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Les Gilets Jaunes du mantois : entre Normandie et Ile-de-France

dimanche 17 mars 2019, par OCL Paris

En Ile-de-France aussi le mouvement a pris, mais avec quelques particularités. Petit récit des événements du côté de Mantes-la-Jolie (78).


Dans le mantois (Mantes-la-Jolie et environs, dans les Yvelines) la situation des GJ est par certains aspects un peu différente des autres rassemblements du pays. La population y est plus dense : la vallée de la Seine (une zone désindustrialisée sinistrée) avec la proximité de quartiers populaires (le Val Fourré à Mantes en particulier) avec de nombreux travailleurs immigrés ou descendants d’immigrés, qui sont présents dans les GJ, et la situation d’interface entre la Normandie (sur l’autoroute A13), et la région parisienne. Cela entraîne quelques particularités : les questions de mobilité sont autant liées à la bagnole qu’aux transports en commun, la police n’est majoritairement pas considérée comme une amie (en tout cas à Mantes), on peut facilement aller manifester à Paris comme en Normandie (Rouen, Evreux) mais le choix pour coordonner les rassemblements penche vers la Normandie plutôt que vers l’Ile de France, et le mouvement apparait aux GJ très minoritaire au regard de la population totale du coin.
Initialement, dès le 17 novembre, les GJ se sont réunis sur un péage de l’A13, près de Mantes, pour des opérations régulières de péage gratuit et des alternances ralentissements / ouvertures, mais pas de blocage total de la circulation ou des poids lourds. Le fait que le péage ne coûte à cet endroit qu’environ 3 euros y est certainement pour quelque chose dans le maintien de ce point jusqu’à la mi-décembre, sans trop de tension avec la police. Des divergences ont fait que les GJ se sont divisés en différents groupes dont un rond-point à côté du port autonome de Limay-Porcheville (dit « le groupe de Mantes »), le plus gros et le plus dynamique des groupes, qui s’est déplacé ensuite de Limay à Epone (à côté de Flins) à la suite d’une évacuation policière. . Dans le groupe de Mantes, la composition est en grande majorité prolétarienne-classe moyenne bien déclassée mais contient une composante petite-bourgeoise. Toujours dans la composition, il faut noter la présence des femmes en forte proportion (entre un tiers et la moitié des GJ), dont pas mal dans le noyau, très affirmées et motrices, participant parfois aux manifs de femmes GJ du dimanche. La division genrée des rôles dans le foyer a parfois été bien chamboulée, allant jusqu’à des séparations. Un noyau dur d’une dizaine de GJ s’est constitué dans le groupe, très déterminés et très investis pour tenir le camp comme point fixe, relayer les infos et organiser des actions. Cela a cependant été un problème pour l’organisation et la prise de décision, puisque des « admins » du groupe facebook étaient de fait les chefs autoproclamés, décidaient des actions en privé, d’organiser ponctuellement des AG peu décisionnelles, contrôlaient le contenu publié sur facebook, etc. Dans ce noyau, sont notamment présents des militants d’extrême gauche, qui sont venus en renforts pour virer les quelques fachos locaux des débuts. On ne croise plus dans le groupe de personnes ouvertement d’extrême-droite, même si dans certaines discussions des idées droitardes circulent parfois. Le groupe est certainement à l’image de la majorité des groupes français, où les idées confusionnistes (genre Etienne Chouard) font mouche. Dans la même veine, Dieudonné est passé sur le péage occupé le 1er décembre, où il n’a tout de même pas fait consensus.
Mais depuis le début, les revendications sont majoritairement portées vers les salaires et récemment, niveau organisation, le groupe est passé en AG régulières et décisionnelles. La politisation de nombreux GJ a été rapide, mais comme dit précédemment, un peu dans l’air du temps, c’est-à-dire dans tous les sens. Les principales actions entreprises ont été des tentatives de blocages (péage, port autonome, zone commerciale, raffineries), des tractages dans les gares et grosses boîtes (Renault Flins, centre commercial), les manifs tous les samedis à Paris ou en Normandie, et deux à Mantes. Les relations tendues avec certains autres groupes des Yvelines font que la coordination dans les Yvelines n’est pas facile et que les actions ne sont pas toujours conjointes, comme la « Marche pacifique » du 26 janvier de Poissy, qui a réuni seulement une centaine de manifestants. La manif de Mantes du 16 février a été plus suivie, plus de 400 personnes dont pas mal de GJ normands, et quelques militants anticapitalistes rouennais et parisiens qui donnaient une tonalité un peu différente de d’habitude. Mais même si non déclarée, le trajet nous a été bien imposé (« nassifestation ») et les quelques tentatives de forcer les rangs de CRS pour rejoindre le Val Fourré ont été matés par la matraque et la lacrymo (un blessé et une interpellation incertaine). Pas de « convergences des luttes » (de toute façon toujours incantatoire et artificielle) avec les quartiers en vue. Le ressenti au Val Fourré est mitigé, allant du soutien au rejet (les GJ sont des fachos), même si des GJ y vivant ou y ayant vécu sont présents dans le mouvement.
Les quelques discussions avec ou dans les syndicats locaux (industrie, rail, éducation…), surtout avant la grève avortée du 5 février, n’ont pas donné grand-chose, avec parfois des réactions de rejet fortes. Du côté de la gauche citoyenne, silence assourdissant. Pour préparer la grève du 5 février, des tractages ont eu lieu à l’hôpital de Mantes, dans les gares, à Flins, dans les centres commerciaux locaux, mais même si il y avait quelques GJ grévistes, pas de piquet, pas de reconduction, pas de concertation avec les boîtes locales (alors que des conflits existaient dans pas mal d’endroits…). Le lieu de la conflictualité, ici comme ailleurs, n’est pas le lieu de travail. Les tensions qui traversent les GJ locaux sont relativement les mêmes qu’ailleurs (interclassisme pour aller chercher tout le monde sans distinction, citoyennisme – avec la participation aux grands débats et une composante proactive du RIC forte –, on-reste-tous-ensemble-isme…).
Récemment le camp a de nouveau bougé à proximité de l’autoroute et d’une grosse zone commerciale et on ressent dans les AG hebdomadaires que le mouvement local est à un tournant. Sur fond de baisse de la conflictualité et de contre-attaque gouvernementale, se discutent et se mettent en place en ce moment les questions de changement d’organisation (en groupes spécifiques), de reprise des actions (Acte II à Mantes , blocages plus durs), de « recrutement » de nouveaux GJ, des tractages, des visites dans les boîtes, et de représentation (porte-parole). Dans tous les cas, le mouvement semble s’étendre dans les Yvelines (de nouveaux groupes ont été créés récemment ou cherchent à se créer), même si le risque de rester sur des bases peu conflictuelles est grand. Il y a toujours un gros nombre de personnes soudées, mobilisées et déterminées, et une volonté d’aller grossir les rangs localement. La coordination régulière et pour des actions au-delà de la manifestation ne semble prendre ni dans les Yvelines, ni avec Paris et l’Ile de France, ni avec la Normandie. De même, l’appel de Commercy n’a pas été suivi. Les semaines et mois à venir seront décisives pour le mouvement, localement et nationalement, notamment la reprise des actions, l’agenda politique gouvernemental (retraites, chômage…), les élections européennes… Un printemps chaud comme le mois de décembre ?

Mantes, le 10 mars 2019

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