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Courant alternatif 294 novembre 2019

L’IMMIGRATION UN THEME RECURRENT BIEN PRATIQUE POUR L’ETAT

lundi 18 novembre 2019, par admi2

Depuis plus de cinquante ans, l’immigration est l’épouvantail constamment agité par les gestionnaires de l’Etat français et par ses aspirants pour nourrir un sentiment d’insécurité dans la population en désignant « l’immigration » comme bouc émissaire et empêcher une solidarité de classe de se développer. Dans le même temps, le pouvoir multiplie les stratégies visant à dissuader certains migrant-e-s de venir en France.


L’IMMIGRATION
UN THEME RECURRENT

BIEN PRATIQUE POUR L'ETAT

Macron met régulièrement sur la table le thème de l’immigration. Il l’a ainsi fait au printemps 2019 pour tenter d’apaiser la colère des gilets jaunes ; il espérait la détourner sur les migrant-e-s, mais pour les gilets jaunes ce sujet n’est pas du tout central. Il a recommencé en septembre en imposant cette fois à l’Assemblée nationale un débat qui s’est tenu le 7 octobre dans un hémicycle très clairsemé ; seule l’extrême droite s’en est réjouie, et elle en a profité pour s’exprimer une fois de plus sur la question, avec la droite dans son sillage.

La dernière loi modifiant le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), baptisée loi Collomb « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie », date du 10 septembre 2018. Elle n’a donc qu’un an, un délai trop court pour qu’on puisse en tirer un bilan – même si on sait déjà que l’immigration n’est pas maîtrisée… tout simplement parce qu’elle ne peut l’être ; que le droit d’asile est de plus en plus restreint ; et que l’intégration est un vain mot puisque ceux et celles qui réussissent à avoir le statut de réfugié continuent souvent à galérer.

Mais diverses études ont montré qu’insister sur la thématique migratoire – en diffusant des informations vraies ou fausses – augmente le vote en faveur de l’extrême droite, et Macron en est parfaitement conscient. Aussi s’est-il emparé du sujet pour arriver en 2022 au second tour de la présidentielle avec de nouveau Marine Le Pen pour adversaire, et la coiffer au poteau.

Alors nous n’avons pas fini de subir ces « débats » sur l’immigration qui devraient déboucher fin 2020 - début 2021 sur une loi supplémentaire, modifiant le Ceseda pour la 7e fois depuis sa création en 2005.

Les manipulations des données chiffrées

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L’immigration est certainement le thème qui génère le plus de données chiffrées déformables à souhait, jusqu’aux « fake news ». La plus importante et la plus récente « information » colportée par l’Etat, et Macron en particulier, concerne la prétendue attractivité de la France pour les migrant-e-s : elle serait «  le deuxième pays européen en termes de demandes d’asile (…) l’un des seuls à avoir une croissance des demandes, alors qu’à l’échelle européenne la tendance est à la baisse ». Manipulation ! Les seuls chiffres valables en la matière sont ceux qui sont rapportés à la population de chaque pays ; or, en effectuant ce travail élémentaire, on constate que la France se situe au 9e rang européen pour l’accueil des demandeurs d’asile – après la Suède, l’Allemagne, l’Islande, le Luxembourg, le Liechtenstein, Malte, la Grèce et Chypre. Par ailleurs, elle n’est pas le seul pays où les demandes d’asile continuent de croître : si, en 2017-2018, il y a eu une augmentation de 20 % en France, la hausse a été plus forte dans huit autres pays – le Portugal (+ 22 %), la Slovénie (+ 95 %), les Pays-Bas (+ 27 %), Malte (+ 26 %), Chypre (+ 70 %), l’Irlande (+ 26 %), la Belgique (+ 29 %) et l’Espagne (+ 70 %). Quant au taux d’obtention de l’asile en première instance (28 %), il place la France au… 25e rang européen, comme quoi l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) sert bien le pouvoir (1) !
Autre exemple de fausse information : en 2018, il y aurait eu 256 000 nouveaux titres de séjour délivrés en France, dont 90 000 dans le cadre du regroupement familial. Le politicien avide de réduire l’immigration sur notre sol en déduit naturellement qu’il faut renforcer les conditions (revenus, superficie de l’appartement devant accueillir la famille, niveau de connaissance du français…) permettant ces regroupements familiaux. Comme les autres Etats, la France s’assied sur la liberté de vivre en famille, liberté qui existe pourtant sur le papier dans toutes les conventions internationales ou européennes ratifiées par elle ! Or, sur ces 90 000 regroupements familiaux annoncés, 48 000 concernent des personnes de nationalité française désireuses de vivre ici avec leur conjoint-e étranger.

Que faut-il craindre d'une nouvelle loi ?

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Non content de chercher à durcir les conditions imposées pour obtenir un regroupement familial, l’Etat voudrait rendre plus difficile l’accès à certaines prestations sociales que nous ne connaissons pas encore (2), Cet accès serait conditionné aux circonstances d’entrée sur le territoire français, même si la personne a régularisé sa situation. Le nouveau projet de loi pourrait déboucher sur une réduction des allocs pour des enfants nés en France mais dont les parents ont été un temps sans papiers ; ou alors sur une baisse de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), ou du RSA, etc. L’objectif étant de pénaliser ces étrangers qui ont été régularisés après avoir vécu en France sans papiers.

Concernant la santé, l’Etat cherche à instaurer un délai de carence de trois mois avant qu’un demandeur d’asile accède à la couverture maladie universelle (CMU). Sont aussi visés là les ressortissants de pays déclarés sûrs par la France (comme l’Albanie ou la Géorgie, actuellement) dont les demandes d’asile seront refusées en moins de trois mois. Concernant l’aide médicale d’Etat (AME) – dont la suppression a été évoquée mais qui est provisoirement maintenue pour des raisons de santé publique (et la hausse des coûts à attendre en cas de développement sans soins d’une pathologie sur le territoire français) –, les conditions d’accès vont là aussi être durcies. Les politiciens parlent également de réduire le nombre de soins pris en charge. D’après la loi, les sans-papiers qui n’ont pas déposé de demande de régularisation ont droit à l’AME s’ils-elles sont en France depuis plus de trois mois (encore faut-il le prouver !), ont des ressources annuelles inférieures à 8 951 € (pour une personne seule) et une domiciliation (dans une association agréée plutôt que chez un particulier, car ses ressources peuvent être prises en compte !). Mais, si un sans-papiers va à l’Assurance-maladie demander l’AME sans être accompagné par une assistante sociale du lieu de domiciliation (CCAS ou association agréée), il arrive qu’on exige de lui d’autres documents (par exemple, la preuve qu’il n’a pas quitté le territoire français depuis son arrivée). L’enveloppe totale de l’AME représente pourtant moins de 0,5 % des dépenses totales de santé !
Enfin, la nouvelle loi pourrait renforcer l’« efficacité » des juges administratifs en accélérant les procédures judiciaires et d’expulsion du territoire, en réduisant les délais pour les recours administratifs (dans certains cas, les sans-papiers n’ont déjà que quarante-huit heures pour contester une décision préfectorale). Edouard Philippe vient de saisir le Conseil d’Etat afin qu’il réfléchisse à une réforme du droit des étrangers visant une « simplification » de ces procédures. Il doit rendre ses conclusions le 15 mars 2020, soit une semaine avant le premier tour des municipales.

Des sans-papiers invisibles
mais bien présents dans les entreprises

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Combien sont les sans-papiers ? On connaît le nombre de bénéficiaires de l’AME (311 000), mais pas le nombre des sans-papiers qui n’y ont pas accès, de ceux qui ne la demandent pas (parce qu’ils/elles n’en connaissent pas l’existence ou les conditions d’obtention), ou de ceux que les services sociaux ont découragés.

La « circulaire Valls » de régularisation des sans-papiers vivant sur le territoire français date de 2012, mais les préfectures l’appliquent toujours. Pour pouvoir éventuellement en bénéficier, un sans-papiers doit avoir au moins cinq ans de présence ici (il doit en fournir deux preuves reconnues par an). D’après le Gisti (3), ceux et celles qui en ont le plus bénéficié sont les parents d’enfants scolarisés en France depuis plus de trois ans (et soutenus par des enseignant-e-s) et des salarié-e-s le plus souvent en CDI ou en CDD d’au moins douze mois (avec une ancienneté de travail de huit mois consécutifs ou non sur les vingt-quatre derniers mois, ou de trente mois consécutifs ou non sur les cinq dernières années). Bien sûr, il leur faut un salaire au moins égal au SMIC et, ce qui est parfois le plus difficile à obtenir, un engagement de leur employeur à s’acquitter d’une taxe de plusieurs centaines d’euros auprès de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Devant de telles exigences (qui ne débouchent pas forcément sur une réponse favorable), les «  heureux élus » sont peu nombreux : moins de 10 000 par an ! Cela explique pourquoi le nombre de sans-papiers en France croît d’année en année.
Comment ces sans-papiers peuvent-ils se rendre visibles afin de créer un rapport de forces collectif favorable à leur régularisation ? Si on excepte les parents d’enfants scolarisés (et ayant de préférence de bons résultats scolaires), seuls ceux et celles qui ont un employeur et peuvent s’organiser au travail avec l’aide de syndicats (la CGT le plus souvent, SUD, la CNT…) y parviennent. C’est ainsi que, début octobre, des sans-papiers ont fait des piquets de grève devant 13 entreprises, en région parisienne, et obtenu au bout de quatre jours leur première victoire : selon la CGT, 11 de ces entreprises ont donné ou donneront les documents nécessaires à leur régularisation. Mais les luttes des sans-papiers sont parfois beaucoup plus longues du fait qu’ils/elles travaillent très souvent pour des sous-traitants ou des boîtes d’intérim. C’est le cas actuellement à Chronopost (dans le Val-de-Marne), filiale à 100 % de La Poste qui est sous la tutelle de l’Etat.
Là où les sans-papiers sont en revanche bien visibles, c’est dans des campements aménagés par des associations caritatives sur des terrains vagues, ou dans des squats et des abris de fortune, sur les trottoirs…

{{Un « accueil » scandaleux

Quand un migrant arrive en France, il n’est pas du tout sûr qu’il puisse y déposer une demande d’asile. En effet, dès son premier passage en préfecture, s’il a laissé ses empreintes dans un autre pays européen (en général l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne), le système Eurodac (base de données mise en place dans l’UE) va le découvrir. Conformément aux accords de Dublin, il sera alors déclaré « dublinable  » et devra être rapatrié dans les six mois (ou dix-huit mois s’il est déclaré en fuite pour ne pas s’être rendu à une convocation) dans ce pays afin d’y déposer sa demande d’asile. Les « dublinables » peuvent être assignés à résidence (s’ils/elles sont dans un centre d’accueil ou un hébergement d’urgence) avec un pointage quotidien chez les flics jusqu’à leur expulsion vers ce premier pays ; d’autres peuvent être mis en rétention administrative, mais le plus souvent ils sont livrés à eux-mêmes tout en devant se présenter régulièrement en préfecture. Les « dublinables » représentent à peu près le tiers des migrants désirant demander l’asile en France ; en 2018, ils étaient environ 45 000, dont 5 500 mineur-e-s. Que deviennent-ils ? En 2018, 3 500 ont été transférés dans l’Etat où ils avaient été obligés de donner leurs empreintes. Il va sans dire que l’Etat français cherche à augmenter ce chiffre, mais certains Etats européens traînent des pieds en n’acceptant pas ces transferts, des « dublinables » ont recours aux tribunaux administratifs, d’autres sont déclarés en fuite, etc.

Lorsqu’un demandeur d’asile est autorisé à déposer sa demande en France, il devrait être pris en charge par le dispositif national d’accueil, mais ce dispositif laisse actuellement à la rue 75 000 personnes alors que cela a des conséquences sanitaires pouvant conduire à la mort ! Il n’y a guère que des associations caritatives, surtout d’obédience chrétienne, pour pallier avec les moyens du bord ces carences de l’Etat (aggravées par celles des collectivités locales, qui se gardent bien de réquisitionner des logements vides).
S’ajoutent de plus aux demandeurs d’asile les déboutés du droit d’asile, qui désirent rester en France ou n’ont pas d’autre choix que d’y rester – et qui pour certain-e-s parviendront, après des années de galère, à décrocher un droit au séjour, mais peut-être précaire pendant encore des années. On a là le « gros contingent » des sans-papiers que l’Etat français veut à tout prix reconduire à la frontière – tout en laissant les secteurs économiques friands de cette main-d’œuvre l’exploiter au maximum (tant qu’il n’est pas obligé de céder quelques autorisations de séjour « au cas par cas  »).
Pour parfaire ce tableau, on conclura sur l’accueil des migrant-e-s dans les préfectures. Naguère, on pouvait les voir faire la queue pendant des heures et des heures devant les préfectures afin d’y renouveler leur carte de séjour (en France, 3 millions de personnes en détiennent une), de retirer leur récépissé, ou de demander une régularisation de leur situation administrative. Aujourd’hui, en région parisienne comme dans les grandes villes de province, ces files d’attente ont disparu : c’est devant un écran qu’il faut attendre, car les rendez-vous au service des étrangers se prennent en majorité sur les sites des préfectures, et les plannings sont saturés.
Une cinquantaine de ressortissants étrangers ont déposé le 9 octobre des recours en référé contre l’Etat pour dénoncer cette situation. Non seulement tous les migrant-e-s n’ont pas l’habitude de l’informatique et prendre un tel rendez-vous ne se résume pas à quelques clics, mais un marché parallèle du rendez-vous en préfecture s’est créé, où des revendeurs en proposent contre 15 à 200 euros selon les préfectures et les types de demande !
Mais, au lieu de créer des postes dans ses services, les préfectures préfèrent saisir la justice – et, loin d’être anodines, toutes ces difficultés font partie des obstacles mis en place par l’Etat pour dissuader les migrant-e-s de venir en France.

Denis, OCL-Reims,
17 octobre 2019

1. Source : Vade-mecum à l’intention des parlementaires rédigé par quatre personnes – dont David Torontel, de la LDH de Quimper, qui en a eu l’initiative.
2. Actuellement, les parents ne peuvent toucher des allocations familiales pour leurs enfants nés à l’étranger que s’ils sont arrivés sur le territoire français par la procédure du regroupement familial.
3. Voir la brochure sur le site gisti.org.

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