vendredi 1er juillet 2005, par
Pour la première fois de son histoire, la COGEMA (devenue AREVA) passait en procès en correctionnelle le 24 juin dernier, accusée des délits de pollution des eaux et de dépôt et abandon de déchets. Il s’agissait de l’aboutissement d’une procédure menée depuis six ans par la petite association Sources et Rivières du Limousin contre la multinationale du nucléaire.
Malgré une mobilisation modeste, ce procès a eu un retentissement médiatique assez important. Suffisant en tout cas pour donner des sueurs froides aux élus locaux complices de COGEMA.
Histoire d’une pollution
COGEMA a exploité les gisements d’uranium du nord de la Haute-Vienne (secteur de Bessines en particulier) pendant cinquante ans de 1949 à 2001. L’exploitation a eu lieu en surface (à ciel ouvert) et en galeries souterraines. Cette exploitation a conduit à stocker des stériles et des boues résultant du traitement du minerai (des dizaines de millions de tonnes) en comblement d’excavations et de vallées.
L’abandon des premières mines intervient dès les années quatre vingt ; des arrêtés préfectoraux imposent un réaménagement des sites d’exploitation et une surveillance de l’environnement. En 1993 un rapport commandé par le Ministère de l’environnement insistait sur les dangers liés au stockage de résidus radioactifs, notamment le caractère aléatoire de mesures de précaution alors même que certains déchets avaient une durée de vie très longue.
Sur la pression des associations, le Conseil Général de la Haute-Vienne et du Conseil Régional du Limousin commandent une étude à la CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la radioactivité). Celle-ci dresse, dans un rapport rendu en février 1994, un premier bilan de l’impact des activités minières sur le milieu aquatique. Ce rapport ne connaîtra aucune suite particulière, ni de ses commanditaires, ni des diverses administrations compétentes, en dépit de la preuve de multiples délits de pollution de la part de l’exploitant, ainsi qu’une défaillance coupable de l’administration.
En 1995, Sources et Rivières du Limousin, une association de la protection de l’environnement dont l’objectif est la connaissance et la préservation de l’eau et des écosystèmes aquatiques, décide, face à l’inertie générale, de donner suite à ce constat. Elle engage un processus de contrôle de l’état des eaux sur plusieurs points significatifs du bassin. Elle renouvelle l’opération en 1996 et 1997. Les analyses confirment un niveau de radioactivité important et également une pollution chimique.
A l’automne 1998, alors que depuis plusieurs années des associations (et en particulier l’OAL – Organisation Anarchiste de Limoges) annonçaient qu’il devait être gravement pollué, intervient la vidange du lac de St Pardoux (pôle touristique du département). Le Conseil Général, gestionnaire du site, accepte de faire réaliser une étude, espérant démontrer le contraire. L’analyse des boues et de poissons fait apparaître une radioactivité importante et une teneur significative en uranium 238 dans les sédiments. Plusieurs rapports, notamment de la CRIIRAD confirment cet état des lieux et les rapports et analyses déjà intervenues. Pour rassurer les populations et préserver l’activité touristique à court terme, les autorités publiques décident de recouvrir les boues polluées d’une couche de sable d’une vingtaine de centimètres, rien n’est prévu pour éliminer les causes des pollutions. Les matières radioactives, charriées par les ruisseaux (et en particulier le Ritord) traversant les anciens sites miniers continuent de s’accumuler dans le lac. La Gartempe entraîne les déchets du secteur de Bessines jusque dans le département voisin de la Vienne.
En janvier 1999, lors de l’enquête publique relative à la mise en conformité du périmètre de protection de la retenue du Mazeaud (l’une des réserves d’eau de la ville de Limoges), le commissaire enquêteur diligente une expertise sur le ruisseau du Marzet où se jettent des eaux provenant de l’ancien site minier « Les Gorces-Saignedresse ». Le rapport du Pr. Mazet, souligne par exemple que les installations devant servir à l’épuration des eaux du bassin minier sont « hors d’usage ». Le préfet, comme COGEMA, nie tout risque et toute pollution. Néanmoins le préfet prend un arrêté imposant à COGEMA de dévier les eaux d’écoulement des mines pour contourner la réserve d’eau potable de la ville de Limoges et les déverser en aval dans la petite rivière La Couze, considérant le niveau de dilution de la pollution suffisant. Il demande enfin un contrôle renforcé sur ce secteur.
La mise en route de l’action en justice
C’est en mars 1999 que Sources et Rivières du Limousin décide de déposer une plainte avec constitution de partie civile contre COGEMA auprès du Tribunal de Grande Instance de Limoges pour :
Les complicités administratives et politiques
COGEMA, affirme avoir toujours respecté les arrêtés préfectoraux ainsi que la réglementation et s’être soumise aux contrôles de la DRIRE. Le 20 octobre 2003, Sources et Rivières du Limousin demande à la DRIRE de lui communiquer les contrôles effectués sur l’exploitant COGEMA au cours des dix dernières années. En l’absence de réponse de la DRIRE dans les délais, l’association saisit la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) et menace ce service de saisir le Tribunal Administratif en cas de non-communication. Des documents sont enfin envoyés révélant que la DRIRE s’est toujours appuyée sur les analyses de COGEMA pour valider ses informations, la DRIRE n’ayant pas procédé elle-même à l’examen de l’état des eaux ou de la nature des produits stockés sur le bassin minier.
En décembre 2003 et janvier 2004, le préfet de la Haute-Vienne prend des arrêtés imposant à la COGEMA de sécuriser le lac de St.-Pardoux, en contrôlant les pollutions issues du bassin minier et d’établir un bilan de la situation réglementaire et des conditions de réhabilitation des différents sites miniers dans le nord de la Haute-Vienne. Même s’il se réserve le droit de demander une expertise indépendante (dans le futur…), le préfet, comme le faisait la DRIRE, confie à la COGEMA un auto contrôle qui lui permettra de confirmer ce qu’elle énonce toujours, c’est à dire qu’elle respecte les normes et qu’il n’y a pas de pollution.
Si l’administration est complice de la COGEMA, les élus locaux socialistes (maires et conseillers généraux) le sont tout autant. Certains ont été salariés de la COGEMA, d’autres ont bénéficié personnellement ou ont fait bénéficier leur entourage ou leur commune (musée de minéralogie) des « largesses » de la multinationale. D’autres engagés dans l’opération de développement touristique du site de Saint-Pardoux ne peuvent supporter de voir son image ternie par les déclarations d’écologistes ou les tracts de l’OAL Très récemment le conseiller général présidant l’établissement public (EPIC) du lac de Saint-Pardoux écrivait dans la presse locale que « les intégristes de l’écologie (…) prennent en otage la population locale et les touristes (…) sont « les assassins » de notre tourisme et de notre environnement alors qu’il n’y a aucun risque ». Il ajoutait qu’il envisageait « de porter plainte un jour pour diffamation et fausse nouvelle ». En tout cas pour l’instant, c’est COGEMA qui fait l’objet d’un procès.
Le renvoi en correctionnelle
Le 26 mars 2004 la Chambre d’instruction de la Cour d’Appel de Limoges rend un arrêt historique contre COGEMA, en confirmant son renvoi en correctionnel. Ce renvoi est très intéressant dans ses arguments et ne fait aucune concession à la multinationale en relevant :
Le procès du 24 juin
Dans une ultime tentative d’échapper au procès, la COGEMA se pourvoit en Cassation contre l’arrêt de la Cour d’Appel de Limoges. Le 4 novembre 2004, la Cour de Cassation déclare irrecevable le pourvoi formé par COGEMA, confirmant ainsi la décision de la Cour d’Appel de Limoges et le renvoi devant le tribunal correctionnel de Limoges pour les délits de pollution des eaux et dépôt et abandon de déchets.
Ce procès était annoncé comme un « procès historique » puisqu’il s’agissait pour la première fois de la mise en examen pour pollution de ce géant du nucléaire. Les associations et partis soutenant l’action de Sources et Rivières du Limousin (Réseau sortir du nucléaire, Maison des Droits de l’Homme, Verts, LCR) avaient essayé de mobiliser, mais il n’y avait qu’une centaine de personnes pour pique-niquer face au tribunal. Ce n’est pas surprenant lorsqu’on se limite à un travail d’expert et ne destine ses réflexions qu’au milieu militant.
La presse locale et nationale était présente mais avec des attitudes très différentes. Si L’Echo, proche du PC, a choisi de ménager la chèvre et le chou (ce qui est nouveau, car il y a quelques années il prenait systématiquement la défense de COGEMA et de ses travailleurs syndiqués CGT), Le Populaire, d’origine socialiste, trouvait « Sources et Rivières, bien seule… » et semblait soulagée de voir que les arguments de la COGEMA étaient repris par le procureur. La palme de la soumission aux nucléocrates pouvait être décernée ce jour-là au Monde qui avait refusé de passer un article « en amont » du procès de sa correspondante locale et publié un cahier central de 4 pages de publicité pour AREVA.
Le procès lui-même qui a duré une journée a consisté essentiellement en un débat d’experts scientifiques et juridiques. Sources et Rivières du Limousin n’était pas complètement seule puisqu’elle était appuyée par la CRIIRAD qui a confirmé les études passées par de nouvelles analyses. "Début 2005, les résidus radioactifs sont toujours là, a témoigné, vendredi 24, Bruno Chareyron, ingénieur à la CRIIRAD, la situation n’a pas changé." Par contre, il est vrai qu’elle avait face à elle non seulement COGEMA-AREVA et ses huit avocats, ainsi que la DRIRE, mais également le procureur de la République de Limoges. Après ce débat très technique, où chaque camp s’est opposé une série de chiffres, d’analyses, de normes et de décrets, il a considéré que les arguments des écologistes n’étaient que des hypothèses et en a conclu que « dès lors que la personne poursuivie a respecté la réglementation, l’élément moral de l’infraction litigieuse ne saurait être établi ». En conséquence, il n’a pas requis de peine et a préféré s’en « remettre à l’appréciation du tribunal ». Le jugement a été renvoyé au 14 octobre.
Les enjeux
Ce procès est intervenu dans un contexte où la mobilisation locale contre le nucléaire est très faible. La date éloignée du jugement a sans doute été choisie pour calmer le jeu. Pourtant les enjeux sont de taille. Ce procès, s’il ne s’était pas enferré dans un débat technique aurait dû faire apparaître plusieurs points :
Limoges