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CA 324 novembre 2022

LE CAPITAL A L’ASSAUT DES LYCEES PROFESSIONNELS

jeudi 10 novembre 2022, par Courant Alternatif


La grève du 18 octobre a été particulièrement suivie dans l’enseignement professionnel en raison d’une réforme annoncée pour la rentrée 2023. Ce projet doit s’analyser dans le contexte d’une offensive généralisée de la macronie contre le monde du travail.

Le lycée pro, quèsaco ?

Le lycée professionnel (LP) accueille 600 000 jeunes, le tiers d’une classe d’âge « aiguillée » après le collège vers ce qui est le plus souvent considéré comme une voie de relégation.
Le développement d’un enseignement professionnel dans l’Éducation nationale est une conséquence de différents facteurs :

    • La scolarité à 16 ans en 1959 – date où ont été créés des lycées techniques [1]
    • Le besoin d’une main-d’œuvre apte à la polyvalence, la mobilité sociale et la hausse du niveau de qualification nécessaires durant les Trente Glorieuses (1946-1975).
    • La revendication du mouvement syndical de soustraire le prolétariat à la seule influence patronale, qui jusqu’alors avait le monopole de la définition des besoins sociaux de formation et des diplômes.

Le LP actuel émerge en 1985, avec la création du bac professionnel pour amener 80 % d’une classe d’âge au bac. Les élèves des lycées d’enseignement professionnel titulaires d’un BEP (brevet d’étude professionnelle créé en 1967 et préparé en deux ans) ont dès lors la possibilité de passer en 2 ans un « Bac pro » qui leur ouvre les portes de l’enseignement supérieur, pour un BTS (brevet de technicien supérieur, créé en 1962) ou l’Université.

Les LP comptent 60 000 professeur·es de lycée professionnel (PLP), recrutés par concours comme en lycée ou collège, mais en charge de deux disciplines. Les enseignant·es des matières professionnelles sont le plus souvent issus du monde de l’entreprise. Contrairement au système scolaire général, clos sur lui-même et séparé du reste de la société, la formation en LP intègre des périodes de formation en milieu professionnel (PFMP, dites « stages »).

Le LP reflète les inégalités sociales et scolaires : c’est le lycée des enfants des classes populaires (seuls 8 % des enfants de cadres « échouent » en LP). Parent pauvre du système éducatif, en vertu d’une hiérarchie sociale entre travail manuel et travail intellectuel, le LP a fait ses preuves en matière d’élévation du niveau de qualification et d’éducation jusqu’aux années 2000. Il est également reconnu pour « réparer » un certain nombre de jeunes cassés par le collège. Son principal inconvénient est de coûter cher (l’élève de LP coûte 1500 € de plus que celui du lycée général [2]), en raison d’effectifs réduits et de plateaux techniques plus ou moins coûteux selon les spécialités.

Reformer, c’est réduire les coûts

Le LP a connu depuis les années 2000 une succession de réformes. La première, d’importance, a été le passage du bac pro à 3 ans, en 2009, sous prétexte d’égalité de dignité avec le bac général ou technologique, et de revalorisation. Comme le temps c’est de l’argent, les élèves ont été privé d’une année scolaire pour préparer le diplôme, et le système a économisé sur les postes de profs. Gagnant-gagnant pour le budget du ministère. Exit le BEP par la même occasion, devenu une certification intermédiaire puis enterré en 2021 : un diplôme de moins référencé dans les conventions collectives, autre façon de réduire la masse salariale.

La dernière réforme, en 2017, a été la suppression massive d’heures d’enseignement en bac pro comme en CAP. L’enseignement professionnel a ainsi été réduit de 60 heures pour les bacs et de 250 pour les CAP ; quant à l’enseignement général, il a baissé respectivement de 375 et de 110 heures.

En février 2022, un décret a étendu le champ d’enseignement des PLP aux collèges et aux lycées ; et dans le dernier gouvernement, Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels, a été placée sous la double tutelle du ministère de l’Éducation et de celui du Travail.

Les annonces de Macron

Le 14 septembre Macron annonçait un certain nombre d’axes pour une réforme de l’enseignement professionnel. Le maître mot est l’alternance, qu’il faudrait généraliser. L’apprentissage est pourtant un échec en Bac pro et CAP : plus de 30 % des contrats sont interrompus pendant la période d’essai, et les apprenti·es ont des résultats aux examens bien inférieurs, sans parler de leurs conditions de travail [3].

Ainsi la décision est d’augmenter de 50 % le temps des élèves en entreprise, soit de 22 à 33 semaines de stages (PMFP) pour les bacs pros. Qui dit plus de temps en entreprise dit moins de temps à l’école, donc une nouvelle réduction des horaires d’enseignements professionnel et généraux.

La logique est aussi d’adapter la carte de formation aux bassins d’emploi, avec un rôle accru des Régions et des chambres patronales dans les formations, et surtout la certification locale en lieu et place des diplômes nationaux, avec les conséquences liées en termes de reconnaissance des qualifications dans les accords de branche et donc sur les salaires.

Or, les boîtes cherchent des jeunes prêt·es à bosser en production sur des missions spécifiques, pas des jeunes à former qui vont demander du temps. Et c’est bien là l’offensive idéologique de l’entreprise contre l’école : les patrons sont prêts à former uniquement si l’investissement est rentable à court terme. Et ce n’est pas la carotte d’une rémunération des stages des élèves de lycées pros à 200 € ou 500 € selon leur âge qui va modifier la donne. En revanche, la perspective d’un revenu, même ridicule, peut séduire des familles aux ressources très modestes, et faire écran à la prise de conscience de ce qui est en train de se jouer.

Un secteur mobilisé n’y suffira pas

Rien d’étonnant, donc, si les PLP ont été très mobilisés le 18 octobre. La casse du lycée professionnel est en marche, et si les profs ont à défendre emploi, statut et conditions de travail, ils et elles sont également vent debout contre le dénigrement du boulot réalisé avec leurs élèves, plus que jamais déconsidéré·es et réduits à de la chair à patrons.

Ce que ne perçoivent pas toujours les autres secteurs de l’enseignement, c’est que le lycée professionnel est le laboratoire des réformes pour tout le système éducatif.

Si CGT et FSU ont claqué la porte de la concertation ministérielle du 21 octobre, la prochaine échéance sera le 17 novembre avec l’appel à une nouvelle journée de grève et de mobilisation.
Les LP ne gagneront pas seuls. Ils devront démontrer que cette réforme préfigure celles à venir dans l’ensemble du système éducatif [4], et qu’au-delà de l’école, elle s’inscrit dans les attaques contre les salariés – depuis la réforme de l’assurance chômage jusqu’à celle des retraites. Et qui se revendiquent du prolétariat et de la révolution aura des responsabilités à tenir dans les semaines à venir.

La bataille qui s’engage contre cette réforme du LP peut aussi être l’occasion de critiquer un système éducatif ancré dans la reproduction des inégalités de classes, la hiérarchie entre travail manuel et travail intellectuel, pour affirmer la nécessité d’une formation intellectuelle et technique de la jeunesse qui ne soit pas séparée de la vie et de l’utilité sociale, et de relancer une véritable critique anticapitaliste de l’institution scolaire.

Saint-Nazaire,
le 26/10/2022

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Brochure 20 p. A5 (350 KO - choisir impression livret)- juillet 2022 - prix libre

P.-S.

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L’École, fille et servante du capitalisme

Notes

[1Comme nous l’a rappelé un lecteur attentif, si la décision de l’allongement de la scolarité de 14 à 16 ans a été prise en 1959, son application entre en vigueur bien plus tard.
Dans la loi Berthoin, il est précisé que les enfants ayant 6 ans à compter du 1er janvier 1959 seront concernés, soit 1967.

[2En 2019, par année scolaire, un·e élève coûte 8 790 € en collège, 11 300 € en lycée, 12 740 € en lycée pro et 15 510 € en Classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE)….

[3En 2019, l’Assurance maladie a recensé 10 301 accidents du travail concernant un·e apprenti·e : plus d’un par heure ! A cela s’ajoutent 3 110 accidents de trajet. Les apprenti·es représentent 50 % des accidents de travail des salarié·es de moins de 20 ans…

[4Cf. CA 322, été 2022, « Éducation : d’un pape à l’autre ».

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