lundi 4 février 2008, par
Depuis 1999, le Chantier naval de Saint-Nazaire a vu se développer une forme de syndicalisme original avec la création de l’USM-CGT, l’Union syndicale multi professionnelle, qui coordonne les travailleurs du site, indépendamment de leur statut, de leur entreprise, de leur secteur d’activité, et de leur nationalité. Cette expérience locale est un essai d’adaptation du syndicalisme aux modifications structurelles du salariat. Elle intéressera quiconque recherche des chemins pour retrouver une identité de classe et des pratiques de lutte.
Comment s’est créée l’USM-CGT à Saint Nazaire ?
Sur le site des Chantiers, dans les années 90 la sous-traitance n’était pas très importante. Il y avait 6000 salariés du chantier, et 2000 sous-traitants environ, avec déjà des intérimaires, mais essentiellement des sous-traitants réguliers, pour la plupart de la région, intervenant sur du travail orienté sur la coque métallique, la soudure, l’armement et la finition des paquebots.
On avait donc une juxtaposition d’organisation de travailleurs : les intérimaires étaient déjà organisés à l’époque dans des syndicats d’intérimaires, il y avait des syndicats de boîtes sous-traitantes comme Montalev qui faisait alors les échafaudages, et bien sûr le syndicat CGT du chantier, syndicat de la métallurgie, bastion ouvrier avec sa culture de lutte acquise pendant des décennies. On se connaissait, mais sans se côtoyer, chacun restait dans son coin à faire comme il pouvait. Dans les années 90 les intérimaires et les sous-traitants ont mené sur le site quelques actions, plutôt clandestines : des réunions à bord des navires sur les conditions de travail, ou pour organiser des ripostes contre les directions de boîtes qui voulaient nous obliger à travailler certains jours indus…, ou encore comme en 96, de bloquer le patron d’une boîte en bas du Quai de la Darse, jusqu’à ce qu’il paye les salariés…
En 98 il y a une nouvelle direction nommée à la tête d’Alstom-Marine, avec Patrick Boissier qui lance un nouveau plan stratégique : CAP 21. La logique consistait à réduire les coûts de construction des bateaux de 30% par le développement d’une sous-traitance à grande échelle, fondamentalement différente de ce que l’on avait connu jusque-là. Ce qui se joue à partir de cette date, et qui se poursuit aujourd’hui, c’est une modification profonde de l’entreprise et du salariat, et une véritable bataille idéologique : la sous-traitance passe de 2000 à 6000 salariés en 1999, pour monter jusqu’à 9000 en 2003 pendant la construction du Queen Mary 2.
Cap 21 marque le développement de la sous-traitance en cascade, avec une entreprise de sous-traitance de premier rang, qui elle-même va sous-traiter à une entreprise de second rang, qui elle-même va sous-traiter à son tour à une autre de 3ème rang, jusqu’à atteindre parfois 5 rangs. On voit bien en termes de salaires, de conditions de travail, de conditions de vie tout simplement, ce qui peut rester aux ouvriers qui bossent dans les boîtes de 5ème rang. On tombe dans l’extrême précarité.
Pourquoi cette sous-traitance ?
Les paquebots sont des produits à haute valeur ajoutée, et en sous-traitant, la direction vise bien sûr la réduction des coûts de fabrication, mais cela lui permet aussi de se dégager d’un certain nombre de responsabilités, financières, juridiques, et surtout vis-à-vis du droit du travail. Par exemple en cas d’accident du travail ce n’est pas le donneur d’ordre qui est responsable, mais l’entreprise exécutante, comme cela a pu se voir dans la défense des Chantiers de l’Atlantique lors du procès de l’accident de la passerelle du QM2(1), qui rejetait toute la responsabilité sur l’installateur d’échafaudages.
Les travailleurs recrutés dans la sous-traitance en cascade sont pris dans une logique de réduction des coûts, de concurrence économique, mais aussi de concurrence sociale, avec une mise en opposition des travailleurs entre eux. On va donc se retrouver avec une main d’œuvre précaire, parce que jetable. La bataille idéologique se mène ici, c’est atomiser les travailleurs, casser le collectif, détruire toute une histoire ouvrière faite de culture de lutte et de revendications collectives. Et c’est là la fonction idéologique de la sous-traitance en cascade. On a eu des sociétés de sous-traitances de premier rang qui avaient 90% de leur effectif en intérim. La société Protect feu, en 1999, c’était la première bataille de l’USM. La boîte ne comptait que des chefs d’équipe et un chargé d’affaire, le reste c’était des intérimaires.
L’USM est donc un produit de la sous-traitance ?
Cap 21 et le développement de la sous-traitance ont amené une réflexion dans la CGT sur comment réussir à articuler et faire fonctionner ensemble les syndicats CGT présents sur le site : les syndicats des différentes boites sous traitantes, les syndicats des intérimaires, et le syndicat du Chantier. Et aussi comment organiser les salariés de la sous-traitance et les intérimaires qui n’ont pas de pratique ou de culture de lutte, comment rassembler des salariés précarisés sur des objectifs et des mots d’ordre fédérateurs qui consistent à dire non à la discrimination, oui à l’égalité de traitement par le haut, avec des mêmes droits sur un même lieu de travail.
La réflexion s’est engagée d’abord chez les sous-traitants et les intérimaires, avec le soutien de l’Union locale CGT et du Secrétaire départemental de l’époque, Serge Doussin. L’enjeu, c’était de faire comprendre au syndicat du Chantier qu’on changeait d’époque, et que la forteresse ouvrière c’était fini, qu’il fallait passer à de nouvelles formes de lutte et de structuration. Car justement la sous-traitance permettait de casser les acquis, et succomber à la division des statuts, c’était oublier la solidarité ouvrière. Car l’adversaire commun c’est le patron, et pas l’autre travailleur, quelque soit la couleur de son bleu, quelque soit la couleur de sa peau !
Le 14 avril 99 on décide de présenter officiellement l’U.S.M. L’union regroupe tous les syndicats présents sur le site. Au début, les camarades du Chantier n’avaient pas cette culture de travail en interpro avec d’autres syndicats d’autres branches. Le corporatisme était très affirmé car le bastion ouvrier permettait ce corporatisme qui était fonctionnel dans la période précédente. Au début le fonctionnement n’était pas simple, avec des conflits ente syndicats de la sous-traitance et syndicat du Chantier, avec des divergences sur les modalités d’organisation, de lutte, de travail en réseau…
Comment est organisé l’USM ?
La commission exécutive de l’U.S.M. regroupe sur un pied d’égalité des représentants de chaque entreprise et de chaque syndicat présent sur le site. Les prises de décision se font collectivement, et il ne s’agit pas que le syndicat du chantier prenne les décisions pour tous. Et il a fallu 2 ou 3 ans pour faire admettre qu’il n’y avait pas un syndicat de tutelle, et les autres. Le secrétariat est composé de représentants des sous-traitants et d’un du Chantier. Il y a ensuite un fonctionnement en réseau, des délégués, des élus, des syndiqués dans différentes boîtes. Mais aussi des sympathisants, même si c’est un terme qu’on emploie peu en milieu syndical.
Les sympathisants c’est des gens qui ont, soit été syndiqués à un moment donné avant de changer de boîte ou de devenir intérimaires, soit proches de la CGT et qui viennent à des réunions ouvertes. Pour nous il s’agit de permettre aussi à des non-syndiqués de découvrir ce qu’est le syndicalisme. C’est comme ça qu’un certain nombre d’informations nous reviennent, par des sympathisants, des gens qui travaillent dans des boîtes, même dans les bureaux, qui nous font parvenir des informations qui nous permettent d’analyser une situation et de déterminer comment intervenir. Par exemple le « montage exotique »(2), la note nous est parvenue par ce type de canaux. Ainsi le fonctionnement en réseau c’est différent de ce qu’on a pu connaître par le passé. On ne peut plus aujourd’hui avoir un fonctionnement aussi carré qu’avant, réservé aux seuls adhérents ou militants CGT.
Avec un salariat sans culture syndicale, et assez peu de conscience de classe, il faut agir de façon plus souple, et surtout faire comprendre que l’U.S.M. c’est un outil de lutte et aussi de solidarité. Il faut trouver les moyens de tisser des liens entre tous les salariés indépendamment de leur boulot et de leur statut.
Comment vous entrez en contact avec ces sympathisants ?
Il a fallu s’adapter sur différents créneaux, par exemple la formation syndicale. On a lancé des modules de formation, qui sont des cours de 2 heures, sur le droit du travail, sur la sécurité, sur les droits syndicaux. On a commencé ce travail en 2002, en prenant des thèmes comme « le droit à la formation professionnelle des intérimaires », qu’on faisait en milieu d’après-midi, en fonction des horaires de débauche, soit 15 heures, soit 16 heures. Chaque séance débute par un point introductif sur la situation sociale sur le site, ou sur des points d’actualité.
Le mois suivant ça pouvait être sur le droit de retrait, et sur comment refuser de travailler dans un contexte dangereux : quelle procédure suivre sans risquer la faute. Avec ce type de formation on attire du monde, et ça permet ensuite de proposer des cours sur l’histoire du syndicalisme ou l’histoire de la CGT, sur « pourquoi se syndiquer ? ». Toutes ces formations sont ouvertes, et distinctes de la formation classique pour les syndiqués. Car pour la formation syndicale sur le temps de travail, le salarié doit demander une autorisation un mois à l’avance, et avec la répression antisyndicale actuelle qui tire sur tout ce qui bouge, on a été obligé de s’adapter et de proposer des fonctionnements différents, pour ne pas exposer des travailleurs pour la plupart précaires.
On est aussi reconnu par nos interventions sur les questions d’hygiène, de sécurité, et des conditions de travail. En 2000 il y a eu deux accidents mortels, un intérimaire en septembre, et Roger Fleury, un salarié du Chantier en novembre. La mise en place d’un Comité d’Hygiène et de Sécurité et Conditions de Travail (CHSCT) n’a pas éliminé les situations dangereuses. On a alors décidé de faire des interventions éclairs à bord, c’est-à-dire que quand un salarié, un sympathisant (tout le monde à nos numéros de portable) décèle une situation de danger, il faut réagir. La plupart du temps ce sont des intérimaires qui travaillent à bord sur les chantiers dangereux, et même s’ils connaissent leurs droits, c’est extrêmement difficile d’exercer le droit de retrait. Il s’agit donc, dès qu’une situation est repérée, d’envoyer des gars soit CHSCT, soit Délégués du Personnel le plus rapidement possible pour faire constater la situation et faire cesser les travaux. Et ça on l’a fait à plusieurs reprises, notamment avec les fumées de soudure, quand les gars doivent bosser sans boyaux d’aspiration. Intervenir ça veut dire qu’on bloque le travail pendant 4 heures, le temps que les dispositifs de ventilation soient installés, et que les gars soient payés pour ces 4 heures, comme le prévoit la loi.
Ça c’est un type d’action dont la direction a horreur, et pour laquelle elle nous menace régulièrement de nous traîner devant les tribunaux pour entrave à la liberté du travail… Et qui lui permet de nous supprimer les badges pour qu’on ne puisse plus monter à bord. Cette capacité à réagir rapidement, sur les conditions de travail, est permise par notre fonctionnement en réseau, et nous attire des sympathies.
Ça représente quoi aujourd’hui l’USM ?
C’est très fluctuant en fonction des années, et du nombre de sous-traitants. Quand on était 8 ou 9000 salariés de la sous-traitance sur le site, on avait entre 3 et 400 syndiqués. Actuellement on est un peu moins, et en nombre de militants on est une trentaine dans la sous-traitance et l’intérim, et une bonne vingtaine pour le syndicat du Chantier. Soit cinquante à soixante militants CGT sur le site, en sachant qu’il faut toujours se battre pour que les donneurs d’ordre n’expédient pas les militants combatifs hors du site, et qu’il faut continuellement faire intervenir l’inspection du travail pour que le militant ou le délégué reste sur place. C’est une guerre d’usure.
En nombre de syndicats, on est 20 syndicats de 20 boîtes différentes, et 3 syndicats d’intérim. Les boîtes peuvent être aussi bien de la métallurgie, que du BTP, que du gardiennage, de la restauration collective, la logistique, les grues… On est répartis dans les différents secteurs.
Est-ce qu’il est possible de tirer un bilan de la solidarité interpro depuis que vous existez ?
Ce n’est pas facile, parce qu’effectivement, chaque boîte reste avec ses revendications propres, en fonction des situations, ou des calendriers de négociation, ou encore des questions de localisation selon que ce sont des boîtes locales ou nationales. Après la question c’est comment on converge sur une revendication. Par exemple la question des salaires, c’est une question qui concerne tout le monde sur le site.
Il y a des projets de partir sur la question des salaires dans quelques boites les semaines qui viennent, et pour nous le but c’est effectivement que quand une boîte démarre sur les salaires, les autres s’en saisissent pour partir aussi sur cette question. Mais c’est très difficile de partir en même temps. Au minimum, les militants des autres boîtes soutiennent. En général on bloque le rond-point de l’entrée principale, avec les délégués des autres boîtes, pendant les heures de délégation on organise la solidarité financière entre salariés des différentes boites.
Après il y a les tracts et l’information. Par exemple dans la restauration, les salariés ou les délégués ont interdiction de distribuer des tracts sur le site aux clients. Pour ne pas qu’ils soient sanctionnés ou en infraction, ce sont donc les salariés d’autres boîtes qui vont aller distribuer les tracts dans les restaurants pour informer de la lutte. Dans ce cas le tract comporte le logo de l’U.S.M., et celui du syndicat de « Eurest » par exemple. Le but de l’USM c’est aussi de recréer du collectif en pratiquant et affirmant des principes de solidarité.
Et les luttes des travailleurs étrangers ?
Les luttes avec les travailleurs étrangers, c’est encore plus difficile que l’interprofessionnel. Par exemple, la lutte avec les travailleurs indiens pendant le Queen Mary, on a mis des semaines à la construire. Il a fallu établir les contacts, passer le barrage de la langue, contourner la répression, dépasser la méfiance. Et cela c’est fait d’abord par les lieux de résidence, et ce sont des personnes du réseau qui ont noué des liens de voisinage avec des petits groupes d’indiens, jusqu’à établir un contact avec la plupart et établir collectivement un cahier des revendications par rapport à leur situation. Et là ça n’a pas été que les militants de l’U.S.M., ni même seulement des militants de la CGT, mais des militants dans des cercles bien plus larges.
Quelles sont les réalités de l’exploitation des travailleurs étrangers sur le site ?
L’importation de main d’œuvre étrangère s‘appuie sur plusieurs raisons. La première c’est que ça coûte pas cher, la seconde c’est qu’une main d’œuvre qui ne parle pas la langue, ça laisse une marge de manœuvre pour les opposer aux travailleurs français, c’est le fameux diviser pour mieux régner en jouant sur la xénophobie et le racisme. La troisième raison, c’est que ces salariés-là ne connaissent pas leurs droits, et que les patrons les font travailler au delà de la durée légale : On voit des 50, 60 , 72 heures hebdomadaires. En ce moment il y a des Grecs qui sont à 66 heures par semaines (cf. encadré). Et surtout les étrangers sont continuellement sous la menace d’un renvoi au pays, parfois simplement si on les voit parler avec un travailleur français. On a eu également des cas d’accidents du travail, ou les travailleurs étrangers était directement rapatriés après leur passage aux urgences, sans même savoir si les salaires dûs étaient perçus. C’est l’esclavage moderne, on fait travailler des gens gratuitement. Les travailleurs étrangers sont encore plus facilement exploités que les intérimaires. Ce sont les plus fragilisés aujourd’hui, comme les sans-papiers. À cette différence prêt que dans le cas des sans-papiers, patrons comme employés sont dans l’illégalité et le savent. Avec la sous-traitance internationale, il y a des dispositifs légaux qui favorisent cette exploitation : les patrons recrutent, transportent, hébergent des travailleurs étrangers pour qui ils présentent des papiers et des contrats légaux à l’inspection du travail. Sauf que quand les conflits éclatent on constate que ces papiers ou ces contrats n’ont rien à voir avec la réalité de l’exploitation que subissent ces travailleurs.
C’est comme ça qu’il y a aujourd’hui 150.000 travailleurs polonais qui viennent se faire exploiter en France, par des boîtes de sous-traitance, qui ne sont en fait que des bureaux-boites aux lettres en Irlande…
Le Chantier est devenu « Aker-Yards », une société norvégienne, depuis deux ans. Y-a-t-il des logiques industrielles différentes ?
Oui, et cela va s’accentuer encore avec les coréens qui viennent de prendre près de 40% du capital. Maintenant le patronat tend à organiser une sous-traitance de synthèse sur le site, c’est-à-dire qu’il s’agit d’attribuer des secteurs d‘activités à une entreprise sous-traitante qui sera responsable et devra fonctionner de façon autonome sur l’ensemble de l’activité. Par exemple actuellement pour la tuyauterie il y a une dizaine de boîtes qui interviennent sur un navire. A l’avenir le Chantier attribuera le marché de la tuyauterie à un seul sous-traitant qui devra se débrouiller sur tous les aspects de ce type de travaux. Le donneur d’ordre ne conservera que le cœur du métier, et les bureaux d’étude. Mais cette évolution de la sous-traitance n’est pas spécifique à Saint-Nazaire, on la retrouve sur différents sites industriels.
Pour l’instant le carnet de commande compte 4 navires, avec du boulot jusqu’en 2010-2011, pour 7 à 8000 salariés sur le site, répartis entre 5000 sous-traitants et 2500 salariés du Chantier. Mais la crainte ici, c’est que rapidement les coréens pompent la technologie et le savoir faire, pour un transfert des compétences sur leurs sites de construction en Asie. Ce qui à terme signifie la fermeture du Chantier de Saint-Nazaire, ce qui va dans le sens de la stratégie politique à l’œuvre depuis plusieurs années, avec un certain nombre de complicités locales qu’il faut dénoncer.
C’est ce qu’on appelle la stratégie de Lisbonne : la Commission européenne souhaite réduire les capacités de construction navale en Europe, mais avec une stratégie plus subtile et plus perverse que les restructurations industrielles qu’on a connu dans les années 80, avec la fermeture brutale de chantiers en Espagne ou en France. Aujourd’hui les reconversions se font plus étalées dans le temps : on éclate le salariat, on détruit le collectif, la sous-traitance en cascade permet de réduire les coûts, mais également de casser les identités et les cultures des salariés. C’est la bataille idéologique dont je parlais au début. La résistance ouvrière est affaiblie, les perceptions de ce qui se joue ne sont plus les mêmes, et après quelques années c’est devenu facile de fermer.
Ainsi la réduction de capacité de construction de navires s’accompagne aussi de transformations économiques, sociales, dans le domaine de l’emploi, de l’habitat, de la composition de la population. Il suffit de regarder ce qui se vit à St-Nazaire depuis le départ du Queen Mary, qui a été un test pour un certain nombre de choses qui se mettent en place en France actuellement, comme le contrat de chantier, la formation professionnelle, la flexi-sécurité. Saint-Nazaire est en phase de transformation totale de la ville, qui se tourne vers le tourisme, les affaires, le résidentiel de haut de gamme… Ce qui gêne dans ces restructurations, c’est la classe ouvrière, qu’il faut diluer dans d’autres activités, ou drainer vers d’autres bassins d’emplois. Ici aujourd’hui l’emploi c’est dans le tertiaire, commerce, logistique, transport, l’hôtellerie, la restauration, le bâtiment. En 2003, quand le Queen Mary est fini, il y a 7000 salariés de la sous-traitance qui sont jetés comme des kleenex, et nous on se bat avec quelques boites pour exiger un plan de formation et d’emploi maintenu sur le bassin nazairien, en appliquant la revendication CGT de la sécurité sociale professionnelle. La direction du Chantier, et les principaux donneurs d’ordre refusent, et la CGT se retrouve seule à se battre pour un plan social pour tous, car pendant ce temps les pouvoirs publics et la CFDT nous inventent « Cap Compétence ». Un plan qui consiste à dire « on va faire de la formation pour quelques sous-traitants et les salariés d’Alstom. Les autres, qu’ils dégagent ». Les fonds structurels européens financent les formations qui s’adressent aux cadres, et aux ouvriers du Chantier, mais très peu aux ouvriers de la sous-traitance.
Nous, par la lutte, on avait réussi à obtenir du Préfet de Région un engagement pour que les intérimaires aient un fond supplémentaire alimenté par ces fonds structuraux, pour financer des congés individuels de formation, afin de valider leur qualification si les licences de soudeurs par exemple venaient a être périmées. L’accord devaient être avalisé par un organisme national paritaire, mais la CFDT(3) a refusé l’accord, considérant que les intérimaires n’avaient pas besoin de formation, qu’ils n’avaient qu’à se reconvertir dans d’autres activités !
Dans la foulée se met en place une cellule inter-entreprises pour le reclassement, gérée par le MEDEF, dans un but de reconversion professionnelle des ouvriers qui ont bossé sur le Chantier vers l’hôtellerie, la restauration, le commerce.. On a ainsi vu un tuyauteur hautement qualifié se voir proposer un boulot de plongeur chez Sodexo à Guérande… Et avec le chantage « aujourd’hui tu peux refuser mais, dans quelque mois, celui qui refusera les offres de la cellule de reclassement ou de l’ANPE se verra supprimer les allocations Assedic ».
Ce qui se testait ici en 2004 avec les salariés de la sous-traitance, c’est ce qui est en train de se généraliser aujourd’hui à l’échelle du pays.
Par exemple, les soudeurs, qui sont la pérennité du site, car sans soudeur, pas de coque métallique, les soudeurs donc doivent avoir leur qualification à jour. Si pendant 6 mois ils n’ont pas exercés leur métier, leur licence saute, et une licence, ça coûte de l’argent. Qu’est-ce qui se passe si un soudeur reste trop longtemps sans travail : il est obligé de changer de métier, parce qu’il ne retrouve pas de formation pour réactiver la licence, car elles lui sont refusées par l’ANPE. Alors il n’y a pas d’autres choix que de se reclasser. C’est comme ça qu’on peut vider Saint-Nazaire de sa classe ouvrière. Et pas seulement Saint-Nazaire, mais toutes les villes ouvrières.
La classe ouvrière c’est une classe combative, qui peut être un front de résistance du fait de ses capacités d’organisation, ce qui n’est pas supportable dans les projets du capital. Saint-Nazaire depuis 1999, c’est un test, un laboratoire, sur la réduction des coûts par la sous-traitance, mais aussi sur la lutte idéologique contre la classe ouvrière. Et il faut toujours faire le lien entre les deux aspects, c’est essentiel pour comprendre comment l’organisation syndicale doit s’adapter. Tout en gardant toujours en mémoire que la base c’est le syndicat et les syndiqués, dans la section d’entreprise, à partir de laquelle on va construire les outils de la lutte.
Propos recueillis à Saint-Nazaire
Le 16 janvier 2008
(1) cf CA n° 174, novembre 2007.
(2) Nom « de code » donné au recours à la sous-traitance internationale en cascade.
(3) La CFDT est majoritaire depuis plusieurs années aux Chantiers de l’Atlantique, car elle a bénéficié du renforcement de la proportion de cols-blancs dans l’effectif salarié au détriment des cols-bleus, délestés vers la sous-traitance. Cependant aux élections de janvier 2008, connues après cet interview la cgt annonçait : ELECTIONS PROFESSIONNELLES AUX CHANTIERS AKER YARDS de Saint-Nazaire, la CGT redevient 1ere organisation syndicale sur le site des Chantiers.
Tous collèges confondus, en Délégués du Personnel titulaire, la CGT obtient 734 voix (43.48%), 676 pour la CFDT (40.05%).
Tous collèges confondus, au Comité d’Entreprise titulaire, la CGT obtient 699 voix (41.48%), 684 pour la CFDT (40.59%).
Saint-Nazaire, le 24 janvier 2008
Nouveau conflit de travailleurs grecs dans la Navale
Les travailleurs grecs de la société ACAR, sous-traitant de 2ème rang de FREESE, ont refusé, pour sept d’entre-eux, de reprendre le travail à bord des navires sur le site des Chantiers navals AKER de Saint-Nazaire.
Leur employeur ne leur a pas versé les salaires de décembre et pour certains, de novembre.
Les conditions d’hébergement s’étaient dégradées depuis plusieurs semaines puisqu’ils étaient privés d’eau chaude, chauffage et électricité. Arrivés en France en juin dernier, ils sont logés sur Tharon-Plage, à une vingtaine de kilomètres de Saint-Nazaire. Le patron ne payait plus les loyers depuis août.
Suite à l’intervention de la CGT auprès de la Direction de AKER YARDS, l’électricité et le chauffage ont été rétablis. Restent les salaires. (…)
extrait d’un communiqué de l’USM