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Courant alternatif 222 - été 2012 vient de sortir

Avec Hollande, le changement c’est la continuité

dimanche 1er juillet 2012, par admi2


Avec Hollande, le changement c'est la continuité

Pacte de croissance, Ministère du Redressement Productif, un autre chemin pour l’Europe... Avec François Hollande, c’est le changement maintenant dans la gestion de la crise, à en croire les discours. Esbroufe totale, pure opération de marketing pour mieux habiller une politique qui restera inchangée ? Nous faisons bien sûr une totale confiance au P.S. pour servir au mieux les intérêts du capital et assurer la poursuite de l’exploitation. Mais existe-t-il des marges de manœuvre dans la gestion de la crise, et si oui, François Hollande aura-t-il la volonté politique d’imposer certaines mesures à une fraction du capital ? La réponse est d’autant moins simple que nous sortons tout juste de la campagne électorale : nous ne pourrons juger sur pièces que plus tard. En attendant, on peut quand même se pencher sur les promesses et les symboles.

Le redressement productif

C’est le nouveau nom du ministère de l’industrie. A part le nom, il y a quand même un changement : il récupère la tutelle conjointe de l’agence des participations de l’Etat. Le ministère de l’industrie aura donc un tout petit peu plus de pouvoir vis-à-vis de Bercy et de l’industrie qu’avant.

Ce ministère du redressement productif fait écho à tous les discours de gauche comme de droite qui s’inquiètent de la désindustrialisation de la France. Toute la question est de savoir ce que recouvre ce phénomène et ce qui l’explique. Pour les partis qui se partagent le pouvoir, la cause est entendue : c’est le résultat de la perte de compétitivité des entreprises françaises (en réalité, ce n’est pas si simple). Généralement, ce qui suit cette constatation, c’est la dénonciation du coût du travail trop important, des charges sociales trop lourdes, etc. D’ailleurs, avant même le vote des législatives, Hollande a annoncé que le coup de pouce au SMIC serait modeste. Voilà qui ne nous change pas trop de Sarko.

Mais en réalité, le patronat ne s’intéresse au coût du travail que pondéré par sa productivité. Payer deux fois moins quelqu’un qui produit cinq fois moins (du fait de sa qualification, mais aussi de l’équipement et des infrastructures disponibles localement), ce n’est pas très avantageux. D’ailleurs, les ouvriers allemands ne sont pas plus mal payés que les ouvriers français et l’Allemagne reste une puissance industrielle compétitive. Si on parle productivité, ça devient plus complexe : elle dépend de la formation, de la qualité des infrastructures, donc d’investissements publics, de la santé de la main d’œuvre, donc d’une bonne protection sociale, et de la technologie, donc de l’investissement des entreprises. C’est là qu’on entre dans le domaine des contradictions entre capitalistes, et des contradictions entre la logique de recherche de profit à court terme, qui est la logique naturelle du capital, et la logique de pérennité du profit à long terme, que peut éventuellement imposer l’Etat.

Qu’a promis Hollande ? Le « patriotisme industriel » ! Ca ne s’invente pas... Derrière ce fouillis idéologique (à ne pas négliger, car il en dit long sur les glissements de notre société), peuvent se dégager quelques lignes.

– Un soutien au développement des PME et des établissements de taille intermédiaire
C’était aussi le discours de Sarko, mais de façon moins construite. C’est effectivement un des points faibles de la France, ce qui fait la différence avec l’Allemagne, c’est un réseau de moyennes entreprises très faible en France. Comment l’Etat peut-il soutenir ces entreprises ? Bonne question ! L’essentiel des PMI (PME de l’industrie) travaillent comme sous-traitants. Ce qui est déterminant pour leur sort, c’est la politique des grands groupes, en gros, partenariat ou pressage de citron ? Les entreprises allemandes ont choisi le partenariat (garanties à long terme de prix et de quantités, aides financières...) et les françaises de presser le citron (contrats avec les moins chers, utilisation de la pression de la concurrence internationale...), et ce depuis très longtemps (on m’expliquait déjà ça en fac il y a 30 ans). Les différences historiques et culturelles nationales ça existent, aussi pour les dirigeants des grands groupes. Les possibilités d’action de l’Etat dans ce domaine sont donc très faibles. Il peut favoriser la compétitivité de ces entreprises par des aides ciblées (formation, équipement...) pour leur permettre de jouer sur d’autres atouts que ceux des coûts (pour le moment, nos salaires n’ont pas rejoint ceux des Birmans). Les effets en seraient plutôt à long terme, et donc pas très payants électoralement.

– Sujet qui nous concerne plus directement, la politique des grands travaux nuisibles et inutiles.
Il est plus que probable que le fameux moratoire sur Notre Dame des Landes ne soit que le symbole qui permette de faire avaler la pilule de tous les autres grands projets européens, dont NDDL d’ailleurs. Et dans nos luttes, on ne nous opposera plus seulement l’argument de l’emploi, mais celui du patriotisme, de l’intérêt général et de la croissance... Des lendemains de durcissement et de répression sont à prévoir. Il y a cependant un bémol : ces grands projets sont très liés aux financements européens, et là-dessus, comme on va le voir plus loin, tout n’est pas joué.

– Une réorientation de la fiscalité, de l’épargne et du système bancaire, ce qui ne mange pas de pain tant qu’on n’en précise pas les modalités.
En réalité, c’est là qu’on verra si le PS n’est là que pour l’enrobage ou s’il propose réellement une inflexion de la politique économique. Réorienter réellement la fiscalité et l’épargne vers « l’économie réelle » exige de toucher à des privilèges et d’encadrer réglementairement les banques. En effet, les grandes entreprises paient aujourd’hui beaucoup moins d’impôts que les petites : Sapin osera-t-il faire payer Renault pour aider les survivants de la chaudronnerie ? Osera-t-il taxer réellement la spéculation financière ? Poser des conditions aux subventions des banques ? On peut avoir de gros doutes, même si la réponse n’est pas certaine.

On notera qu’il n’est pas question ici d’augmentation du pouvoir d’achat, d’amélioration des conditions de travail ou de renforcement de la protection sociale. A ma connaissance, rien n’a été promis à ce sujet, et pour cause. C’est une nouveauté. La gauche ancienne version prônait la relance par la demande, proposait des augmentations de salaires pour relancer la consommation et donc la machine capitaliste. La gauche moderne et libérale ne recherche plus ce compromis social : c’est uniquement d’arbitrages entre intérêts capitalistes qu’il est question ici. Mais des arbitrages qui nous concernent, car ils auront des conséquences sociales, écologiques, et probablement politiques.

Le pacte européen
de croissance

Tout d’abord, Hollande n’a jamais parlé de rompre avec les plans d’austérité, et s’est engagé à respecter les objectifs d’équilibre budgétaire. Ca démarre donc assez mal pour la croissance. Propose-t-il quelque chose ou la querelle franco-allemande n’est-elle destinée qu’à amuser la galerie ?
Le consensus fort entre européens, d’abord : encore et toujours les grands travaux contre lesquels nous nous battons. La banque européenne d’investissements a déjà prêté 61 milliards d’euros l’année dernière, dont moins de 6 en France, derrière l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne. Il faut noter que la France reste fidèle à ses traditions : c’est pour elle que les projets sont les plus coûteux à l’unité. Nous aimons les Très Grands Travaux. Il est difficile de s’y retrouver dans les chiffres car la philosophie européenne est de mélanger financements publics et financements privés. Par exemple, l’Union Européenne prévoit de débloquer cette année 230 millions d’euros pour l’ensemble de ces projets (dans toute l’Europe). C’est très peu (la seule LGV Tours-Bordeaux a nécessité un emprunt de 1,2 milliards à l’Europe). Mais l’idée est que ce prêt de base incite les financeurs privés (fonds de pension, assurances, …) à investir. La poursuite de la politique des grands travaux dépend donc de leur attractivité pour le privé, de leur rentabilité. Si on suit l’argumentation des opposants, celle-ci n’est pas assurée. Les choses sont d’ailleurs encore plus complexes : le tunnel sous la Manche a été une ruine pour ses actionnaires, mais son exploitation est rentable, merci, et les banques s’y sont enrichies, comme d’hab. Sauf que les investisseurs privés ne vont pas financer à fonds perdus pour la gloire de leurs petits camarades.
Ce genre de projets n’est généralement rentable qu’en faisant supporter les coûts par les contribuables et les consommateurs, comme pour le nucléaire par exemple. Pas sûr que ce soit très envisageable en temps de crise. Sauf qu’il y a une réelle volonté européenne, ces projets sont les seuls qui fassent l’unanimité (dans les allées des pouvoirs) dans l’espoir de relancer la croissance sans toucher aux profits à court terme et sans limiter l’appétit des privatiseurs.

Quelles sont les divergences ? Elles ne portent pas sur la question de fond   : tous proposent des politiques d’austérité qui ne peuvent qu’aggraver une crise qui est d’abord une crise de surproduction. Elles portent cependant sur un remède à apporter à un aspect important de la crise spécifiquement européenne : le financement des dettes des états européens. Pour le moment, chaque Etat emprunte de son côté sur les marchés financiers. Les conditions d’emprunt sont donc différentes d’un pays à l’autre, plus le pays est en difficulté, plus il paye cher. De plus, cette situation place chaque pays dans un rapport de forces défavorable pour ses négociations avec les marchés. Ce que propose Hollande et que refuse (aujourd’hui) Merckel, ce sont des euro-obligations, c’est-à-dire un emprunt fait directement par l’Europe dans lequel pourraient puiser les Etats. Elle le refuse parce que pour le moment, c’est l’Allemagne qui paye le moins cher. Les divergences portent aussi sur les conditions politiques de cet emprunt, et notamment laquelle des officines européennes financerait tout ça. L’Italie et la France proposent aussi un fonds d’amortissement des dettes anciennes (comme ça s’est déjà fait, avec quelques grincements de dents, pour certains pays du tiers-monde).

Hollande propose aussi une mesure plus technique. Mais les mesures « techniques » ont souvent plus de conséquences que les mesures médiatiques. Pour calculer un déficit, il faut savoir quelles dépenses (et recettes) on prend en compte : strictement budgétaires ou engagements hors budget, y compris la sécu (ce n’est pas la même caisse) ou non, … Il y a différents chiffres internationaux, notamment le déficit « Maastricht » (mesuré aux critères de Maastricht) n’est pas le même que le déficit public OCDE (mesuré aux critères de l’OCDE). Hollande propose d’exclure les investissements stratégiques validés par l’Europe du calcul (et revoilà les grands travaux !).

Si on résume, avec Hollande, ce qui change dans la gestion de la crise, c’est essentiellement le logo. Ca n’a rien de surprenant. En termes d’avancées sociales, il n’y a rien à attendre. Rien d’ailleurs n’a été promis si on lit bien. Est-ce que pour autant rien ne change ? Il faudra voir. On peut comparer avec une entreprise privée. Les salariés savent bien qu’ils ne peuvent attendre de leur direction, quelle qu’elle soit, que d’être exploités. Mais les techniques de gestion donc d’exploitation ne sont pas neutres en termes de conditions de travail, de dégâts nerveux et physiques sur les personnes, etc. Le gouvernement « de gauche » va fondamentalement dans la même direction que le précédent gouvernement de droite. C’est l’avenir qui nous dira s’il y a des éléments favorables à utiliser dans le rapport de forces. En attendant, il est probable que les grands travaux deviennent un enjeu plus central en terme de politique économique, et ceci va rendre la lutte à ce sujet d’autant plus sensible.

Sylvie

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