Accueil > Courant Alternatif > 337 février 2024 > Le droit à l’IVG, un combat féministe incessant

CA 337 février 2024

Le droit à l’IVG,
un combat féministe incessant

samedi 10 février 2024, par Courant Alternatif

L’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) ou le maintien de cet accès ont été, ces dernières années, au cœur de nombreuses mobilisations féministes dans le monde. On l’a constaté en Amérique latine, en Pologne… et à présent aux Etats-Unis. Rien d’étonnant à cela, puisque les femmes revendiquent par ce biais et celui de la contraception le droit d’enfanter ou non selon leur choix, tandis que les tenants du système capitaliste et patriarcal continuent de vouloir contrôler leur sexualité et utiliser leurs capacités procréatives à des fins d’ordre politique, économique ou militaire.


Le 24 juin 2022, on pouvait lire dans la presse française des constats tels que : « L’accès à l’IVG reste très inégal dans le monde (1). Alors qu’une grossesse sur quatre se termine par un avortement, plus de 40 % des femmes en âge de concevoir vivent dans des Etats aux lois restrictives. »
Le 24 juin 2022, en effet, la Cour suprême aux Etats-Unis a enterré la décision dite Roe vs Wade (datant de 1973), sur laquelle reposait un droit à l’IVG qui s’appliquait à l’ensemble du pays. Depuis l’arrêt Dobbs, chaque Etat de l’Union peut adopter sa propre législation sur cette question, et donc éventuellement décider de rendre l’avortement illégal.
Pareil changement a donc fait ressortir la fragilité de l’accès à l’IVG, et suscité force bilans médiatiques à son sujet.
Certes, un certain nombre d’Etats ont légalisé l’avortement ces dernières années : l’Irlande en 2018, la Nouvelle-Zélande et l’Argentine en 2020, la Thaïlande en 2021, la Colombie et le Bénin en 2022, le Mexique en 2023… Seule une vingtaine de pays le prohibent encore totalement – surtout en Afrique (ce sont par exemple l’Egypte, le Sénégal, Madagascar ou la Mauritanie) et en Amérique latine (le Suriname, le Nicaragua, le Salvador, le Honduras…). En Europe, l’IVG n’est totalement interdite qu’à Malte, en Andorre et au Vatican.
Mais la décision de la Cour suprême états-unienne a d’autant plus frappé les esprits qu’elle faisait écho à une autre assez récente, prise par le Tribunal constitutionnel en Pologne en octobre 2020. L’avortement est devenu alors quasi illégal dans ce pays, car cette haute instance (étroitement contrôlée par le parti conservateur PiS) a supprimé la possibilité d’y recourir en cas de malformation du fœtus. Avorter reste autorisé en cas de viol, d’inceste, ou si la grossesse présente un danger pour la mère… mais la malformation du fœtus était le critère retenu pour plus de 95 % des 1 000 avortements légaux pratiqués chaque année en Pologne.
Au cours des deux dernières décennies, une cinquantaine d’Etats dans le monde ont rendu leur législation moins restrictive en matière d’IVG, mais dans certains les critères qui autorisent l’acte demeurent peu nombreux. Ainsi, il faut que la vie d’une femme soit en danger en Côte d’Ivoire, en Libye, au Soudan du Sud, en Irak, au Liban, en Syrie, en Afghanistan, au Yémen, Bangladesh, en Birmanie, au Guatemala… Et, au Brésil ou au Chili, il faut que la grossesse soit liée à un viol, qu’elle soit à risque pour la mère ou que le fœtus ait une grave malformation.
Et puis, dans un Etat comme l’Italie, l’IVG est rendue fort peu accessible par l’objection de conscience que font très souvent jouer les gynécologues : en 2019, d’après le ministère de la Santé, 67 % d’entre eux refusaient d’y pratiquer un avortement.
Enfin, dans d’autres pays où l’avortement est légalisé, le coût de l’acte médical, des entretiens préalables faussés ou des périodes d’attente obligatoires constituent autant d’obstacles à sa réalisation.

Gagner le droit à l'avortement, un enjeu pour les femmes

L’accès à l’IVG est un vieux combat féministe d’importance à l’échelle internationale parce que, avec l’accès à la contraception, il aide les femmes à disposer de leur corps, et parce que les quelque 25 millions d’« IVG dangereuses (2) » pratiquées chaque année sur Terre – pour l’essentiel dans les pays en voie de développement (3) – en font la troisième cause de mortalité maternelle. Les femmes qui avortent dans de telles conditions n’ont en général pas les moyens de se rendre à l’étranger ou de se faire soigner dans un établissement privé.
Aussi les coordinations féministes qui ont vu le jour dans de nombreux pays depuis une huitaine d’années, dans le sillage du mouvement argentin Ni Una Menos (« Pas une de moins »), sont-elles principalement mobilisées à la fois sur l’accès à l’avortement et contre les violences faites aux femmes.   
Le choix de faire du 28 septembre la Journée pour le droit à l’avortement des femmes d’Amérique latine et des Caraïbes date déjà de 1990 (elle a été prise lors des cinquièmes Rencontres féministes latino-américaines).
Quant à la coordination féministe appelée Czarny Protest (« Protestation noire »), elle est apparue en Pologne dès 2016 : le 3 octobre (appelé « Black Monday ») de cette année-là, entre 100 000 et 200 000 femmes ont fait grève et manifesté dans 147 villes contre la restriction du droit à l’avortement recherchée par le gouvernement. Cette mobilisation s’est poursuivie les années suivantes, et surtout après que l’avortement a été déclaré contraire à la Constitution : 430 000 personnes ont manifesté dans 410 villes le 28 octobre 2020, et 100 000 lors de la Grande Marche vers Varsovie le 30, pour dénoncer le pouvoir, mais aussi la hiérarchie catholique, particulièrement puissante et réactionnaire en Pologne. Et, parce qu’elle s’attaquait aux institutions patriarcales en demandant à la fois un Etat laïc et la suppression de l’éducation religieuse dans les écoles, Czarny Protest a été confrontée à une féroce répression (4).
Depuis, les réseaux informels d’entraide à l’IVG se sont multipliés en Pologne, les ONG féministes sont débordées par les demandes (5), et la République tchèque est devenue une destination très fréquente pour avorter, du fait que le coût de l’acte y est assez modéré (l’équivalent de 420 € en moyenne). Toutefois, des enquêtes auprès de la population polonaise indiqueraient qu’elle est maintenant favorable aux deux tiers à une légalisation de l’avortement jusqu’à la douzième semaine de grossesse.

Interdire le droit à l'avortement, un enjeu pour les gouvernants

La situation démographique d’un pays peut conduire ses dirigeant-e-s à considérer le droit d’avorter pour les femmes comme un obstacle gênant par rapport à leurs objectifs économiques, ou encore militaires ; elle peut les inciter à le limiter, voire à le faire disparaître – de même que la contraception ou d’autres mesures freinant leurs politiques natalistes du moment (voir l’encadré). Et, bien sûr, le système capitaliste et patriarcal a besoin du renouvellement générationnel afin de satisfaire ses besoins en main-d’œuvre pour son gigantesque marché planétaire.
En Russie, les discours que tiennent depuis l’automne dernier les gouvernants sur la famille sont éclairants (6). Pour inciter les femmes à quitter le travail qu’elles effectuent hors du foyer et à faire des enfants, parce que la population diminue (7), ils mettent en avant les « valeurs traditionnelles » russes, mais s’attaquent aussi au droit à l’IVG.
Ce droit qui a été acquis en 1920 s’est maintenu jusqu’ici, en dépit de quelques interdictions momentanées. Mais l’été dernier le ministre de la Santé, Mikhaïl Mourachko, a évoqué « une tendance perverse (…) selon laquelle les femmes devraient d’abord recevoir une éducation, faire carrière et s’assurer de leur bien-être matériel avant de s’occuper de faire des enfants » – et il a réclamé un contrôle plus sévère sur la vente des molécules permettant d’effectuer des avortements médicamenteux. Au début de novembre, c’est Vladimir Poutine lui-même qui, lors d’une rencontre avec des membres de la « société civile », a évoqué l’avortement comme « un problème aigu » par rapport à la situation démographique – qui est un thème central pour lui depuis son arrivée au pouvoir en 2000.
La commission à la santé de la Douma a, sitôt après, adopté des recommandations ayant pour finalité de restreindre le droit à l’IVG : réduction du délai légal de douze à huit semaines ; accord nécessaire de l’époux si la femme est mariée ; allongement du délai de réflexion obligatoire, avec comme condition tout aussi obligatoire d’« écouter battre le cœur du fœtus »…
Les régions de la Mordovie, de Tver et de Kaliningrad ont interdit l’« incitation à l’avortement » et l’ont rendue passible d’amendes ; et le Conseil de la Fédération, chambre haute du Parlement russe, a proposé qu’une loi étende la mesure à l’ensemble du pays.
Dans d’autres régions (comme la Crimée), des dizaines de cliniques privées ont renoncé « d’elles-mêmes » – selon les autorités – à pratiquer des IVG pour « apporter leur pierre à l’édifice démographique ». Le président de la Douma a déposé dans la foulée un texte de loi qui, s’il était voté, obligerait toutes les cliniques privées du territoire russe à faire de même. Et, selon des témoignages de femmes enceintes, les médecins des hôpitaux publics cherchent de plus en plus fréquemment à dissuader les femmes d’avorter.
Bien sûr, la guerre en Ukraine contribue sans doute à aggraver la situation démographique, en envoyant sur le front ou en poussant à l’exil des millions d’hommes en âge de procréer ; mais c’est également la défense de la patrie qui incite le pouvoir russe à attaquer le droit à l’IVG. D’après Le Monde, on trouve dans plusieurs villes russes des affiches émanant d’une fondation orthodoxe et sur laquelle un fœtus (sic !) lance à un soldat : « Défends-moi maintenant, je te défendrai plus tard. » Diverses personnalités jouent cette carte « famille-patrie » – et le député Valery Seleznev a proposé, à la mi-novembre, que les femmes emprisonnées puissent avoir des permissions spéciales pour procréer… avec à la clé leur libération si elles tombent enceintes.

L'accès à l'avortement comme atout électoral

Alors que se profile la présidentielle de novembre 2024 aux Etats-Unis, la suppression du droit constitutionnel à l’IVG clive très nettement les camps républicain et démocrate. Car les candidat-e-s républicains promettent de restreindre encore ce droit, tandis que les candidat-e-s démocrates en ont fait leur cheval de bataille, après avoir constaté qu’il constitue le premier critère de choix dans ce scrutin pour une part croissante de l’électorat (8).
Il faut dire que la possibilité d’avorter aux Etats-Unis s’est fortement dégradée : 14 Etats sur 50 ont à ce jour complètement supprimé le droit à l’IVG ; 6 autres le restreignent radicalement, souvent dès six semaines de grossesse. Et la Cour suprême, à majorité conservatrice, doit trancher avant juin 2024 au sujet de la pilule abortive, qui est utilisée pour plus de la moitié des avortements et dont la prescription avait été facilitée ces dernières années (9).
La plupart des décideurs locaux états-uniens qui, depuis un an, cherchent à faire interdire complètement l’accès à l’IVG sont des hommes du Parti républicain (1 300 sur un peu moins de 1 600) ; mais les deux tiers de la population sont favorables au maintien de ce droit, et les femmes se montrent particulièrement décidées à le défendre par leur vote. Depuis la décision Roe vs Wade, les républicains ont perdu à chaque scrutin où il a été question de l’accès à l’IVG ; le Parti démocrate en profite, conscient que cette question agit comme un poison lent sur le Parti républicain en le livrant à son courant le plus extrémiste. Aussi voit-on des personnalités démocrates préconiser l’adoption au niveau fédéral d’une loi garantissant le droit à l’avortement – à l’instar des 13 Etats (dont l’Ohio [10]) et du district de Columbia qui l’ont fait à leur niveau.

Le Président Macron n’a donc guère innové quand il a annoncé en France, le 29 octobre 2023, qu’un projet de loi constitutionnelle visant à protéger l’IVG serait présenté en conseil des ministres avant la fin 2023 (11). 
Macron s’était engagé le 8 mars 2022, lors de l’hommage « controversé » à Gisèle Halimi, à « changer notre Constitution afin d’y graver la liberté des femmes à recourir à l’interruption volontaire de grossesse ». Puis la Chambre des députés avait voté à une écrasante majorité, en novembre, une proposition de loi « constitutionnalisant » l’IVG ; et, en février 2023, le Sénat avait approuvé à une courte majorité cette proposition, mais après y avoir remplacé le « droit » des femmes à recourir à l’avortement par le mot « liberté ».
Pour faire aboutir cette révision constitutionnelle, Macron a choisi la voie des deux Chambres réunies en Congrès à Versailles (ce Congrès étant prévu le 5 mars, selon l’ex-ministre des Solidarités et des Familles Combe), plutôt que celle du référendum : il veut éviter d’offrir une tribune aux opposants à l’IVG (12) et pense l’emporter plus facilement avec ce processus. La révision constitutionnelle doit cependant être approuvée par les trois cinquièmes des parlementaires. Or, si à l’Assemblée nationale la majorité présidentielle et la gauche devraient logiquement la soutenir, au Sénat c’est moins évident puisque le groupe LR y est majoritaire… et puis la position du Rassemblement national reste inconnue. Marine Le Pen est si peu sûre de ses troupes qu’elle a fini par présenter un amendement en son seul nom, et qui défend… la loi actuelle sur l’IVG qu’elle contestait auparavant (13).
Par ailleurs, lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2024, Macron a promis un « grand plan de lutte » contre l’infertilité « masculine comme féminine » (en la qualifiant de « fléau » et de « tabou du siècle ») dans l’optique d’un « réarmement démographique » de la France, dont la natalité est en baisse.

L’évolution des décisions ou des discours gouvernementaux concernant l’IVG, ici ou là, met, on le voit, en relief une réalité : ce droit arraché de haute lutte n’est pas plus acquis qu’un autre. Il faut donc continuer de se mobiliser partout pour le défendre.

Vanina

Notes
1. « Droit à l’avortement : dans quels pays est-il interdit, restreint ou menacé ? », Le Monde, 24 juin 2022.
2. L’OMS les définit comme des actes effectués « par des personnes ne disposant pas des qualifications adéquates ou bien se déroulant dans un environnement non conforme aux normes médicales minimales, ou encore dans ces deux circonstances ».
3. D’après Amnesty International, « l’accès à des méthodes de contraception modernes, à une éducation sexuelle complète et à des services d’avortement sûrs et légaux réduit le taux d’avortement » – lire « Eléments clés sur l’avortement » sur son site. 
4. 79 interpellations ont été violemment opérées le 25 octobre 2020 lors d’actions menées contre l’Eglise catholique, ce qui est assez rare en Europe de l’Ouest.
5. « Un an après la quasi-interdiction de l’IVG en Pologne, “l’avortement sans frontières” prospère », Le Monde, 1er novembre 2021.
6. « En Russie, le droit à l’avortement attaqué et rogné sur fond de déclin démographique », Le Monde, 28 novembre 2023.
7. Selon l’agence statistique Rosstat, la Russie compterait moins d’habitant-e-s, Crimée annexée comprise, qu’en 1999.
8. « Avortement : “Aux Etats-Unis, un an après Dobbs, ce droit demeure un enjeu crucial de la présidentielle de 2024” », Le Monde, 4 juillet 2023.
9. L’interdiction de cette pilule ouvrirait la voie à celle de médicaments tels que les traitements hormonaux, les contraceptifs ou les vaccins, et à d’autres restrictions de libertés individuelles, comme les droits civiques.
10. « Le droit à l’avortement, l’étendard électoral gagnant des démocrates américains », Le Monde, 8 novembre 2023.
11. « Emmanuel Macron engage le processus visant à inscrire l’IVG dans la Constitution », Le Monde, 30 octobre 2023.
12. Sur leur intense activité propagandiste à destination de la jeunesse via les réseaux sociaux, lire « La désinformation des opposants à l’IVG menace le droit à l’avortement, alerte la Fondation des femmes », Franceinfo, 18 janvier 2024.
13. Seuls 38 député-e-s du RN sur un total de 89 ont voté l’inscription de l’IVG dans la Constitution, lors du premier vote à l’Assemblée. « Sur l’IVG, Marine Le Pen change de position et propose de constitutionnaliser la loi Veil », Le Monde, 22 novembre 2022.

<quote>Nouveau dilemme pour les autorités chinoises : trop de vieux et plus assez de jeunes !

La Chine a perdu 2 millions d’habitant-e-s en 2023 : elle n’a plus « que » 1,41 milliard d’habitant-e-s sur son territoire continental, et, selon l’ONU, l’Inde est à présent le pays le plus peuplé du monde (1). Le ralentissement du taux de natalité chinois est dû à plusieurs raisons : le coût élevé de l’éducation ; un manque de confiance dans l’avenir économique ; une méfiance croissante envers l’institution du mariage (passage obligé pour avoir des enfants) ; les études supérieures que font un nombre croissant de femmes et qui décale l’âge de la première grossesse.
Le gouvernement chinois s’efforce de limiter le déclin démographique par des (modestes) allocations familiales, par une (forte) communication en faveur de la natalité… et – depuis 2021 – par l’autorisation donnée à tous les couples d’avoir trois enfants. La Chine est en effet confrontée au vieillissement de sa population, qui peut ralentir la croissance économique du pays et remettre en question sa capacité à subvenir aux besoins de ses habitant-e-s. De plus, la tradition qui impose de s’occuper de ses parents âgés est davantage respectée dans la société chinoise que dans les sociétés occidentales ; mais comme un couple est en général composé de deux adultes enfants uniques, il a fort à faire si leurs quatre parents âgés sont à sa charge.

1. « La Chine touchée par une baisse de sa population pour la deuxième année consécutive », Le Monde, 17 janvier 2024.

Répondre à cet article


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette