mardi 15 juillet 2008, par
Alors que N. Sarkozy affiche, sans détours, sa politique destructrice du système de santé publique (1), on pouvait espérer des résistances à la hauteur des attaques, dans les centres hospitaliers où le mécontentement est grand parmi les personnels. Hélas, les quelques luttes ici ou là se délitent, isolées par la volonté des bureaucraties syndicales. Pourtant, c’est autour des collectifs ou comités de défense des hôpitaux de proximité que la colère et le rejet de cette politique semblent se cristalliser en associant personnels et usagers.
Mobilisations autour
de l’hôpital de Carhaix
Depuis de nombreuses semaines, les personnels de l’hôpital et la population de Carhaix luttent contre la fermeture de services de leur hôpital. Les services de chirurgie et de maternité de cette commune du Finistère connaîtront leur sort le 25 juin 2008, quand le tribunal administratif de Rennes statuera sur la légalité des arrêtés de fermetures. Pour l’ARH (Agence régionale de l’Hospitalisation : super préfet de la santé), l’affaire est close et réglée. « Les activités de chirurgie et de gynécologie obstétrique du centre hospitalier de Carhaix sont suspendues à compter du 6 juin 2008 ». En protestation, 7000 personnes défilaient pour s’opposer à ce projet.
Département pilote si l’on peut dire, le Finistère est durement fragilisé par la réforme hospitalière. Ses établissements publics périphériques sont touchés de plein fouet par les restructurations mises en œuvre. La nouvelle politique libérale du gouvernement accentue les difficultés : déficits financiers annoncés pour fonctionner et manque de personnel médical (médecins chirurgiens…) et non médical (infirmières, aides soignantes…). Deux arguments qui servent de prétexte au gouvernement pour accentuer la casse et les fermetures de sites. Ces arguments réels, mais martelés comme les causes de mesures urgentes et nécessaires à prendre, ne sont en réalité que la conséquence de politiques non assumées au fil de ces dernières décennies. Ce sont les gouvernements précédents qui ont bloqué par des quotas (numerus clausus) le nombre d’étudiants en médecine, créant la pénurie actuelle de médecins et spécialistes. Il en a été de même dans les centres de formations para médicales. Quant aux déficits annoncés, ils ont été créés par le non investissement budgétaire de l’Etat et ses désengagements financiers successifs des établissements hospitaliers. Le tout aggravé par la politique de N. Sarkozy avec sa réforme des hôpitaux qui fait le bonheur des cliniques privées et de leurs actionnaires (1).
Pour d’autres hôpitaux bretons, c’est la fin des urgences de nuit à Concarneau, Douarnenez et Pont l’Abbé. Déménagement des « alogreffes » de Brest vers Rennes ; la fin de la maternité et de la chirurgie à Quimperlé… Face aux annonces gouvernementales, les personnels et usagers se sont regroupés en comités inter régional de défense des hôpitaux ou de maternités de proximité. Ils tentent de se coordonner pour riposter et ne désarment pas.
Devant le diktat du ministère de la santé et du gouvernement, via son représentant de l’ARH, les opposants ont même durci leur mouvement de lutte. Ils ont paralysé le centre ville de Quimper, où certains, encagoulés et armés de bâtons, ont manifesté de façon musclée devant la préfecture où les attendaient les forces de l’ordre républicain. Après le blocage du centre ville et quelques heurts, les manifestants se sont rendus à Châteaulin devant la permanence du député UMP. « On reviendra tous les jours s’il le faut, si l’état n’engage pas de négociations » a dû déclarer le Maire de Carhaix (Divers Gauche). Ainsi le samedi 20 juin, la manifestation calme du matin va de nouveau dégénérer en affrontement violent l’après-midi. Sans oublier la séquestration du directeur de l’hôpital, ainsi que de nombreuses autres actions.
Face à cette situation, la ministre de la santé R. Bachelot a laissé entendre le possible déblocage d’un million d’euros consacré à la création d’un centre périnatal et d’un héliport pour les urgences. Pourtant dans le même temps, 2005/2007, 1,8 millions d’euros du contribuable a servi à restaurer les églises de Berrien et Huelgoat, non loin, dans les monts d’Arrée.
Au delà du Finistère
et de la Bretagne
La même politique est imposée partout ailleurs. Clamecy, Lannemezan, Lézinian, Arcachon, Champagnole, Ruffec etc. Il y a 351 hôpitaux de proximité. Ce sont quelque 217 en province, et 18 en Ile de France (déclarés vulnérables, dans le jargon ministériel) qui seront fermés ou amputés de services. De 1992 à 2001, 120 maternités ont déjà été rayées de la carte hospitalière (1). Sont disqualifiés et déclarés vulnérables les établissements qui enregistrent moins de 4 000 séjours par an en chirurgie. Pour les maternités, le seuil sensé garantir la sécurité et une bonne qualité de soins est fixé à 300 accouchements. La maternité de Clamecy avec ses 218 accouchements disparaît. Là aussi la riposte s’est organisée. A l’appel du comité de défense, 5000 personnes se mobilisent. La ville n’avait pas connu une telle manifestation depuis… des siècles.
Cette politique de casse et de destruction du service public de santé hospitalier s’accélère depuis les dernières élections municipales. Elle correspond aux vœux du président, émis lors de ses discours de Bordeaux et de Neufchâteau dans les Vosges. Les missions seront reconcentrées et regroupées au sein d’un même territoire sanitaire. Ce désengagement de l’Etat fait saliver les assurances et mutuelles privées. La création de ces regroupements sanitaires de territoires se fait au profit des cliniques privées, qui voient leur nombre augmenter et leurs profits s’envoler. Cette politique, qui se fait au nom de la sécurité du patient et de l’usager, comme aiment le marteler le gouvernement et sa ministre rose bonbon de la santé, entraîne une désertification locale de l’offre de soins de proximité, en excluant une frange grandissante de population fragilisée, précaire et vieillissante. L’éloignement des lieux de soins provoquera des frais supplémentaires (franchises médicales de transport…) et augmentera les risques dus à la perte de temps dans les prises en charge de « l’urgence ». Eprouvée dans d’autres services publics, cette politique s’accompagne de son lot de mobilité et de suppressions de postes de personnels soignants : 20 000 emplois seront ainsi économisés dans la fonction publique hospitalière.
D’ailleurs il semblerait que, depuis 2001, les gouvernements aient infléchi certaines orientations concernant les hôpitaux de proximité. Ils ne les fermeraient plus systématiquement ; ils deviendraient des hôpitaux de petites urgences, des centres de périnatalité ou des lieux de prise en charge, longue durée, pour des personnes âgées.
Côté gouvernemental : « Il ne s’agit pas de fermer les hôpitaux mais d’apporter des soins adaptés aux populations et rationaliser l’offre de soins ; car si l’on ne maîtrise pas les comptes le système va s’écrouler ». Pour la maîtrise des comptes, le gouvernement compte surtout sur ses nouvelles mesures calquées sur les entreprises privées. Transformation des hôpitaux publics en entreprises industrielles et commerciales ; mise en place d’un directeur avec des pouvoirs d’un chef d’entreprise privée ; tarification à l’activité etc. (1).
Il suffirait que le gouvernement reverse ses taxes dues, et que ses amis du patronat s’acquittent des exonérations dont ils ont su tirer profit, pour que les comptes des hôpitaux et de la sécu retrouvent une santé. Cette destruction du système de santé publique n’est que l’aboutissement des politiques libérales, menées par les gouvernements de gauche et de droite, qui se sont succédé au pouvoir. Ainsi, l’hôpital de Lézignan dans l’Aude, en 1986, se trouve amputé de sa maternité. Avec moins de 300 accouchements par an, il n’aurait plus assuré la qualité des soins garantis par le ministère. Puis, en 2005, les services de chirurgie et les blocs opératoires, et en 2007, le service des urgences furent à leur tour fermés. La résistance du collectif de défense de cet hôpital de 300 lits ne désarme toujours pas et refuse sa transformation en centre de retraite. Le centre des urgences fermé coûtait 838 000 euros dans la nouvelle configuration du territoire de santé, l’état propose à ces 89 communes et 48 000 habitants un nouveau système qui coûtera quelque 3 millions d’euros !! Le collectif de défense cherche toujours où sont les économies réalisées.
Des collectifs de défense…
Aux annonces successives de N. Sarkozy concernant ses attaques contre la santé et les hôpitaux, nombreux sont les personnels et usagers qui se sont mobilisés. De Bretagne en Bourgogne, du Languedoc-Roussillon en Ile de France, les comités de défense prennent de l’ampleur. Ils seraient une centaine à ce jour. Certains, tel celui de Bellay dans l’Ain, regrouperaient plus de 2000 adhérents.
Alors que la réforme sévit aussi dans les grands centres hospitaliers - fermetures de lits, suppressions de postes, mobilités…-, les résistances restent peu nombreuses malgré les appels des sections syndicales. Velléités de lutte affaiblies par les bureaucraties confédérales qui ne désirent pas de mouvement d’ensemble combatif.
Les collectifs de défense qui se créent regroupent personnels (médicaux et non médicaux), usagers (lambda, militants : syndicaux, associatifs…) et notables locaux. Si ces « ensembles » dynamisent actions et mobilisations, les intérêts différents des uns ou des autres obligent parfois à composer. Si tous défendent l’hôpital, l’accès aux soins de proximité pour les populations, les motivations ne sont pas sans arrière-pensées. Si les personnels et les usagers se mobilisent pour l’hôpital - lieu de soin et lien social d’un système de santé solidaire de proximité -, les notables (maires, conseillers, députés) se retrouvent parfois impliqués bien malgré eux. Electorat oblige, il leur faut bien être sur la photo. Ils redoutent et déplorent la méthode gouvernementale utilisée par la ministre de la justice, dans la suppression des tribunaux de proximité. La réforme de la carte judiciaire menée à la hache par Rachida Dati a laissé des traces et a soulevé nombre d’oppositions, surtout pour les députés de droite. Il va de soi que les attitudes et engagements, des uns et des autres, envers les comités de défense, varient plus en fonction des propositions gouvernementales de préservation d’emplois à négocier que de leur casquette politique. Tous désirent que « la réforme soit accompagnée en douceur et soit juste » (N. Dupont-Aignant, UMP de l’Essonne). Son homologue JP. Grand, dans l’Hérault, voit dans la disparition des services publics, et maintenant des hôpitaux, des zones désertifiées. H. Emmanuelli (PS) « … n’est pas hostile à l’idée qu’il faille faire 40 ou 50 kilomètres pour avoir un bon plateau technique ». Tous sont acquis à la réforme sur le fond. Mais c’est la méthode de l’impulsif de l’Elysée qui les inquiète. Pour C. Evin, ancien ministre PS de la santé, « les mutations sont nécessaires ; nous plaidons pour des mutations en douceur. Les fermetures brutales, non ! ».
…à la coordination
nationale
La coordination nationale des comités de défense émerge en Avril 2004. Elle se positionne pour le maintien du service public de proximité et l’arrêt des restructurations destructrices en cours, pour contrer un désert médical en pleine extension. Par ailleurs, elle appelle à « soutenir les mobilisations citoyennes les plus larges et pluralistes, pour défendre une vision égalitaire et humaniste du service public ». Coordinatrice tant bien que mal des collectifs, elle agit aussi en lobby. Ainsi la table ronde « hôpitaux de proximité face au désert médical », à l’assemblée nationale avec une soixantaine de représentants de comités, verra ensuite un groupe de 80 députés et sénateurs demander au gouvernement et à la ministre de la santé et des sportifs un moratoire sur la fermeture des services. Suite à sa dernière assemblée générale à Aubenas en Avril 2008, la coordination appelle à faire « grandir partout les mobilisations pour s’opposer à la destruction des hôpitaux et maternités de proximité et au-delà aux atteintes portées à notre système de santé solidaire ».
Pour une riposte globale
Les mobilisations syndicales, dans l’hôpital et sur les mêmes problèmes, sont insignifiantes par rapport aux enjeux actuels. Elles sont la conséquence des lassitudes créées par les confédérations syndicales avec leurs journées « d’inaction » nationales, démobilisatrices.
Les luttes partielles ne remettront sans doute jamais le système en cause, mais l’intérêt est qu’outre leur existence, les rencontres, les jonctions s’avèrent nécessaires pour une vision plus globale des enjeux.
L’intérêt des dynamiques des collectifs de défense (certes inégales) est qu’ils supplantent la section syndicale « restrictive » d’un site hospitalier pour devenir lieux de lutte et de résistance des personnels et des usagers. Ainsi en Bretagne, par exemple, ce sont les collectifs de soutien en coordination locale qui prennent l’initiative de la manifestation du 20 juin, obligeant du coup les bureaucrates syndicaux à les rejoindre. Si les comités de défense ouvrent une voie et créent une brèche, alors il faudra que l’ensemble des salariés et les usagers de la santé les rejoignent, pour construire la mobilisation globale, contre les politiques de Sarkozy, mais aussi contre tous ceux qui à droite ou à gauche les accompagnent.
MZ Caen le 20 06 2008.
1)Lire l’article « La mort annoncée de l’hôpital public », Courant Alternatif n° 181, juin 2008