Le changement de façade ou la grande continuité
mardi 12 juin 2012, par
A peine les jeux présidentiels faits, les ministères distribués, s’est ouverte la chasse aux sièges de député-es. Pour parfaire sa victoire et conquérir sa future majorité parlementaire, le nouveau gouvernement soigne son image. En signe de bonne volonté, il a pris d’emblée quelques mesures et engagements symboliques : réduction de 30% des émoluments des membres du gouvernement, signature par les ministres d’une charte rappelant certaines « règles » de bon comportement, retour à la semaine de cinq jours pour les écoliers, encadrement des loyers, mariage gay et adoption par des couples homosexuels...
C’est surtout sur le terrain des relations internationales que Hollande cherche à montrer qu’il a l’étoffe d’un président. Il est rapidement allé faire acte d’allégeance auprès de Merkel, alors qu’il prétend qu’il défend une politique qui diffère de celle de la chancelière allemande, et auprès d’Obama, les deux plus grosses pointures de l’UE, des USA et de l’OTAN.
En politique intérieure, le gouvernement se montre prioritairement plein de sollicitude à l’égard de sa police et de son armée : Valls s’est empressé de tendre une oreille attentive au « malaise » des policiers et plaide en leur faveur auprès des magistrats ; quant à Hollande, chef des armées, après avoir eu le feu vert d’Obama, il s’est envolé pour l’Afghanistan afin d’annoncer aux militaires français un retrait anticipé d’un nombre indéterminé d’entre eux.
C’est que, pour dompter les tensions sociales qui ne manqueront pas de se manifester, les nouveaux maîtres de l’Etat auront besoin de la police, de l’armée et de la justice, qu’il s’agit de bien traiter.
Les pouvoirs régaliens de l’Etat avant tout, à défaut d’autres pouvoirs, en particulier économiques.
Montebourg, ministre du « Redressement productif » (sic), court au secours des salarié-es des boîtes en perdition ; il cherche à faire croire que son gouvernement va défendre « l’emploi en France ». Mais on voit mal ce qu’il pourra faire face aux vagues de licenciements et de suppressions d’emplois qui, tenus sous le coude des patrons avant les élections, s’apprêtent à déferler maintenant... et ne manqueront pas de s’abattre dans les mois et années à venir.
En cette période électorale en France, les mouvements sociaux sont comme suspendus ; à croire que les travailleurs-ses pensent agir pour leurs intérêts quand ils-elles votent... Le premier ministre Ayrault en profite pour proposer la grosse ficelle du dialogue social en invitant les « partenaires sociaux », syndicats et patronat. D’ici le 14 juillet, il prévoit d’orchestrer une grande messe sociale, la concertation interclassiste valant mieux, pour le pouvoir en place, que la lutte de classe. Peillon, ministre de l’éducation, lui aussi veut profiter de l’été pour « concerter », voire débattre... Il s’agit d’ « habituer l’opinion publique à un dialogue social dans la durée » . Voilà donc venu le temps du dialogue durable ! On reconnaît bien là les pédagogues socialos ; redonner aux syndicats l’impression qu’ils vont avoir du grain à moudre ; enfumer le bon peuple avec des discussions lénifiantes pour détourner de la lutte. Car les « socialistes » sont au pouvoir pour essayer de maintenir la paix sociale tout en poursuivant la politique de défense des intérêts capitalistes.
Qui peut être dupe quand Hollande prône à la fois la rigueur et la croissance : « La croissance doit être une priorité en même temps que nous mettons en ordre nos comptes publics à travers les pactes budgétaires » ? D’autant qu’il le fait dans les mêmes termes, ou presque, que Parisot, la patronne du Medef : « (…) il faut à la fois la discipline budgétaire, et les réformes, et l’état d’esprit qui favorisent la croissance ». Tous dans la même galère, prolétaires et patrons, ramons de concert !
C’est sur les capacités de Hollande à trouver les bonnes formules persuasives et sur l’habileté de son gouvernement à satisfaire leurs intérêts sans provoquer trop de vagues que financiers (« les marchés »), patrons, dirigeants des Etats-Unis et « principaux partenaires » européens comptent pour protéger et pérenniser le système, ce qui passe essentiellement par arracher davantage encore aux classes populaires pour accroître les profits. En effet, il s’agit de renforcer les mesures d’austérité et de maintenir la discipline budgétaire, mesures imposées dans les autres pays, quelle que soit la couleur du gouvernement : réforme du marché du travail pour plus de flexibilité ; casse des systèmes de protection sociale... ; « des dizaines de milliards d’économies sur la dépense » annoncés, autant de coupes claires dans les budgets sociaux, de l’éducation, de la santé... « Le changement maintenant », pour faire que rien ne change, que personne ne bouge et que le capitalisme perdure.
Et si Hollande se fait, en ces temps de crise aiguë où les peuples souffrent, étranglés par les mesures d’austérité, le chantre de la croissance, il faut bien comprendre que c’est de la croissance des profits capitalistes dont il s’agit, au prix d’une exploitation-oppression toujours plus grande des humains et d’une destruction accrue de la nature, et non pas d’un desserrement de la ceinture de l’austérité.
Au cas où la bonhomie et la pédagogie hollandienne ne suffiraient pas et où les classes populaires se mobiliseraient sur les lieux de travail ou dans les rues, c’est à la force et à la répression, accompagnées du chantage aux risques dus à la perte de confiance des « marchés », à la montée d’une gauche radicale ou d’une droite extrême, que les défenseurs du capitalisme auront recours pour tenter de convaincre ou de faire taire.
Aujourd’hui, les attitudes d’attente, la dispersion, le corporatisme, les comportements frileux qu’on peut constater sur le terrain social en France ne sont pas dus qu’au seul contexte électoral. Ce manque de combativité, pour le moment, arrange bien les nouveaux gouvernants. Mais le réveil social est inévitable, d’autant que le libéral-socialisme ne suscite plus du tout l’enthousiasme.
Quelles formes vont prendre les combats à venir, quels objectifs, quels liens entre eux ?
Les luttes récentes en France, les dynamiques et les mouvements sociaux en Europe et dans le monde sont précieux à analyser, à la fois dans leurs limites qu’il faudra donc dépasser, et dans le potentiel de subversion et de bouleversement dont ils sont porteurs et qu’il s’agit d’appuyer et de développer.
Sud-Ouest, le 27 mai