CA 233, octobre 2013
Un souffle de vie entre Bachar al-Assad et les djihadistes ? Le mouvement kurde à un tournant
mardi 15 octobre 2013, par
Syrie
Un souffle de vie entre Bachar al-Assad et les djihadistes ?
Plutôt que de se précipiter à faire un ou des communiqués forcément réducteurs sur les menaces d’intervention militaire et sur la situation en Syrie, nous avons voulu en savoir un peu plus sur un sujet que nous connaissons mal. Des textes de provenances diverses (libertaires et autres) ont été traduits (voir sur notre site (http://oclibertaire.free.fr/) et, en prenant un peu de temps, nous avons dégagé quelques pistes pour mieux comprendre la situation.
Beaucoup d’interrogations, peu de certitudes. Il va sans dire que nous considérons la menace d’intervention alliée pour une guerre propre et la défense des libertés comme une mascarade impérialiste. Mais une fois qu’on a dit que l’on condamnait, on n’a pas dit grand-chose. Car l’essentiel est de voir si existent des éléments matériels et réels (et non une projection idéologique sur ce qui devrait se faire au nom de telle ou telle doctrine) qui permettent d’avoir quelques espoirs sur la naissance d’une perspective « troisième voie » se situant en dehors du conflit Bachar al-Assad/djihadistes-impérialistes.
Le mouvement qui a éclaté en Syrie en mars 2012 n’est pas né, comme cela est dit trop souvent, dans les classes moyennes, principalement jeunes, et en milieu urbain. En réalité, ce qui s’est passé a été exactement le contraire, et c’est ce qui distingue la révolution syrienne de la (première) révolution égyptienne, par exemple. Les manifestations de masse en Syrie ont commencé et sont restées pendant plusieurs mois confinées aux régions marginalisées et négligées – les zones rurales telles que Deraa, Idlib, Deir al-Zor, Raqqa, les banlieues pauvres et les bidonvilles de Damas, etc. En dehors de quelques petites manifestations de solidarité, les grands centres urbains (Damas et Alep) n’ont pas vraiment bougé. Cela parce que les classes moyennes urbaines répugnaient à se placer du côté de la révolution : elles croyaient encore que le régime réussirait à surmonter cette « crise », de sorte qu’il était plus sûr pour leurs intérêts de garder le silence. En revanche, les gens des régions rurales n’avaient plus grand-chose à perdre, et leur forte identité régionale rendait plus facile la rupture avec le régime.
Cette situation s’explique aussi par le programme de « modernisation » de Bachar al-Assad mis en œuvre en 2000. Sa libéralisation économique du pays, célébrée par l’Occident comme autant de « réformes » bienvenues, a été réalisée par le biais d’un réseau mafieux de hauts gradés de l’armée et d’officiers de la sécurité, en partenariat avec de grands hommes d’affaires ; et elle s’est largement concentrée dans les centres urbains bourgeois traditionnels, pour leur plus grand bénéfice. En outre, cette libéralisation économique ne s’est pas accompagnée d’une « libéralisation politique » qui aurait rendu ces réformes plus acceptables par les gens – sauf pendant le « printemps de Damas », en 2000-2001, que le pouvoir a vite réprimé, de crainte que trop de libertés puissent déstabiliser son régime (1).
Progressivement, cette version syrienne du « printemps arabe » s’est transformée. D’autres acteurs sont entrés en scène : des cadres de l’armée qui ont formé l’ASL, des Frères musulmans et des salafistes qui ont créé le Front islamique de libération de la Syrie (FILS) et le Front islamiste syrien (FIS), des courants djihadistes rattachés à Al-Qaida (front al-Nostra et autres). Mais il faut compter aussi avec d’autres groupes locaux sans affiliations précises. Et si seuls les djihadistes dont en dehors de l’ASL, des alliances locales se nouent et se dénouent.
Cette militarisation a progressivement fait oublier à l’observateur occidental et à ses médias qu’il s’agissait au départ d’un affrontement entre un régime répressif et une population réprimée. La version « guerre civile » a pris le pas sur le soulèvement social. Pourtant, cette militarisation de la révolution syrienne n’est pas la totalité de la rébellion. Une bonne partie des contestataires de la rue ne sont pas devenus des combattants armés. Il continue d’exister des mouvements civils, pacifistes et non-violents (2) qui, tout en voulant la chute du régime d’Assad, ne veulent pas l’arrivée des djihadistes au pouvoir.
Reste à savoir ce que ces mouvements représentent réellement. Dans une conversation de Joshua Stephens (Institute for Anarchist Studies) avec un anarchiste syrien (http://oclibertaire.free.fr/spip.ph...), ce dernier donne un exemple : après que les forces de sécurité du régime se sont retirées de Yabroud pour qu’Assad puisse les concentrer ailleurs, les habitants se sont empressés de combler le vide : « Maintenant, nous sommes en train d’organiser tous les aspects de la vie de la ville par nous-mêmes [sic]. » Il ajoute : « A Darayya, dans la banlieue de Damas, où le régime a mené une féroce bataille depuis que la ville est tombée aux mains des rebelles en novembre 2012, certains habitants ont décidé de se réunir et de créer un journal (Enab Baladi) qui met l’accent sur ce qui se passe à la fois localement et dans le reste de la Syrie. Il est imprimé et distribué gratuitement dans toute la ville. » Il conclut : « Les principes de l’autogouvernance, de l’autonomie, de l’entraide et de la coopération sont présents dans un grand nombre des organisations nées au sein de l’insurrection. »
D’autres exemples existent que nous ne pouvons énumérer dans le cadre de cet article. Ne nous leurrons pas, ces initiatives sont faibles et minoritaires dans le contexte militarisé actuel, et elles se bornent le plus souvent à organiser la survie au milieu des bombes. Néanmoins, elles existent, et c’est de ces mouvements que pourrait émerger une « troisième voie » (Ni Djihad, ni Assad) si cette dernière parvenait à se constituer en une alliance de fait, sinon organique, avec les expériences menées dans le Rojava (nord-est kurde de la Syrie) par le mouvement kurde (voir à la suite l’article sur le mouvement kurde).
Depuis que les grandes puissances menacent le régime de Bachar al-Assad d’une intervention militaire, les analyses expliquant les événements syriens à travers le seul prisme d’une offensive impérialiste se multiplient à l’extrême gauche, en redonnant vie à une vision simpliste d’un monde simplement divisé en deux camps (les impérialistes et les autres). Ce qui a pour résultat de faire disparaître, là aussi, le fait que cette situation a été créée au départ par les soulèvements populaires dont nous parlions plus haut. En réduisant le conflit à un affrontement des forces mondiales capitalistes, on fait disparaître la réalité de la lutte des classes en Syrie.
Il faut bien sûr prendre en compte l’impact de l’impérialisme et de la mondialisation sur le conflit en cours : les luttes d’influence pour le contrôle des énormes richesses que la région abrite, la confrontation primordiale avec l’Iran, le rôle d’Israël, l’émergence de l’Arabie saoudite et du Qatar, les hésitations de l’impérialisme américain, et mille autres données qui constituent ce qu’on appelle la géopolitique. Le monde est alors vu comme un grand échiquier sur lequel s’affrontent rationnellement les grandes puissances officielles et de puissants intérêts occultes, et autour duquel journalistes et universitaires gravitent pour commenter et interpréter le match. Et, bien sûr, à ce jeu le « petit peuple » est vu comme quantité et influence négligeables, comme manipulé à tous les coups et incapable d’agir par lui-même.
Pourtant, on ne peut considérer les insurrections populaires comme le résultat direct d’une offensive impérialiste d’un monde coupé entre les bons et les méchants, mais plutôt comme la réaction de prolétaires contre l’exploitation qu’ils subissent localement. Les actuels soulèvements et révolutions d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient semblent en règle générale dus à la combinaison de privations économiques, de désintégration sociale et de répression des libertés politiques et individuelles. Autrement dit, on est là encore dans une lutte des classes portée par des dynamiques locales spécifiques, une part croissante de la population s’étant sentie de plus en plus pressurée, marginalisée, impuissante, humiliée et attaquée dans sa dignité. Le processus social complexe qui est à l’œuvre en Tunisie, en Egypte, en Libye et en Syrie ne se réduit donc pas aux deux forces sur lesquelles les commentateurs de l’Ouest insistent le plus souvent : les organisations islamistes et les libéraux pro-occidentaux, qui auraient réussi à prendre la tête de couches sociales beaucoup plus larges (des gens en proie à un chômage endémique, surtout chez les jeunes, vivant dans des logements insalubres avec des infrastructures urbaines délabrées, et subissant l’inflation et les autres résultats de la croissance économique inégale).
Une tendance existe aussi, en Occident, à survaloriser l’importance de la rivalité entre confessions religieuses. Certes, les puissances coloniales française, britannique et ottomane ont, dans l’histoire, fréquemment joué cette carte, et elles sont loin d’avoir été étrangères au développement du confessionnalisme au Moyen-Orient. Mais, comme partout ailleurs, la plupart des gens y ont de multiples identités coexistantes – ou plutôt des marqueurs d’identité – qui sont invoquées à des moments différents de l’histoire, dans des contextes différents. L’accent mis sur le confessionnalisme conduit inévitablement à une vision simpliste et réductrice d’un régime et d’une société aussi complexes que ceux de la Syrie. Depuis 1970, Hafez al-Assad a savamment utilisé les tensions entre les sectes ethniques et les confessions pour consolider sa domination, mais en les gardant suffisamment sous contrôle pour justifier la « nécessité » de son pouvoir afin d’« éviter la guerre civile ». Il s’agit là d’une « politique de la tension confessionnelle » plutôt que du cliché « diviser pour régner » : Hafez al-Assad et son fils Bachar après lui ont toujours prié dans les mosquées sunnites et apaisé les leaders religieux et communautaires alaouites tout en faisant le marketing de leur régime « laïc ». En fait, le conflit syrien est politique, et le réduire à une guerre entre religions est tout aussi absurde que de réduire les conflits d’intérêts actuels entre la France et la Grande-Bretagne à des rivalités entre le catholicisme et le protestantisme.
Des camarades de l’OCL
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(1) Pour plus de développement sur ces questions, on lira la traduction de « Le confédéralisme démocratique, la proposition politique de libération de la gauche kurde » paru sur le site de l’OCL : http://oclibertaire.free.fr/spip.ph...
(2) Quand les gens disent « pacifique » en arabe, ils veulent souvent dire « désarmé » ou « non militarisé ». Le mot n’est pas chargé des mêmes connotations qu’en anglais et dans d’autres langues européennes.
Il faut certes se garder de réduire le mouvement kurde au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Néanmoins, c’est ce dernier qui prend de l’ampleur aujourd’hui et semble appelé à jouer un rôle de plus en plus important en son sein. Or le mouvement kurde dans son ensemble va sans doute bouleverser les données politiques dans cette zone du Moyen-Orient.
Le 31 août dernier, Duran Kalkan, un dirigeant du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), affirmait que « les Kurdes s’organisent autour d’un système de contre-pouvoir. Refusant de vivre avec la tradition de l’Etat et l’Etat-nation, le mouvement kurde propose des autonomies pour tous les peuples et les cultures du Moyen-Orient, ainsi qu’une confédération des peuples qui serait la meilleure solution pour pouvoir vivre ensemble et dans la paix, sans frontières ».
Dans un article de Courant alternatif (avril-mai 2013), « Kurdes, le plus grand peuple au monde sans Etat » (1) il était rappelé que pour la KCK (2) « l’idée d’un Etat-nation kurde en Turquie est abandonnée, comme par la plupart de la population kurde, au profit d’un autonomisme et de relations transfrontalières d’ordre confédératives et associatives » et que la KCP n’était pas une organisation mais un mode d’organisation. On sait que le PKK a officiellement abandonné toute référence au léninisme depuis le début du siècle, et que son leader Öcalan, emprisonné depuis 1999, a été influencé par la lecture des ouvrages du pionnier de l’écologie sociale, l’anarchiste communiste Murray Bookchin. Comme celles d’autres écrits libertaires et féministes, ces thèses ont circulé dans un mouvement kurde en pleine réflexion, et s’est alors développée l’idée du « communalisme », sous l’influence aussi du mouvement zapatiste et de l’Intifada.
« Nous voyons le communalisme se développer d’abord au Kurdistan turc. Depuis 2007, le mouvement pour la libération a créé des assemblées démocratiques prenant leurs propres décisions dans les quartiers des villes où le mouvement est fort, particulièrement dans les provinces de Hakkari, Sirnak, Siirt, Mardin, Diyarbakir, Batman et Van. Les assemblées furent créées pour prendre des décisions sur tous les problèmes, défis et projets communs dans leurs quartiers respectifs, selon les principes d’une démocratie de la base – tout le monde a le droit de participer. Dans certaines de ces assemblées, des personnes non kurdes participent, comme des Azerbaïdjanais/ses ou des Araméens », nous dit Ercan Ayboga, interrogé justement en 2011 par Janet Biehl, la compagne de Murray Bookchin (3).
On sait aussi que dans une société kurde fortement patriarcale une dynamique est née au milieu des années 1980 dans le mouvement de libération, aboutissant à une présence de femmes de plus en plus importante et à une quasi-parité dans tous les secteurs de la lutte. Une évolution assez rapide qui n’a pas été sans déteindre sur la société kurde en général.
Enfin, cette évolution vers une solution à la question kurde autre que la revendication d’un Etat-nation a amené le mouvement à préciser le projet social au Kurdistan : « Le mouvement kurde de libération est le mouvement de libération de tous les opprimés », explique Murat Karayilan (conseil exécutif du KCK), citant notamment les Arméniens, les communautés parlant le syriaque et les Kurdes yézidis. Il appelle les peuples arménien, syriaque, juif, arabe et grec à soutenir le mouvement kurde. « Le Kurdistan est déjà une patrie commune dans laquelle vivent les Arméniens, syriaques, Arabes, Turcomans et différentes communautés ethniques et religieuses (…). Le Kurdistan est la patrie commune de toutes les communautés, de toutes les nations démocratiques. »
On pourrait multiplier les citations et les faits qui, pour le moins, sont éloignés de l’orthodoxie maoïste-léniniste fréquemment prêtée, et non sans raisons, au PKK. Il ne s’agit pas de prendre pour argent comptant toutes ces déclarations, mais d’essayer de comprendre comment et pourquoi elles sont apparues au sein d’un mouvement plutôt connu pour sa rigidité militaire, et surtout quelle influence cette « révision » peut avoir plus largement sur la société.
Certains ne verront là que de la démagogie de la part d’une organisation restant profondément maoïste ou marxiste-léniniste. Cependant la démagogie consiste à caresser dans le sens du poil des positions que l’on ne partage pas ou peu, pour plaire à une population qui, elle, les partage et joue un rôle important et autonome dans le devenir politique d’un territoire. Or, croyons-nous que refuser la tradition de l’Etat-nation et vouloir vivre sans frontières soit un désir à ce point partagé par de larges masses qu’il faille se plier démagogiquement à ce substrat idéologique ? Peu probable.
L’évolution du PKK qui a abouti à une révision idéologique, dont celle du marxisme-léninisme et de la stratégie de la « guerre populaire », a, nous semble-t-il, deux causes importantes : la fin du « socialisme réel » et l’impasse constatée, dès la fin du siècle dernier, de la guérilla – qui a subi en Turquie de très lourdes pertes et a dû abandonner nombre de villes et villages pour se replier dans les montagnes irakiennes. Et comme, par ailleurs, ces difficultés n’ont pas entamé la détermination des Kurdes, y compris de la diaspora économique en France ou en Allemagne, à s’engager dans la lutte mais l’ont plutôt amplifiée, il a bien fallu réfléchir sur le projet politique et les moyens d’y parvenir. Il ne faut pas négliger non plus la montée de thèmes plus ou moins libertaires qui ont irrigué certaines luttes dans le monde à la suite de la chute de l’URSS. Cela ne veut sans doute pas dire que le PKK va renoncer à jouer un « rôle dirigeant », et encore moins qu’il est devenu anarchiste ! Mais reste à savoir et à observer comment se noueront les rapports politiques entre ce parti, ses organisations (sa sphère militante) et la population, qu’elle soit sympathisante ou pas.
Là où il est fort et quasi hégémonique, quelle place laissera-t-il aux autres expressions de la lutte ? Quels rapports y aura-t-il entre les « institutions pour tous » (administrations, écoles, municipalités, auto-gouvernement…) et le parti et les organisations qui lui sont affiliées en tant qu’institutions partisanes ? C’est sur ces questions que nous devons tenter de recueillir le maximum d’informations et de témoignages, afin de porter encore et toujours un regard critique mais non « idéologique » sur les événements qui secouent la région (comme ailleurs !). Sachant que rien n’est joué d’avance, et que l’on peut tout aussi bien voir l’infléchissement « révisionniste » s’approfondir et se poursuivre que constater un retour à des positions de reproduction de la domination. C’est moins une affaire de ligne politique et de discours, que de développements, parfois inattendus, de l’histoire et… de la lutte des classes.
Le « facteur kurde » a une incidence, potentielle et réelle, sur la scène syrienne et sur la guerre en cours par le simple fait que le mouvement kurde n’est ni avec l’opposition (surtout si celle-ci refuse de reconnaître l’autonomie kurde et reste dominée par des islamistes) ni avec le régime d’Assad. L’un comme l’autre n’ont pas laissé que de bons souvenir ! (voir encart « L’Etat syrien contre les Kurdes, une vieille histoire »).
Si les Kurdes (ou du moins une partie d’entre eux) veulent porter une alternative dans le cadre du conflit syrien (les PKK-PYD – PYD, la branche syrienne du PKK – revendiquent le « confédéralisme démocratique » comme modèle pour tout le Moyen-Orient), une troisième voie (« Ni ni »), ils savent qu’ils ne peuvent le faire seuls (ils sont tout au plus 10 % de la population syrienne, évaluée à 23 millions d’habitants). Il leur faudra des alliés (voir ci-dessus la piste pour qu’émerge une troisième voie). Sur ce point, leur déclaration est explicite : « La Syrie a besoin d’une troisième voie. Une véritable démocratie est possible avec une lutte commune entre le peuple kurde et les forces démocratiques syriennes. » Les Kurdes garderont leur position pour la « troisième voie », soit « ni avec le régime Baas qui défend le statu quo (Etat-nation) ni avec l’opposition et les extrémistes (djihadistes) qui sont les extensions du système mondial », affirmait encore récemment un dirigeant du PKK (4).
C’est l’espoir de cette hypothétique « troisième voie », qui peut constituer une sorte de passage obligé favorisant d’une part l’émergence d’un pôle se battant pour l’arrêt de la guerre, pour la chute du régime, pour l’opposition aux mouvements de l’islamisme politique ; et, d’autre part, en s’appuyant sur le « facteur kurde » et sur d’autres processus de remise en cause des frontières et des Etats hérités de la colonisation, un bouleversement de la carte géopolitique moyen-orientale. Ainsi pourraient se libérer et jouer un rôle de premier plan les revendications sociales qui, jusque-là, demeurent réprimées, étouffées, ou prises en otages et instrumentalisées par des logiques de pouvoir, identitaires, religieuses, de défense de régimes autoritaires et d’affrontements entre les peuples.
Des camarades de l’OCL
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(1) Voir sur le site de l’OCL : http://oclibertaire.free.fr/spip.ph...
On se reportera à cet article paru dans Courant alternatif pour avoir une vision plus complète du mouvement Kurde.
(2) La KCK (Union des communautés du Kurdistan) est le fédérateur de nombreuses organisations kurdes (politiques, culturelles, économiques, militaires, etc.) et le porteur de toutes les innovations théoriques du mouvement. Il est bien sûr fortement influencé par le PKK.
(3) On trouvera l’entretien complet sur : http://populaction.com/le-mouvement...
On peut lire aussi, de Janet Biehl, mais en anglais, son rapport sur le Forum social mésopotamien : http://new-compass.net/node/265
(4) Voir l’article sur le « Réseau d’information libre de la Mésopotamie » : http://www.actukurde.fr/actualites/...
Damas bombardé, Damas martyrisé, Damas pas encore libéré…
Tout commence là où se termine la saga de Lawrence d’Arabie.
L’agent britannique, qui œuvre à unifier les tribus arabes aux côtés des Anglais pour libérer la péninsule Arabique de l’Empire ottoman allié de l’Allemagne, participe à la prise de Damas en octobre 1918. Si le rêve d’Hussein de La Mecque de constituer un grand royaume arabe (formé de l’Irak, de la Jordanie, de la Syrie et du nord de l’Arabie saoudite actuelle) n’est pas à l’ordre du jour, Lawrence pense que la Syrie doit devenir indépendante sous le règne d’Hussein puis de son fils Fayçal. L’indépendance sera de très courte durée.
Les accords secrets Sykes-Picot en 1916 avaient programmé le démantèlement de l’Empire ottoman et prévu de confier, après la victoire, l’actuel Liban et la Syrie à la France, la Palestine et l’Irak revenant aux Britanniques. Pas question là d’indépendance arabe, mais d’un mandat confié par la Société des nations (SDN) aux deux puissances et qui ressemble fort à un protectorat maintenant formellement l’existence de l’Etat colonisé en le plaçant sous tutelle.
Pour appliquer cet accord, la France doit d’abord écraser en 1920 une insurrection arabe menée par l’émir Fayçal. Damas est pris en 1920. La politique française consiste ensuite à découper la Syrie en petites régions autonomes : un grand Liban plutôt alaouite et chrétien ; Alep ; Damas ; un territoire alaouite ; un autre druze.
La grande insurrection syrienne de 1925-1926 obligera la France à engager 40 000 soldats. Damas est bombardé en octobre 1925, faisant des milliers de morts. Puis de nouveau par l’aviation en mai 1926 (5 000 morts). 40 000 soldats sont engagés dans la répression. Des villages entiers sont brûlés. En 1936, une nouvelle insurrection éclate dans les villes. Le gouvernement de front populaire signe un traité prévoyant l’indépendance de la Syrie et du Liban… mais le Parlement ne le ratifie pas.
A la fin de la seconde guerre mondiale, comme dans d’autres possessions françaises, un mouvement anticolonial se développe. Le 30 mai 1945 (trois semaines après le massacre de Sétif au Maroc), le général de Gaulle donne l’ordre à l’aviation française de bombarder Damas pendant trente-six heures d’affilée. On dénombre 500 morts, dont 400 civils, et des centaines de blessés. Ce n’est qu’en 1946 que le Liban et la Syrie deviennent des Etats indépendants. Les troupes françaises quittent la région. Le 16 juillet 2012, Bachar al-Assad donne l’ordre de bombarder Damas pour la quatrième fois de son histoire.
Histoire de gaz
En 1988, l’Irak de Saddam, alors allié des Etats-Unis, avait utilisé les gaz contre les Kurdes de Hallabja sans que les Américains attaquent Bagdad. Robert Fisk (journaliste anglais à l’Independant) nous rappelle que la CIA, à cette occasion, avait fait courir le bruit que le responsable de l’utilisation des gaz était… l’Iran. Normal : l’Iran était l’ennemi, et quand Saddam le deviendra à son tour, il sera « puni » en 2003 alors qu’il n’avait plus de gaz, apprendra-t-on ensuite officiellement ! Durant la guerre entre l’Iran et l’Irak (de 1980 à 1988), c’est bien ce dernier pays, allié des Etats-Unis, qui a utilisé des gaz contre les Iraniens ! Exit donc ces histoire de « punition » pour utilisation de gaz ! D’autant que, comme nous le rappelle Le Monde, l’utilisation de gaz dans un conflit remonte à la Première Guerre mondiale ; après, on retrouve cette pratique pendant la guerre du Rif – en 1921 et 1926 – menée pour la France par un gouvernement « cartel de gauche » que préside Aristide Briand, puis Edouard Herriot ! ; et, évidemment, pendant la guerre du Vietnam de 1961 à 1973 où les Etats-Unis y recourent. Autrement dit, après avoir utilisé eux-mêmes à différentes reprises les gaz, les impérialistes occidentaux s’accordent ensuite le droit de décréter à quel moment cela doit être interdit.
L’Etat syrien contre les Kurdes, une vieille histoire
En 1962, l’Etat syrien retirait leur citoyenneté syrienne à 70 000 Kurdes, et par la suite les déclarait comme « étrangers vivant dans le pays ». Leurs droits à l’éducation, à voyager à l’étranger ou à la propriété étaient confisqués. Aujourd’hui, on estime que cette population a augmenté de 300 000 à 400 000 personnes. L’année 1963 est une autre date importante dans l’histoire syrienne : c’est l’année où le parti Baas arrive au pouvoir par un coup d’Etat. Ce parti non seulement déclara la Syrie comme un « pays arabe », mais il définit les Kurdes comme des « réfugiés déplacés de la Turquie ». Sur la base de cette dernière définition, on refusa aux Kurdes la totalité de leurs droits : l’identité kurde fut interdite, et les noms de leurs villages et villes changés. En d’autres termes, ce que la Turquie avait fait dans les années 1920, la Syrie l’a fait cinquante ans plus tard. Même écrire en kurde fut considéré comme un crime grave, sanctionné par de longues peines de prison avec des méthodes violentes d’incarcération. Entre 1972 et 1974, des milliers d’Arabes furent déplacés de manière programmée par le régime Baas dans des villages kurdes, dans la province d’Al-Jazira (Djézireh), avec le projet annoncé de peuplement d’une « ceinture arabe » dans la région. Ce projet fut activement poursuivi jusque dans les années 2000, après la mort d’Hafez al-Assad et l’arrivée au pouvoir de Bachar al-Assad. (“La phase finale”, Amed Dicle, http://oclibertaire.free.fr/spip.ph...)