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Notre-dame-des landes

AÉROPORT  ?... AYRAULT COGNE !

Bilan provisoire après la manifestation du 17 novembre

mardi 4 décembre 2012, par Courant Alternatif


Notre-Dame-des-Landes
AÉROPORT  ?... AYRAULT COGNE !

En Loire-Atlantique, le bras de fer entre Ayrault et les opposant-e-s au projet s’intensifie – et il s’élargit à tout l’Hexagone. Annonçant successivement un délai de six mois par la bouche de trois ministres (24/11), puis un maintien inébranlable du projet par celle de sa porte-parole (26/11), le gouvernement Ayrault bronche face à l’irruption d’un surprenant mouvement.

LA MANIFESTATION DE RÉOCCUPATION DU 17 NOVEMBRE

Pendant cinq heures, le cortège ininterrompu d’environ 30 000 personnes, avec 400 tracteurs et remorques chargées de matériel de reconstruction et de maisons en kit, a cheminé entre le bourg de Notre-Dame-des-Landes (NDDL) et la prairie où deux chapiteaux, divers stands et autres structures recevaient la foule des opposant-e-s. Les manifestant-e-s : beaucoup de jeunes, contrairement aux dernières manifestations antinucléaires ; beaucoup de femmes de tous âges ; des gens souvent très différents mais qui se mélangeaient dans une ambiance détendue et qui, manifestement, étaient contents d’être là et de prendre conscience qu’ils représentaient une force. Des gens qui n’avaient jamais mis les pieds dans le bocage, mais qui ont vécu comme un outrage l’intervention policière sur la zone à défendre (ZAD) : un peu comme si « ne pas y aller » revenait à leurs yeux à plier et tout accepter, ne plus être vivants. Cette manifestation regroupait donc des personnes très différentes… mais essentiellement des « petites gens », très peu de bobos des centres-villes ou de bourgeois en mal de folklore.

Ils et elles se sont mobilisés parfois en venant de très loin, parce que la résistance opiniâtre sur le terrain menée par les occupant-e-s de la ZAD et leurs soutiens face aux opérations de police a généré une vague de sympathie et créé un effet de reconnaissance et d’identification tacite, une solidarité un peu jubilatoire, assez joyeuse et déterminée : une envie de participer, d’en être, même le temps d’une journée sur le thème : « Une expulsion ? Une réoccupation ! », qui veut aussi dire : « Ce n’est qu’un début... » Quand une lutte crée un climat particulier, quand une résistance provoque une situation nouvelle, qui donne envie de participer ici et faire de même ailleurs, généralement cela signifie une rupture avec le fatalisme désabusé et l’acceptation du monde tel qu’il est. Beaucoup de jeunes et de moins jeunes se sont montrés très motivé-e-s pour aider à la reconstruction, au point que des appels sono ont dû demander à plusieurs reprises de ne pas aller sur les lieux de reconstruction, surpeuplés par l’afflux de volontaires !

« A NDDL,
SEULE LA LUTTE DÉCOLLE »
(BANDEROLE DE TÊTE)

Après coup, on ne peut que le constater : ce qui s’est passé ce samedi 17 novembre se dessinait depuis plusieurs semaines. Des gens des communes les plus concernées par le projet – de Nantes aussi, et même de Saint-Nazaire et autour de Rennes –, qu’on n’avait jamais vus, sont venus jusqu’ici, sont entrés dans les maisons et y ont apporté quelque chose, ou simplement discuté, posé des questions. Ce qu’on n’avait pas réussi à faire avant, se lier ainsi avec des personnes extérieures, finalement la vague d’expulsions l’a permis. Le discours du préfet, du PS, d’opposer les gentils et les méchants, et de demander aux gens de se détourner des occupant-e-s de la ZAD est ainsi un échec total. Ça a foiré même doublement : non seulement les gens ne se sont pas éloignés mais ils se sont rapprochés de nous. Les barrières qu’il y avait avec un certain nombre d’entre eux sont en train de tomber. Même avec certain-e-s militant-e-s avec qui il y avait des difficultés, des méfiances, les rapports ont changé. Les identités particulières, les réflexes de fermeture commencent à tomber. Les personnes des communes environnantes qui avaient pris leurs distances avec la lutte depuis des années, par lassitude ou pour d’autres raisons, sont réapparues ce jour-là pour se relancer dans la lutte, prenant à contre-pied le maire de NDDL qui, la veille de la manifestation, continuait à se répandre dans la presse contre les « squatteurs ».

Les partis politiques ont respecté la consigne qui leur était donnée de se faire discrets. Peu de banderoles de parti, peu de drapeaux, ou en tout cas relégués en fin de manif car la majorité des manifestant-e-s n’était pas encartée. Il n’empêche que, grosso modo et bien sûr, la grande presse a ensuite surtout parlé des partis et des personnalités (Mélenchon et Bové en particulier), d’EELV et des conséquences dans le microcosme politicien d’un pseudo-bras de fer entre le PS et les écolos. Ce n’est pas le devenir de l’aéroport qui les intéresse, mais la vie et le feuilleton de la « vie politique ».

Cette discrétion des partis observée pendant la manif n’est évidemment qu’une posture temporaire et hypocrite. En témoigne la façon dont certains ont contourné la consigne donnée par l’assemblée de lutte (qui s’est réunie chaque mardi pour préparer la manifestation) en se servant d’une presse tout à leur service. L’intervention des élu-e-s et dirigeant-e-s d’EELV (même si le PG et le Modem y était aussi, ce sont les Verts qui ont accaparé l’« action » !), la veille, n’a rien été d’autre qu’une grossière tentative de récupération par un parti qui non seulement n’est pas très impliqué dans la lutte localement, mais est de plus au gouvernement. Les Mamère, Bové et consorts sont venus parader devant les caméras avec quelques tournevis et un pied de biche, et après avoir ouvert la porte d’une maison, sont restés trente minutes devant pour dire que, eux aussi, il fallait les poursuivre car ils participaient à des occupations illégales… Quand on sait que l’expulsion du 260 rue des Pyrénées, à Paris (20e), s’est faite avec l’accord de Cécile Duflot, qui est députée du secteur… on croit rêver ! Le lundi 19 novembre, Yves Cochet a aussi appelé la ZAD pour proposer que des parlementaires EELV viennent dormir à tour de rôle à la ferme des Rosiers, expulsable depuis le 16, pour assurer la sécurité des occupant-e-s en cas d’intervention policière... Que ne feraient-ils pas pour rentrer dans le jeu et redevenir centraux dans les médias !

ASSUMER UNE EXPRESSION
PUBLIQUE DU MOUVEMENT

Le problème du rapport aux médias, et plus largement à l’apparition politique publique, se pose. Car même si on sait que la presse déforme et fait ce qui lui plaît, il n’empêche que tout n’est pas identique et que refuser de se coltiner directement avec elle en ne voulant pas communiquer autrement que par Internet, par phrases « bloquées » ou par tracts, c’est laisser le champ totalement libre aux partis et aux leaders d’opinion. Ça s’est vérifié une fois de plus à cette occasion. De toutes les façons, la question se reposera avec la répression qui ne va pas manquer de se poursuivre et avec les procès qui l’accompagneront. Quelle attitude avoir, pendant ces procès ? Quels témoignages, ou pas de témoignages ? Des conférences de presse ou non ? Autrement dit, faut-il se construire des espaces « caisse de résonance » en se fixant comme objectif de les maîtriser du mieux possible, ou bien ne pas mettre les doigts dans cet engrenage, de peur qu’il se retourne contre nous ?

Il est certain que la mouvance dite « zadiste » et ses soutiens-copains a paru avoir le contrôle politique de la manif : banderole de tête, drapeau créé pour l’occasion, slogans, esprit général… mais d’autres n’étaient pas loin. Il ne faut pas oublier que sans l’ACIPA et la Confédération paysanne l’infrastructure matérielle comme l’élargissement politique auraient manqué cruellement. Chacun-e a pu le vérifier très rapidement (voir encart page suivante) !

En tout cas, cette manifestation du 17 novembre aura été l’illustration de l’échec des tentatives de division entre bons et mauvais opposants, entre sérieux/responsables et violents « anarcho-autonomes/terroristes » orchestrées par le pouvoir (préfets, flics, ministres, etc.). Mais aussi par EELV (il faudra sans cesse le rappeler, et nous ne l’oublierons pas). Le petit "4-pages" dénonçant les Verts (distribué très largement et bien reçu) comme les panneaux posés le long de la manif pour rappeler les sorties récentes de responsables d’Europe écologie contre zadistes et occupants furent bienvenus : « Les squats de maisons à NDDL ne servent pas la lutte des vrais opposants au projet d’aéroport que sont les agriculteurs, la population et les politiques » (François de Rugy, député de Loire-Atlantique) ; « C’est compliqué... On est démunis, ces ultras sont totalement autonomes, on ne sait pas comment les virer » (Jean-Philippe Magnen, porte-parole d’EELV à Presse Océan du 14/09/11). Et, à cette occasion, on a pu constater par nous-mêmes que de moins en moins de gens appréciaient le parti écolo et ses grands écarts. Nous l’avions déjà noté à Laval, lors de la manifestation antinucléaire du 13 octobre où le slogan plein d’humour « Les Verts sont jaunes on n’y comprend plus rien » s’est taillé un beau succès au côté du plus traditionnel « Arrêt immédiat du nucléaire ».

UN NOUVEAU MOUVEMENT ?

Cette manifestation de réoccupation à NDDL pourrait faire date, en révélant l’existence d’un véritable mouvement qui se prend en charge à la base, autonome des forces institutionnelles et capable de mener des luttes sur la durée, de l’emporter politiquement sur les partis, même pour un temps. Cela n’était pas arrivé depuis très longtemps en France – depuis 1995 avec les retraites du public, et avant les coordinations et le mouvement des cheminots. Encore ne s’agissait-il alors que de dissidences syndicales temporaires.
Aujourd’hui, ici, un mouvement affirme, avec des nuances et des différences certes, son rejet de la société capitaliste ; et il intègre peu ou prou cette dimension dans l’objectif spécifique poursuivi : pas d’aéroport ! Un mouvement de contestation et de lutte continue, en trouvant ses moments et espaces d’expression et de mobilisation de masse en marge des forces politiques instituées, et en s’articulant avec la lutte quotidienne et déterminée sur le terrain.

L’AG du lendemain, le dimanche 18, a décidé d’une manifestation à Nantes le 24 afin de rappeler à tout le monde que rien n’est définitif et qu’il ne faut pas se laisser gagner par l’euphorie. A également été rappelée la nécessité d’écarter les journalistes, les partis politiques et les professionnels de la récupération qui ont essayé de reprendre le flambeau de la lutte alors que, depuis le début des expulsions, le 16 octobre, les initiatives sont parties de la ZAD et des soutiens (comités et personnes) autour d’elle.
Ce refus marqué de se faire récupérer dans un cadre institutionnel montre clairement qu’une expression politique réellement collective peut exister et contribuer à faire gagner.

APRÈS LA RÉOCCUPATION, L’ÉTAT ATTAQUE DE NOUVEAU

La semaine qui a suivi la manif à NDDL, le redéploiement des policiers a marqué la volonté du pouvoir de riposter. La destruction d’une nouvelle maison, Les Rosiers, le vendredi, puis les attaques sur la zone de construction ont été marquées d’une montée de la violence (samedi 24, jour de la manif sur Nantes, on comptait une dizaine de manifestant-e-s blessé-e-s par éclats de grenades assourdissantes ou tirs de flash-ball – dont plusieurs grièvement atteints : œil, côtes, bas-ventre, jambes). Le faux parallèle avec la lutte du Larzac, répété en boucle plusieurs jours par les médias, cède le pas à celui avec Malville, de sinistre mémoire ; ou avec Montabot, le 24 juin dernier, dans la lutte contre la ligne THT et le futur réacteur nucléaire EPR.

Mais cette offensive policière contre la ZAD a de nouveau provoqué une remarquable réaction de solidarité et d’indignation, cette fois dans le Grand Ouest et sur l’ensemble de l’Hexagone – en un temps très court, et non plus en trois semaines.. : de nombreuses manifestations, rassemblements, occupations de mairie ou de locaux PS ont démontré que, partout, les opposant-e-s à l’aéroport ne désarment pas.
La ZAD voit un nouvel afflux de résistant-e-s déterminé-e-s à céder de moins en moins de terrain ; les gens viennent de tout le Grand Ouest, Bretagne, Pays de la Loire, Poitou... Même à Nantes, le 24 novembre, la manifestation mensuelle du collectif nantais contre l’aéroport, « bonne enfant » au départ, tourne en mini-siège improvisé de la préfecture par plusieurs milliers de personnes – contenues par les flics à la lance à eau et aux lacrymos. A chaque escalade de la répression, le pouvoir semble étonné par la capacité et l’intensité croissantes de réaction du mouvement d’opposition, qui semble s’étendre de plus en plus hors de la ZAD et du département.

Ayrault sort de sa réserve, affirme reprendre le dossier en main (comme s’il l’avait lâché !), et on assiste à un curieux ballet entre trois ministres et la porte-parole du gouvernement : les uns évoquent un délai de six mois avant tout défrichement de la forêt, avec la nomination par « souci d’apaisement » d’une commission d’experts nommés pour réévaluer les atteintes à l’environnement (1) ; l’autre réaffirme l’inéluctabilité de l’aéroport. Quant au préfet, il annonce qu’il combattra toute installation de camp retranché... Les paysans ne s’y sont pas trompés : une quarantaine de tracteurs se sont enchaînés en protection autour des constructions collectives de la Châtaigneraie, sur la ZAD, devant une assemblée de 500 personnes qui avait salué l’arrivée de ces engins avec enthousiasme, alors que les piquets des gendarmes mobiles se tiennent à quelques encablures de là.

L’appel à la résistance et à la mobilisation est donc relancé pour toute la semaine. Le rythme ne devrait pas baisser à court terme ; fin décembre, ce seront les paysans et les habitant-e-s de longue date de la ZAD qui seront expulsables. La division tant souhaitée par le préfet n’est donc pas pour demain, malgré les divergences politiques qui perdurent.

L’avenir nous dira s’il s’agit d’un feu de paille ponctuel et sans lendemain à la veille de l’hiver ou si cela correspond-il à quelque chose de plus profond dans une partie de la société française, marquant un tournant et peut-être le début d’une nouvelle période à partir de la manifestation d’une conflictualité nouvelle, sur une sensibilité diffuse anticapitaliste et anti-développementiste s’inscrivant dans la durée...

Evidemment, l’émergence d’un tel mouvement est insupportable pour tous les partis institutionnels, les Etats, les syndicats et tous ceux qui nous combattent. C’est bien pourquoi il ne faut jamais perdre de vue que ces gens-là ne sont pas seulement des traîtres et des méchants : ce sont nos ennemis. Mais, surtout, garder à l’esprit qu’ils ne peuvent exercer leur malfaisance que dans la mesure où nous-mêmes avons de grosses difficultés à nous autonomiser jusqu’au bout… en faisant « nous-mêmes » de la politique (la vraie, pas la politicarde) et en nous assumant comme force antagonique à la bourgeoisie.

Des militants OCL investis dans la lutte contre l’aéroportde Notre-Dame-des-Landes

1. Commission d’experts saluée immédiatement par le sénateur nantais EELV Dantec, qui frétille d’avance de pouvoir communiquer sur le sujet à cette occasion.

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