dimanche 1er mai 2005, par
Manifestement l’enjeu de ce referendum n’est pas la constitution européenne. Pour les tenants du oui il s’agit maintenant de recrédibiliser la classe politique qui constate avec effroi que le fossé qui existe entre elle et le peuple est encore plus grand que ce qu’ils pensaient. Chacun de leurs arguments en faveur du oui se retournait contre eux à tel point que l’on avait l’impression d’assister à un exercice de Commedia del arte dans lequel Arlequin rossait le coquin... pour le plaisir. Et ce plaisir-là n’en déplaise aux coincés de la politique politicienne est autrement plus révélateur que tel ou tel argument en faveur du oui ou du non.
Une chose est certaine, le résultat du référendum relatif à la constitution européenne, n’aura aucune incidence sur les projets capitalistes mis en place dans la zone Europe en rapport direct avec les redéploiements économiques qui s’opèrent à l’échelle de la planète. En France, 15 familles à elles seules contrôlent plus du tiers du capital de la Bourse de Paris : Peugeot, Bouygues, Bettancourt, Dassault, Arnault, Michelin, Pinault, Bellon, Ricard... Dans le monde ils sont 700 à posséder un milliard de dollars ou plus. Et leur fortune, de 2 200 milliards augmente en moyenne de 15 % par an ! C’est cette réalité-là que les capitalistes se doivent d’organiser et de rationnaliser à seule fin de la pérenniser.
A défaut de dissoudre le peuple...
Par conséquent, même si le bon peuple votait non, à défaut de le dissoudre, “ on ” pourra toujours lui organiser une nouvelle consultation, comme ce fut déjà le cas il n’y a pas si longtemps, à propos d’autres questions européennes, au Danemark et aux Pays-Bas. Et, s’il le faut, pourquoi pas, un troisième référendum ! Il s’agit avant tout d’oindre d’un ongent démocratique ce qui a déjà été décidé et organisé dans les sphères dirigeantes du capitalisme mondial. Car, à ce niveau, la vraie grande bataille, la guerre économique, a déjà commencé et seuls les plus forts existeront encore dans 20 ans. Tout est bon pour accumuler des forces en vue des futures batailles pour la conquête des marchés et l’accumulation du capital, de concentrations en concentrations. Au prix, bien sûr, de la dégradation irréversible de la planète et de la misère accrue de milliards d’êtres humains. Dans les pays occidentaux le niveau de vie va considérablement baisser. On expliquera alors aux classes moyennes occidentales encore dotées d’un semblant d’idéologie humaniste que cette baisse n’est pas un mal puisque, en contrepartie, le niveau moyen des pays émergeants s’élève. Les bas salaires, les précaires, les chômeurs seront, eux, paralysés par la peur de tomber encore plus bas et de perdre encore un peu plus de ce qu’on leur dit être des privilèges. Dans les pays “émergeant” un début d’accès, pour les plus chanceux, aux scintillements de la consommation taieront les réactions à la prolétarisation accélérée... C’est du moins le scénario dont rêvent les capitalistes. Mais si tout ne roule pas aussi bien il y aura toujours la guerre, avec tous les ingrédients qui la composent, pour remettre les choses en place.
On le voit l’enjeu est de taille. A tel point que si, par un malheureux concours de circonstances le bon peuple persistait à mal voter, “ on ” se passerait du verni démocratique. Rappelez-vous le référendum sur le maintien de l’Espagne dans l’OTAN ; ou celui sur l’Europe de Maastricht aux Pays-Bas. Dans les deux cas la couleur était annoncée : en cas de victoire du non “ on ” ne tiendrait pas compte de ce vote et l’Espagne resterait dans l’OTAN comme les Bataves dans l’Union européenne.
C’est cette réalité-là que les tenants des campagnes pour le non tentent de masquer en faisant croire qu’en cas de victoire nous assisterions à un recul réel de cette offensive libérale et anti-sociale (je ne parle évidemment pas là de l’extrême droite, tout aussi libérale et antisociale que les tenants du oui, et dont le non n’est qu’une tentative pour se refaire une santé, plutôt fragile ces derniers temps, en agitant les chiffons nationalitaires d’une supposée identité française menacée). Car, soyons clairs, pour faire reculer, ne serait-ce que d’un iota, les patrons et leurs alliés il faudrait un mouvement social d’une ampleur inégalée au cours de ces trente dernières années. Et nous n’en prenons pas le chemin, ne serait-ce que parce que les bataillons du non ont un autre souci en tête, celui précisément d’éviter l’émergence d’un mouvement social qui, s’il devait naître, ne pourrait vivre qu’en les balayant tous, vite fait, bien fait.
D’autres, certes, appellent de leurs vœux un mouvement social. Mais en ne l’imaginant que dans les strictes limites d’un syndicalisme revenant, aux mieux, aux illusions véhiculées par les oppositions internes à la CFDT des années 70-80, ils en sont réduit à n’avoir qu’une seule perspective, celle de recomposer une gauche de la gauche. En somme n’être qu’à la gauche de la droite ! C’est passionnant !
La nique aux partis
Et pourtant à combien de choses passionnantes il nous a été donné d’assister dans le mois où le non a été donné vainqueur ! L’important, le passionnant, l’étonnant, ce n’est pas cette supposée majorité de non. Ce qui est porteur d’espoir c’est que ce non ait résisté aussi longtemps à une ampleur propagandiste et anti-démocratique la plus éhonté qui soit. Pensez ! L’ensemble des partis de gouvernement de droite comme de gauche (hormis quelques électrons libre), la quasi totalité des médias, des intellectuels, des artistes, des sociologues, des économistes et des “ observateurs ”, l’ensemble de celles et ceux qui sont grassement payés pour remplir l’espace médiatique de leurs conseils avisés, mènent une bataille hargneuse, en rangs serrés, pour le oui, reprenant en chœur ce qui se dit dans les salon du prêt-à-penser européen. Au fur et à mesure que le non résistait dans les sondages, leur hargne balayait ce qu’il leur restait de vernis démocratique. Des débats étaient organisés entre un partisant du oui et... un partisan du oui. On expliquait à l’enfant-électeur, un peu partout, la constitution européenne, en prenant pour exemple tel ou telle question et, à chaque fois c’était pour montrer que les craintes des partisans du non n’étaient pas fondées. Et à ce jeu, les radios et les TV nationales, Le Monde et Libération, on été les maîtres de la propagande. Aux orties l’objectivité ! Si le non l’emporte ce sera le chaos, le fascisme, pourquoi pas le retour à la bougie et à l’âge des cavernes ! Au début, ils expliquaient que c’était parce que l’électeur était mal informé et qu’il ne connaissait pas les textes. Mais chaque personne n’ayant pas un petit pois à la place du cerveau s’est vite aperçu que tous ceux et toutes celles qui parlaient ainsi ne l’avaient pas lu non plus, que leurs arguments n’étaient que de conformité à une pensée qui se voulait dominante et que tout leur était bon pour balayer d’un revers de main les oripeaux démocratiques chantés la veille. Bref, on assistait en direct au franchissement du fragile Rubicon qui sépare le “ démocratique ” du “ totalitaire ”. Et lorsqu’ils éructaient que les arguments des tenants du non n’avait rien à voir avec la Constitution, ils avaient en partie raison : c’est contre eux, comme classe sociale, comme intelligentsia, comme manipulateurs, comme menteurs professionnels, que le non progressait... et non parce les “sondés”avaient bien ou mal lu la Constitution.
Les mensonges énoncés depuis ces derniers mois et ces dernières années par les politiques, comme par exemple que l’euro n’avait pas renchéri le coût de la vie, étaient trop gros, trop lisibles.
La pensée honnête se payait le petit luxe de cracher à la figure de ces messieurs-dames et en premier lieu des leaders de ce parti fondé par un ancien Vichyssois, le père de Mazarine. Un parti qui, une fois de plus, agitait l’épouventail le Pen, ressortant des oubliettes une formation en pleine décomposition, comme son fondateur l’avait fait, au début des années 80 à seule fin de conserver le pouvoir face à une droite en pleine ascension. Un parti qui s’est voulu, après Epinay, le continuateur modernisé de celui issu du congrès de Tours et qui s’illustra jadis par le refus de l’aide directe à l’Espagne antifranquiste en 36-37, par les pleins pouvoirs votés à Pétain, puis par le soutien à toutes les répressions contre les mouvements anticolonialistes dans les années 45-50. On le voit, un parti tout à fait qualifié pour donner des leçons d’antifascisme !
La bolchevisation du PS et des Verts
Ce parti, comme celui des Verts, s’était fait une spécialité historique de dénoncer le communisme à travers l’organisation interne du parti stalinien. Pas démocratique ! Pas de liberté de parole ! pas d’opposition officielle ! L’enfer bolchevique à nos portes clamèrent-t-il pendant 60 ans pour l’un, 20 ans pour l’autre. Et voilà que d’un coup le petit lénine de Tulle et le jeune piou-piou alsacien amateur d’oiseaux, montent sur leurs ergots, éructant que le parti avait voté à plus de 50 % (de justesse !) pour le oui et qu’il convenait de ne plus voir qu’une seule tête dans le rang. Menaces de sanctions et d’exclusions au PS. Chez les Verts, interdiction à droite faite à Cohn-Bendit de faire des meeting avec Bayrou pour le oui (il faut maintenir la fiction d’un oui de gauche) et à gauche aux tenant du non de faire estrade commune avec la gauche de la gauche et les communistes. Nos “ démocrates ” redécouvraient ainsi les bienfaits du “ centralisme démocratique ” prouvant par là-même que cet antinomie n’avait rien à voir avec une théorie politique mais était bel et bien une justification après coup de ce qui se passe dans tout parti dès qu’il y a péril en la demeure.
Malgré toutes ces manipulations il est tout à fait possible et même probable que le non finisse par l’emporter. Il restera tout de même que cet épisode sans précédent de méfiance et de rejet de la classe politique laissera des traces profondes qui ne pourront être assimilées à un néo-poujadisme comme “ ils ” tentent à chaque fois de le caractériser pour nous culpabiliser. Non ! le “ tous pourris ” n’est pas un slogan d’extrême droite, c’est une réalité que de plus de gens vivent. Et cette leçon sera sans doute retenue lors des prochains mouvements sociaux qui, comme nous l’avons dit, ne pourront vivre que par le rejet des bureaucrates de tout poil.
JPD