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Grèce : profondeur de la crise

vendredi 19 décembre 2008

Quatre moments révèlent la profondeur de la crise, de la colère accumulée La révolte en Grèce, l'œuvre des jeunes qui ont vu leur horizon assassiné

Il reste encore une image. Une image qui a commencé à se dessiner dès le samedi soir, lorsque s’est répendue dans toute la Grèce la nouvelle de l’assassinat d’Alexis Grigoropoulos. Une image qui a continué de prendre forme au fil du temps. L’image, à mesure qu’elle se dessine, peut parvenir à capturer l’arrière-plan, même si nous ne pouvons pas toujours voir, parce que nous n’avons pas encore la capacité de saisir ce qui se cache derrière les couleurs qui en surface surgissent à nos yeux.

Il est encore trop tôt pour évaluer ce qui s’est passé et se passe encore en Grèce. Tout le monde peut donner des explications à partir d’évidences et dire des choses banales telles que l’explosion est née de la crise économique, du manque de perspectives chez les jeunes, de la répression, de l’impunité.
Bien sûr, tout est venu de là. Mais la manière dont tous ces éléments sont advenus en Grèce est unique. Il s’agit d’un préambule, d’une anticipation de ce qui va arriver dans d’autres pays européens.

Dans La chambre claire, Roland Barthes dit que, dans chaque image il y a un point où se concentre, de manière variable selon l’interprétation de chacun, toute la puissance et la tension de l’image, de la photo : le punctum. Dans le tableau en cours d’exécution depuis six jours en Grèce il y a quatre moments punctum qui montrent la profondeur de cette colère en suspens, invisible et qui a soudain éclaté.

Premier moment : dimanche soir. A partir d’Internet et des téléphones potables s’est tissée une trame invisible de communication entre des milliers et des milliers d’élèves du secondaire dans toute la Grèce. Nul ne s’en est aperçu. Le fait est que le lundi matin les lycées et collèges se sont retrouvés fermées. Sans assemblées, sans aucune organisation centrale, sans l’intervention de la moindre organisation politique, les jeunes se sont autorganisés dans les rues. Ils ont bloqué les rues et les routes et ont concentré toute la colère provoquée par le meurtre d’Alexis contre les locaux de la police. Pas un poste de police qui n’ait été bloqué par les étudiants, aussi bien dans les petites villes, et même de toutes petites, que dans des quartiers d’Athènes et de Salonique, qui n’avaient jamais connu depuis qu’ils existent la moindre manifestation ou quelque chose de semblable. Le jour se lève avec des garçons et des filles devant des locaux de la police, mettant le feu à des patrouilles ou jetant des oranges, des pierres, des œufs, de la peinture sur les bâtiments des foces de l’ordre..
Ils sont jeunes, 13, 15 ou 16 ans à centrer leur colère sur ces objectifs.

Deuxième moment : mardi soir. Les journaux télévisés ne savent pas quoi dire sur ce qui s’est passé et se passe à ce moment-là. Tous les centre-villes de Grèce, sont dévorés par les flammes. Une information ressort particulièrement : dans une banlieue d’Athènes, où vivent des Tsiganes, 600 d’entre eux ont occupé la caserne de police, y ont mis le feu et blessé deux policiers avec des fusils de chasse.

Troisième moment : mardi soir. Dans 23 prisons du pays l’ensemble des détenus refusent leurs repas en soutien et en solidarité avec la révolte.

Quatrième moment : dès que sont connues les paroles provocatrices de l’avocat défenseur du policier assassin, disant qu’Alexis a été tué par une balle perdue, les élèves du secondaire retournent fermer leurs écoles. Il encerclent 25 commissariats d’Athènes et une vingtaine d’autres dans le pays. Ils coupent la circulation dans 20 avenues. Ils occupent 190 écoles secondaires dans tout le pays..Dans la plupart des universités les cours ont cessés.Dans une vingtaine de villes, les banques et les magasins de luxe sont la proie des flammes.

Quatre moments-punctum qui montrent la profondeur d’une colère accumulée qui attendait son heure, une rage qui va bien au-delà de l’assassinat d’Alexis et de ces flammes qui illuminèrent la Grèce et qui l’ont ainsi rendue visible tout au long de ces derniers jours. Pure rage. Rage juste.

Beaucoup ont comparé ce qui s’est passé aux évènements de Los Angeles et de Paris. La comparaison est inappropriée. Ce ne sont pas les réprimés de toujours qui ont exprimé leur colère en mettant le feu aux centre-villes. Non. Ce sont nos fils et nos filles. Ils ont vu dans l’assassinat d’Alexis s’éteindre leur horizon. Au cœur de l’incendie, dans la chaleur des flammes, la rage des marginalisés a également trouvé sa place.

L’assassinat d’Alexis a été la mèche qui a enflammé cette colère. Et la rage s’est répendue dans les rues et a tout arraché sur son passage. La rage est par dessus tout, aveugle.

L’incendie s’est propagé dans l’herbe sèche d’une classe politique totalement grise. Avant l’explosion, les scandales de la corruption occupaient le premier plan du spectacle politique national. L’opposition était pratiquement inexistante. La couleur du paysage était d’une sombre noirceur. Maintenant la gauche est coupée en deux et, ébranlée, chancèle. Certains groupuscules, organisations de la gauche radicale et anarchistes voient une occasion de se renforcer. Les fascistes sortent dans les rues pour défendre la « propriété ». Et tous, absolument tous, s’efforcent de manipuler la colère et de gagner des militants.

L’image se trouble, mais il reste les quatre moments punctum. En eux réside l’espoir.

Eugenia Apostolou

La Jornada (México)

Traduction du Castillan Jeff

Publié sur le site Rebelión

http://www.rebelion.org/noticia.php...

Voir en ligne : rebelion.org

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