samedi 16 juin 2012, par
Le mouvement de grève illimité des mineurs de charbon des Asturies, León et Aragón se poursuit sans discontinuer. Les mineurs semblent avoir choisi la combinaison de diverses formes de lutte.
Aux blocages de routes, autoroutes et voies ferrés quotidiens, s’ajoutent d’autres actions spectaculaires et/ou de protestation collective. Des appels à la solidarité commencent à surgir.
« Si esto no se arregla, guerra, guerra, guerra ! »
Locaux du PP visés
Dans la nuit de lundi à mardi, 5 locaux du Parti Populaire au pouvoir (dont celui d’Oviedo, capitale de la Principauté des Asturies) ont été visés par diverses actions : jets de peinture et d’œufs sur les vitrines, plusieurs fenêtres des étages brisées à coups de pierres et dans la localité minière de Aller, une vitrine a été cassée et un sac de charbon placé à l’intérieur du local.
Manif nocturne
Mardi 12 juin, dans la soirée, s’est déroulé une manifestation nocturne dans ville de León. Près de 10 000 manifestants, dont 1500 mineurs en bleus de travail et le casque éclairé sur la tête, ainsi que les familles, les proches et soutiens, ont parcouru le centre de la capitale provinciale. La marche s’est conclue par l’inévitable ‟Santa Barbara Bendita”, hymne des mineurs et la lecture par un enfant de 11 ans, d’un manifeste appelant à la solidarité « plus que jamais ». Parmi les slogans les plus scandés au milieu des explosions de pétards, le classique « Si esto no se arregla, guerra, guerra, guerra ! » (faut-il traduire ?) et « Ils sont ici, ce sont eux, ceux qui sortent le charbon ! ».
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Mercredi 13 juin. Un groupe de mineurs (des syndicalistes) s’est invité dans l’hémicycle de la Chambre des députés de Madrid, dans la tribune réservée au public et ont protesté en brandissant des T-shirts imprimés où on pouvait lire « Ils veulent en finir avec tout » et « Non à la fermeture des mines ». Le groupe de mineurs a été rapidement expulsé par la police, mais cela a permis un petit écho médiatique (quelques photos dans la presse et des images TV).
Marches de mineurs
Au cours de cette troisième semaine, plusieurs marches de mineurs sont organisées dans les principales zones du conflit.
En Aragón, a débuté une ‟marche noire” de 5 jours d’une cinquantaine de mineurs, depuis les bassins miniers (région de Teruel) en direction de Saragosse, la capitale de la Communauté autonome. Lors des premiers kilomètres au départ de la localité de Ariño, plusieurs dizaines de personnes les ont accompagnées : autres mineurs, familles, habitants de la comarca, parmi lesquels se notait la présence de manifestants vêtus du T-shirt de la « marée verte » en défense de « l’éducation publique de qualité » et contre la suppression des postes d’enseignants.
Ce jeudi 14 juin, ont démarré plusieurs marches dans la zone Asturies León, chacune avec la participation variant de 200 à 500 mineurs selon les cas. Quatre marches sont parties en direction de la mine de Santa Cruz del Sil (León) où 7 mineurs poursuivent leur encierro depuis le 21 mai. Une cinquième marche est partie d’un autre bassin minier (La Robla) en direction de León où 6 mineurs poursuivent l’occupation des locaux de l’assemblée provinciale.
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Vendredi 15 juin, 19ème jour du mouvement
Alors que les blocages ponctuels des voies de communications se poursuivaient tous les jours, sans affrontements directs avec la police depuis quelques jours, ce vendredi, l’ambiance s’est brusquement réchauffée, cette fois à proximité de la mine Sotón (El Entrego, commune de San Martín del Rey Aurelio) où des affrontements ont opposés mineurs et policiers venus les déloger. Quatre policiers auraient été blessés (dont un « sérieusement » à l’œil) ainsi que 3 journalistes. Les policiers auraient été blessés par les projectiles lancés par les fusées artisanales des mineurs. Les journalistes ont été touchés par des balles en caoutchouc de la Garde civile.
A Oviedo (Asturies), les mineurs ont tenté de s’approcher des locaux du PP mais ont été bloqués par la police. Ils ont ensuite réalisé un sit-in.
Dans la province de León, 3 mineurs ont été arrêtés lors d’affrontements avec la police dans la localité de Matallana de Torío.
Gros piquet bloquant tous les accès (camions de marchandises et personnels) de la centrale thermique de Compostilla (El Bierzo) depuis 7 heures du matin.
Et d’autres blocages sporadiques, comme chaque jour : blocs de béton sur les voies ferrées, poutrelles, branchages, pneus enflammés sur les routes et autoroutes.
Solidarité
Depuis le début du mouvement, la solidarité avec les mineurs a été essentiellement le fait des proches, des familles, des voisins, directement concernés par la fermeture des puits. Lorsque les mineurs appellent à des manifestations dans les villes, en dehors donc des comarcas [sorte de cantons] minières, la population peut se joindre à eux dans la rue le temps d’un rassemblement. Pareil, à l’occasion des marches de plusieurs jours.
Depuis quelques jours, des appels à soutenir les mineurs commencent à apparaître. Si les syndicats majoritaires limitent leurs interventions dans les bassins miniers et se gardent bien de dépasser ce cadre, certains secteurs du syndicalisme « alternatif », inexistant dans le secteur minier, essaient d’occuper le vide laissé par les CCOO et UGT. Certains (Solidaridad Obrera de Madrid, Syndicat Andalou des Travailleurs…) et font le lien entre la lutte des mineurs et l’occupation par des jornaleros au chômage de la finca de Somonte (Andalousie, province de Córdoba).
Pour l’instant, cela reste surtout verbal. Par contre, commencent à circuler des appels à la solidarité financière, à former des comités de soutien, à se mobiliser le 18 juin pour en faire une journée de solidarité avec les mineurs. C’est un peu tard, mais mieux vaut tard que jamais…
Le jeu politique institutionnel commence aussi à s’exprimer sur le conflit. Le PSOE, qui est maintenant dans l’opposition (mais gouverne dans les Asturies avec le soutien parlementaire de Izquieda Unida, sorte de Front de Gauche), profite de ce mouvement pour tenter d’exister sur ce terrain-là, en proclamant son soutien aux mineurs, contre le PP… Ainsi, dans la province de León, 19 élus locaux du PSOE dans les bassins miniers, ont entamé un encierro jusqu’au 18 juin dans 4 municipalités pour « faire pression » sur le PP, tandis que dans la même région les syndicalistes CCOO et UGT appellent les élus locaux du PP à la démission. Localement, nombre d’élus du PP s’opposent à la décision du gouvernement qui, lui, rétorque à ceux qui le critiquent qu’il va continuer « littéralement » le plan de fermeture des mines de charbon (Plan del Carbón) jusqu’en 2018, « élaboré par le gouvernement précédent » (PSOE) et approuvé par Bruxelles.
Passons....
Syndicats et mouvement
Difficile de savoir exactement le jeu réel des syndicats majoritaires dans ce secteur. Néanmoins, on peut déjà avancer quelques éléments.
Jusque-là, une certaine autonomie des mineurs s’est manifestée de plusieurs manières : en partant en grève active (blocages et barricades) contre les consignes syndicales au début du conflit, en imposant immédiatement un caractère illimité au mouvement, et aussi dans l’organisation concrète de la lutte où se combinent les assemblées quotidiennes par mine au cours desquelles se décident les actions de la journée (et principalement les blocages) et les initiatives d’origine plus syndicales comme les manifestations de rue, les marches, l’appel à une « grève générale » de 24 heures le 18 juin, mais limitée aux localités minières.
La coexistence conflictuelle de plusieurs logiques, celle des mineurs qui agissent dans une relative autonomie (tantôt ils utilisent les syndicats, tantôt ils décident de s’en passer), et celle de ces mêmes syndicats qui veulent continuer à encadrer et représenter les mineurs, est-elle en train de se fissurer ? En tout cas, pour la première fois, les CCOO (Fédération de l’Industrie) viennent de condamner publiquement « les actions incontrôlées et violentes » qui peuvent « conduire à mettre en danger l’intégrité physique des personnes » et appellent à « la tranquillité dans les mobilisations du secteur minier » tout en demandant instamment « aux forces de l’ordre de ne pas contribuer à augmenter la tension ». Un peu plus loin dans le communiqué, le syndicat n’hésite pas, contre toute évidence, à parler d’« actions extérieures au conflit des mineurs » et « de faits isolés ».
Faits "isolés" et "extérieurs" ? Plus de 300 blocages de routes et de voies ferrées en moins de 3 semaines, obligeant le gouvernement à mobiliser plus d’effectifs policiers et de moyens (hélicoptères) ! Une résistance physique de la part de centaines de mineurs aux attaques policières comme à San Cristina de Lena et Campomanes (Asturies), dans la localité de Ciñera et autour du Pozo Santiago (León), et encore aujourd’hui vendredi 15 juin aux alentours de la mine Sotón et de nouveau à Ciñera.
Comme par hasard, le même jour, la FADE (Fédération asturienne des entrepreneurs) avait publié un communiqué soutenant le secteur minier et exigeant des syndicats la fin des actions violentes comme les coupures de routes et de voies ferrées « qui amènent le chaos dans la région ».
De toute évidence, le communiqué de CCOO répond à celui du patronat en s’alignant exactement sur son contenu et en se démarquant des actions coups de poing ‟violentes”. Mais ce faisant, il essaie aussi d’atteindre deux autres objectifs : isoler les tendances et dynamiques « incontrôlées » dans le mouvement et verrouiller ce mouvement en disqualifiant toute initiative de solidarité qui sortirait du cadre syndical et du secteur géographique et professionnel des mines.
Sortir de l’isolement
Malgré leur relatif isolement (pour des raisons autant géographiques qu’historiques), les mineurs et leur détermination parviendront-ils à créer un abcès de fixation tel qu’il apparaisse comme une véritable brèche dans laquelle d’autres secteurs sociaux pourraient s’engouffrer, en plein milieu d’une séquence de sauvetage des banques et où l’annonce de nouvelles coupes sociales de toutes sortes pleuvent chaque jour, tant au niveau fédéral que dans chacune des 17 Communautés autonomes de la région espagnole ? Difficile de se prononcer dans un contexte où ceux qui voudraient l’extension ne le peuvent pas, où les mouvances "indignées" et autres semblent focalisées sur le "scandale" du sauvetage des banques... Mais difficile d’esquiver la question dans une telle conjoncture.
Une fois de plus, il est clair qu’un mouvement social précis, même très combatif, a une chance de gagner quelque chose de substantiel que s’il s’élargit en termes de solidarité en dehors de son secteur d’origine (une solidarité de type interprofessionnel pour le dire avec les mots de la tradition syndicale), et en termes d’extension ou de généralisation par l’ouverture de nouveaux fronts de lutte simultanément, modifiant le rapport de force et mettant le capital sur la défensive. Et là, tout ne dépend pas des seuls mineurs loin de là.
Prochain rendez-vous : lundi 18 juin avec la grève « générale » limitée aux bassins miniers lancée par les CCOO et UGT.
Et surtout dès le lendemain.
A suivre…
Le 15 juin 2012
Photos.
http://periodismohumano.com/economia/resistencia-minera.html