Etat français créait au même moment des conditions législatives similaires. La connivence entre Alliot-Marie et Ben Ali ne s’arrête pas à l’entraide en matière de gestion de l’ordre : c’est bien une même vision des conditions de perpétuation de l’ordre économique et social qui domine de part et d’autre de la Méditerranée, en toute légitimité démocratique…
Quelles perspectives ?
Il y a une floraison d’initiatives contre cette loi LOPSSI 2, moins massives certes, mais tout aussi diversifiées que celles à l’œuvre cet automne contre la réforme des retraites. Ce sont cependant les mêmes écueils qui menacent ces mouvements. En premier lieu la segmentation de cette loi, secteurs par secteurs, sorte de corporatisme de préoccupation qui consisterait à aborder les déclinaisons de LOPPSI isolément : contre le fichage par ci, contre les technologies de surveillances par là, pour l’habitat nomade ailleurs, par solidarité avec les migrants un peu partout… Il convient de montrer la cohérence de la répression dans sa finalité politique pour espérer inverser la tendance sécuritaire, et ne pas considérer LOPPSI comme une aberration du sarkozysme, mais comme un élément de l’évolution sécuritaire des sociétés occidentales.
Il ne faut non pas plus tomber de Charybde en Scylla et considérer qu’une lutte politique globale ne trouvera qu’une issue politicienne et que la fin du sécuritaire s’annoncerait avec une alternance à la tête de l’Etat en 2012 ! Qu’elle soit tenue par la main gauche ou la main droite de la bourgeoisie, une matraque reste une matraque, et le Parti socialiste et ses satellites ont largement contribué à l’instauration de cette ère sécuritaire. Ils ne feront que continuer à s’inscrire dans cette logique répressive qui est une des conditions de survie du désordre capitaliste qu’ils ont rallié.
La loi LOPPSI 2 est passée, et plutôt que d’espérer son abrogation ou son adoucissement dans une prochaine législature, il convient de poursuivre pied à pied la lutte contre la répression sous toutes ses formes et l’ordre social qui l’instaure. La journée du 19 mars initiée par des collectifs anti-répressions peut y contribuer. Le petit dossier qui suit aussi.
A. LOMBRE.
NOTES
(1) Selon J.M. Manach sur owni
(2) Claude Guillon, La Terrorisation démocratique, éditions libertalia, 2009, 154 p., 7 euros.
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Cette loi décline 46 articles articulés en 9 chapitres parmi lesquels toute une série de mesures vient conforter et renforcer des tendances préexistantes dans l’ensemble des lois répressives de ces dernières années. Citons entre autres :
Sources : des commentaires détaillés de la loi sur le site du Syndicat de la magistrature, ou du CECIL Centre d’Études Citoyenneté, Informatisation et Liberté. Un site d’analyse et d’état des luttes : antiloppsi2.net
le reste du dossier " Loppsi’tion sécuritaire" se compose de
Éducation : Du fichage et des compétences…
Habitat choisi : “ Toutes les dispositions nécessaires pour faire la coupe à ras ! ” (Interview Sur les yourtes de la Bussière Boffy qui actualise l’article Bussière Boffy
L’acharnement du maire n’a pas eu raison des habitants des yourtes )
La répression à Saint-Nazaire vue par un inculpé
Psychiatrie : Une politique de soins sécuritaire
Nouveau procès pour Yvan Colonna
Pour 2012 une LOPPSI 3 de gauche ?