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Courant Alternatif 292 été 2019

RETOUR SUR UNE ANNEE AGITEE A L’EDUCATION NATIONALE

lundi 29 juillet 2019, par OCL Reims


Si l’on en croit la télé, rien de notable : un ministre apprécié des enseignants, des grèves très peu suivies, une simplification du bac, un vent de liberté qui soufflerait pour les élèves... Ou plutôt, une année très notable : un ministre de l’éducation nationale qui arrive à réformer le mammouth tout en restant populaire, et pourtant ministre encore 2 ans après sa nomination ce qui est rare à ce poste, un président qui aurait appliqué ses promesses de campagne.... La réalité a évidemment été toute autre. L’éducation nationale a été secouée par des grèves tout au long de l’année, a connu une grève lycéenne massive et très violemment réprimée en décembre, le bac n’est en rien simplifié, les élèves ne gagnent aucune liberté, mais l’éducation nationale est réformée en profondeur et pour longtemps, il s’agit en fait d’un plan social qui concerne plusieurs milliers de postes.

Une escadrille de réformes
Comme nous l’avons déjà expliqué, c’est une pluie de réformes qui s’est abattue sur l’institution, de la maternelle à l’université. Dans le désordre, histoire de mieux masquer la cohérence d’ensemble. Il s’agit bien sûr d’abord de supprimer des postes (plusieurs milliers). Il s’agit ensuite d’ouvrir le marché de l’éducation au privé. Rendre la maternelle obligatoire n’a pas d’autre but que de forcer les mairies à subventionner le privé, les spécialités du lycée ne seront pas forcément disponibles dans le public et les rectorats incluent le privé dans leur carte des offres de formation, parcoursup permet de s’inscrire aussi dans le privé, et avec moins de galères que pour le public...

Mais les changements sont bien plus profonds, c’est la fin de « l’école de la 3ème république » qui est signée, un arrêt de mort qui n’est pas passé par une loi mais par plusieurs circulaires dont certaines ont déjà un an ou plus. Cette école était fondée sur la « méritocratie » et nous avons souvent dénoncé son aspect idéologique, comment elle permettait de donner l’apparence d’une responsabilité individuelle des exploités dans leur situation sociale, comment elle permettait de légitimer la hiérarchie de cette société. La clef de voute de ce système était le bac, diplôme national permettant à tous ses lauréats de poursuivre des études supérieures. La qualité nationale de ce diplôme garantissait un enseignement approximativement équivalent sur tous les territoires (mais pas dans toutes les filières). C’est à ce système que Macron/Blanquer/Castaner ont mis fin, avec semble-t-il (mais ce n’est pas annoncé) pour but de s’aligner sur le modèle scolaire anglo-saxon. L’acte I avait commencé sous Hollande : rendre le bac essentiellement symbolique en organisant l’accès aux études supérieures avant le bac, sur la base du 2ème trimestre de terminale (APB puis Parcoursup). Bien sûr, soit disant, il s’agissait de raisons techniques, mieux organiser le calendrier pour fluidifier les inscriptions et anticiper l’année suivante. Puis, sous couvert d’une meilleure gestion, et surtout en organisant la pénurie des places, rendre de plus en plus de filières universitaires sélectives, le bac cessant alors d’être le diplôme qui ouvre les portes des études supérieures. La réforme du bac permet à Blanquer de mettre la touche finale en supprimant son caractère national, puisqu’il sera en partie sur contrôle continu et que pour le moment toujours rien ne garantit que ce qui restera d’épreuves finales sera corrigé anonymement dans des conditions nationales. La conséquence ? Dans un premier temps, supprimer les possibilités d’ascension sociale des jeunes des classes populaires. Les bons élèves de mauvaises banlieues se verront systématiquement suspecté.e.s d’être surnoté.e.s. C’est déjà le cas, mais le caractère national du bac limite les discriminations. Dans un second temps, les conséquences seront plus graves. Bien sûr, la violence scolaire va augmenter. Ce qui tient les lycées actuellement, ce sont les espoirs mis dans l’école, qui vont vite disparaître. Mais surtout, petit à petit, l’enseignement cessera d’être national. Les « spécialités » disponibles ne seront pas les mêmes d’un territoire à l’autre, certaines ne seront petit à petit accessibles que dans le privé. De toutes façons, progressivement, l’enseignement ne sera plus le même d’un quartier à l’autre puisqu’il n’y aura plus un niveau d’exigence national sur lequel se caler. Surtout qu’il y a une loi (ou une circulaire ?) dont on sait qu’elle est en chantier mais qui n’est pas encore passée, la réforme de la fonction publique et du statut d’enseignant. Elle devrait permettre aux chefs d’établissement d’avoir la main au moins partiellement sur le recrutement, couplé avec une rémunération « au mérite ». Conséquence : alors qu’aujourd’hui les profs sont les mêmes partout (à l’âge près), les « bons profs » iront dans les « bons lycées », les « mauvais » (et les plus militants) enseigner dans les quartiers populaires, comme aux Etats-Unis.

C’est à un véritable tournant qu’on assiste, motivé à la fois par des considérations économiques, idéologiques et sociales.
Tout d’abord, on est sorti du paradigme des « 30 Glorieuses » et de l’idée de la nécessité de l’élévation de la qualification de la main d’oeuvre. L’analyse a été faite, à tort ou à raison, c’est une autre question, qu’une minorité d’emplois très qualifiés allait demeurer, mais que les emplois qualifiés allaient être attaqués par l’intelligence artificielle, et que les « gisements d’emplois » se trouvent plutôt du côté des emplois faiblement qualifiés. Pourquoi alors dépenser de l’argent pour instruire les enfants des classes populaires, dont mieux vaudrait au contraire qu’ils en sachent le moins possible pour faire une main d’oeuvre plus aisément exploitable ? La réforme de la filière professionnelle est de ce point de vue emblématique : diminution des horaires des matières générales, et surtout proclamation officielle que leur visée ne doit plus être qu’utilitaire par rapport à l’emploi visé. Dans la filière générale, élévation du niveau d’exigence des spécialités qui seront réclamées dans le supérieur, associé à une soit-disant liberté dont on pense bien qu’elle précipitera les jeunes des familles non informées vers d’autres spécialités ouvrant beaucoup moins de portes dans le supérieur. Une façon supplémentaire de réserver les places de cadres supérieurs aux enfants de la bourgeoisie.
Lorsqu’on parle de la « crise de l’école », il y a une spécificité française : la place centrale de l’école dans la fabrication de la société et de la nation. Dans ce pays sans unité culturelle de base, l’école a toujours eu comme rôle officiel l’inculcation des valeurs nationales, l’homogénéisation de la société. Mais il y a une contradiction : la bourgeoisie tient à ses ghettos, pas question de mélanger ses enfants avec ceux des couches inférieures. Difficile alors de concilier apartheid urbain et fabrication de la nation. Le racisme d’état est l’habillage idéologique de justification de cet apartheid : des groupes inassimilables à laisser aux lisières de la république. S’il n’y avait pas d’arabes et de noirs, il faudrait les fabriquer, et d’ailleurs on les fabrique. Le choix a été fait de privilégier l’apartheid. Le rôle idéologique de l’école va être de faire accepter le libéralisme et la compétition qui l’accompagne (et ce dès la maternelle avec les nouveaux programmes), pour la fabrication de la nation, on va laisser ça à l’armée (service national universel) et aux symboles (belles affiches dans des salles de classe où il pleut et où les profs doivent pleurer pour avoir des markers). Bien sûr, l’apartheid implique une gestion policière de toute une partie de la population, et c’est bien ce à quoi on assiste depuis maintenant des décennies.

Une fonction en mutation
C’est bien connu, les profs sont des petit.e.s bourgeois.e.s. Pour un marxiste, ce qui définit le petit bourgeois, c’est qu’il n’est pas exploité, au sens qu’il ne produit pas une plus-value qui est appropriée par un autre, mais il ne vit pas non plus de l’exploitation des autres. Comme tou.te.s les fonctionnaires, illes vont le rester. Mais leur statut a changé et va changer. Officiellement, l’enseignant.e du secondaire est un.e cadre supérieur.e et profession intellectuelle, le/la professeur.e des écoles une profession intermédiaire. Mais réellement, l’enseignant.e débute à 1,4 fois le SMIC, ce qui n’est pas vraiment une paye de cadre sup. et montre la dévalorisation de son statut. De fait, avec le gel des salaires dans la fonction publique, le pouvoir d’achat des profs n’a cessé de se dégrader pendant que sa charge de travail augmentait du fait de l’informatisation forcée et de l’inflation du travail administratif.
Si l’origine sociale des profs s’est plutôt élevée, les jeunes profs sont envoyé.e.s prioritairement dans les quartiers difficiles et se trouvent donc confronté.e.s à une réalité sociale assez dure, alors que l’école et le lycée sont bien souvent le dernier service public et représentant de l’état autre que la police encore présent sur le territoire. Dans ces quartiers, le métier de prof est aussi celui d’un médiateur social, ce qui bien sûr bouscule les mentalités de la profession. En fait, deux positions sont possibles : se réfugier derrière l’autorité (il n’y a qu’à voir tous les bouquins sur les nouveaux barbares) ou s’impliquer dans la réalité sociale. De ce fait, la profession est devenue très hétérogène : il n’y a pas grand chose de commun entre l’enseignant.e installé.e depuis des années dans le lycée du centre d’une ville moyenne de province, et l’enseignant.e dans les banlieues déshéritées de la région parisienne, coincé.e comme les parents de ses élèves entre transports qui dysfonctionnent et loyers trop élevés.
Il paraît que c’est une profession « à vocation ». Si vocation il y a, c’est celle de la transmission de connaissances, et c’est la croyance en l’école de la république qui offrirait ses chances à tous et sélectionnerait les plus méritants. Or c’est le cœur de cette vocation qui est attaqué par toutes les réformes en cours. Pour ceux/celles qui « ont la vocation », on est en train de retirer tout sens à leur métier. On a vu ce que ce genre de transformations donnait à France Télécom... Pour les profs de lycée, la réforme va bouleverser complètement leur rapport aux élèves. Aujourd’hui, la base de l’autorité d’un prof, c’est ce qu’ille a à transmettre, et une espèce de contrat implicite où ille donne aux élèves les moyens d’atteindre un niveau exigé pour le bac. Après la réforme, les profs ne seront plus en situation de pouvoir transmettre des connaissances : conditions d’enseignement dégradées avec des classes surchargées et des horaires de cours restreints, évaluation continue pour le bac, qui laissera peu de temps pour l’apprentissage, le tout avec des programmes beaucoup plus élitistes qu’avant. Mais de plus, illes ne seront plus là pour atteindre un niveau, illes ne seront plus là que pour juger et sélectionner en permanence, ce sont eux/elles qui donneront ou non le bac. Il n’y aura donc plus de contrat implicite de confiance, d’objectif commun entre profs et élèves.
Sans mythifier pour autant les services publics et « l’école de la république », il y a là un vrai basculement. Nous avons toujours expliqué que l’école avait un côté émancipateur et un côté coercitif au service de la bourgeoisie. Le côté émancipateur en prend un sacré coup.

Une grève lycéenne massive et écrasée en silence en décembre
Les deux articles suivants sur les lycéens de Mantes et ceux d’Ivry sont symptomatiques de ce qui s’est passé. Une répression de masse féroce, une volonté d’inspirer la terreur, et une répression ciblée sur les « leaders », fussent-illes citoyennistes. La grève a été importante mais le black out a été total, donc il est difficile de donner des chiffres. Ce qui était frappant, en tous les cas dans le 93, c’est qu’il y a eu grève et blocus en même temps en lycée général, lycée professionnel et lycée technologique, ce qui à ma connaissance est très rare. Bien sûr ce mouvement motivé à la base par Parcoursup et les réformes a eu lieu dans la foulée des gilets jaunes, même si les références n’y étaient pas forcément explicites.
Les jeunes n’ont aucun droit et bénéficient rarement de la solidarité des adultes. Ils constituent donc un terrain d’expérimentation intéressant pour le pouvoir. Ce qui a été expérimenté là, c’est comment écraser en silence, et ce qui était impressionnant, c’est jusqu’à quel niveau de violence le pouvoir est prêt à aller pour sa politique du chiffre. Officiellement, rien ne se passait. Donc, il fallait annoncer que tous les établissements scolaires étaient ouverts. Ce qui a donné lieu à des scènes surréalistes, SMS envoyés aux parents comme quoi l’établissement était ouvert et ils devaient envoyer leurs enfants sous peine de sanctions, tandis que l’établissement en question était bloqué, éventuellement avec feux de poubelles voire incendies et caillassages. Des masses de jeunes se sont donc trouvés pris entre le mouvement et la police, masse mouvante n’osant partir et ne sachant que faire, grenadée et nassée. Il faut rappeler que dans les quartiers, et beaucoup d’établissements en lutte s’y situaient contrairement à ce qu’a raconté la presse relayée aussitôt par les milieux militants, quand il y a des événements, les choses peuvent aller très vite sans que plus personne ne contrôle plus rien.
Il faut noter que les enseignants solidaires des élèves ont été plutôt minoritaires. Bien sûr, c’est là où des mouvements contre les réformes avaient commencé qu’il y avait plus de solidarité, mais même les enseignant.e.s mobilisé.e.s ne sont pas toujours capables de reconnaître aux lycéens une capacité autonome de lutte et d’expression politique, capacité bien sûr entravée par des difficultés d’expression, et un langage qui n’est que partiellement commun avec celui des adultes. Entre aussi une question de différence de classe.

Une mobilisation importante et en voie de radicalisation
Les circulaires réformant le lycée et le bac sont sorties en juillet de l’année dernière. Dans un premier temps, elles ont peu mobilisé, les profs étant un peu le nez dans le guidon et les syndicats très discrets. La mobilisation est d’abord partie massivement du côté des lycées professionnels où les matières générales sont sacrifiées. Mais il a commencé à y avoir plusieurs grèves et des appels à la reconductible dès le 1er trimestre. Parmi les enseignant.e.s mobilisé.e.s, certain.e.s se reconnaissaient bien sûr dans les gilets jaunes. Au fut et à mesure qu’on découvrait le contenu des réformes et leurs implications, que les pseudo-concertations se dégonflaient, la grogne a commencé à prendre de l’ampleur. Mais évidemment, les syndicats, s’ils soutenaient officiellement le mouvement, n’ont rien fait pour le coordonner et l’étendre. Tout est donc parti en ordre dispersé, un bloc de lycées en grève reconductible dès décembre, mais qui a repris ensuite un peu essoufflé, puis une deuxième vague dans d’autres lycées, et ainsi de suite. L’apogée a été atteint au moment de la loi Blanquer, celui-ci ayant réussi une chose rare, unifier tous les corps de la maternelle au secondaire. Au printemps, autour des histoires sur les directeurs d’école, en région parisienne, on a vu dans le primaire des taux impressionnants de l’ordre de 80% dans pas mal de communes. Les collèges, pourtant très abîmés par la dernière réforme, se sont aussi pas mal mobilisés. Le tout dans un silence médiatique impressionnant. Ne sont données que les nouvelles que donne le ministère.
D’autres méthodes de lutte ont alors été recherchées, telles que mettre 20/20 à tous les élèves, les conseils de classe silencieux, les démissions de professeurs principaux. Ces formes ont touché environ 500 lycées, majoritaires dans certains, minoritaires dans d’autres, mais dans donc près de la moitié des lycées. Le tout encore une fois sans succès.
On en est donc arrivé au vieux serpent de mer, la grève des examens. Elle est loin d’être majoritaire, mais elle est suivie de façon significative. On peut reprendre les chiffres du ministère qui annonce 5% de grévistes, mais sur l’ensemble. Ramené aux enseignant.e.s de lycée, les seul.e.s à pouvoir faire la grève du bac, ça nous donne du 1 enseignant.e sur 6, ce qui n’est pas si mal pour cette forme d’action. Et il est probable que la mesure de recul de la date du brevet est autant liée à la grève qu’à la canicule. On sait que pour le bac, le ministère a été jusqu’à mobiliser des parents...
Nul ne sait comment la rentrée va se passer. En l’état, les profs sont convaincu.e.s qu’elle est impraticable, mais visiblement le ministère s’en fout. Il compte sans doute sur l’habitude qu’ont les fonctionnaires de fonctionner, c’est-à-dire de prendre sur eux pour pallier aux carences de l’institution. Pas certain que ce soit encore longtemps le cas...

Antoinette

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