mardi 15 juillet 2008, par
La répression ne cesse de s’amplifier au Pays Basque, des deux côtés des Pyrénées, et la collaboration entre les gouvernants, les policiers et les juges se fait de plus en plus active.
Face à ces agressions des Etats, les seules armes sont la mobilisation collective toujours et encore et la solidarité plus que jamais : d’où la manifestation le 14 juin à Bayonne qui a réuni plus de 1500 personnes.
La répression vise très large et tous azimuts, atteignant par exemple des gens qui font vivre des structures associatives : des syndicalistes condamnés à de lourdes amendes pour avoir défendu l’installation d’un couple de paysans sur une terre agricole achetée collectivement par le GFA –mutuel du Pays Basque, des poursuites engagées contre deux auteurs de graffiti ayant refusé de se prêter au test ADN, les interpellations de deux porte-parole du collectif Lurra qui lutte contre la spéculation immobilière, la convocation et l’interrogatoire par la Gendarmerie de jeunes mineurs (de 14 ans à 17 ans), suite à leur participation à une manifestation contre la répression en novembre 2007.…
Plus récemment, une nouvelle attaque a été imaginée par les institutions judiciaires, une branche de plus qui s’ajoute au vaste tronc de la répression composé de la prison (parmi les 740 prisonniers politiques basques, pas moins de 170 sont incarcérés dans l’Etat français), de la torture, des illégalisations, des expulsions, de la fermeture de médias…. Cette nouvelle attaque, c’est la punition économique.
Ainsi les juges antiterroristes (l’Espagnol Garzon et sa consoeur française Levert) ont-ils décidé, sans autre forme de procès et de façon totalement arbitraire, le blocage des comptes bancaires de 30 personnes, militant-es de Batasuna (parti illégalisé au Pays Basque Sud, pas en France), leurs conjoint-es et leurs enfants (16 familles au total) ainsi que de 3 associations culturelles. Ce blocage dure depuis avril. Aucune explication n’a été fournie ni par la justice, ni par les banques et ces dernières disent être menacées de sanctions pénales si elles donnent la moindre précision ; elles refusent par ailleurs de débloquer le minimum vital nécessaire aux besoins des individus et des familles concernés. L’accès au dossier, par l’intermédiaire d’un avocat, n’est pas même possible, puisque aucune accusation, s’il y en a une, n’a été communiquée.
Parmi les associations dont les comptes ont été bloqués, il y a la maison d’éditions Gatuzain, qui depuis dix ans, publie des auteurs qui ont un message à transmettre, des passeurs de mémoire, des militants au quotidien. Gatuzain a adressé la motion ci-jointe, que l’OCL a signée et que nous reproduisons ici afin que d’autres l’adoptent.
Gatuzain, B.P. 2 Larresoro
gatuzain(a)wanadoo.fr
Il y a quelques semaines, le blocage de 33 comptes bancaires a été ordonné en Pays Basque nord. Certains articles de presse parlent d’une décision d’un juge espagnol, qui aurait demandé à un juge français de placer des comptes sous séquestre. Outre les personnes directement concernées, trois associations ont également vu leur compte bloqué, du simple fait de faire figurer l’une de ces personnes parmi les titulaires de la signature du compte.
La maison d’édition Gatuzain est l’une d’entre elles. Du fait de cette mesure, ses ressources matérielles se voient gelées, son fonctionnement quasi-paralysé. La situation est d’autant plus grave que l’établissement bancaire se refuse à donner quelque explication que ce soit : « nous n’avons pas d’explication à vous donner, c’est une décision d’un juge », disent les banques, au mépris du devoir d’information et de toute possibilité de recours normalement garantis dans de tels cas. Faute de savoir combien de temps la procédure pourrait durer, ni quelle en sera l’issue, c’est l’avenir même de la maison d’édition qui en péril.
En tant qu’acteurs du monde de l’édition, nous connaissons Gatuzain comme un partenaire actif du paysage culturel basque. Porteur d’une ligne éditoriale qui lui appartient et que chacun est libre de partager ou pas, cet éditeur contribue à offrir au public des outils de connaissance, de réflexion, de divertissement, dont on mesure la nécessité en ces temps de crise de la lecture. Le priver de ses ressources financières, c’est geler son activité culturelle ; c’est l’empêcher de laisser s’exprimer ses auteurs ; c’est priver le lectorat d’une partie de sa liberté de choix. En qualité d’acteurs du monde de la culture et de la pensée, nous nous inquiétons devant ce qui s’apparente clairement à une atteinte à la liberté d’expression.
Il ne nous appartient pas de commenter le bien-fondé d’une décision émanant des autorités judiciaires. Mais nous tenons à souligner le fait qu’entraver l’action d’une maison d’édition, sauf à démontrer le danger qu’elle représente pour la société, c’est attenter à la libre circulation des idées, ici comme dans le reste du monde. Or, à cet égard, devant le blocage des comptes de Gatuzain, nous ne pouvons que rester perplexes devant le fait qu’aucune procédure n’ait été ouverte contre les éditions elles-mêmes. Si véritablement délit peut leur être reproché – on se demande bien lequel – pourquoi la décision judiciaire porte-t-elle uniquement sur leur compte bancaire ? Cette mesure donne l’impression de chercher à priver un éditeur de ses moyens, en attendant semble-t-il qu’il meure de sa belle mort financière, étouffé par des créances qu’il ne pourra honorer. Il sera alors toujours temps de présenter des excuses pour dire qu’on s’était trompé. Un éditeur dont la respectabilité et le rôle culturel sont par ailleurs reconnus, ne serait-ce que du fait d’être régulièrement subventionné par diverses institutions ou collectivités territoriales.
Nous ne pouvons pas accepter l’attitude de la banque, qui s’abrite derrière l’ordre hypothétique d’un juge. Si celui-ci existe, elle doit le produire ; s’il n’existe pas, elle doit laisser Gatuzain avoir libre accès à ses comptes et rembourser les dommages subis.
Dans le cas où la banque dirait vrai, nous ne pouvons pas non plus accepter l’attitude des juges. Les procédures judiciaires – quelles qu’elles soient et aussi justifiées qu’elles puissent être aux yeux du droit – sont toujours des décisions graves et lourdes de conséquences ; elles ne peuvent être appliquées sans un minimum d’explication, de voies de recours ; rien de cela dans ce cas d’espèce. Cela donne toutes les apparences d’une mesure liberticide.
Il existait au Moyen-Âge des lettres de cachet : on pouvait jeter n’importe qui en prison, lui confisquer ses biens, sur simple décision d’un prince. On croyait cette période abolie, elle revient en force, au XXIe siècle. Même les talibans raflés de Guantanamo, les opposants chinois, les livres interdits de par le monde savent pourquoi, de quoi on les accuse. Et ils peuvent au moins chercher à se défendre. Si des accusations sont portées contre Gatuzain, le juge doit le dire et permettre à l’éditeur de se défendre. Sinon, il doit au plus vite annuler son acte, et lui aussi réparer les dommages.
Personne, pas même les juges, n’est au-dessus des lois ; celles-ci doivent être les mêmes pour tous. Et s’il s’avère que Gatuzain est victime d’une procédure abusive, d’un excès de zèle, au pire, d’une volonté politique d’étouffer sa voix, nous serons à ses côtés.
Faute d’éclaircissements sur tous ces points et au nom de la liberté d’expression, nous manifestons donc notre réprobation face à la mesure qui frappe Gatuzain, et assurons ses membres de notre totale solidarité.
Organisation Communiste Libertaire