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Les retraites : une charge ou un fromage ?

mardi 23 novembre 2010, par Courant Alternatif

Au moment où nous vivons un conflit social massif et important sur ce sujet, il est peut-être utile de rappeler quelques notions de base et de se poser la question de l’enjeu économique des retraites pour le système.


La retraite,
un problème
démographique ?

Tordons d’abord le cou à une idée reçue toujours très  prégnante : les retraites deviendraient un coût trop lourd à cause du vieillissement de la population. Actuellement, 54% de la population a entre 20 et 59 ans, en 2050 ce serait entre 45 et 47% suivant des prévisions fortement sujettes à caution.
Cette question est agitée depuis maintenant plus de 20 ans, et a servi à légitimer les nombreuses réformes successives de la retraite. Mais d’après le gouvernement, ce problème a été réglé en...2003, lors d’une précédente réforme conduite par un dénommé Fillon, qui était soi-disant la réponse définitive à cette question. Or la démographie ne change pas en 7 ans, ni même en 10. C’est sur une génération que ça se joue. En outre, il y a bien eu un léger changement en France depuis cette date : la natalité a repris en 2000 en France, les experts avaient alors prévu que ce n’était que provisoire, et comme d’habitude ils se sont trompés. La natalité en France reste plus élevée que dans la quasi-totalité des autres pays européens. Il serait aimable que les medias s’en souviennent à chaque fois qu’ils nous agitent que les autres pays européens ont déjà retardé leur départ à la retraite.
Cet argument fait partie de ces évidences trompeuses faciles à agiter pour impressionner les foules. Aux lendemains de la 2ème guerre mondiale, il y avait environ 10 fois plus d’agriculteurs en France qu’aujourd’hui, et la production était tout juste suffisante pour nourrir la population. A l’évidence, nous aurions dû être terrassés par la famine depuis bien longtemps. Se fixer sur la démographie, c’est oublier que nous vivons dans un système qui ne peut survivre que si la productivité augmente (avec tous les dégâts sociaux et environnementaux que nous dénonçons). La question n’est donc pas : combien d’inactifs pour combien d’actifs, mais comment doit-on partager les richesses produites entre actifs et inactifs ? Et là-dessus, il y aurait quand même une autre évidence à rappeler : à moins qu’on ne décide de tuer tous les vieux, soit cette richesse est partagée sous forme de cotisations retraites, soit ils seront à la charge de leur famille, à qui il n’est pas certain que ça revienne moins cher que des cotisations retraites.... Les seules générations futures pour qui une réforme serait avantageuse sont les orphelins pourvus d’une descendance nombreuse...

Surtout, cet argument fait l’impasse sur un léger détail, la lutte des classes. En effet, dans notre système, les retraites font globalement partie des salaires. C’est-à-dire qu’on considère que c’est un salaire différé, un salaire qu’on ne touche pas aujourd’hui pour le toucher demain. De ce point de vue, que les cotisations soient payées par les employeurs ou leurs salariés, la question est la même, il s’agit de la rémunération du travail. Evidemment, si on considère les profits comme intouchables, le poids des retraites devient très lourd pour les salariés.
Fondamentalement, le compromis social sur les retraites est de même nature que le compromis social sur les salaires. Ce qui différencie les deux, c’est que les salaires sont le résultat de rapports de forces au niveau des professions, alors que la retraite est institutionnalisée et fixée globalement sur tout le territoire. Ce qui est gagné sur les retraites est gagné pour tous, à la différence de luttes de boîtes où ce qui est arraché ne vaut que pour la boîte en question. Et le déficit du système de retraite peut être considéré sous l’angle du déficit de notre porte-monnaie : c’est la conséquence d’une attaque consciencieuse, durable, méticuleuse et organisée contre nos salaires, considérés sous tous leurs aspects. Le rapport de forces sur les retraites se confond avec le rapport de forces entre travail et capital sur les rémunérations.

La retraite,
un fromage potentiel

Notre système de retraite est un système par répartition : les cotisations qu’on nous prélève aujourd’hui servent à payer les retraites d’aujourd’hui (que ce soit pour la retraite de base ou les retraites complémentaires, même si les modes de calcul sont différents). S’il y a un équilibre à trouver, c’est donc aujourd’hui ou à brève échéance. Dans beaucoup de pays, la retraite est une retraite dite par capitalisation. Les cotisations sont accumulées pour être reversées sous forme de rente au moment du départ à la retraite. Bien sûr, pour être garanties contre l’inflation, elles sont placées. Ce sont les fameux fonds de pension qui alimentent les chroniques financières. C’est bien sûr un compromis social beaucoup plus favorable au capital : en attendant d’être reversé sous forme de pension, le salaire différé permet de financer les projets capitalistes. C’est aussi une tentative de mieux ancrer la collaboration de classe en liant le montant des retraites au montant des profits (par le biais des revenus des placements).
La retraite par capitalisation cadre mieux aussi avec le discours libéral qui s’est imposé dans l’ensemble de la société. La retraite par capitalisation, c’est je cotise pour moi et pas pour les autres. C’est aussi, chacun est libre, celui qui veut cotiser beaucoup cotise beaucoup, les autres, tant pis pour eux. La question de la retraite cesse d’être une question de lutte de classes, de défense des salaires contre le capital, pour devenir une question de liberté individuelle et de prévoyance personnelle.
Ca fait maintenant plus d’un quart de siècle que le patronat français essaie de détruire le système par répartition. Oh, bien sûr, il n’annonce (généralement) pas franchement la couleur. L’Etat a joué un rôle actif en défiscalisant certains produits pour encourager « l’épargne retraite », c’est-à-dire la retraite par capitalisation, mais intégralement financée par le salarié cette fois-ci, en complément de la retraite par répartition. Cette politique a été menée par les gouvernements de droite comme de gauche.
Dans un premier temps, ce n’est pas l’argument démographique qui a été avancé, mais un argument bien plus franc, celui de la défense du système capitaliste, sous l’habillement de la défense de la compétitivité des entreprises françaises. En effet, le gros argument du patronat était de dire que par le biais des fonds de pension, les pays disposaient d’une force de frappe financière très importante, et que les entreprises françaises avaient plus de mal à se financer sur le marché national du fait de l’absence de fonds de pension importants. Développer la retraite par capitalisation est donc devenu un « impératif économique ». Quelques crises financières plus tard (avec leurs conséquences négatives sur les placements retraites et l’exemple de la ruine de salariés des pays anglo-saxons), cet argument a été prudemment remisé au placard. Pas sûr que les salariés français, même cadres soient prêts à perdre leur épargne pour le bonheur des spéculations financières.
Il faut voir aussi que chaque déclaration institutionnelle pour dire que notre système de retraites est en danger et qu’il faut le sauver (ce qui est le discours de légitimation de toutes les réformes de destruction du système de retraites) est une formidable campagne publicitaire gratuite pour les sociétés d’assurances et les banques qui vendent des assurances vie et des produits épargne retraite. Rappelons qu’un des frères de Nicolas, Guillaume Sarkozy, est certes l’ex-président du MEDEF, mais est aussi le président du groupe Mederic-Malakoff, n°1 des groupes paritaires de protection sociale, n°2 de la retraite complémentaire et n°3 en santé collective (classement Argus de l’Assurance)... En effet, au fur et à mesure que la retraite de base se réduit comme une peau de chagrin, c’est un formidable nouveau marché qui s’ouvre pour les sociétés d’assurances, et une formidable pompe à finances pour la Bourse.


Un « déficit » de la retraite
pas perdu pour tout le monde

Précisons d’abord ce « déficit ». L’INSEE estime le déficit de l’ensemble de la protection sociale (maladie etc compris) à 24 milliards en 2009 (derniers chiffres disponibles). Ce déficit est d’abord lié à la crise qui entraîne une baisse des cotisations sociales à cause de l’augmentation du chômage et de la stagnation des salaires, et donc aussi une augmentation des prestations sociales (chômage, etc.). En ce qui concerne les retraites, le mieux est de citer cet organisme gouvernemental : « Seules les prestations vieillesse ont ralenti en 2009 (+ 4,3 % après + 5,0 % en 2008). La durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein a en effet été allongée et les conditions de départ en retraite anticipée ont été durcies. » (1) Bref, ce n’est peut-être pas les retraites les premières causes de déficit... D’ailleurs le gouvernement a déjà dans les cartons des projets de réforme de la sécurité sociale....
Bon, et que se passe-t-il avec ce déficit ? Vous vous rappelez la CSG ? Nous finançons un fonds public pour que l’Etat rachète la dette de Sécurité Sociale. Citons la suite du texte précédent : « Enfin, la charge d’intérêts portée par les administrations de sécurité sociale a très fortement diminué : la Cades a repris 10 milliards d’euros de dettes fin 2008 et 16,9 milliards d’euros début 2009 ; par ailleurs, les taux d’intérêt ont fortement baissé. » C’est toujours l’I.N.S.E.E. qui le dit... En effet, en France, les comptes de la Sécu ne sont pas ceux de l’Etat. Par contre, nous payons une taxe pour que l’Etat puisse financer ce déficit. Nos impôts ont bien payé celui du Crédit Lyonnais (environ 16 milliards d’euros à l’époque), ils pourraient payer un déficit ponctuel ou durable pour une meilleure retraite....
Mais bien sûr, ce n’est pas la solution retenue. Comme toujours, la solution retenue avantage les marchés financiers : régulièrement, les organismes de Sécurité Sociale font des emprunts pour financer leur trésorerie, et qui leur prête de l’argent ? Les banques, les fonds de pensions, les sociétés d’assurances certaines de réaliser une bonne affaire : contrairement aux discours qu’elles tiennent publiquement, elles savent bien qu’il s’agit là d’un débiteur de confiance, qui paiera rubis sur l’ongle. Et puis, voyez comme la vie est bien faite, plus on fait courir de rumeurs sur la faillite du système, plus il est considéré comme risqué, et plus il devient justifié de demander des taux d’intérêt plus élevés pour financer le déficit dudit système, et plus son financement devient rentable...

Quels enjeux ?

Le premier enjeu est bien sûr celui de nos salaires. Cette attaque a commencé déjà depuis plus de 15 ans. Il n’y a pas que la question de l’âge du départ à la retraite, il y a aussi celle de la durée des cotisations et du salaire qui sert de référence au calcul. Et de ce point de vue, le PS ne vaut pas mieux que l’UMP. Ceci dit, l’histoire de la décote, c’est-à-dire qu’on retire en plus un certain pourcentage par année manquante sur la fraction de retraite à laquelle on aurait droit rend très importante la question de l’âge limite de travail. Rappelons que traditionnellement, au début des 30 Glorieuses, la vieillesse était synonyme de misère. Lorsque avec la crise précédente on a commencé à parler de « nouveaux pauvres », c’était justement pour désigner le fait que les pauvres n’étaient plus majoritairement des vieux, mais des jeunes ou des personnes d’âge actif. Ces « nouveaux pauvres » sont toujours là, mais la pauvreté progresse maintenant de façon foudroyante chez les seniors. Nous sommes toujours dans la rupture du compromis social fordiste.
Nous retrouvons ici tout ce que nous avons écrit dans les Courants Alternatifs précédents sur la crise. Le même processus est à l’oeuvre qu’en Grèce et ailleurs en Europe. Le financement du déficit a été confié aux marchés financiers qui sont alors en mesure non seulement de réaliser de bonnes affaires mais de dicter les mesures de politique économique par le biais du prix qu’ils font payer à ce financement. Il faut en effet « avoir leur confiance » pour obtenir des conditions de financement avantageuses. Et comme le poids dans ces marchés financiers des banques, des fonds de pension et des sociétés d’assurances qui ont tous intérêt à la disparition de la retraite par répartition est déterminant... La question est de savoir si le système peut changer de mode de financement de la protection sociale. Le lecteur de Courant Alternatif peut trouver à bon droit que ce n’est pas son problème. Mais c’est un élément qui pèse dans l’évaluation de nos chances de gagner dans le conflit social actuel.
Nous retrouvons aussi une continuité avec l’analyse de la crise, car on peut considérer que ce projet de réforme est partie intégrante des différents plans d’austérité européens pris pour satisfaire les marchés financiers. La Grande Bretagne vient d’ailleurs de se signaler en tapant encore plus fort, sans pour le moment d’énormes réactions. Nous posions alors la question des capacités de résistance des populations européennes. Nous y sommes. Rappelons aussi qu’il s’agit d’un processus sans fin. Les marchés financiers exigent des mesures d’austérité qui ne font qu’aggraver la crise de surproduction, suite à quoi ils baissent leurs notations en exigeant toujours plus de mesures d’austérité... Si la réforme des retraites passe, la nouvelle réforme arrivera très vite.

Tout ceci ne doit cependant pas nous faire oublier l’essentiel. Si les manifestants hurlent sur tous les tons qu’ils tiennent à la retraite à 60 ans, si on n’avait pas connu de mouvement d’une telle ampleur depuis longtemps, c’est pour une raison simple. Nos conditions de salaire, mais surtout aussi nos conditions de travail se sont dégradées, la précarité s’est généralisée, bref, la vie au travail ressemble d’autant plus à un enfer que les solidarités collectives sont brisées et la concurrence générale entre salariés est devenue le mode dominant de management, secteurs privé et public confondus. Il y avait un deal spécifique à la France : on presse le citron au maximum (la productivité horaire du travail y est une des plus élevées au monde, et la productivité par personne a augmenté de plus de 50% en 10 ans), mais on le laisse sortir avec encore un peu de jus. Le gouvernement a exprimé clairement comment il comptait modifier le deal. Pourront partir plus tôt ceux qui ont une incapacité de 10 à 20%, c’est-à-dire que pourront s’arrêter de travailler ceux qui ne sont plus en mesure de travailler... Autrement dit, il en est des salariés comme des machines, quand ils sont trop fréquemment en panne, on les met au rebut. Ce qui est en jeu au-delà des retraites, c’est notre vie, et notamment notre vie au travail. Ce que ce mouvement exprime, c’est un rejet massif des conditions de travail et de la précarité.


Sylvie, le 27 octobre


(1) Tableaux de l’économie française en version électronique.

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