Courant Alternatif n°304, novembre 2020
mardi 24 novembre 2020, par
La pollution de l’air serait responsable de 48 000 morts par an dans l’Hexagone, et selon un récent rapport européen elle coûterait des milliards d’euros [1]. Au premier rang des empesteurs d’atmosphère sont désignés les transports et le chauffage, soit les comportements individuels, et beaucoup moins les effluents industriels qui sont d’ailleurs peu mesurés. Pas facile de s’attaquer aux empoisonneurs économiques, comme l’illustre le combat d’une association de quartier de Saint-Nazaire depuis cinq ans.
Voir en ligne : Vivre à Méan-Penhoët
Ville de la construction navale et aéronautique, Saint-Nazaire s’étale à la jonction de la Loire et de l’Atlantique. Elle est l’extrémité ouest d’une vaste zone industrialo-portuaire qui borde sur 70 km la rive nord du fleuve et alimente les flux du « Grand port maritime Nantes - Saint-Nazaire ». A partir du bourg de Donges (terminal pétrolier, raffineries Total et Antargaz), la zone se densifie et traverse Montoir-de-Bretagne (usine d’engrais Yara, terminal charbonnier et méthanier, Airbus) pour finir à Saint-Nazaire (Chantiers de l’Atlantique, Stelia filiale d’Airbus, Cargil…). Sur cette partie de l’estuaire, il est impossible d’accéder au fleuve, et on y dénombre 8 sites Seveso dont 5 dits « seuil haut » (voir l’encadré Classement ICPE ci-contre).
La ville de Saint-Nazaire se subdivise, de part et d’autre des bassins du port, en deux parties Est et Ouest. A l’Ouest, on trouve Saint-Marc, station balnéaire immortalisée par le film Les Vacances de M. Hulot de Jacques Tati. A l’Est, Méan-Penhoët, quartier historique des Chantiers navals, où Jacques Higelin joua le jeune premier pendant la construction du France dans Le bonheur est pour demain, film d’Henri Fabiani qui n’eut aucun succès...
C’est dans ce quartier ouvrier qu’en 2015 des habitant-es apprennent la tenue d’une enquête publique, entre le 15 juillet et le 15 août, à propos de l’implantation d’une usine de traitement de surface. Intrigués tant par l’objet de l’enquête que par la date incongrue de son déroulement alors que le quartier est en sommeil, ils et elles rencontrent le commissaire enquêteur et découvrent que l’entreprise Rabas, usineur sous-traitant de l’aéronautique, ouvre une ligne de peinture de ses pièces et développe une nouvelle entité Rabas Protec entièrement dévolue à la production pour Stelia, filiale d’Airbus.
Pour ce faire, Rabas Protec utilisera des produits anti-corrosifs extrêmement toxiques, dont du tétraborate de sodium et du chromate de strontium, un chrome VI, cancérigène avéré et prochainement interdit par la réglementation européenne REACH (voir l’encadré). Cette dangerosité potentielle vaut à Rabas Protec le label d’installation classée protection de l’environnement (ICPE), relevant d’un régime d’autorisation à exploiter délivré par arrêté préfectoral après enquête publique.
Ainsi la population découvre qu’il est possible d’implanter une activité dangereuse à 20 m d’habitations, à 70 m d’un internat médico-éducatif, à 200 m de la première école, bref au cœur d’un quartier populaire, car il n’existe ni en droit de l’environnement ni en urbanisme aucune distance réglementaire d’implantation de ce type d’ICPE.
Renseignements pris, les contextes similaires ne laissent que peu d’espoir sur les recours possibles : en règle générale, les enquêtes publiques donnent un avis favorable au requérant, et la préfecture prend un arrêté d’autorisation d’exploiter. D’autant, assure la DREAL, que l’usine en question respecte scrupuleusement les normes en vigueur et utilise les dernières technologies de pointe en matière de filtration des fumées et de traitement des eaux. Peu importe qu’un produit soit inscrit sur la liste des substances interdites à compter de 2019 par le règlement REACH, que ce produit soit sans effet de seuil, c’est-à-dire néfaste à n’importe quelle quantité. Tant que les normes sont respectées, tout roule, même si les normes défient la logique et le bon sens.
Une mobilisation s’amorce dès septembre 2015, avec tract, réunion publique, pétition, et la création d’une association, Vivre à Méan-Penhoët (VAMP), déterminée à mener tout à la fois une campagne d’opinion et la démarche juridique au tribunal administratif (TA) qui s’annonce indispensable. La presse locale fait écho au dossier, et rapidement VAMP regroupe une centaine de membres, sa pétition « Contre l’usine à cancers » compte plusieurs centaines de signatures et permet d’ouvrir les portes de la préfecture.
Ainsi l’arrêté préfectoral d’autorisation de Rabas Protec pris en février 2016 comportera, maigre consolation, la création d’une commission de suivi de site (CSS), c’est-à-dire une instance multipartite (industriel / État / collectivité territoriale / associations et riverains) qui se réunira annuellement pour examiner le fonctionnement de l’installation, dans un souci d’information, de surveillance et de transparence.
La création de cette CSS rendra furieux les représentants de la DREAL qui estiment dérisoire les 150 kg de chrome VI consommés annuellement par l’usine Rabas Protec, alors que son commanditaire direct, Stelia, en utilise bien davantage tout en dépassant allègrement les quantités autorisées. En effet la DREAL (voir encadré p.14) souhaiterait employer ses faibles moyens de contrôle et de suivi des installations pour les gros poissons plutôt que pour les petits. Cela permet d’apprendre au passage qu’en matière de pollution industrielle les mesures se font entreprise par entreprise, et non par exemple à l’échelle d’un quartier, alors que les riverains respirent les effluves de l’ensemble de la zone industrielle. Ainsi que de découvrir qu’en matière de contrôle la police de l’environnement constate les manquements rétroactivement et n’intervient que lorsqu’elle ne peut faire autrement. Ainsi, les dépassements d’utilisation de chrome VI par Stelia ont-ils été dans un premier temps contournés par la création d’une nouvelle entité de production chez un sous-traitant direct (Rabas Protec), et faute de ne pouvoir être réduits pour des impératifs de production, ils seront finalement validés par une nouvelle enquête publique, en 2018, permettant un nouvel arrêté préfectoral d’exploitation autorisant une augmentation des droits à polluer, mais avec la création là encore d’une CSS où VAMP sera invitée à siéger…
Ce débat sur les pollutions à l’échelle du quartier permettra à VAMP d’obtenir une étude qui tentera de mesurer les taux de chrome VI dans l’air ambiant, réalisée d’octobre 2016 à mars 2017 par Air pays de la Loire [2]. Nouvelle déconvenue pour l’association, si le rapport atteste de périodes avec des taux anormalement élevés de chrome dans l’atmosphère, les origines en sont indéterminées, et les protocoles de mesure sont jugés insuffisants par la municipalité, qui refusera de financer toute enquête complémentaire pourtant requise en matière sanitaire selon cette première étude.
Finalement, ce sont des produits interdits mais autorisés sous conditions, difficiles à mesurer, d’autant plus que les sources de production censées être éclairées s’avèrent inconnues des autorités… Et les mesures se font produit par produit, alors que çà et là les chercheurs attestent qu’une donnée essentielle de la pollution atmosphérique serait l’effet cocktail, à savoir les effets du mélange de différentes substances sur l’environnement et les organismes, particulièrement pour les produits dits CMR : cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques.
VAMP, qui a pris attache auprès d’un cabinet d’avocats local, poursuit une requête auprès du tribunal administratif une fois le démarrage de Rabas Protec constaté. La contestation en référé de l’arrêté préfectoral d’exploitation sera un fiasco. Le juge des référés déclare en novembre 2016 l’arrêté conforme, sans justifier sa décision et donc sans fournir aucun élément face aux arguments avancés par l’association.
Au TA, le juge des référés rend une ordonnance tout seul. Manifestement le dossier n’a pas été étudié. VAMP décide donc de se pourvoir sur le fond, sachant partir pour une procédure longue, mais espérant qu’un tribunal composé de trois juges éclairés par un rapporteur public qui travaille le dossier en préalable sera plus réceptif à ses arguments, dont un certain nombre sont estimés recevables par les avocats. Et cette fois, contre toute attente, le TA de Nantes accède en novembre 2018 à la requête de l’association et annule l’autorisation d’exploiter de Rabas Protec, et condamne la préfecture à verser 1 500 euros à l’association.
Le TA a statué sur le premier des arguments : les insuffisances de l’enquête publique. Séisme à la préfecture et dans le landerneau aéronautique : le pot de terre a gagné contre le pot de fer. Naïvement, VAMP pense que faute d’autorisation d’exploiter l’usine va s’arrêter, un peu comme quand on te retire ton permis tu t’arrêtes de conduire… C’est sans compter sur le chantage à l’emploi et le poids économique du programme « A380 » qu’une décision de justice ne saurait ébranler. La préfecture prend aussitôt un arrêté dérogatoire permettant à l’usine de poursuivre son activité sous réserve de déposer un nouveau dossier enquête qui cette fois devra être conforme. Cette nouvelle enquête publique s’est achevée en septembre 2020, et l’association attend l’avis du commissaire enquêteur qui sera encore favorable à l’industriel.
Dans le même temps, le ministère de l’Environnement fait appel de la décision du TA, et c’est François de Rugy qui prend fait et cause pour une industrie polluante contre une association qui s’entête à défendre la santé publique et la qualité de vie dans son quartier et ailleurs. Une nouvelle procédure de deux ans, cette fois devant la cour administrative d’appel de Nantes, est donc toujours en cours et mériterait un traitement spécifique.
Le danger pour une petite association comme VAMP est de s’épuiser dans les démarches juridiques, et les instances de représentation comme les CSS. Cependant, la dynamique de quartier a fait qu’une vingtaine de personnes contribuent régulièrement aux réunions de l’association, et au suivi des dossiers qui, au fur et à mesure des batailles contre les nuisances industrielles, se sont élargis à l’urbanisme et à la santé publique.
Cette combativité a permis de nouer des contacts avec des associations voisines sur les communes de Donges et de Montoir-de-Bretagne, prises dans des dynamiques semblables.
Au printemps 2019, ces trois associations, l’ADZRP de Donges, l’Association des habitants du village de Gron à Montoir, et VAMP de Saint-Nazaire lançaient une pétition pour une étude épidémiologique concernant le nombre alarmant de cancers et d’affections respiratoires dans l’estuaire de la Loire.
En effet, en 2013 puis en 2017, des rapports de l’Observatoire régional de santé établissent une surmortalité anormalement élevée dans les communes de la CARENE et de CAP-Atlantique [3], étudiées conjointement. Les causes incriminées par les institutions sont essentiellement les comportements individuels : la consommation d’alcool et de tabac, et une mauvaise hygiène de vie. Ainsi le contrat local de santé de 2015-2018 axe-t-il ses priorités sur les addictions (alcool, tabac) et l’hygiène de vie (alimentation et air intérieur). Pourtant, les chiffres de 2013 sont surpassés par ceux de 2017, publiés au printemps 2018.
Pour ces associations, les causes d’un état de santé délabré de la population sont aussi à rechercher du côté de la pollution atmosphérique générée par les activités industrialo-portuaires. En effet, de par leurs actions de résistance aux nuisances industrielles, elles en sont venues à constater de nombreux manquement et zones d’ombre dans les émissions atmosphériques, les produits mesurés, leur contrôle et le respect des normes. Devant l’absence de réactions des autorités face à ce scandale sanitaire, la pétition, en faisant appel à l’opinion publique, devient le moyen pour se faire entendre auprès de l’ARS (Agence régionale de santé) qui pratique une politique de porte close, des autorités (préfecture) et des politiques (mairies, CARENE) plutôt autistes quand il s’agit d’interroger les mastodontes économiques locaux.
Fort de plus de 2 000 signatures papier, et grâce à une campagne médiatique bien relayée, les pétitionnaires ont pu forcer les portes de l’ARS début juillet 2019, pour apprendre qu’une étude complémentaire croisée avec le registre des cancers était en cours. Il faut dire que les affaires des « enfants sans bras » de Mouzeil, ou des cancers pédiatriques autour de Sainte-Pazanne étayaient les inquiétudes sanitaires dans le département.
Le 10 septembre 2019, la sous-préfecture de Saint-Nazaire organise ainsi une communication sur les études complémentaires, confirmant les pires craintes des associations : une surmortalité par cancer de 28 % pour les moins de 65 ans, atteignant 38 % pour les hommes sur les communes de Saint-Nazaire, Trignac et Montoir, reconnaissant du bout des lèvres que ces chiffres peuvent être « marginalement [liés aux] facteurs environnementaux (expositions professionnelles, air extérieur) ». Et les mêmes autorités d’annoncer un nouveau contrat local de santé mettant l’accent sur la prévention des addictions, aux premiers rangs desquels l’alcool et le tabac.
Depuis, l’incendie de Lubrizol à Rouen est venu confirmer la triste réalité du risque industriel, et l’incurie des autorités en matière de surveillance des installations classées, et des répercussions sanitaires en cas d’incident grave. Les langues se sont déliées autour de l’usine Yara qui piétine allègrement les normes à Montoir, de Stelia qui ne signale pas ses incidents environnementaux (pollution en Loire de mai 2018) lors des CSS, ou des dérogations accordées aux usines de l’aéronautique pour l’utilisation de produits interdits par les lois européennes (cas du chromate de strontium).
Les associations multiplient les découvertes en matière de pathologies chroniques dans les zones industrielles : pour l’étang de Berre, à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), la surmortalité par cancer atteint les 50 %, ainsi que le révèle le documentaire Les Révoltés de la pollution, et ses habitants sont parvenus à obtenir des études sur l’impact de la pollution, sur l’alimentation locale par exemple, mais la chape de plomb du secret industriel et le chantage à l’emploi restent bien difficiles à ébranler.
De son côté, la CARENE s’est engagée à chercher ce qui se fait en matière de lutte contre la pollution dans d’autres collectivités exposées aux pollutions industrielles, pour développer une politique de prévention. Mais les mesures exposées dans le Plan climat air énergie et territoire (PCAET) ou le plan local d’urbanisme 2019 sont insignifiantes sur ce terrain.
Avec les dernières élections municipales, des organisations ou des responsables politiques se sont émus de cette question sanitaire dans l’estuaire, des maires au sénateur en passant par la députée.
Les questions au gouvernement, la multiplication des listes potentiellement centrées sur les questions écologistes et environnementales, la couverture médiatique locale et nationale, tout cela fait que le scandale ne peut plus être étouffé. Mais, au-delà de l’agitation médiatique et des vagues promesses ou déclarations d’indignation, quelles sont réellement les possibilités d’action pour établir les causes de ces surinfections, et les contenir ? Pour l’heure, l’ARS se cache derrière une étude de faisabilité de l’enquête épidémiologique confiée à Santé publique France, la même institution qui vient de déclarer son incapacité à répondre aux demandes de l’association Stop aux cancers de nos enfants de Sainte-Pazanne.... tout en disant que cela prendra du temps ! Quant aux politiques, on attend de voir quels rapports de force ils sont prêts à engager avec les industriels.
Santé publique France devait se prononcer sur la faisabilité de l’étude épidémiologique au printemps 2020. L’alibi covid-19 fait que cet avis est reporté d’un an.
Dans l’attente, la sous-préfecture vient d’annoncer une « étude de zone », telle que préconisée par l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS). C’est une démarche d’évaluation des impacts des activités humaines sur l’état des milieux et des risques sanitaires inhérents pour les populations, mais sans chercher à établir de lien entre des causes industrielles et des conséquences sanitaires, ainsi que le permettrait l’étude épidémiologique réclamée par les associations.
L’étude de zone prendra plusieurs années, car dans ce type de dossier le temps de l’Etat est sans commune mesure avec le temps vécu de la population.
Le travail de fourmi des associations locales est indispensable pour s’approprier la connaissance de dossiers toujours confisqués par des experts qui parlent au nom de leur science. Le risque est cependant de s’enfermer dans un discours de contre-expertise et de perdre dans cette bataille la vision d’une dimension politique globale : l’industrialisation du monde et les destructions afférentes du vivant sont le produit d’une expansion capitaliste prête à tout sacrifier pour son développement (voir l’encadré sur l’ASAP ci-contre).
La sensibilisation environnementale qui émerge ces derniers mois autour du réchauffement climatique, de la disparition des espèces ou du saccage des écosystèmes peut tout autant favoriser une prise de conscience politique anticapitaliste que la limiter à des principes de greenwashing qui maintiennent le système à flot et permettent en définitive sa survie en prétendant le changer.
Les diverses tentatives de mobilisations de ces derniers mois – telles que « l’Appel contre la réintoxication du monde » le 17 juin à la sortie du confinement, la tribune et les actions « Notre maison brûle » pour attirer l’attention de l’opinion le 26 septembre dernier sur le risque industriel, un an après l’incendie de Lubrizol à Rouen, et prochainement l’appel pour une « seconde vague d’actions contre la réintoxication du monde le 17 novembre 2020 » – peuvent contribuer à une prise de conscience révolutionnaire et anticapitaliste.
Elles peuvent aussi n’être que des tentatives de récupération des velléités d’une jeunesse dont la combativité, au travers de la dynamique « Jeunes pour le climat », est en manque de perspectives à court et moyen terme.
Dans tous les cas, ces luttes ne seront que ce que nous en ferons.
Saint-Nazaire, 24 octobre 2020
ENCARTS
Classement ICPE et sites Seveso
Toute exploitation industrielle ou agricole qui présente des risques d’incendie, d’explosion, de pollution ou des nuisances, notamment pour la sécurité et la santé des riverains, entre dans la catégorie Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).
Aujourd’hui, dans l’Hexagone et en outre-mer, il y a 500 000 ICPE, mais seules 41 000 d’enre elles sont soumises à une réglementation et à des inspections spécifiques. Les 459 000 autres y échappent,et la plupart de leurs données ne sont pas publiques. Selon leur niveau de dangerosité, certaines tombent sous le joug d’une réglementation européenne, la directive Seveso* instaurée en 1982, puis actualisée jusqu’à la directive Seveso 3 de 2012 qui prévaut aujourd’hui.
Au dernier recensement, 1 312 sites relèvent de la directive Seveso en France. La réglementation introduit deux seuils de classement concernant leur « dangerosité », selon la quantité de substances dangereuses utilisées : « seuil bas » (risque important, 607 établissements) et « seuil haut » (risque majeur, 705 établissements).
Les installations Seveso font l’objet d’une stricte surveillance de la part de l’exploitant et des autorités publiques. Elles doivent établir des Plans de prévention des risques technologiques (PPRT), d’usage interne et d’usage externe. Ils permettent d’exproprier les habitants dans les zones les plus dangereuses, en cas d’accident, et obligent les industriels à réduire les risques à la source dans les usines. La population doit également être mise au courant des activités de ces usines.
Toutes ces mesures n’ont pas empêché l’explosion de l’usine AZF, site Seveso, qui a fait 31 morts et des milliers de blessés à Toulouse en 2001, ni l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen le 26 septembre 2019.
* En juillet 1976, un nuage de dioxine a contaminé 20 000 ha autour de la ville de Seveso en Italie. Devant sa gestion bâclée, les Etats européens ont décidé de renforcer le contrôle des pouvoirs publics sur les activités industrielles présentant des risques technologiques majeurs.
My pollueur is REACH
REACH est l’acronyme de Registration, Evaluation and Authorisation of Chemicals, soit « enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques ». C’est un règlement de l’UE entré en vigueur en 2007, prétendument pour protéger la santé humaine et l’environnement contre les risques liés aux substances chimiques, tout en favorisant bien sûr la compétitivité de l’industrie chimique de l’UE.
Pour se conformer à ce règlement, les entreprises doivent identifier et gérer les risques liés aux substances qu’elles fabriquent, commercialisent et utilisent dans l’UE. Elles doivent démontrer comment la substance peut être utilisée en toute sécurité, et communiquer les mesures de gestion des risques aux utilisateurs. Et elles doivent enregistrer les substances.
L’ECHA (l’Agence chimique européenne) reçoit et évalue les enregistrements individuels pour vérifier que ceux-ci respectent la législation ; et les Etats membres de l’UE évaluent certaines substances choisies pour voir si les risques que leur utilisation entraîne peuvent être gérés, et accorder des dérogations. Les autorités peuvent aussi décider de restreindre une utilisation de diverses manières, ou de la soumettre à une autorisation préalable. Une liste recense donc les substances interdites ou soumises à dérogation, avec un calendrier de mise en œuvre des disparitions ou limitations d’utilisation des produits. A terme, les substances les plus dangereuses devraient être remplacées par d’autres moins dangereuses, si elles sont économiquement rentables…
La DREAL,
police de l’environnement !
Placées sous l’autorité du préfet de région et des préfets de département, les Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) sont chargées d’élaborer et de coordonner les politiques de l’Etat en matière d’environnement, de logement et de transports.
Ses inspecteurs ont notamment pour mission de prévenir et réduire les dangers et nuisances liés aux ICPE, afin de protéger les personnes, l’environnement et la santé publique. Ils vérifient qu’elles respectent les prescriptions imposées par les arrêtés préfectoraux d’autorisation d’exploiter ; examinent les plaintes des tiers et des riverains ; constatent les infractions et peuvent proposer des mises en demeure et des sanctions administratives ou judiciaires. Mais ils n’ont pas les moyens d’exercer ce contrôle : leurs effectifs sont insuffisants, leurs contrôles reposent sur les données fournies par les entreprises, et la DREAL reste inféodée aux politiques économiques définies par le préfet.
Pour exemple, suite à la requête de VAMP contre Rabas Protec, le TA de Nantes a retoqué l’autorisation d’exploiter, estimant que l’avis de la DREAL était partial car elle n’était pas une autorité indépendante de la préfecture.
Une loi ASAP pour simplifier
le droit à polluer
La loi d’Accélération et de simplification de l’action publique (ASAP) a été débattue au Sénat en mars et à l’Assemblée fin septembre 2020. Elle vise à simpllifier des démarches administratives – de l’expulsion d’un logement aux concessions forestières, en passant par l’implantation d’industries ou la comparution de détenus en visio-conférence.
Selon la CGT, c’est un texte « fourre-tout » au service du capital, qui prône une modernisation de l’administration, et comprend la suppression de commissions consultatives ; l’accroissement du pouvoir des préfets pour faciliter des projets industriels en s’affranchissant des réglementations ; des modifications apportées aux codes de l’environnement et de l’urbanisme ; l’assouplissement des règles des marchés publics...
En ce qui concerne les nuisances industrielles, l’ASAP constitue une vraie régression du droit de l’environnement. La simplification des procédures applicables aux ICPE va multiplier les risques qu’elles présentent (mal évalués, ils seront mal maîtrisés). C’est aussi un recul de la démocratie, par la suppression de concertations et la multiplication des autorisations de légiférer par ordonnances.
Ses articles 21 à 26 ont pour seul objectif de rendre la vie plus facile aux industriels : ils suppriment les étapes préalables à l’installation d’usines, même s’il s’agit d’ICPE, et ne prévoient pas davantage de contrôles des risques. L’industriel pourra entamer des travaux dès le dépôt du permis de construire, sans attendre l’autorisation environnementale. Le préfet pourra remplacer l’enquête publique par une consultation publique en ligne pendant trente jours. Le rôle du commissaire enquêteur était surtout consultatif, mais il garantissait un minimum de démocratie et d’information du public sur des sujets souvent discrets et techniques.
Ce projet de loi s’inscrit dans la logique gouvernementale de libération de l’économie conduite par le Pacte productif pour une nouvelle stratégie industrielle et dans la création de 78 sites industriels « clés en main », dont celui du Carnet, dont il était question dans CA d’octobre 2020.
[1] Etude commanditée par l’Alliance européenne pour la santé publique (EPHA), réalisée par le cabinet d’audit CE Delft et publiée en octobre 2020. Elle se fonde sur les résultats d’analyse de qualité de l’air de 432 villes européennes et chiffre ainsi le coût de la pollution atmosphérique dans l’UE à 166 milliards d’euros par an.(1)
[2] Disponible sur le site d’Air p
[3] La CARENE est la communauté de communes de Saint-Nazaire, essentiellement urbaine et industrielle ; CAP-Atlantique est la communauté de communes de La Baule et de la presqu’île guérandaise, essentiellement touristique et rurale