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Guerre en Ukraine

Comment l’afflux d’Ukrainiens renforce la lutte ouvrière en Pologne

mercredi 28 septembre 2022, par WXYZ


Voir en ligne : La version anglaise du texte a été publiée sur Libcom.org

Cette infographie de la BBC, basée sur les données du HCR, montre clairement quel pays est devenu la principale destination des réfugiés ukrainiens depuis le début de la guerre. Les Ukrainiens qui travaillent en Pologne ont commencé à comprendre qu’ils sont, avant tout, des personnes et qu’ils ont des droits. Et ils ont commencé à les défendre !

Les Ukrainiens commencent à protester contre la violation de leurs droits de travailleurs en Pologne. Ce mois-ci, une grève a eu lieu dans une usine de décorations de Noël de la ville polonaise de Gliwice. Selon Roman, 18 ans, qui y est employé, les travailleurs ukrainiens s’indignent depuis longtemps que l’employeur leur déduise de l’argent pour la pause déjeuner (en facturant 15,5 zł de l’heure pour toute la journée de travail, il leur a déduit la demi-heure de la pause déjeuner), alors que pour les travailleurs polonais, de telles sanctions ne sont pas appliquées.

À première vue, les montants sont symboliques – les travailleurs ukrainiens n’ont perdu qu’environ 8 zł par jour (ce qui représente moins de 2 euros). Mais, dit Roman, les gens ont été scandalisés par la démarche discriminatoire de la direction. Les Ukrainiens ont donc refusé de travailler pendant deux jours : « Tout à l’heure, une vague de commandes est arrivée, l’entreprise fonctionne à plein régime, il y a beaucoup de travailleurs de chez nous là-bas. C’est pourquoi, la direction a renoncé et a donné l’ordre de rembourser intégralement la journée de travail, y compris la pause. » En même temps, selon lui, les conditions de travail dans les entreprises locales ne sont pas faciles.
« Il y a des équipes de 12 et même de 15 heures, de nombreuses équipes de nuit. Tout est payé au même tarif – entre 15 et 16 zł de l’heure. Pour une journée, c’est 160 zł soit un peu plus de 30 euros. Environ 600 euros par mois, si vous travaillez avec deux jours de repos par semaines. Beaucoup, pour gagner plus, sont prêts à bosser pendant 15 heures, et le week-end, ils font des heures supplémentaires. » Les conditions difficiles et les salaires injustes provoquent de plus en plus de situations conflictuelles avec les patrons. Souvent, l’affaire débouche sur des grèves, comme à Gliwice.

Nous avons examiné comment les Ukrainiens travaillent en Pologne et pourquoi ils ont commencé à protester.

« Vous devez travailler 10 à 15 heures par jour, ils paient des miettes. »

Roman n’est arrivé que récemment en Pologne. La veille de son 18e anniversaire, alors qu’il était encore "sortant" [1], il est allé en Pologne pour travailler. « J’ai choisi Gliwice il y a longtemps. Beaucoup de gens de chez nous y travaillent – dans différentes usines. Certaines entreprises sont reliées entre elles par leurs propriétaires. Ainsi, au départ, nous sommes allés avec ma mère dans une usine de fabrication de produits en plastique, et elle y a été embauchée. Puis, le propriétaire m’a trouvé un emploi dans l’usine de décorations pour arbres de Noël. En même temps, la direction nous a aidés à obtenir le PESEL [2], à rédiger des demandes d’aide. Ce système fonctionne en permanence – il y a beaucoup de travailleurs ukrainiens, et ils en recrutent constamment de nouveaux. »

Selon Roman, l’employeur lui a fourni, ainsi qu’à sa mère, une chambre dans un foyer, pour laquelle ils doivent payer 300 zł par mois (environ 63 euros). Les conditions sont modestes (cuisine et salle de bain à l’étage, vieux meubles), mais c’est vivable. Pour un emploi à l’usine de décorations de sapins de Noël : 15,5 zł de l’heure (environ 3,30 euros). La mère de Roman s’est vue proposer moins à l’usine de produits en plastique – 15 zł de l’heure. En même temps, il y a les équipes de nuit pour lesquelles ils sont rémunérés au même salaire horaire. Les gens doivent travailler 10 heures par jour. Mais beaucoup choisissent des quarts de 15 heures pour obtenir plus d’argent : « Si vous travaillez moins, vous ne gagnerez pas beaucoup – pour du pain et de l’eau ».

De nombreux réfugiés ukrainiens se plaignent des conditions de travail difficiles et des bas salaires. Qui ont même diminué depuis que le flux de nos compatriotes s’est déversé dans le pays. « Ils proposent généralement 8 zł de l’heure pour laver les vitres, alors qu’ils payaient auparavant 12 zł », s’indigne Tatiana, une habitante de la région de Kiev, qui vit désormais près de Poznan. Il existe également des tarifs plus élevés, mais généralement pour les travailleurs qualifiés.

Par exemple, les mineurs ukrainiens sont invités dans l’industrie minière pour 6 000 zł par mois (1 260 euros), plus des primes, les mécaniciens d’une usine de voitures se voient offrir jusqu’à 30 zł de l’heure (6,20 euros), etc. Cependant, pour les personnes sans qualifications particulières et sans connaissance de la langue, les offres salariales sont très basses.
Voici des offres d’emploi à Gliwice pour nos réfugiés. "Travail pour femmes à Gliwice. Uniquement des équipes de jour, 10 heures par jour, 6 jours par semaine. Entrepôt Fresh Logistics. Responsabilités du poste : inspection de l’intégrité des produits, étiquetage. Hébergement fourni."

Toujours dans le groupe Facebook "Gliwice. Annonces. Emplois en Pologne", il y a une annonce concernant le recrutement de personnes pour la production de mousse pressée. Ils promettent « la possibilité de faire des heures supplémentaires », c’est-à-dire de longues journées de travail pour gagner plus.
« Vous vivez comme du bétail – vous n’avez qu’un lit dans une chambre pour quatre, et vous n’y venez pas souvent. Vous bossez la journée, vous y passez la nuit et retournez au travail. Vous avez juste assez d’argent pour survivre. Beaucoup de gens ne pensent pas à déménager dans un appartement loué, même en rêve – où vous devez payer au moins 300 euros par mois », raconte Galina qui travaille dans une usine près de Wroclaw.

La première manifestation contre l’interdiction de sortie des hommes d’Ukraine a eu lieu le 21 septembre au poste de contrôle de Shegyni à la frontière avec la Pologne, dans la région de Lviv. Plusieurs dizaines d’étudiants inscrits dans des universités européennes ont été refoulés par les gardes-frontières ukrainiens : même en août, il était difficile de partir en raison du grand nombre de personnes fuyant la mobilisation de cette manière et tout un marché noir s’est développé sur eux. A partir du 14 septembre, la sortie pour ceux qui étudient à l’étranger a été fermée pour tout le monde, même pour ceux qui étaient entrés avant la guerre et étaient venus rendre visite à leurs proches pendant l’été, croyant les autorités qu’il n’y aurait pas d’obstacles. Les étudiants vont répéter ces actions. L’un d’entre eux a admis avoir pris d’assaut le poste de contrôle pour la 8e fois...

« Les Polonais les considèrent comme des briseurs de grève »

En outre, les migrants ukrainiens se plaignent d’être moins bien payés que les Polonais dans certaines entreprises pour des postes vacants similaires. « Ils peuvent travailler plus souvent dans les équipes de nuit, les week-ends, ce qui, bien sûr, ne plaît qu’à très peu de gens », confirme Roman. Jusqu’à récemment, les gens enduraient.

Il est intéressant de noter qu’il n’y a pas si longtemps, l’usine Opel locale a également connu une grève de l’ensemble du personnel. Ils protestaient contre les conditions de travail difficiles et les bas salaires. En même temps, comme le dit une certaine Olga, il est très difficile pour les Ukrainiens d’y travailler : « Tous les profils de postes faciles sont déjà pris par les Polonais. Je suis allée travailler là-bas une journée, et c’est tout ce que j’ai eu. Et quand il y a eu une grève, la direction a dit aux manifestants : si vous ne voulez pas travailler dans de telles conditions, un Ukrainien viendra et fera le travail. » Pour cette raison, les travailleurs polonais considèrent souvent les Ukrainiens comme des briseurs de grève.
De plus, au cours des 7 derniers mois, lorsque le flot de réfugiés ukrainiens s’est déversé en Pologne, les employeurs polonais ont encore aggravé les conditions de travail, croyant que nos compatriotes travailleraient à n’importe quelles conditions, puisqu’ils n’ont pas d’autre choix.

Mais les Ukrainiens ont déjà appris la langue et commencent à défendre leurs intérêts. « Dans notre usine, où il y a plusieurs dizaines d’Ukrainiens, jusqu’à environ un tiers de l’équipe, les gens étaient indignés par le fait qu’on leur ait facturé de l’argent pour la pause repas – ce n’est qu’une demi-heure par jour, et en argent c’est moins de 8 zł (1,65 euro), une misère. Mais rien n’était retiré aux travailleurs polonais Ce qu’ils n’ont pas calculé, c’est que les nôtres ont considéré ça comme une discrimination. Ils l’ont dit une fois à la direction, deux fois. Et puis l’idée est simplement apparue de ne pas aller travailler. Nous avons décidé que personne ne serait licencié. Et ça a marché. Deux jours plus tard, un messager de l’employeur est venu, nous a dit, revenez, ils ne vont plus calculer la pause. Je pense que la raison est que beaucoup de commandes venaient d’être reçues, et il est probable qu’il ne leur était pas possible de recruter rapidement de nouveaux travailleurs. C’est pourquoi ils nous ont fait des concessions », explique Roman.

D’un autre côté, les travailleurs affirment qu’en fait il existe de nombreux exemples de grèves infructueuses : les gens commencent à exprimer du mécontentement, et ils sont tout simplement mis à la porte. « En fait, ils sont souvent virés s’ils commencent à critiquer. Ils disent : des gens comme vous, mais il y a la queue... Donc, les gens ont peur de parler ouvertement contre l’employeur. La question de la création de mini-syndicats ou d’une sorte de groupes d’initiative d’Ukrainiens dans les usines polonaises a été discutée et arrive aujourd’hui à maturité », explique Lilia, originaire de Kiev, qui vit maintenant à Varsovie.

Le quotidien des gardes-frontières ukrainiens : attraper les gars qui tentent de franchir la frontière occidentale sans autorisation.

« Les réfugiés sont considérés comme une main-d’œuvre bon marché »

Les syndicats polonais confirment le problème croissant de l’exploitation des travailleurs ukrainiens. « Certains employeurs et agences de recrutement voient dans les 2 millions de réfugiés ukrainiens une main-d’œuvre bon marché et utilisent la guerre et la crise migratoire contre les migrants qui travaillent pour eux depuis longtemps », explique Ignacy Jóźwiak, expert au Centre de recherche sur les migrations et membre du syndicat Initiative des travailleurs (Inicjatywa Pracownicza) [3]

Selon lui, les principaux problèmes des Ukrainiens en Pologne sont l’emploi sans contrat de travail, le travail illégal, les horaires de travail irréguliers, les arriérés de salaire et le refus des employeurs de payer les salaires.
Il poursuit : « La violation des droits du travail des migrants – en général, et pas seulement pendant la guerre – est largement due au problème de la nature temporaire de leur statut. Pour travailler, ils ont besoin de visas et d’autres documents, et leur permis de séjour est souvent subordonné à un emploi, et leur emploi dépend de l’existence d’un lieu de résidence. Cela ouvre de nombreuses possibilités d’abus et laisse aux travailleurs une liberté de manœuvre limitée. Et cela rend difficile de s’attacher à un lieu, d’établir des relations sociales plus profondes et de lutter pour leurs droits. Nous parlons de formes d’emploi précaires : contrats de mission ou contrats pour un travail spécifique au détriment des contrats de travail, emploi sans papiers (malgré des documents de résidence valides). Les employeurs engagent régulièrement des Ukrainiens au salaire minimum dans le cadre d’un accord verbal, et promettent de verser le reste de la rémunération "dans une enveloppe", en espèces. Il en résulte qu’ils ne versent pas la rémunération promise tout en exigeant en même temps qu’ils travaillent au-delà des 8 heures légales. Parfois, c’est 10, 12 heures par jour ou plus ».

Pour s’assurer que les droits des travailleurs ukrainiens ne sont pas violés, explique M. Juzwiak, il faut accorder une attention particulière aux conditions de travail que les employeurs potentiels offrent aux nouveaux arrivants et aux conditions de vie.
« Nous constatons déjà que les prix des loyers en Pologne augmentent. Les réfugiés d’Ukraine devraient avoir un logement et être en mesure de gagner de quoi payer un loyer. C’est un problème qui ne fera qu’empirer. Il arrive que les tarifs proposés, par exemple, pour le travail dans les soins aux personnes âgées et le nettoyage, soient inférieurs à ceux proposés en février de cette année, c’est-à-dire avant l’arrivée en masse des réfugiés en provenance d’Ukraine. »

Selon Marlena Malong, ministre des Affaires familiales et de la politique sociale, parmi les Ukrainiens qui ont obtenu un emploi, environ 25% travaillent sous contrat de travail (umowa o pracę, – ndlr) et 73% – sous contrat de mandat (umowa zlecenie, – ndlr). Des contrats de travail saisonnier sont également conclus.
« Mais la plupart du temps, tout le monde travaille sous contrat de mandat (ou de commande), c’est l’umowa zlecenie, sur lequel les employeurs eux-mêmes insistent. Les travailleurs qui en relèvent ne sont pas protégés socialement. Sous l’umowa zlecenie, ils peuvent travailler 10 ou 12 heures par jour et obtenir n’importe quel salaire, qui ne sera garanti par aucun minimum. Dans ce type de contrat, il n’y a pas de congés payés ni de congés de maladie payés. Sous le régime de l’umowa zlecenie, ils travaillent comme convenu et souvent "au noir" », nous dit Marek Sierakowski, un représentant syndical de Varsovie [4]

« Autre problème : l’inspection nationale du travail informe à l’avance les employeurs de la date de l’inspection. Il n’y a aucune campagne d’information ni d’offres pour venir en aide aux travailleurs. C’est pourquoi il est si important de renforcer les droits des migrants en matière de travail », ajoute Olga Dobrowolska, avocate de l’Association d’intervention juridique de Varsovie, une ONG.
Il importe de noter que le Syndicat intersectoriel des travailleurs ukrainiens est déjà actif en Pologne. Mais il est encore assez petit, bien que ses militants coopèrent avec les syndicats polonais et travaillent, en particulier, sur le problème des bas salaires des femmes.

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Ainsi, la vie confirme ce que nous disions dans une interview il y a quelques semaines : il est beaucoup plus facile d’organiser une grève dans un pays en paix que dans un pays en guerre. La délocalisation actuelle des entreprises de l’Est vers l’Ouest de l’Ukraine et le processus connexe de concentration de la classe ouvrière peuvent également renforcer la lutte ouvrière dans cette région. Quoiqu’il en soit, l’arrivée de nouveaux travailleurs ukrainiens dans l’UE n’est pas seulement bénéfique pour les capitalistes européens, elle ouvre également des possibilités supplémentaires pour les mouvements révolutionnaires locaux. C’est pourquoi la sortie d’Ukraine doit être libre pour tous le plus vite possible !

-* Traduction de l’anglais : XYZ, le 25 / 09 / 2022

La version anglaise du texte a été publiée sur Libcom.org, sans doute envoyée par le groupe anarchiste « Assemblée » de Kharkiv, en Ukraine
Source
La source originale, et un peu plus longue, est un article d’un journal ukrainien, Strana (Ctpaha - Le Pays), daté du 19 septembre 2022, trouvé ici sur son site Internet

Notes

[1(Autorisé à sortir du pays car mineur.ndT

[2(« Système Électronique Universel pour l’enregistrement de la Population ». C’est un numéro d’identification unique attribué à chaque citoyen polonais dès qu’il est enregistré auprès des autorités officielles après sa naissance et à chaque étranger s’installant dans le pays pour y résider. Équivalent au n° de SS en France, il est de fait obligatoire pour vivre en Pologne.ndT

[3IP, Inicjatywa Pracownicza  : anarcho-syndicaliste leur site.ndT

[4De toute évidence, ce contrat de commande ou de mission n’a rien d’un contrat de travail, c’est un contrat de droit civil, de type commercial, entre un donneur d’ordre et un sous-traitant ou exécutant, entre un mandant et un mandataire, un acheteur de prestation et un vendeur. Il peut être écrit mais pas obligatoirement et donc rester purement verbal. ndT

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