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Editorial de novembre 2022

Il n’est de juste guerre que la guerre de classe

dimanche 6 novembre 2022, par Courant Alternatif


Lorsque deux impérialismes s’affrontent, grande est la tentation de choisir son camp.
Il y a ceux qui le font clairement en fonction de leurs options idéologiques et de leur intérêt (ou de ce qu’ils croient être leur intérêt). Il y a ceux qui hésitent, qui pèsent le pour et le contre, qui essayent de mesurer ce qu’il y a à gagner dans la victoire de l’un ou la défaite de l’autre et qui se refusent à condamner de manière identique et claire les deux camps : il y aurait, au bout du compte, un agresseur et un agressé.

Parmi celles et ceux qui se rangent en temps de paix dans le camp anticapitaliste, anarchistes ou marxistes, on entend souvent l’argument consistant à dire que les grands principes anti-impérialistes sont valables en général, mais que cette fois-ci la situation est particulière. Cet argument, on l’a lu et entendu en 1914, en 1939, au moment de la guerre en Yougoslavie, de la guerre du Golfe ou de la guerre en Ukraine aujourd’hui. Eh oui, c’est une évidence, chaque situation est différente d’une autre ! Mais chaque grève aussi est différente d’une autre par son contexte, ses enjeux, ses acteurs, et cela ne veut pas dire qu’il est possible de choisir le camp des patrons ! Ou, sans aller jusque-là, de trouver quelque vertu à des alliances (temporaires, juré craché !) avec l’ennemi de classe… et de même, pour ce qui nous occupe ici, avec l’un des impérialistes.

En Ukraine, il s’agit d’une guerre pour le contrôle politique et économique de l’espace postsoviétique. Les guerres de ce genre, chaque impérialisme les mène différemment selon les circonstances : par l’invasion militaire, par la fourniture d’armes, par des diktats économiques ou encore par des moyens percutants visant à mettre en place tel ou tel régime politique dans telle ou telle région. Si ces moyens sont utilisés à tour de rôle ou tous ensemble, selon ce que la situation permet, l’objectif est toujours le même : contrôler et s’étendre.

L’impérialisme n’est ni la conséquence du mode de production capitaliste ni son stade suprême. Il en est le moteur sans lequel ce mode de production ne se développerait pas, et donc mourrait. Les conflits entre les impérialismes sont le carburant indispensable au développement et à l’expansion capitalistes.

Celles et ceux qui tendent à pencher (de façon circonstancielle, disent-ils !) pour l’un des deux camps ne choisissent pas entre deux réelles options. Dans un cas comme dans l’autre, c’est le développement capitaliste qu’ils renforcent alors au détriment d’un choix de classe, le seul qui vaille.

Ce choix-là n’est nullement celui de la passivité, comme le prétendent les va-t-en-guerre résignés : on peut très bien pratiquer le défaitisme révolutionnaire, comme en 1914, ou la résistance armée contre l’envahisseur et le régime politique qui lui est attaché, comme en 1939. Il en est, en Ukraine, qui cherchent à agir en dénonçant conjointement l’OTAN, la Russie de Poutine et le gouvernement ukrainien et ses mesures contre les travailleurs au nom de l’union sacrée. Il s’agit là d’un camp de classe qui peut se constituer avec les Russes qui, de leur côté, cherchent à contrer leur impérialisme de l’intérieur.

Un événement chasse l’autre : après avoir occupé pendant quelques mois l’intégralité des espaces médiatiques, la guerre en Ukraine avait fait passer au second plan celle qui est menée contre les Palestiniens par Israël, par le gouvernement turc contre les Kurdes, ou la sanglante répression de la junte birmane contre les minorités ethniques. A peine a-t-on entraperçu les milliers de morts du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

Et puis a surgi une contestation massive du pouvoir religieux en Iran, après le meurtre de Mahsa Amini, et ce pouvoir y a répondu par une féroce répression qui est évidemment à dénoncer, mais sans perdre de vue que ce conflit est bien pratique pour les gouvernants occidentaux : il leur permet de faire oublier l’état de guerre qui existe dans le monde entier, du fait des affrontements inter-impérialistes. Le conflit iranien est politiquement correct : on voit mal qui pourrait soutenir le régime des ayatollahs contre les femmes de tous âges et milieux qui refusent l’obligation de porter le voile, ou l’action violente de la police contre des manifestant·es – dont une bonne partie de la jeunesse – révoltés contre leurs conditions de travail et de vie. Mais attention ! Si jamais la contestation se mettait à ne pas seulement remettre en cause le pouvoir des religieux en s’attaquant globalement au système d’exploitation des travailleurs et des travailleuses, nous verrions nos « démocrates » du monde entier choisir leur camp, celui du régime en place ou d’un homologue plus présentable.

Le Brésil nous en montre l’exemple. Il est pitoyable de voir une gauche européenne en lambeaux se réjouir avec les libéraux de ce qu’un ex-président soi-disant de gauche et s’étant soumis aux diktats du FMI, ayant mobilisé contre lui les sans-toit et les sans-terre et par ailleurs mouillé jusqu’au cou dans des scandales financiers puis condamné pour corruption, soit élu contre ce diable de Bolsonaro !

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