CA 312 été 2021
mercredi 14 juillet 2021, par
Le capitalisme et ses nuisances et destructions ne sont pas près de finir (guerres, exploitation, régimes de plus en plus autoritaires, développement des inégalités provoquant la misère, dérèglements climatiques dont les pays occidentaux sont en grande partie responsables...), et la mobilité humaine va continuer à s’accroître, donnant aux mouvements des populations un poids de plus en plus important dans les relations sociales, et nécessitant d’accentuer les dispositifs d’accueil et d’insertion des migrant·es au sein des communautés locales.
Le Pays Basque connaît cette situation et ce d’autant plus qu’il est devenu en quelques années une zone de transit et d’accueil importante.
Les jalons sont déjà bien posés pour baliser le chemin de la régression tous azimuts des droits des personnes migrantes, droits sans cesse grignotés, réduits à peau de chagrin, affaiblis par des textes de loi toujours plus liberticides, quand ils ne sont pas tout simplement bafoués sans vergogne. C’est une politique qui copie depuis belle lurette les principes de l’extrême droite et, par là-même, l’alimente et l’encourage.
Les migrant·es qui accèdent au territoire français par Hendaye sont pour la plupart originaires d’Afrique subsaharienne francophone, plus rarement du Maghreb. Ils·elles viennent depuis plusieurs mois par les Iles Canaries, puis par le Maroc. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), ce sont 25 000 personnes qui ont débarqué à bord de bateaux de fortune sur l’archipel espagnol en 2020. Ils.elles traversent ensuite l’Espagne et sont de plus en plus nombreux, depuis début mars, à tenter de franchir la frontière dans la partie occidentale des Pyrénées. Des mesures pour fermer la moitié des points de passage de cette frontière ont été prises par le gouvernement français sous prétexte de « menace terroriste », selon l’amalgame odieux et bien vivace fait entre migrants et terrorisme. Cette fermeture de la frontière s’accompagne d’une augmentation des contrôles par des policiers dont les effectifs ont été doublés : 150 agents de la PAF -police des airs et frontières- secondés par une compagnie de CRS. Très nombreuses sont les interpellations ; les cas de refoulement de ces exilé·es repoussés vers Irun (ville du Pays basque sud à la frontière) se comptent par milliers. Entre novembre 2020 et mars 2021, il y a eu 16 000 renvois à la frontière espagnole, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Ceci, au mépris de la légalité et des droits les plus élémentaires : contrôles au faciès, refoulements de mineurs à qui est refusée la prise en charge immédiate qui leur est due par la loi ; renvoi d’adultes auxquels est refusée une possibilité d’asile en France ; renvoi de familles ou de femmes seules avec enfant(s)...
Malgré ces obstacles, ils·elles essaient de passer, une fois, deux fois, trois fois, dans un absurde et cruel jeu du chat et de la souris avec les policiers français. Les restrictions ne font que déplacer le problème et mettre des vies en danger. Ils·elles prennent plus de risques pour tenter la traversée de la frontière, comme en témoignent le drame survenu le 22 mai dernier lorsque un jeune Ivoirien s’est noyé dans la Bidassoa et l’autre drame, un mois plus tôt, celui d’un jeune Erythréen qui s’est suicidé au bord de ce fleuve frontalier. En conséquence, de nouveaux itinéraires s’ouvrent et s’organisent plus à l’intérieur du Pays Basque, par la montagne.
Le CRA (centre de rétention administrative) d’Hendaye est plein, comme les autres sur le territoire hexagonal [1] et on ne compte plus les doubles peines : après 90 jours passés derrière les barreaux, de nombreuses personnes sont arrêtées de nouveau et remises en cellule, sans autre logique que celle de harceler et criminaliser.
Les cas de ceux qui refusent d’être expulsés et qui, par là, refusent le test PCR réclamé par le pays d’origine, sont de plus en plus nombreux ; la justice prononce, pour ce non-délit (aucune loi n’oblige à passer un test de nature médicale), des dizaines de peines de prison de 2 ou 4 mois ferme, et les emprisonnés sont à leur sortie à nouveau enfermés au CRA ...
Au delà des obstacles innombrables que les migrant·es rencontrent bien avant de passer la frontière et lorsqu’ils.elles la franchissent, une fois qu’ils.elles sont sur place, les conditions d’accueil et d’hébergement qui leur sont faites par les autorités et les institutions sont indignes, contraires au respect des droits humains au logement, à l’éducation, à la santé, à la liberté de circuler. Ce sont les associations et les bénévoles qui se retrouvent alors en première ligne pour tâcher de pallier les failles du système.
La solidarité s’est organisée des deux côtés de la Bidassoa, dans la zone frontalière, une frontière qui, pour beaucoup au Pays Basque, et en tout cas pour les abertzale (autonomistes ou indépendantistes), est de fait totalement illégitime.
A Irun, un collectif de 200 citoyen.nes a répondu aux premiers besoins, relayé par un centre de la Croix-Rouge qui a proposé 70 places et par un hôpital, pour 25 places. Dans chacun des deux lieux, les migrant·es peuvent rester cinq jours. Plus récemment, les municipalités d’Irun et de Hondarribia (Fontarrabie) ont de leur côté ouvert des lieux d’accueil temporaire pour répondre aux besoins immédiats, de plus en plus importants ; les associations d’entraide y assurent l’accompagnement.
Mais il s’agit de dispositifs de transit, très restrictif.
A Bayonne aussi, l’improvisation a prévalu. Le réseau d’hébergeurs solidaires mis en place depuis 2016 n’était pas adapté à la situation d’urgence de personnes qui n’avaient besoin que d’une ou deux nuits à l’abri avant de tenter d’aller plus au nord. Chaque soir, des maraudes de bénévoles étaient organisées avec distribution de repas et de vêtements, certain.es proposaient de loger les plus vulnérables. Sous la pression de plusieurs collectifs et associations, la municipalité a ouvert, fin 2018, un centre d’accueil temporaire, Pausa (= la pause). Il permet de mettre à l’abri pendant 3 jours et 3 nuits des migrant.es en transit et peut en accueillir 130. D’abord géré entre associatifs et la CAPB (communauté d’agglomération Pays Basque), ce centre est, depuis décembre 2020, suite à des désaccords et des tensions entre associatifs et mairie, sous la responsabilité de la seule commune de Bayonne. Y travaillent 6 permanent.es et son financement est pris en charge par les 158 communes du Pays Basque nord ; il a bénéficié en outre de 250 000 euros d’un fonds abondé par Olivier Grain, ancien industriel devenu mécène.
A l’automne 2015, un collectif s’est créé, en Pays Basque nord, Solidarité migrants-Etorkinekin (= avec les arrivant·es), impulsé au départ par quelques militantes de la Cimade, et autour de structures associatives, syndicales et politiques. Avec quatre objectifs : informer sur les politiques migratoires de l’Europe et de la France et en dénoncer les conséquences néfastes pour les migrant·es ; sensibiliser l’opinion publique à la situation des migrant·es et lutter contre les représentations et les discours xénophobes ; faire pression sur les institutions pour un accueil des migrant.e.s dans le respect de leurs droits fondamentaux ; contribuer en tant que citoyen.nes à l’accueil des migrant·es.
Au départ, le Collectif a principalement organisé des actions de sensibilisation sur la situation des migrant·es et de dénonciation des politiques migratoires française et européenne. L’accompagnement des migrant·es était alors assuré par quelques personnes ou par des groupes locaux. Les Groupes locaux - déclarés en associations -, se sont petit à petit multipliés. Ils se sont constitués autour de personnes qui adhéraient aux mêmes valeurs et objectifs que ceux du Collectif et/ou pour répondre à des demandes urgentes d’aide ou d’hébergement. La plupart sont devenus partie prenante du Collectif Etorkinekin, tout en gardant leur autonomie. Le Collectif a poursuivi ses actions de sensibilisation et de dénonciation autour d’une « commission Action Citoyenne » et avec l’implication des Groupes locaux. Il a par ailleurs développé un partenariat avec des réseaux français et du Pays Basque Sud, en organisant des actions communes de mobilisation, de sensibilisation et de dénonciation. Le Collectif et ses Groupes locaux ont bénéficié de dons (de particuliers, d’associations de partenaires divers dont un mécène), de l’aide financière d’établissements scolaires et de subventions publiques (municipalités).
Depuis 2018, le contexte local a beaucoup changé. Le nombre de migrant·es accueilli·es a considérablement augmenté, conséquence du changement de route migratoire qui passe maintenant davantage par l’Espagne. Les publics hébergés et accompagnés se sont diversifiés : en situation régulière ou irrégulière, familles, femmes ou hommes arrivé·es seul·es, mineur·es isolé·es non accompagné·es.…
En 2018, s’est développée la mise en réseau du Collectif Etorkinekin et des associations Cimade, Diakite et Les Bascos, elles-mêmes engagées dans l’accompagnement des migrant·es. Diakite apporte appui humain, matériel et sanitaire aux migrant.es à proximité du centre de transit de Pausa, à Bayonne ; l’association Les Bascos accueille, héberge et accompagne plus spécifiquement les migrant.es fuyant la répression de leur pays pour leur orientation sexuelle LGTB. Enfin, une coordination territoriale composée d’organisations et des collectivités locales impliquées (Mairie de Bayonne/CAPB) s’est mise en place en 2019/2020. Parallèlement, au même moment, un réseau des associations « accueillantes » s’est constitué à l’échelle de l’État français.
Au début de cette année 202, Le Collectif Etorkinekin s’est transformé en association qui, tout en poursuivant son travail et ses objectifs d’accueil et d’actions publiques, s’est engagé dans une réflexion collective. Le but : aboutir à la production d’un projet associatif, avant l’automne, destiné à répondre aux questions, et à surmonter les difficultés et obstacles rencontrés au cours d’une pratique de six années.
Dans cette pratique, il y a deux dimensions : celle humaine, matérielle et pragmatique de l’accueil/ hébergement/accompagnement. Et la dimension politique : celle de l’intervention collective sous forme de rassemblements, de manifs, d’occupations de lieux de pouvoir, de conférences-débats, d’interventions dans la rue et sur les places, dans les établissements scolaires etc., propres à dénoncer la « politique migratoire » des Etats, le racisme, la xénophobie et à en révéler les causes réelles (cf. encart).
C’est pourquoi l’objectif des actions d’Etorkinekin est double : contribuer à faciliter la vie des migrant.es à leur arrivée, et pour plusieurs années, en appuyant leurs projets et en essayant de les faire aboutir, et, dans le même temps, dénoncer les autorités et les institutions qui les traquent, les harcèlent, leur mettent sans arrêt plus d’obstacles sur la route vers la régularisation. Dénoncer, cela est possible et faisable ; ce qui est beaucoup plus difficile, c’est d’arriver à peser réellement, à créer un rapport de force.
De plus, réussir à prendre en compte les deux dimensions indissociables de la lutte n’est pas non plus chose aisée et cela suscite de nombreux questionnements. Comment éviter que l’accueil des migrant.es ne se transforme en leur « prise en charge » assistancielle, étouffant leur autonomie sous une bonne volonté paternaliste/maternaliste ? Comment éviter que cet accueil ne devienne l’activité prépondérante, voire quasi exclusive, d’individus ou de collectifs locaux, au risque qu’ils se noient dans la seule action caritative/humanitaire ? Avec, pour conséquence, de perdre de vue la dimension politique et globale du problème des migrations.
De plus, dans ce combat, il y a la place, essentielle, que tiennent les migrant.s eux.elles-mêmes.
Il leur est difficile, quand ils.elles sont mineurs ou bien jeunes majeurs, ou même adultes, de devenir acteur·trices de leur destin, de s’auto-organiser pour lutter collectivement. Ils.elles sont empêchés de travailler, sinon clandestinement et dans la plus grande précarité ; ils·elles sont hantés par les parcours pleins d’embûches et de violences par lesquels ils ont dû passer pour accéder au territoire français ; ils·elles sont absorbés par les démarches à faire pour obtenir un titre de séjour, ou le droit d’asile, autre parcours complètement kafkaïen ; ils·elles n’ont pas de place fixe, d’ancrage suffisamment durable pour organiser des initiatives ou actions communes.
Et même quand ils ont la possibilité d’avoir un toit pour plusieurs mois, voire plusieurs années, beaucoup d’obstacles perdurent : la barrière de la langue, la crainte des contrôles de flics, celle des comportements racistes, la difficulté à trouver des sources de financement ce qui les rend dépendants des associations caritatives, l’isolement quand ils.elles se retrouvent en zone rurale...
En revanche, ce sont les enfants qui s’adaptent très vite à leur nouvelle vie, à une nouvelle langue, par le biais de la socialisation par l’école. Et qui feront, espérons-le, changer les rapports de force dans quelques années.
C’est un vaste chantier plein de contradictions et d’embûches dans lequel s’est engagée l’association pour tenter d’ améliorer son efficacité en faveur des migrant.es. Il s’agit de résoudre des problèmes d’organisation, de communication interne et externe ; de mutualiser des moyens matériels, des ressources juridiques, des informations … ; de dépasser la difficulté à mener aussi bien les actions de nature humanitaire et les actions politiques, les premières exigeant un engagement en temps et en énergie tel qu’elles prennent le pas le plus souvent sur les secondes ; de clarifier les objectifs et les modalités de l’accueil et de l’accompagnement, de renforcer la place et l’implication des migrant.es dans les actions menées ; d’organiser des réseaux et partenariats plus larges et solides, aux niveaux local et hexagonal, pour accroître le rapport de forces face aux autorités ; de faire que les actions menées ne soient pas simples palliatifs aux graves manques des pouvoirs en place mais contestent ces derniers le plus radicalement possible.
En définitive, c’est le principe même de solidarité qui est interrogé : celle-ci ne doit pas être assistance à personnes vulnérables mais être porteuse d’un regard structurel sur les causes des situations précaires et d’une lutte qui cherche à s’attaquer aux racines.
Le 19 juin, Pays Basque
Contact : etorkinekin
Maison des associations, 11 allée de Glain, 64100 Baiona
Le 29 mai, les associations Etorkinekin, Diakite, la Cimade et Irungo Harrera Sarea (réseau d’accueil d’Irun) ont organisé, en solidarité avec des personnes migrantes, une manifestation nombreuse et dynamique, faisant se rejoindre deux cortèges d’Hendaye et d’Irun. De nombreux.ses migrant.es y ont participé, surtout du côté sud de la frontière. Beaucoup de pancartes et de slogans : refus de la chasse à la personne, de la mort comme issue de la trajectoire migratoire ; refus des murs et des frontières ainsi que des politiques racistes, répressives et meurtrières ; les mêmes droits pour tous.tes ; le racisme tue ; vouloir chercher une vie meilleure n’est pas un délit ; circulation et installation libres pour tous ; Euskal Herria (Pays Basque) = pays d’accueil ...
Le 5 juin, près de 5000 personnes ont manifesté dans Nice, à l’appel de « Toutes aux frontières » lancé par des féministes européennes. Y ont participé des militantes venues du Pays Basque au nom d’Etorkinekin (PB Nord), Ongi Etorri Errefuxiatuak (= Réfugiés, soyez les bienvenus) (PB Sud) et Zutik (= Debout, collectif féministe du PB Nord). A Nice, ville stratégique pour la gestion de la frontière Vintimille-Menton, il s’agissait de faire entendre la voix des migrantes, invisibilisées et pourtant représentant plus de la moitié des migrations vers l’Europe, et subissant des violences de toutes sortes durant leur parcours migratoire. Malgré la forte présence policière et celle des identitaires de l’extrême droite, cette manifestation transnationale a été dynamique, colorée, déterminée. Elle marque le début d’un grand rassemblement des féministes contre l’Europe forteresse, patriarcale et capitaliste... dont il est espéré une seconde édition.
Le 19 juin, veille de la Journée mondiale des réfugié.es, des rassemblements de plusieurs dizaines de personnes ont été organisés simultanément à l’appel d’Etorkinekin, devant les mairies de 5 villes du Pays Basque nord.
Début juillet, est prévue la mise en place d’une action collective d’observations des pratiques administratives à la frontière, du côté d’Hendaye, en partenariat avec d’autres associations locales du Pays Basque nord et sud. Cette observation collective devrait permettre de faire le point sur les pratiques des forces de l’ordre, de recueillir les témoignages des personnes refoulées qui le souhaitent afin d’alimenter ensuite d’autres formes d’actions.
[1] La politique de l’enfermement se renforce avec 434 places supplémentaires prévues par la construction et l’agrandissement de quatre à six centres de rétention administrative supplémentaires en France. Rappelons que déjà, chaque année, environ 50 000 personnes sans papiers sont enfermées dans les CRA.