vendredi 30 mai 2008, par
« Saragosse transformée »
est le mot d’ordre rabâché
par les politiciens, les entrepreneurs
et les médias. Une
transformation qui se fait à
coups de requalification, de
bradage de terrains publics,
de spéculation urbaine et de
répression des mouvements
sociaux.
L’Exposition internationale
de 2008, et toute la
campagne médiatique qui
l’entoure, ne sont que la
pointe de l’iceberg ; l’Expo
accompagne, ou en tout cas
accélère le processus de
transformation de la ville à
l’image et à la convenance
des intérêts capitalistes.
Une cité « logistique »
L’exemple de PLAZA est clair : c’est
la plus grande plate-forme logistique
d’Europe, avec une extension de 13
millions de mètres carrés, dont la gestion,
l’exécution et la promotion sont à
la charge de PLAZA S.A. (Société à
laquelle participe majoritairement le
Gouvernement d’Aragon et dans
laquelle sont présentes la Mairie de
Saragosse et les deux banques Ibercaja
et Caja de Ahorros de l’Immaculée), qui
a converti toute la ville, selon ses
propres termes, en un axe de trafic des
marchandises.
Un autre exemple est le polygone
Centrovia, de construction récente ; il
couvre un million et demi de mètres
carrés, où doivent s’installer plus de 50
entreprises nationales et multinationales.
Parler de Saragosse comme d’une
« ville logistique », c’est en parler
comme d’une cité capitaliste au sens
plein du terme. L’espace cesse d’appartenir
aux personnes qui l’habitent ;
une fois dépossédées, elles perdent
absolument la capacité d’influer sur
leur environnement et, par là même,
sur leur vie.
Les décisions sont prises très loin
des gens ; ils n’ont qu’à assister à la
façon dont la ville se transforme sur la
base de critères techniques et stratégiques
qu’ils n’ont pas choisis, qui
n’ont rien à voir avec leurs besoins et
visent seulement à ce que l’emmagasinement
et le transport des marchandises
soient plus rapides, meilleur marché
et plus efficients.
Des cités dortoirs
Un autre aspect fondamental de la
« Nouvelle Saragosse » est celui des
quartiers-cités résidentiels récemment
créés. Saragosse-Cité-Golf en est un
bon exemple : il s’agit de la construction
hors de la ville de 12 000 habitations
autour d’un centre commercial
comportant des cinémas, restaurants,
gymnases, centres esthéticiens, boutiques…
en définitive, des espaces privés
dédiés à la consommation, et faussement
désignés comme
‘« équipements sociaux ». Tout cela
entouré d’un terrain de golf. L’entreprise
Wilcox, coupable d’aménagements
désastreux à Murcia ou Marbella,
affirme sans rire que « sa ville »,
son centre commercial et son terrain
de golf ont « plus d’habitants que
Teruel ».
Il y a aussi Arcosur, un projet urbanistique
de 21 000 habitations, qui sera
plus proche de La Muela (un village à
20 km de Saragosse) que de la Place du
centre-ville. Le projet a été très critiqué
par la Fédération d’Associations de
quartiers de Saragosse elle-même : elle
le considère comme « démesuré », juge
qu’il étend la ville de façon artificielle,
en vidant et en détériorant les quartiers
traditionnels ; qu’il est « insoutenable
» du point de vue environnemental
et économique, à cause des coûts
élevés de maintenance (équipements,
transport, assainissement…) chiffrés
par la Fédération à 20 millions d’euros
annuels ; de plus, l’emplacement
même où ce projet doit s’inscrire est
problématique : bruit de l’aéroport
proche et terrain accidenté (zone de
dolines).
Cette nouvelle zone résidentielle
est aussi à mettre en relation avec
l’Expo 2008. En effet, la banque Ibercaja
a été responsable du paiement des terrains
où s’est construite l’Expo, en
échange de quoi elle a reçu la concession
de parcelles à Arcosur pour
construire les habitations. Ainsi, Ibercaja
gagne doublement de l’argent :
d’une part elle ne paie pas le prix réel
de plusieurs terrains, d’autre part elle
tirera de juteux bénéfices de la
construction et de la vente des logements.
Ceci sans tenir compte d’autres
gains provenant des hypothèques
qu’elle-même concèdera.
Avant d’arriver à Arcosur et donc
loin également du centre de Saragosse,
il y a la dénommée « Eco-cité » de Valdesparta,
projet défendu et applaudi
par la pire engeance des développeurs
Saragossais. Ils l’appellent « Eco-cité »
sous prétexte que les habitations qui
s’y construisent économisent l’énergie
parce qu’elles sont orientées vers le
soleil et sont munies de panneaux
solaires. La société gestionnaire est Valdesparta
S.A., une Société Mixte avec
une majorité de capitaux publics, à
laquelle participe la Mairie de Saragosse
(PSOE et Chunta Aragonaise (1)),
le Gouvernement d’Aragon et, encore
elles, les banques Ibercaja et Caja de
Ahorros de l’Immaculée.
On voit que l’exemple de « développement
durable » dont se targue la ville
de Saragosse consiste en la création
d’une mini-cité sans commerces de
base : tous les samedis, les gens
devront recourir aux centres commerciaux
pour faire leurs achats ; il sera
impossible d’aller de chez soi à n’importe
quel autre endroit sans utiliser
un véhicule privé ; les espaces périphériques
de la ville sont détruits en
même temps que son centre se vide.
La cerise sur le gâteau est la « Ville
Expo », très proche de l’enceinte de
l’Expo 2008, où ont été construits 112
appartements qui, dit-on, sont réservés
aux visiteurs de l’exposition. Une
fois fini le spectacle, on retrouvera ces
appartements sur le marché pour un
prix qui avoisinera, ou pire dépassera
les 100 millions de pesetas.
A Saragosse, nous assistons à une
complète séparation entre les décisions
prises par le pouvoir et les
besoins des gens qui y habitent. Comment
comprendre sinon que soient
construites tant de nouvelles habitations
sur des terrains aux environs de
Saragosse alors que, dans les quartiers
traditionnels, environ 40 000 logements
restent vides ?
Une des caractéristiques de l’actuelle
conception des villes est la séparation
spatiale de ce qu’on considère
comme les trois axes fondamentaux de
la vie humaine : travail, consommation
et repos.
Le transport privé est transformé en
un bien de première nécessité, d’une
part à cause de la précarisation voulue
du transport public et, d’autre part, des
énormes distances qui séparent les
lieux de vie des centres de travail et des
commerces.
Les petits commerces de proximité
remplissent une fonction importante :
lieux de rencontre entre voisins, ils
donnent une cohésion à la ville et la
rendent plus humaine, proche et
accessible. Ils convertissent les rues en
quartiers. A Saragosse, l’année passée,
on a évalué à trois par jour en moyenne
la fermeture de ces commerces,
comme conséquence directe de la prolifération
des grandes surfaces (9
macro-centres !). Dans la « Nouvelle
Saragosse », on ne parle plus désormais
de quartiers, mais de « centres
urbains ».
L’Expo internationale
Voilà le panorama tracé à grands
traits dans lequel s’inscrit l’Expo de
« l’eau et du développement durable »,
une Exposition internationale qui se
déroulera du 14 juin au 14 septembre
2008. Un macro-événement qui,
comme tous les autres de ce type (que
ce soient les Expositions universelles,
les Sommets, les Jeux Olympiques…),
vient conforter la transformation de la
ville en un lieu déshumanisé, aseptisé,
inhospitalier et étranger à ses habitants
; cela accompagné d’un discours
qui, ironiquement, convertit cette
transformation en « triomphe » de la
Ville.
La mise en place de l’Expo 2008, en
marge de la corruption, de la privatisation
du sol public, des bénéfices pour
les politiciens, les multinationales, les
entreprises de construction, la bourgeoisie
de Saragosse et les caciques
aragonais, est l’image du triomphe de
la domination capitaliste.
Le jour où le BIE (Bureau International
des Expositions) a concédé l’Expositon
internationale à Saragosse,
après qu’a été consacré on ne sait combien
d’argent public à des dépenses
non contrôlées de « promotion » (petits
voyages des notables et de leur suite,
pots-de-vin, fêtes…), la Place du Pilar,
où avaient été installés des écrans
géants pour suivre la cérémonie, était
en liesse. Ainsi, on nous vend l’Expo
comme le triomphe de « Saragosse », en
essayant de la justifier par des arguties
qui en appellent à la subjectivité, au
patriotisme et à l’absence totale de
réflexion.
Leur rhétorique est connue : Saragosse
cessera d’être « la ville arriérée »
qu’elle a toujours été pour se convertir
en une nouvelle Barcelone. Saragosse
« sera enfin visible sur la carte ».
Aujourd’hui nous vivons dans la « Saragosse
du XXI° siècle », et donc nous
n’aurons plus à en avoir honte, maintenant
qu’elle a ses entreprises multinationales,
ses plateformes logistiques,
sa Grande Vitesse et, si nous nous y
prenons bien, son Centre d’Opérations
de l’OTAN.
Le commerce de l’immobilier et de
la construction ne peut se justifier par
lui-même, il ne touche pas le citoyen
moyen qui jamais ne le considèrera
comme quelque chose qui lui est
propre ; c’est pourquoi il est nécessaire
de l’accompagner d’un bon prétexte,
d’une « bonne cause » qui soit suffisamment
générale. Pour une population
comme celle de l’Aragon qui, ces
dernières années, a mené des mobilisations
historiques contre le transvasement
de l’eau de l’Ebre, les barrages
et les lacs de retenue, le thème s’imposait
: celui de l’eau.
La vieille bourgeoisie franquiste de
Saragosse adopte un visage neuf ; à
présent, elle veut apparaître moderne,
solidaire et elle s’accroche au wagon
du sacro-saint développement
« durable ». Le capital se teinte de vert
et de social. Si, en 1992, l’Expo de
Séville se revendiquait de la colonisation
de l’Amérique et de l’espagnolisme
le plus rance, en 2008, l’Expo de
Saragosse célèbre l’utilisation raisonnable
et « durable » de l’eau comme ressource
rare. Le pouvoir se renouvelle et
prétend, en plus, se présenter comme
à l’avant-garde des revendications
sociales et écologistes.
Les résistances
A l’autre extrémité du montage
politique, financier et médiatique de
l’Expo, il y a ceux-celles qui sont tenus
en marge, chaque fois plus nombreux,
et, sous une forme organisée, les comités,
les organisations, les Collectifs
Sociaux et les Radios Libres autogérés.
Il est évidemment pénible de constater
que des organisations écologistes,
qui ont été partie prenante des luttes
contre le transvasement de l’Ebre ou
contre les barrages et qui ont participé
à des collectifs d’habitants, se contentent
aujourd’hui de ne s’opposer qu’à
la construction d’une roue hydraulique
sur l’Ebre à hauteur de Saragosse, de
demander que les pavillons de l’exposition
soient utilisés plus tard comme
équipements sociaux et de se dire vigilants,
avec pour prétexte, souvent utilisé,
que l’Expo « va se faire », et qu’il
s’agit d’essayer de la changer « de l’intérieur
».
Quand la carotte-subvention ne sert
à rien, le pouvoir sort le bâton, comme
il faut s’y attendre ; la répression des
mouvements sociaux a crû sensiblement
ces deux années avant l’Expo :
interpellations massives, gardes à vue
nombreuses, amendes disproportionnées
pour des bombages politiques ou
pour le déploiement de banderoles (10
militants menacés d’une amende de
123.000 euros) , arrachage par la police
d’affiches ou de pancartes contre la
spéculation, effacement sélectif et
quasi immédiat d’inscriptions contre
l’Expo, alors que des graffiti antisémites
peuvent rester des années sur le
même mur… Voici quelques exemples
de la répression subie par les opposants
à l’Expo.
Cependant, le mouvement contre
l’Expo de Saragosse continue à tenir
tête, malgré ses moyens limités, à la
déferlante médiatique et répressive.
La réalisation de journées d’action,
des publications, des occupations, des
débats, des concerts, des expositions,
des tracts, des pancartes (« Expo = spéculation
» ; « Il reste 111.000 millions de
dette »), des autocollants, des bombages,
la séquestration de Fluvi (la
mascotte de l’Expo) perpétrée par un
groupe de masqués anonymes dont le
mot d’ordre est « La ville n’est pas pour
Collectifs Sociaux ou des Radios Libres,
etc… toutes ces actions se poursuivent
depuis deux ans, rompant le silence
médiatique qui étouffe toute forme de
critique à l’encontre de l’Expo et du
modèle de ville qu’elle induit.
L’opposition à l’Expo 2008 passe
nécessairement par l’opposition à la
transformation de Saragosse, qui n’est
rien d’autre que la création de ghettos
pour les plus pauvres et de cités-dortoirs
pour les autres, qui convertit la
voiture en un bien de première nécessité,
qui entraîne la disparition de l’espace
public et du petit commerce
comme lieux de rencontres, qui provoque
l’anonymat, l’individualisme,
l’isolement et le démantèlement des
collectifs de quartier, qui induit l’augmentation
de la répression et la diminution
des libertés.
L’image que « la Nouvelle Saragosse
» doit offrir à l’extérieur est
l’image du capitalisme, transformant
la ville entière en une marque commerciale
de plus, qu’on peut vendre et
acheter, qui est cotée en bourse et qui
traite ses habitants comme s’ils étaient
du bétail.
Méga-centres commerciaux, polygones
industriels, plateformes logistiques,
édifices de bureaux, cités dortoirs,
privatisation du centre de la
ville…Saragosse empeste le capitalisme,
la spéculation, les mensonges,
le béton et l’essence.
1°Mai 2008 –
Traduction de l’article signé ZH2NO, paru
dans la revue libertaire Ekintza Zuzena
n°34 (2)