Débat
éléments de réflexion
jeudi 9 septembre 2010, par
Près de 3 millions de personnes se sont mobilisées dans la rue le 7 septembre. Des métropoles aux petites villes des départements ruraux, ce sont les plus grandes manifestations depuis 2003.
Mais au lendemain de cette journée, il apparaît clairement que le gouvernement n’entend pas céder sur l’essentiel de sa réforme infâme, qu’il entend passer en force et la faire adopter dans les jours qui viennent. S’il est raisonnable de se réjouir de l’importance de la mobilisation, c’est à la condition d’y voir un point de départ et d’appui pour aller plus loin et taper plus fort.
Pour le gouvernement, cette réforme n’est pas négociable. Il faut donc se battre pour son retrait pur et simple.
La réforme des retraites fait partie d’un ensemble plus vaste de mesures par lesquelles l’État, via la réduction de la dette publique, entend faire payer la crise du capitalisme à ceux et celles qui en sont déjà les victimes ; plus de travail et de précarité, moins de salaires et plus de flexibilité, plus de chômage et moins de retraites…
Faire reculer le gouvernement, c’est s’engager dans une épreuve de force avec lui, c’est mettre l’exécutif sur la défensive, c’est-à-dire dans une situation où il n’a plus beaucoup de choix : ou il se voit contraint de lâcher sur cette réforme, ou il prend le risque de perdre beaucoup plus, la déstabilisation de son propre pouvoir de nuire.
L’enjeu est d’une importance cruciale pour le gouvernement comme pour nous. Dans ce contexte, pour nous, refuser la réforme des retraites signifie aller vers une crise de régime par une paralysie progressive et rapide du fonctionnement de la machine économique du pays doublée du blocage des organes vitaux de fonctionnement administratif de l’État.
Les syndicats regroupés dans l’intersyndicale confédérale, n’entendent pas aller dans cette voie. Ils appellent au contraire à un enterrement du mouvement de protestation par une ultime journée de manifestation après l’adoption de la loi à l’Assemblée. Pour eux, il s’agit de faire un “baroud d’honneur” qui ne nous concerne pas, et par lequel ils visent à gagner par des postures médiatiques, dans les sondages et les futures élections professionnelles ce qu’ils nous aurons fait perdre dans la lutte sociale.
Il y a urgence.
A partir de maintenant, la lutte pour le retrait de la réforme devient permanente, continue et quotidienne.
Il faut clairement déborder le cadre de mobilisation de l’intersyndicale nationale car celui-ci ne permet pas d’exercer une pression en mesure de placer le gouvernement sur la défensive.
Il ne s’agit plus d’exprimer notre désaccord avec la réforme : il faut empêcher le gouvernement d’agir !
Ceux et celles qui veulent agir dès maintenant doivent trouver les formes et les moyens de cette nouvelle phase de la lutte. Le retrait de la réforme des retraites dépend de la capacité de passer d’un mouvement d’opinion massif à une lutte sociale ouverte.
Battre le fer tant qu’il est chaud,
Résistance sociale générale !
Alors que le gouvernement table sur des “gestes d’ouvertures” symboliques pour éteindre l’incendie, et que les syndicats sont bien en peine de proposer une intensification de la lutte à même de le faire reculer, nous devons prendre nos affaires en main, nous devons entrer en mouvement nous-mêmes et directement dès maintenant et ne pas attendre que la loi soit votée !
Il n’y a pas de recette magique. Mais nous savons que quand des mouvements sociaux font irruption et interrompent l’ordre des choses, c’est le possible lui-même qui change (Mai 68, mouvement de grèves et manifestations contre le plan Juppé de 1995, contre le CPE en 2006…)...Et surtout que ces mouvements peuvent survenir à tout moment.
Il est possible d’articuler la multiplication des actions locales et des temps forts nationaux avec pourquoi pas une montée à Paris, auto-décidée, auto-organisée, par les formes locales de mobilisation et soutenues par les organisations qui le souhaitent, pour le jour du vote de la loi au Parlement, soit sans doute le 15 septembre, avec marche sur l’Assemblée nationale et encerclement du bâtiment, comme les mouvements sociaux le pratiquent dans de nombreux pays.
Ce rapport de force général, qui passe nécessairement la paralysie progressive de l’économie et du fonctionnement de l’État, doit se construire et s’appuyer sur des rapports de force locaux avec tous ceux et celles qui veulent mettre des actes au bout de leurs idées : assemblées générales quotidiennes de ville, de quartier, collectifs larges et ouverts à toutes et tous de résistance sociale qui deviennent des pôles de la lutte, multiplication des actions locales, symboliques et moins symboliques, visant le fonctionnement économique et administratif (Medefs locaux, chambres de commerce et d’industrie, péages d’autoroutes et trains gratuits, actions “caisses libres” dans les supermarchés, blocages des centres de recettes des impôts, des services académiques, des Préfectures…), journées « ville mortes », manifestations locales et départementales, où se mêlent, s’additionnent et s’articulent actions de masse et actions directes, etc. En la matière, l’imagination (et la diversité/complémentarité des modes d’action) doit partout s’imposer et prendre le pouvoir !
La lutte des classes n’est pas morte,
Le capitalisme à la poubelle !
L’ensemble des questions soulevées par la crise du capitalisme, les mesures gouvernementales concernant les retraites, la destruction des postes de fonctionnaires et assimilés, ainsi que ceux de l’univers associatif du secteur “non-marchand”, les attaques incessantes contre les droits des travailleurs, les délocalisations par centaines de milliers, la généralisation du travail précaire, les exigences patronales de toujours plus flexibiliser, d’allonger la durée du travail, de s’affranchir de la contrainte du temps de travail et d’abaisser les salaires (le “coût” du travail), les contraintes exercées sur les chômeurs pour qu’ils acceptent des boulots inacceptables, posent plus que jamais la question de la société du capital dans son ensemble.
Les suicides au travail, la multiplication des dépressions et des maladies professionnelles liées au stress, au management par l’humiliation et aux exigences jamais satisfaites de la productivité, le flicage des arrêts de travail, la mise en concurrence des uns et des unes avec les autres, le “marche ou crève” érigé en principe et en mode de gestion absolu de nos vies, c’est cette société du travail que l’on refuse, c’est l’ensemble de ces mécanismes de chantage, d’assujétissement et de destruction qu’il faut rejeter.
Refuser le chantage de la dette, refuser l’allongement de la contrainte du travail.
Après les manifestations du 7 septembre, ce qui est à l’ordre du jour, c’est la
généralisation de la résistance sociale, de la rébellion, c’est la mobilisation généralisée de notre propre capacité sociale à peser et à modifier l’ordre des choses, pour nous-mêmes et pour tous, contre le capitalisme, ses gestionnaires et ses profiteurs.
Cette résistance aux contre-réformes en cours et aux conséquences de la crise ne peut qu’être collective, prolongée et ne peut être déléguée à personne. Elle doit se faire dans une dynamique de confluence, de décloisonnement, d’unité à la base et d’égalité entre toutes et tous.
Que ce soit avec la dette publique ou les campagnes sécuritaires, l’État cherche veut nous prendre en otage par des mécanismes de chantage, de soumission et de dépendance, par une gestion disciplinaire et policière de nos vies et la transformation de nos droits en devoirs, en dettes.
Face aux questions du travail (des salaires, des retraites, de la dette…) comme face à la politique sécuritaire de l’État, ce qu’il faut mettre en avant, c’est la capacité d’autodétermination sociale et d’émancipation collective, c’est la certitude que nous pouvons faire autrement : nous pouvons réorganiser complètement la société sur d‘autres bases, nous possédons l’intelligence et les connaissances pour créer un monde nouveau (en partant du principe qu’il y a une égalité des intelligence et que les savoirs appartiennent à tous), nous pouvons parfaitement faire des choses utiles qui correspondent à ce que l’on souhaite, à ce que l’on juge nécessaire en brisant les séparations entre conception et réalisation.
Le capitalisme a besoin de nos capacités productrices et créatrices pour les transformer en travail salarié, une forme de domination et de contrainte, grâce auquel nous exécutons un surtravail non rémunéré et lui des profits et des marchandises sur un marché anonyme par lesquels le travail salarié et la production marchande deviennent aussi des abstractions de l’activité humaine.
C’est cette activité humaine qu’il faut libérer. Cela suppose de se libérer de la domination capitaliste. Et aider à les multiplier c’est précisément utiliser ces capacités productrice et créatrice ailleurs que dans le salariat (mais pas forcément ailleurs que dans le travail !)
Le capitalisme a besoin de nous, de nos vies, de nos “ressources humaines” pour exister et prospérer.
Nous n’avons pas besoin de lui ! Nous avons mieux à faire !
Nous avons de moins en moins à perdre. Et, chaque jour un peu plus, un monde à gagner !
Nous avons besoin de mouvements de lutte qui fassent reculer l’offensive de l’Etat et inversent les rapports de force.
Nous avons besoin de luttes qui ouvrent des brèches, modifient les paramètres du possible et donc du concevable, permettent à nos refus de s’exprimer et de les transformer en une rébellion sociale qui soit en même temps un processus d’insubordination, de création et d’émancipation.
Du mouvement d’opinion à la rébellion sociale, c’est le saut qualitatif qu’il faut franchir pour gagner sur les retraites comme sur le reste. Pour cela, il nous faut tout arrêter, réfléchir et agir collectivement afin de faire reculer l’État et définir ce qu’il nous convient.
Commentaire numéro 1
Au contraire, tout se passe comme dans un film déjà écrit et tourné. Le gouvernement avait sous le coude quelques points de la réforme particulièrement odieux qu’il était, dès le début, prêt à soumettre à la négociation dans la mesure ou céder sur ces points ne remettait nullement en cause le fondement de la réforme. Les syndicats se sont engouffrés dans cette brèche pour donner l’impression qu’ils allaient taper du poing sur la table. Cris et vocifération sur des éléments qui individualisent les salariés en de multiples « cas particuliers » au lieu de cherchez des axes qui unifient.
Précision au commentaire numéro 1
La dénonciation des syndicats ne suffit pas à faire une politique. L’axe demeure comme dit plus haut : « se battre pour le retrait pur et simple » de la loi (donc pas de négociation). Mais les syndicats sont plus malins que ça. Ils mettent en avant les éléments les plus “scandaleux” du projet, (les femmes aux carrières interrompues, les métiers les plus pénibles…) et comme ça, ils pourront dire qu’ils ont été entendus. Mais pas suffisamment. Et c’est pourquoi ils maintiennent en apparence le refus des concessions gouvernementales. Ce qui leur permet justement de se déclarer encore en opposition au projet du gouvernement et en même temps, d’enterrer le mouvement de protestation (par une manifestation fin septembre) qu’ils ont initié et canalisé parce qu’ils n’ont jamais envisagé la moindre épreuve de force avec l’Etat.
Situation qui ouvre un boulevard au PS/Europe Ecologie (mais aussi aux formations de la « gauche de gauche ») qui pourront dire qu’il est possible d’obtenir dans les urnes ce qui n’a pas été possible dans la rue.
Commentaire numéro 2
Je vois-là comme un remarke de la marche sur Paris des métallurgiste en ?..... Je ne pense pas que cela puisse se jouer dans la semaine à venir… De toutes les façons je suis sceptique et critique sur les rapports de forces qui prennent le lieu du pouvoir central comme cible (lieu géographique je veux dire )
Précision au commentaire numéro 2
Je suis aussi sceptique mais c’est aussi comme cela que ça fonctionne dans le rapport des mouvements sociaux avec l’Etat. Le 15 septembre, l’intersyndicale appelle mollement à des actions locales, symboliques et sans envergure… Jouer le « local » dans ce cadre participe de l’enterrement du mouvement.
L’important n’est pas d’opposer abstraitement le local et le national ou d’évacuer le problème des affrontements plus “centraux”, mais de renverser les termes tels qu’ils sont les plus couramment posés. Il faut maintenir l’idée stratégique que les vrais rapports de force se construisent là où l’on est parce qu’ils se construisent plus “pour nous-mêmes” que “contre” (l’Etat, le gouvernement…). Dans ce cadre là, une mobilisation “centrale” ne devient qu’un moment tactique, ce qui est à l’opposé des conceptions centralistes et étatistes de la politique et de la subordination des mouvements pour qui le local appartient au domaine de la tactique au service d’une stratégie centraliste et centralisatrice.
Commentaire numéro 3
C’est un peu ce qui avait été tenté avec les interluttes… c’est en effet la seule perspective locale mais croyez vous que des ag de la sorte vont se tenir dans la semaine ? Les échos que l’on a ne vont pas dans ce sens.
Précision au commentaire numéro 3
La question n’est tant pas de croire que les choses vont se passer comme ci et pas comme ça que de dire ce que l’on souhaiterait qu’il se passe, même si l’on n’a pas les possibilités de les impulser (on est contre la capitalisme et on n’a pas le moindre début de possibilité d’impulser quoi que ce soit de consistant contre lui)
Commentaire numéro 4
Cette capacité d’autodétermination sociale et d’émancipation collective il va falloir la trouver à la fois dans les tentatives ultraminoritaires de « ici et maintenant », de la communisation aux espaces autogérés, et dans les multiples espaces de paroles qui se crés dans la société, souvent invisibles et pas radicaux mais qui sont l’unique esproir d’évolution (toujours liées aux mouvements). En gros entre les anars qui caractérisent les manifestants comme des « moutons » (et c’est très répandu) et l’extrême gauche qui juge les moutons conscientisables grâce à une avant garde éclairé, quel espace existe-t-il, quels sont les éléments d’autonomie qui se manifeste chez les moutons. Si il n’y en a pas arrêtons de faire de la politique et alors deux possiblité :
1. Se construire des niches autogérées « endehors » ;
2. contruitre l’avant garde qui agira à la place de…
Si il y en a – et il y en a ! – cherchons les et aidons à les multiplier et à s’exprimer.
Précision au commentaire numéro 4
La capacité d’autodétermination sociale et d’émancipation collective n’est pas pour moi à rechercher dans les marges ultra minoritaires des anars « en dehors » et autres pseudo-radicaux plus ou moins avant-gardistes et méprisants.
« Autodétermination sociale et émancipation » sont pour moi une position quasi « programmatique », pour l’égalité de tous avec tous, qui précisément s’affronte directement aux revendications étatistes, citoyennes, d’un Etat plus juste et d’un capitalisme moins inhumain comme aux pseudo solutions individuelles de la démerde et de la marge revendiquée ou encore des projets entrepreneuriaux insérés dans l’économie capitaliste qui, dans les faits, deviennent des formes utiles de tâcheronnage dans le système de la sous-traitance.
C’est parce que les gens ne sont pas des moutons qu’ils peuvent s’auto-émanciper.
Si le capital est de moins en moins en mesure d’employer des gens dans son système du salariat à des conditions acceptables, comment les gens peuvent vivre, subvenir à leurs besoins, si par ailleurs on refuse la (déjà vieille) revendication du salaire garanti (par l’Etat) et/ou de les renvoyer dans l’ « exclusion » du caritatif ?
La question est complexe mais la pureté ultra gauche du tout ou rien (du communisme ou de l’abolition du travail) est d’autant confortable qu’elle ne se confronte jamais à la complexité du réel. Une lutte sociale prend toujours plus ou moins en compte et en charge la catégorie des « besoins » qui est toujours quelque chose de très “impur” et qui, dans le rapport capitaliste, correspond au salaire et à son niveau (mais aussi le loyer, les dépenses courantes…)
Dans une configuration où le travail salarié recule (quantitativement et qualitativement du point de vue des salariés), maintenir un axe de la conflictualité collective sur la question des besoins, se pose évidement autrement qu’autour du travail et du salaire. Si l’on ne veut prôner ni le plein emploi, ni la démerde individuelle, ni la mendicité, la création d’unités productives n’est, pour moi, pas à exclure a priori. La question est comment cela se pose, comment cela se créé, le fait que cela ne reste que des moyens expérimentaux (et non des solutions toutes faites, des finalités), que ces expériences soient soumises à des critères politiques qui les valident ou les rejettent, que ces unités ne deviennent pas (que) des “niches autogérée « en dehors »”, mais soient des éléments de la lutte sociale, intégrés à elle, et pas dans une démarche gestionnaire capitaliste. Là-dessus la discussion est ouverte, dès lors que le critère doit demeurer l’antagonisme et non la gestion, que le cœur de la problématique reste la modification des rapports sociaux dans et par l’expérience de la conflictualité plutôt que le travail et la répartition des rôles, des places et des fonctions selon le seul critère fonctionnel de la production et de ses exigences.
Les limites des luttes sociales, dans le rapport capitaliste classique comme dans de nouvelles formes, sont toujours les mêmes : le capital lui-même, le caractère exceptionnel et partiel des luttes, leur non généralisation, leur faiblesse.