Etrait de Courant Alternatif n° 256 de janvier 2016
lundi 25 janvier 2016, par
À Paris dans un climat d’état d’urgence, avec une opposition antiCOP pacifiée ou muselée, après deux semaines de négociations entre 195 pays, la Conférence sur les changements climatiques des Nations Unies, ou COP21, a accouché d’un accord de 39 pages et 29 articles. Si l’on accepte leurs argumentaires alarmistes sur le changement climatique ces mesures seront une question de survie pour l’humanité.
L’accord entrera en vigueur à partir de 2020 s’il est ratifié par 55 des pays signataires de la « Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques ». L’accord fixe pour objectif de maintenir la hausse moyenne de température « bien au-dessous de 2 °C par rapport aux niveaux pré-industriels et de poursuivre les efforts pour limiter la hausse de température à 1,5 °C au-dessus de ces niveaux, en reconnaissant que cela réduirait considérablement les risques du changement climatique ». Or, d’après de nombreuses ONG, les mesures envisagées par les États à ce jour laisseraient espérer au mieux une limitation du réchauffement à 3 degrés.
Le texte traduit de la part de tous, une volonté d’atteindre ces objectifs dans le respect du principe des responsabilités communes mais différenciées, des droits humains, du droit à la santé, du droit au développement, des droits des peuples indigènes, etc. Il traduit aussi l’importance d’une « transition juste » pour le monde du travail et en tenant compte des capacités respectives des pays… etc. Comment ne pas adhérer à ces prises de positions de principe et autres bonnes intentions. Mais, le texte adopté par les 195 pays représentés à Paris ne garantie aucunement que ces orientations seront suivies d’effet. De plus, il reste flou sur les échéances à respecter pour que les objectifs climatiques soient atteints et sans coercition en cas de non respect.
Un des points en discussion était l’aide financière promise par les pays riches pour affronter les problèmes que le changement climatique pose aux pays pauvres. Une somme de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 leur est promise, pour les aider à réduire leurs émissions de GES (Gaz à Effet de Serre) et s’adapter aux évolutions du climat. Mais dans l’accord il n’est fixé aucun montant. Les sources, publiques, privées, de ces financements ne sont pas définies. Pour trancher la polémique sur le sujet, il est prévu des études pour préciser la provenance des flux promis. Ce ne serait pas la première fois que ce genre de promesse ne serait pas suivi d’effet.
Si l’accord de Paris a été adopté par les 195 parties prenantes il n’en reste pas moins qu’il devra être signé par les États. Le chemin sera long et tortueux avant que l’accord soit définitivement adopté, notamment sa ratification par un nombre suffisant d’États. Pour entrer en vigueur, l’accord doit être ratifié par au moins 55 pays représentant 55% d’émissions de GES. Et même après l’entrée en vigueur de l’accord, prévue au mieux pour 2020, un pays qui déciderait finalement de ne pas tenir ses engagements pourra s’en retirer après un délai minimum de trois ans.
Cet accord commun part d’une bonne volonté de tous et de chacun. Avant, seuls les pays industrialisés avaient « devoir » d’information, d’inventaire de leurs émissions de GES. Dorénavant tout les pays devront rendre des comptes dans un devoir de transparence. L’accord en précise la manière : non intrusive, non punitive et respectueuse de la souveraineté nationale. On peut noter là toute l’hypocrisie des bourgeoisies et représentants signataires.
Pour le président François Hollande, réjoui, la conférence à su : « concilier l’inconciliable » dans un document « à la fois ambitieux et réaliste ». « L’accord décisif pour la planète, c’est maintenant », a-t-il conclu. Quant à Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et président de cette COP il affiche sa satisfaction : « le meilleur équilibre possible ».
Hollande et Fabius ont raison, « c’est le meilleur équilibre possible ». L’accord n’a évidemment rien de contraignant, d’autant qu’il ne prévoit aucune sanction d’aucune sorte contre les pays responsables. Comment pourrait-il en être autrement dans cette société capitaliste. Les États, les gouvernements, peuvent bien signer des conventions ou des accords de régulation du climat, chacun sait que les orientations, les décisions sont prises en fonction des intérêts économiques des multinationales et autres grandes entreprises ou banques internationales qui, elles, ne sont guidées que par une seule règle : la recherche du profit maximum. Quel crédit accorder à cet accord qui n’est qu’un compromis de gouvernements, qui masque la réalité : les profondes divergences d’intérêts des différents pays leaders ou représentants des divers secteurs capitalistes qui se combattent par ailleurs.
Nous savons très bien que le capitalisme est une cause de la dégradation climatique due à la croissance des GES. Voici vingt ans, ses gestionnaires niaient le problème en lâchant leurs « climatosceptiques » pour semer le doute dans les opinions mondiales. Aujourd’hui inopérants ces derniers ont été délaissés. Les bourgeoisies « verdies » contre-attaquent par de grandes messes célébrant la préservation de la nature et de l’environnement. Elles mettent en scène en mondovision leur spectacle telle la COP21 à Paris. À travers ces rencontres, les gouvernements font croire qu’ils sont capables de ralentir la catastrophe à venir, qu’ils agissent pour la sauvegarde de la planète. Leur but : faire oublier que c’est la dynamique capitaliste avec sa rapacité qui est coupable des destructions, parfois irréversibles, tant humaines qu’environnementales de la planète. Ces gouvernements tentent de faire croire dans une hypocrite unanimité qu’ils sont à la hauteur des enjeux contre cette catastrophe en cours et qu’enfin ils travaillent pour le bien-être des peuples et des générations futures. Après le déni de la catastrophe révélé, la nouvelle arme de la bourgeoisie est la récupération travestie dans la séduction et la démagogie de certains en son sein. Paris en est la démonstration. Gouvernements, entrepreneurs, financiers trouvent le relais grâce aux faiseurs d’opinion, aux lanceurs d’alertes que se veulent les ONG labélisées. Quelles meilleurs alliées que ces ONG, garde-fous idéals et alibis démocratiques, pour rabattre les foules et mobiliser les opinions pour communier ensemble. Oublions l’exploitation capitaliste, la guerre de classe, et rassemblons nous pour sauver la planète. Tel est le message. Quand à ceux qui douteraient de ces dirigeants ou ne se résigneraient pas (« sauvons la planète, pas le système »), la bourgeoisie a su garder son vrai visage comme à Paris place de la République en matraquant les manifestants. Il en va de leur intérêt politique et social de faire croire que la crise mondiale est d’abord une crise où tous les humains seraient du même bord. Ouvriers, patrons, prolétaires, capitalistes, faisons une ronde autour du monde. Habile manière de casser dans les opinions publiques toute idée d’opposition des classes sociales, et de révolution émancipatrice.
L’accord de Paris ne fixe en rien une échéance pour la fin ou la diminution de l’utilisation des combustibles fossiles. Il est à la planète ce que l’arrêt de Fessenheim ou la réduction de la part du nucléaire sont à la France durant la mandature de F. Hollande. Ces rencontres internationales permettent surtout aux pays occidentaux de maintenir et d’orienter leurs impérialismes vers les nouveaux marchés du capitalisme vert. Une fois leur spectacle terminé on découvre que ce sont les mêmes dirigeants, les mêmes grandes entreprises ou les mêmes banques internationales qui fixent toujours les conditions des profits que doivent ramasser leurs actionnaires. Ces mêmes responsables de catastrophes contre les peuples restent impunis et agissent encore. Comme le souligne E. Cameron (1) : « Pour la première fois, tous les États s’engagent sur la voie d’une réduction des émissions de CO2 sans retour en arrière possible. Cela crée la confiance nécessaire pour que le secteur privé s’engage à son tour. La lutte climatique peut être une formidable opportunité pour les entreprises. Celles-ci sont prêtes à l’instauration d’une nouvelle ère économique ».
Ne doit-on voir que le côté obscur de l’accord ? Bien sur que non ! Le monde a salué le pari réussit de l’équipe « France ». Samedi soir une fois l’accord adopté, un vibrant hommage est adressé à la présidence française de la COP21 et à sa diplomatie qui ont fait du bon travail. Fabius dans sa grandeur a même reçu le titre de « Climarathonien » tant il a su se dépenser pour aller chercher cette unanimité de 195 pays. Pendant quinze jours il a pu jouer au président du Monde. Paris, pacifiée de tous désordres, grâce à l’état d’urgence imposé, a été la capitale du Monde et F. Hollande, chef de guerre et sauveur de la planète, est remonté sur son petit nuage qui pense-t-il le portera à la présidentielle de 2017. Par contre nous n’avons pas de nouvelle de S. Royal la ministre de l’environnement et des transports.
Ne doit-on voir dans cette COP21 qu’un gala de charité organisée par la bourgeoisie internationale, en trêve, entre deux guerres livrées aux quatre coins de la planète, pour venir en aide aux populations menacées par les climats ? L’accord de Paris reconnaît les notions de « pertes et dommages » liées au réchauffement climatique et à la montée des océans, et celles de « victimes » aux petites nations insulaires qui les subissent. Une victoire pour ces peuples menacés qui ont déjà les pieds dans l’eau, ces populations déjà en migrations forcées par les conditions climatiques dégradées qu’elles subissent sans avoir de responsabilité dans l’histoire ? « Cela nous permettra de revenir vers nos populations avec des acquis concrets pour eux. La mention des pertes et préjudices et également importante » déclare le délégué des îles Samoa, 184 000 habitants, inquiet du sort de ses îles. De son côté, L. Charles, délégué de la Grenade (île des Caraïbes) indique qu’« il est regrettable d’en arriver là… » mais que l’accord « permettra de faire appel à des assurances ou d’obtenir des visas vers d’autres pays en raison du changement climatique ».
N’est-ce pas le côté clair de l’accord ? D’où l’intérêt des classes dominantes à manipuler les consciences en faisant croire que c’est l’irresponsabilité des populations qui menace les générations futures. Ainsi, les sacrifices économiques et sociaux, imposés aux travailleurs du Monde par le système capitaliste et ses modes d’exploitations, qui engraissent les profiteurs, sont détournés. Ils deviennent alors des sacrifices solidaires demandés aux peuples et à tout un chacun pour sauver la planète et l’humanité. Ensuite, il y a un énorme intérêt à présenter les pays riches, leurs États et leurs trusts, comme altruistes envers les pays pauvres, en les finançant et en les aidant à « réaliser la transition énergétique et écologique » . Les pays développés ont intérêt à faire croire que ces aides sont pour le bien des peuples alors que leurs gouvernements vont simplement aider des entreprises privées à s’investir dans des pays pauvres pour les exploiter davantage et les rendre plus dépendants.
L’accord de Paris est donc « à la fois ambitieux et réaliste » comme l’a annoncé F. Hollande. Soyons sûr que la route vers le « capitalisme vert » ne sera pas pavée que de bonnes intentions. Si le contenu de l’accord est teinté d’écologie, il reste antisocial, et ne ralentira pas les dégradations climatiques car le peu de bonnes intentions seront marquées et mesurées à l’âpreté du profit. À moins que les peuples qui se sont manifestés partout dans le monde pendant la COP21 ne se mobilisent davantage. À moins que tous ceux et toutes celles qui luttent de par le Monde contre l’exploitation et les barbaries du capital s’insurgent pour inverser les rapports de force.
MZ, Caen le 17-12-2015
Note
(1) Directeur du Business Social Responsability, un réseau de plus de 300 firmes internationales.