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Courant Alternatif 298 mars 2020

Un mouvement qui devrait laisser des traces

vendredi 20 mars 2020, par OCL Reims


On pouvait craindre que reprendre sans victoire après une grève pareille sentirait l’amertume de la défaite, voire de l’écrasement. Or, les grèvistes reprennent la tête haute et avec l’idée que rien n’est fini. Il y a une conscience collective de s’inscrire dans la durée d’une vague de mouvements décrite dans l’article précédent. Il y a une conscience collective de ce que la lutte sera longue.

On peut remarquer que la grève a touché essentiellement le secteur public. Oui, le privé a été le grand absent. Mais il y a quand même eu des grèves. Et on sait que ça fait longtemps qu’on ne fait plus grève dans le privé, très désyndicalisé. On sait aussi qu’alors qu’il est déjà difficile de faire grève sur des revendications internes aux entreprises, il l’est encore plus pour protester contre des mesures gouvernementales qui ne sont apparemment pas le fait de l’employeur. Il ne sert à rien d’incriminer les directions syndicales. Elles ont plus ou moins mobilisé dans leurs bastions, plutôt moins dans beaucoup d’endroits, mais les syndicats n’ont plus de prise réelle sur les mobilisations d’une classe ouvrière précarisée et éparpillée. Et la répression syndicale est toujours très importante. Elle l’a toujours été dans les petites boîtes, mais elle l’est maintenant aussi dans de très grandes boîtes qui usent et abusent des contrats précarisés.

On peut voir que le service public est au cœur des mouvements actuels. Déjà, une des revendications des gilets jaunes, c’était l’accès aux services publics. En fait, il y a une offensive patronale contre l’ensemble de la protection sociale et des services publics. Cette offensive a un double motif. Dégrader encore plus le rapport de forces pour les salarié.e.s et diminuer l’ensemble des salaires, directs et indirects. Marchandiser ce qui peut l’être, marchandiser ce qui relève des services publics, marchandiser la solidarité. Cette offensive passe bien sûr par la dégradation des conditions de travail, la stagnation des salaires, la diminution des effectifs et le mépris social pour les salarié.e.s du public. Or, ces dernier.e.s disposent encore d’une protection sociale qui leur permet de faire grève sans se faire virer. Et ils et elles ont montré qu’elles et ils savaient se servir de ce droit. Et la popularité du mouvement malgré toutes les galères au quotidien qu’il a engendrées montre non seulement le ras-le-bol généralisé dans la population, mais l’importance pour beaucoup de cette question. C’est qu’il n’y a plus beaucoup de pays où les enfants de pauvres peuvent faire des études longues, où les précaires ont accès aux soins, etc. Oui, il y a une sélection sociale à l’école, oui, une partie de la population doit renoncer à des soins faute de moyens, mais oui aussi il reste ces derniers remparts qui sont en ruine dans beaucoup de pays, sans compter ceux où ils n’ont jamais existé. On peut dire que les services publics ont joué un rôle d’amortisseur social, ont sans doute facilité l’acceptation de l’exploitation. Mais le refus de leur disparition, c’est aussi la défense d’un acquis social et un refus de l’extension de la marchandisation du monde. Dans ce sens, les ex-grèvistes ont bien raison de se préparer à une lutte longue. Et le moyen qui semble le plus évident pour les salarié.e.s du privé de participer à cette lutte n’est pas forcément la grève. Nous aurions grand tort d’opposer la grève aux blocages, pétitions et manifestations. Nous avons besoin de tous les moyens d’action.

D’année en année, on constate que le fonctionnement par assemblées générales et hors appareils syndicaux ou autres s’étend à chaque fois. Le pouvoir de ces assemblées générales peut souvent se limiter à infléchir la tactique des directions syndicales ou à l’organisation de quelques actions coups de poing. Mais un réflexe d’auto-organisation de la lutte s’est installé et on peut être sûr qu’il perdurera. On peut déjà observer que c’est là où il y avait des assemblées dans les mouvements précédents que ce fonctionnement a ressurgi le plus vite. Et les directions syndicales ne sont déjà plus totalement maîtresses de l’agenda. Elles ont dû multiplié les appels à la grève et à la mobilisation, souvent à la dernière minute, sous la pression. Non, nous n’avons pas encore acquis l’autonomie des luttes. Mais oui, ça progresse à l’oeil nu. Les coordinations ne tiennent pas forcément le devant de la scène comme dans les années 80, mais de fait plusieurs existent et jouent un rôle non négligeable (profs, hospitaliers), même si on peut regretter que leur parole soit peu publique et s’adresse surtout aux syndicats pour qu’ils mobilisent.

De même, on a pu observer un début de vraie convergence des luttes. On peut regretter le corporatisme de ceux/celles qui se sont mis.e.s en grève autant sinon plus sur des revendications de salaires, conditions de travail, etc. que sur la retraite. Mais c’est bien ça la convergence des luttes. Quand on se bat en même temps sur plusieurs fronts. Et oui, des revendications autres que la retraite peuvent avancer grâce au mouvement contre la réforme des retraites. Et oui, toutes ces revendications ont bien alimenté la mobilisation (en tous les cas pour les profs). Et oui, il y a bien en fait un lien entre ces revendications et la réforme des retraites, celui que nous avons exposé plus haut.

Surtout se sont multipliées suivant les endroits des interpros ou des assemblées des luttes. Là encore, on peut remarquer que c’est là où elles avaient commencé à émerger dans les mouvements précédents qu’elles ont ressurgi le plus vite. On peut donc espèrer que c’est une structuration qui perdurera, même en sommeil en dehors des temps de mobilisation. La différence entre les interpros et les assemblées des luttes est bien expliquée dans les compte-rendus locaux. Mais nous ne devons pas rentrer dans des batailles d’étiquettes. Il est aussi des interpros qui ressemblent à des assemblées des luttes comme il est des assemblées des luttes qui peuvent devenir des coquilles vides. On peut en tous les cas observer qu’il y a eu une véritable « giletjaunisation » des mouvements sociaux dans une pratique assembléiste, hors des appareils, et réunissant des secteurs différents. Et bien sûr, nous devons travailler au maintien des liens qui se sont tissés et qui demeurent la plus sûre garantie des luttes à l’avenir.

Enfin, autre signe nouveau, la multiplication des caisses de grève. Elle comporte un aspect négatif : je ne fais pas grève et je manifeste mon soutien en donnant pour les grèvistes, ceci renforce la « grève par procuration ». Mais il y a eu et il y a de multiples caisses de grève locales ou sectorielles, signe dela volonté des salarié.e.s de s’organiser pour une lutte durable et en toute autonomie. Il faut absolument renforcer ces caisses de grève sur tous nos lieux de travail, ou là où il y a des assemblées locales. La grève est la meilleure des armes contre le patronat, mais la caisse de grève en est un outil indispensable.

Enfin, on peut se poser la question des leçons politiques que tireront celles et ceux qui participent au mouvement. C’est plus compliqué. On peut dire qu’il y a une méfiance envers les directions syndicales, mais ceci peut se traduire aussi par une syndicalisation pour être mieux organisé. Il y a aussi un fort sentiment de l’enjeu politique de la chose, mais ce sentiment produit souvent un sentiment d’impuissance, car quel peut être le débouché politique ? Très peu font confiance aux politiciens de gôche, heureusement, mais personne ne pense que l’heure est venue d’une révolution, ni qu’elle peut sortir victorieuse avec l’Europe en embuscade. Donc... ?

Groupe OCL Ile de France

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