editorial - CA n° 220 - Mai 2012
jeudi 3 mai 2012, par
On ne peut pas bouder notre plaisir de voir Sarkozy et sa clique se prendre une (petite) claque électorale. Les dégâts qu’ils ont fait depuis cinq ans, nous les avons combattus. Travailler plus pour que nos patrons gagnent plus, ce n’est pas notre credo. Bosser jusqu’à un âge toujours plus avancé en laissant des millions de chômeurs-ses et de précaires dans la panade, nous n’en voulons pas. Réduire les services publics pour favoriser la marchandisation généralisée, très peu pour nous. Détruire la terre et les conditions d’une vie relativement saine pour des intérêts mercantiles, ça nous hérisse. Combattre l’immigration et stigmatiser des groupes de personnes en fonction de leur origine, ça nous révulse. Guerroyer de ci de là pour défendre certains dictateurs, en virer d’autres, et toujours en fonction des intérêts capitalistes, ça nous met en colère. Renforcer les moyens de répression et développer un flicage généralisé, ça nous révolte. Pour toutes ces raisons, voir Sarkozy à 26 % au premier tour, soit 5% de moins qu’il y a 5 ans et pouvoir envisager sa défaite le 6 mai pourrait sembler satisfaisant.
Pourtant la perspective de se retrouver avec le social-libéral Hollande en gestionnaire de la crise n’a rien de réjouissant. Sur certaines questions qui lui ont été posées lors de la campagne (politique de l’immigration, service minimum pendant les grèves...), il a répondu qu’il serait dans la continuité de Sarkozy. Il n’y a rien à attendre de ces prétendus socialistes. D’un autre côté, on va essayer de nous faire peur avec un Front National qui monte. Mon œil ! Le score total de Le Pen + Mégret en 2002 était à 19,20 % au premier tour... Par contre c’est vrai que Sarko a reperdu les voix qu’il avait siphonné au FN il y a 5 ans, certains électeurs de droite extrême ont eu marre de la mauvaise copie que leur offrait Sarkozy. Évidemment, que l’extrême droite capte autant de soutiens, il y a de quoi effrayer, mais ce n’est pas sur le plan politicien qu’il faut la combattre, mais sur le terrain des luttes sociales pour ne plus lui laisser d’espace.
Donc nous ne participons pas au cirque électoral. La démocratie représentative n’a rien à voir avec la démocratie réelle puisqu’une fois élus, les représentants font ce qui leur semble bon à chaque instant et tout au long de leur mandat. Nous en voyons des exemples tous les jours quelque soit l’échelon (local ou national) et dans tous les domaines (politique, syndical ou associatif). Le bulletin de vote est une démission du pouvoir sur sa propre vie, c’est un blanc-seing accordé à une personne dont vous ne pouvez savoir les véritables intentions. Dans ces conditions, il est normal qu’ils agissent à leur guise et, sur ce plan, Sarkozy n’a pas été pire que ses prédécesseurs de droite ou de gauche. Comme disait Rousseau à propos de la première démocratie représentative des temps modernes, « Le peuple anglais se croit libre ; il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement ; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. »
A l’opposé de la démocratie représentative est la démocratie directe, celle qui s’exprime parfois dans certaines associations ou dans les AG de mouvements sociaux, celle où chacun-e peut s’exprimer directement. Dans le cadre de la démocratie directe, il n’y a plus de représentant-es libres de faire ce que bon leur semble, il y a des délégué-es chargé-es d’un mandat précis, devant en rendre compte devant leurs mandant-es et révocables à tout moment. Et il n’y a aucun espoir de se rapprocher de la démocratie directe par la voie des urnes. La 6ème république que certains veulent instaurer ne serait qu’un rééquilibrage de pouvoir entre la présidence et l’assemblée.
La démocratie représentative n’étant qu’un outil au service du capitalisme, c’est évidemment aussi le capitalisme qu’il s’agit d’abolir, et cela, aucun des dix candidat-es ne le propose. Que les candidat-es de droite (de Le Pen à Hollande ou Joly) ne proposent que des aménagements minimes (protectionnisme, restrictions à la spéculation financière ou imposition des super profits) ne peut surprendre : ils sont au service du système capitaliste. Mais les trois candidat-es de gauche ne proposent rien de conséquent non plus. Mélanchon et Poutou sont juste un peu plus fermes sur le contrôle de la finance, le relèvement des bas salaires et la fixation d’un revenu maximum. Parce qu’ils pensent qu’une personne peut en valoir 20 autres ? Et lorsque Mélenchon évoque le droit de reprise des entreprises par les salarié-es, il n’envisage pas l’expropriation des patron-nes mais simplement soutenir un peu plus ce qui existe déjà, car des salarié-es peuvent reprendre leur entreprise, que ce soit sous forme de SCOP ou d’autres statuts, pourvu que le tribunal de commerce juge qu’ils font une offre économiquement viable. Enfin, la candidate de Lutte Ouvrière ne propose qu’un droit de regard sur les comptes des entreprises et une publicité sur la répartition des profits. On est loin de l’abolition de la propriété privée des moyens de production, camarades !
Alors, avec qui pouvons nous avancer ? Bien sûr, les 9 millions d’abstentionnistes, les votes blancs ou nuls, et les 3 millions environ de non inscrit-es ne sont malheureusement pas convaincu-es comme nous qu’il faille abolir le capitalisme et la démocratie représentative. Leur désintérêt et leur refus de participer n’en fait pas tous des partisan-es de la révolution sociale, loin de là. Il peut cependant y avoir parmi eux des personnes qui préfèrent se battre au quotidien pour faire avancer les choses. Il y a certainement, parmi les personnes qui ont mis un bulletin pour l’un des trois candidats de gauche lors de ce premier tour et qui se reporteront sur Hollande au second, pas mal de personnes qui le feront sans illusions et en mettant surtout leurs espoirs dans un 3ème tour social. Ce sont elles et eux que nous risquons de trouver dans la rue dans les futures manifs et à qui il nous faudra expliquer qu’il est temps de changer de méthodes si on veut changer le monde.
Changer de méthodes, faire la révolution, ce n’est pas seulement lors de manifestations « chaudes » voir émeutières. Ces actions peuvent évidemment être un moment de la lutte, mais il est surtout primordial d’imposer la démocratie directe dans les luttes afin que chacun-ne prenne réellement le pouvoir de participer aux décisions essentielles. Si l’on veut construire une société libre, il faut déjà être libre dans l’organisation des luttes dès maintenant. C’est aussi ce que montrent certains exemples ici ou ailleurs, hier et maintenant, évoqués dans ce numéro de Courant Alternatif.
Limoges 22 avril 23h