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"VIOLENCE", VOUS AVEZ DIT VIOLENCE ?

samedi 1er avril 2006, par Courant Alternatif


Au fur et à mesure que le mouvement s’étend, et que les actions directes se font plus présentes, la question de la "violence" refait inévitablement surface. Si certaines interventions, catégoriques et ignorantes ("la violence, c’est mal !") ne valent guère la peine que l’on s’y arrête, nombre d’autres s’interrogent avec honnêteté sur la violence et son utilité. Question pertinente, la violence n’allant pas de soi, et, comme forme d’expression pour le moins dure, devant être pensée. Voici donc quelques pistes pour contribuer à la réflexion et l’action

Qu’aurait été l’évacuation de la Sorbonne sans la résistance active et spectaculaire d’une partie des occupant·e·s ? Ce n’est pas tous les jours que les flics se prennent des tables sur la tronche, et ce moment est vite devenu un mythe, qui anime les solidarités en France comme à l’étranger, profitant directement à ceux qui sont pourtant les plus prompts à critiquer ces actions, les "pacifistes".

D’une manière générale, les actions "dures", quand elles accompagnent un large mouvement de contestation, sont autant d’outils permettant à celui-ci de s’imposer, d’empêcher les tentatives d’étouffement d’un gouvernement, de se faire entendre ! L’État ne craint pas les marches pantouflardes qui jalonnent les mouvements sociaux depuis des années pour demander une petite part de gâteau. Elles constituent la routine du théâtre démocratique, et n’obtiennent jamais rien de "significatif" (l’histoire des mouvements ouvriers montre beaucoup moins de frilosité de leur côté). L’État craint, au contraire, le dérapage, la perte de contrôle, le potentiel de colère d’un mouvement inflexible, à plus forte raison s’il est capable d’agréger d’autres révolté·e·s (ce que Sarkozy semble, à raison, particulièrement redouter !).

Demandons-nous ce qui fonde notre appréciation d’une action : le seul regard filtré des caméras, aux ordres du gouvernement, comme l’ont montré les expériences pratiques de luttes depuis des années, comme la sociologie critique ?

S’il est important de penser à l’intelligibilité des actions, en donnant de la visibilité à des idées, à des revendications, via banderoles, slogans, graffitis ("cassons le CPE !") et choix de cibles claires, il serait bon de ne pas oublier la dimension libératrice et révolutionnaire, à une échelle personnelle et collective, de ces moments. L’expérience pratique de la résistance permet non seulement de sortir des violences quotidiennes accumulées face à l’autorité, mais aussi et surtout de vivre un moment d’intensité –ensemble-, lors duquel le temps est suspendu, lors duquel le jeu change de règles. C’est assurément un moment galvanisant que de briser l’isolement habituel, pour se sentir fort·e·s ensemble, légitimes dans la colère, et refuser le confinement imposé par la flicaille, bras armé de l’État, qui, on le sait, n’est là que pour décourager, démobiliser, semer la terreur, fracasser des gueules, bref, casser (les gens, le mouvement) ; et non pour nous protéger ( ! ! !), comme certain·e·s osent encore le bêler !

On dit souvent que la violence, si elle est légitime, est difficilement compréhensible, audible pour le citoyen. À vrai dire, c’est évident quoique comme modes d’action, l’insoumission (refuser le confinement policier et l’enfoncer), la résistance active (caillasser, entre autres choses) et le sabotage (briser des vitres pénibles à regarder) sont aussi des expressions qui parlent à des catégories de la population, "qui ont délaissé la politique, parce que la politique les a délaissés". Quoi qu’il en soit, si bien des gens refusent la "violence" (bien que celle des manifestant·e·s demeure en tout point inférieure à celle du gouvernement), ne peuvent s’y identifier ; si bien des gens s’en vont la rejeter en bloc, fustigeant les casseurs (pure invention policière et médiatique, visant à décrédibiliser ceux et celles qui expriment de manière radicale et déterminée leur opposition, en les faisant passer pour des opportunistes sans rapport avec les manifestations, ce qui est mensonge éhonté), faut-il se demander pourquoi, ou, plutôt, comment remédier à cela ?

Et si tou·te·s les manifestant·e·s occupé·e·s à dénoncer leurs voisin·e·s lanceurs et lanceuses de pavés, sous prétexte que "personne ne va comprendre", consacraient un dixième de ce temps là à expliquer, à faire en sorte que les personnes en question puissent comprendre ; à se montrer solidaires, à assumer ces actions comme composante du mouvement ?

Que l’on soit clair : Il ne s’agit pas nécessairement que tout le monde se transforme en émeutier·e ; à chacun sa manière d’agir, selon son confort personnel et ses envies, dans le respect des autres tactiques ; mais ce dont il s’agit, à l’évidence, c’est de refuser la stratégie de division du gouvernement, qui va sans hésiter distribuer des bons points aux gentil·le·s manifestant·e·s, inoffensifs, pour durcir la matraque contre les autres. Le fait même qu’un gouvernement hostile flatte les étudiant·e·s les plus dociles, opposés à sa politique, devrait mettre la puce à l’oreille à quiconque se méfie.

Cessons donc de jouer le jeu de Sarkozy, et de vouloir être premiers de la classe ! Désertons son monde et ses logiques autoritaires, et nourrissons une opposition plurielle, insolente, qu’elle soit ou non violente ! Nous avons tou·te·s à y gagner, sauf le gouvernement
Reste à savoir si le mouvement anti-CPE veut avoir l’intelligence de s’ouvrir à d’autres mécontentements, pour dépasser la revendication limitée du CPE, qui, il est vrai, ne fait que compléter un dispositif d’exploitation déjà largement rodé.

S’opposer radicalement au CPE et faire en sorte qu’il ne ressurgisse pas sous un autre nom, c’est forcément poser la question du monde qui l’a généré, et lutter pour en construire un autre, fruit de nos envies, des pratiques collectives que l’occupation des facs permet d’ores et déjà d’explorer, sans oublier l’inspiration que peuvent nous procurer les expériences et projets autogestionnaires qui existent depuis des années, mettant en relation recherche d’égalité dans le vivre-ensemble et pratiques d’autonomie vis à vis des systèmes étatique et marchand.

Alors, qu’est-ce qu’on attend ?

Un étudiant ("casseur" à ses heures)

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