Italie
(mise à jour du 25/10)
dimanche 20 octobre 2013, par
<img2447|left>Les 18 et 19 octobre, deux journées de grève et de mobilisation étaient prévues dans toute l’Italie contre les politiques d’austérité à l’initiative des syndicats de base et des mouvements de lutte pour le logement, contre les grands travaux, la précarité, etc.
Le vendredi 18 d’abord, une grève générale était convoquée par les syndicats conflictuels de base, et relayée par tout un ensemble de mouvements et de collectifs, en particulier pour la manifestation quasi-“nationale” appelée à Rome.
Le lendemain, samedi 19, c’est tout un éventail de mouvements qui appelait à une autre manifestation dans Rome sous les mots d’ordre « Assiégeons l’austérité et la précarité » et « Soulèvement général ».
La grève du 18 octobre a été un relatif succès, en particulier dans la fonction publique, les hôpitaux et le secteur des transports collectifs (trains, bus, aérien) qui ont connus des pics de participation à la grève allant de 70 à 95% selon les villes, des dizaines de trains et de vols annulés… , succès relatif si l’on tient compte du fait que c’était une initiative de « petits » syndicats, sans relais dans les médias, sans les moyens financiers, logistiques et institutionnels des trois grandes confédérations. De son côté, la manifestation des mouvements du lendemain 19 octobre a rassemblé environ 70.000 personnes, bien au-delà de ce que prévoyaient ses initiateurs. Un bilan encourageant tant du point de vue quantitatif que qualitatif.
Des mobilisations significatives en nombre de participant-e-s, surtout si l’on considère qu’elles ont eu lieu à l’initiative de mouvements de lutte et de collectifs (No-TAV, No-MUOS, déchets, logement, précarité, migrants…) appartenant à une aire politico-sociale largement en marge des partis, des grands syndicats et de la représentation politique, en dehors et contre le « parti unique de l’austérité » comme le dit le représentant des Cobas dans plusieurs interviews. Une mobilisation conçue en outre comme un moment dans un processus, largement auto-organisé, de convergence de luttes et de construction politique traduisant une degré de maturation inédit depuis des années en Italie.
Retour sur ces deux journées, suivi de quelques éléments de bilan (voir à la fin, mise à jour du 25/10)
Ces deux initiatives prises en parallèle au cœur de l’été, ont été, du moins pour la journée du 19 octobre, le fruit de débats internes à divers mouvements (logement, NoTav, environnement, précaires…), puis de rencontres ouvertes inter-mouvements, notamment lors du camp NoTAV du mois de juillet. Ces idées et propositions ont été ensuite confirmées et précisées lors de rencontres locales puis lors d’une assemblée nationale qui s’est tenue dans les locaux de l’université La Sapienza de Rome le 28 septembre. Ces initiatives s’inscrivent donc dans un processus de maturation et de construction (voir à ce sujet, Italie. Vers un automne chaud ?)
La veille de la grève générale, plusieurs bureaux de Trenitalia avaient été occupés dans diverses villes (Turin, Bologne, Rome, Palerme…) pour protester contre la décision de la société de chemins de fer de ne pas vendre de billets à prix réduits et son refus d’organiser des « trains spéciaux » en direction de Rome pour les milliers de manifestants qui souhaitent converger vers la capitale soit pour la journée du 18, soit pour la manifestation des mouvements le samedi 19 octobre. Pire : dans les jours qui ont précédé, à mesure que la date ces deux journées de mobilisation se rapprochait, les prix des billets n’ont pas cessé d’augmenter.
Le 15 octobre, divers collectifs de précaires, surtout dans le milieu étudiant et universitaire, ont mené des actions dans la cadre de la « grève sociale » qu’ils revendiquent, notamment à Rome une intervention dans un supermarché du centre-ville pour dénoncer la vie chère (aggravée par l’augmentation récente de la TVA) et exiger que le ‟panier précaire” soit fixé à 1 euro ! A Bologne un immeuble abandonné situé près de la cité universitaire a été occupé et rebaptisé ‟Maison étudiante occupée Taksim” ; à Milan, la cour de la Bourse a été occupée avec conférence de presse ; à Palerme, le bureau du recteur de l’Université a été envahi tandis qu’à Turin, une bibliothèque universitaire fermée depuis longtemps a été occupée et ouverte au public.
Grève générale très suivie dans les transports
Cette même journée s’est déroulée une grève de 24h des transports publics à l’appel des syndicats de base/conflictuel, particulièrement bien suivie, notamment dans les bus urbains (jusqu’à 80%), les trains et le secteur aérien. A Rome, seul le métro fonctionnait afin de permettre aux manifestants de se déplacer dans la ville, de se rendre à la manifestation et d’en partir. Le trafic aérien a été très perturbé, des dizaines de vols annulés, et le mouvement a été particulièrement bien parmi le personnel au sol et celui de la sécurité.
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Parmi les secteurs particulièrement mobilisés se trouvaient les enseignants du secondaire et les instituteurs, les travailleurs de la santé, du secteur public et des administrations locales (avec des pics de 80 à 100% de grévistes), de l’INPS (prévoyance sociale et retraite), du secteur de la logistique, de Mirafiori, d’Alitalia menacés de licenciements, des collectifs d’étudiants, de précaires et chômeurs, des retraités et aussi des avocats, le Forum italien des mouvements pour la défense de l’eau, les mouvements romains pour le logement ou encore un syndicat de locataires, des regroupements de retraités...
Dans la matinée, plus de 100 bus étaient arrivés près du local provincial de l’USB. Derrière la banderole de tête « Dehors les gouvernements de l’austérité de l’Italie et de l’Europe », plus de 50.000 manifestants ont défilé dans le centre de Rome selon les initiateurs.
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Ce sont les migrants et réfugiés qui ouvraient le cortège pour réclamer l’abolition de la loi Bossi-Fini qui criminalise l’immigration, derrière plusieurs banderoles et pancartes (« Excusez-nous si nous ne sommes pas noyés » et « Au lieu de donner la citoyenneté aux morts, donnez la résidence aux vivants »...). Ils étaient suivis par les travailleurs de l’aciérie Ilva de Tarente, des cortèges de pompiers en uniformes et toute une ribambelle de cortèges, principalement du secteur public au sens large.
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Dans la soirée, un concert était organisé ainsi que plusieurs débats après diverses prises de paroles tandis qu’un campement de tentes était installé pour occuper l’espace toute la nuit.
L’occupation de la piazza San Giovanni : le raccord entre deux séquences
A Rome, le campement de nuit prévu piazza San Giovanni (Saint-Jean de Latran) qui s’est mis en place dès la fin de la manifestation, a été conçu pour faire le lien avec la journée du lendemain : c’est en effet de cette même place que doit débuter la grande manif des mouvements territoriaux qui se rendra en direction de la Porte Pia pour « assiéger » le ministère des Infrastructures qui se trouve là, en passant devant le ministère de l’Économie et la Caisse des dépôts et des prêts (caisse d’État des financements publics), deux autres objectifs symboliques de cette journée de « soulèvement ».
Le 19 octobre a été défini depuis l’été dernier comme une journée de lutte et de manifestation nationale des mouvements territoriaux contre l’austérité et la dévastation de l’environnement (logement, précaires, NoTAV, déchets industriels, pollutions…)
Ville blindée
Plusieurs centaines de manifestants ont dormi dans l’‟acampada” de la place San Giovanni. Depuis la jeudi, Rome est complètement blindée par un énorme dispositif policier. Officiellement, 4000 fonctionnaires de divers services et unités du ‟maintien de l’ordre” sont mobilisés le long du parcours. Les principales artères et voie d’accès aux ministères, au Sénat, au siège de l’exécutif sont bloqués. Les forces de l’ordre ont aussi installé des postes de contrôles dans tous les accès routiers à la ville de Rome.
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Jeudi soir, 5 personnes de nationalité française ont été arrêtées : elles sont présentées comme connues de la police pour participation à des manifestations violentes du mouvement NoTAV et deux d’entre elles pour « terrorisme ». Le fait qu’elles ne portaient pas sur elles de téléphones portables est considéré par les flics comme un comportement suspect. Les 5 devaient être reconduites à la frontière.
Par ailleurs, vendredi soir et samedi matin, 14 personnes avaient été arrêtées préventivement, 9 dans un quartier de Rome, 5 à l’extérieur alors qu’ils voyageaient dans une voiture. La veille, 4 personnes ont été arrêtées portant sur elles des « objets dangereux » (un couteau, deux frondes, un passe-montagne, un mousqueton, une bombe lacrymogène aérosol d’après la presse).
D’autres arrestations ont eu lieu aux checkpoints de la police : les occupants de plusieurs voitures ont été arrêtés et emmenés dans les locaux de la Digos (police politique ‟antiterroriste”) parce qu’ils auraient transporté des sprays de lacrymogène, des gants, des lunettes, des pétards, des bouteilles en verre, des masques anti-poussière... D’autres, simplement parce qu’ils sont fichés comme « antagonistes insurrectionnels » sont maintenus en détention le temps de la manifestation puis expulsé de la province.
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Bus bloqués, manif retardée
Le début de la manifestation est prévu à 14h. Dans la matinée, les manifestants commencent à affluer par centaines, puis par milliers. La place se remplit petit à petit. Sur deux lignes de métros les stations sont fermées. Une information ou rumeur se répand disant que la police menace de fermer la couverture réseau GSM des téléphones portables dans le périmètre de la manifestation. Les manifestants appellent les Romains à « ouvrir le wifi » afin de pouvoir utiliser cette alternative avec les appareils portables. Autre information : dans certains hôpitaux, dont la Polyclinique, des lits ont été libérés pour faire de la place aux prochains blessés éventuels.
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Vers 13h45, arrive un cortège d’étudiants en provenance du campus de la Sapienza (qui a été fermé par la police pour « raisons d’ordre public ») via le quartier de San Lorenzo derrière une banderole « Contro crisi e austerità, il 19 ottobre assediamo la citta » (« Contre la crise et l’austérité, le 19 octobre, assiégeons la ville »), avec des drapeaux NoTAV et des slogans contre les expulsions et les saisies.
Parmi manifestants, on aperçoit un important groupe de Roms de la via Salviati. Après avoir résidé dans un camp à Castel Romano, ils se sont maintenant installés dans un autre camp qu’ils refusent d’abandonner. En août dernier, ils se sont barricadés à l’intérieur et ont mis en échec une tentative d’expulsion. Ils sont maintenant partie prenante des mouvements pour le logement, explique un membre du BPM (Blocco precari metropolitani), qui soutient leur entrée dans les dynamiques d’occupations d’immeubles et d’espaces qu’ils développent depuis des mois.
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La banderole de tête « Una sola grande opera : casa e reddito per tutti » (« Un seul grand chantier : logement et revenu pour tous »).
Les premiers slogans fusent : « Notre Europe n’a pas de frontières, nous sommes tous des clandestins ».
A 14h30, le cortège n’est toujours pas parti. Le départ est retardé d’une heure. Les manifestants ont décidé d’attendre l’arrivée de tous les bus. Plusieurs sont bloqués à l’entrée nord de la ville par la police, notamment ceux en provenance de Bergame, Milan, Bologne. Aux entrées sud aussi, les bus de Naples ont été bloqués, puis débloqués devant le menace des manifestants de descendre bloquer l’autoroute.
Grosse présence des mouvements pour le logement (« pour habiter dans la crise »), des migrants, répartis dans de nombreux points de rassemblement sur la place. Comme lors de la manifestation de la veille, les cortèges de migrants et réfugiés marcheront en tête du cortège.
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« Stiamo arrivando, siamo il futuro »
« Logement et revenu » et « Nous arrivons, nous sommes l’avenir » ont été parmi les slogans les plus scandés.
A 15h30, alors que le cortège vient à peine de démarrer, un représentant du mouvement pour « habiter dans la crise » parle de plus de 30 000 manifestants alors qu’il y a encore plus de 20 bus bloqués hors de la ville à un péage d’autoroute. Les manifestants qui souhaitent rejoindre le cortège à pied sont bloqués par les forces de police qui encerclent de fait toute la zone de la manifestation et maintient fermés la plupart des accès au parcours avec des véhicules blindés et des camionnettes. Selon un reporter de La Repubblica, à 16h, il y a 50 000 manifestants, soit selon lui, plus que la veille.
A 16h30, ce chiffre est largement dépassé. Le quotidien pro-gouvernemental La Repubblica parle de 70 000 personnes.
C’est la plus grande manifestation depuis des années en Italie.
A 16h45, des membres (une trentaine ?) du mouvement d’extrême droite Casa Pound, regroupé devant le siège du mouvement près du parcours, lancent des bouteilles sur les manifestants. Certains manifestants décident alors de se diriger vers les néo-fascistes mais un cordon de policiers en tenue anti-émeutes se déplace rapidement et fait barrage.
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Le site Internet du ministère des Infrastructures et des Transports, objectif de la manif, est subitement inaccessible. Signé : Anonymous. Cinq autres sites institutionnels (dont la Caisse des dépôts et la Cour des comptes), sont mis hors d’usage au même moment. Une belle attaque coordonnée.
Pour un manifestant NoTAV venu du Val di Susa, « Rome a été militarisée et blindée comme dans le Val di Susa depuis des années pour donner un signal d’intimidation ».
A 17 heures, les organisateurs estiment qu’il y a maintenant 100 000 manifestants dans les rues de Rome. La tête de la manifestation, composée de plusieurs milliers de migrants et des milliers de personnes (15.000 selon le quotidien de gauche Il Manifesto), surtout jeunes, qui habitent aujourd’hui dans une soixantaine de lieux occupés (bâtiments administratifs abandonnés, hôtels, immeubles…) de la capitale, atteint la gare centrale de Termini, c’est-à-dire à mi-parcours de l’objectif final. Un groupe de manifestants se détache du cortège et repeint la statue de Jean Paul II avec le slogan « Produis, consomme, crève ».
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Dans l’immense cortège, des centaines de drapeaux NoTAV mais aussi des banderoles et pancartes contre les grands travaux destructeurs, les projets industriels polluants, et aussi contre les mégas évènements comme l’Expo 2015 à Milan ou les grandes cérémonies sportives. Certains manifestants, surtout les romains, étaient déjà dans la rue la veille, d’autres non. Parmi eux, les ‟Mamme Vulcaniche” (« mères volcaniques », mères de familles contre les mégas décharges dans la région vésuvienne), les collectifs contre un incinérateur dans cette même région, à Acerra dans le « triangle de la mort » (à cause de la surcontamination provoquée par les déchets toxiques) au nord-est de Naples, les comités NoTAV, No MUOS (une station de télécommunications militaires étatsunienne en Sicile), les Blocs des Précaires Métropolitains (mouvement romain pour le logement)… et aussi bien sûr les syndicats de base Cobas (Confédération des comités de base) et USB (Union syndicale de base) à l’initiative de la journée de grève et de manifestation de la veille.
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A 17 h 30, les manifestants entourent le ministère de l’Economie, rebaptisé ministère de la précarité, avec fumigènes et pétards, Des œufs, des pétards et quelques bouteilles sont lancés sur policiers de garde situés devant les portes latérales du bâtiment. Petites charges des policiers contre des manifestants qui s’enfuient dans les rues latérales où sont dressées quelques barricades. Quelques manifestants sont arrêtés.
Barricades et poubelles incendiées dans la via Quintino Sella près du ministère. L’ambassade d’Allemagne a aussi été visée par un groupe de manifestants qui sont sortis du cortège pour lancer des bombes en papier et des fumigènes sur le bâtiment. La succursale d’un établissement bancaire (Unicredit) est vandalisée. Les locaux de la compagnie Trenitalia, les chemins de fer italiens, est aussi la cible de manifestants.
Le cortège parvient sans difficulté à se recomposer et à repartir. Une partie des manifestants qui s’étaient dispersé dans les rues adjacentes commencent à arriver à la Porte Pia rejoignant quelques centaines de personnes déjà présentes, Il est 18 h 30 quand la tête du cortège arrive au terme du parcours qui aura duré 3 heures. Aussitôt des tentes commencent à être dressées par des équipes de manifestants tandis que d’autres se placent en cordon de protection. Le ministère des Infrastructures, protégé par les forces anti-émeutes, reçoit sa part de projectiles.
« Senza padroni, senza frontiere »
Moments de tension. Musiques enregistrées et amplifiées, percussions de migrants, arrivée des manifestants dans un flot continue.
11 manifestants auraient été arrêtés lors des charges de l’après-midi. D’après la police, les responsables des incidents survenus durant le défilé dans l’après-midi aurait été une centaine d’anarchistes, qui se cachaient dans la foule : après avoir agi vêtus de noir, ils retournent ensuite dans la manifestation avec un nouveau maillot (!). Un peu plus tard, la police parle de 15 arrestations, la plupart réalisées autour du ministère de l’Économie.
« Sans patrons, sans frontières. Liberté de circulation », c’est ce qui est écrit sur la banderole placée à côte du campement qui, à partir de 19 h, s’est formé avec une bonne vingtaine de tentes.
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La police encercle toujours la place. Malgré les tensions, l’ambiance semble relativement sereine.
Un haut-parleur annonce que les repas du soir seront bientôt disponibles. Et appelle à maintenir le siège du ministère des Infrastructures en occupant la place toute la nuit dans une nouvelle ‟acampada”. Une assemblée du mouvement est appelée sur place pour le lendemain dimanche matin.
En guise de conclusion, partielle et très provisoire
S’il est bien trop tôt de faire un bilan, de toute évidence le pari de ces deux journées de mobilisation a de toute évidence été gagné au-delà de ce qui était espéré.
Cinq ans après le début de la crise/austérité, deux ans après le relatif échec de l’épisode répressif de la manifestation romaine du 15 octobre 2011, ces deux journées marquent un tournant très important, à la fois quantitatif et qualitatif, pour les luttes sociales en cours et à venir, aussi bien pour celles qui se mènent dans les lieux de l’exploitation directe que sont les entreprises que celles qui se développent sur l’ensemble des territoires, métropolitains comme ruraux, où s’opèrent la totalité de la reproduction sociale (habitat, éducation, santé, consommation…), une grande partie du cycle productif et le saccage des biens naturels pour l’accumulation du capital.
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Un mouvement qui s’est construit sans les partis politiques, sans représentation parlementaire, sans le syndicalisme officiel des confédérations CGIL-CISL-UIL ; un mouvement qui se construit à partir des luttes et des débats qui s’y déroulent et qui vise à répondre à leurs besoins et objectifs : abolir le loi Bossi-Fini sur le séjour des migrants et imposer la liberté de circulation, bloquer les expulsions locatives et obtenir la construction de logements sociaux dans une perspective de redéfinition des usages de la ville, arrêter les grands travaux et les projets d’infrastructures destructeurs du Val di Susa à la Sicile, démanteler les équipements polluants... Un mouvement social antagonique multiforme, capable d’initiatives et d’autonomie politique, qui tend des ponts entre les différentes figures et segments sociaux qui subissent aujourd’hui la crise et l’austérité de plein fouet et qui ont décidé de ne pas accepter d’en payer le prix ; entre jeunes et vieux, entre citadins et ruraux, Italiens et migrants, travailleurs et chômeurs/précaires, entre lieux de travail et territoire, entre ceux qui sont en train de perdre leurs droits et ceux qui n’en ont jamais eu…
Dans la soirée, le maire adjoint de Rome, Luigi Nieri (de SEL, Gauche écologique) a invité le mouvement pour le logement à une table-ronde avec le ministre des Transports Maurizio Lupi à laquelle participera le maire de la ville Ignazio Marino. Premier signe que quelque chose commence peut-être à changer dans la manière dont le pouvoir politique cherche à gérer cette nouvelle situation ? L’avenir le dira.
Signe en tous cas que, lorsque le scénario lynchage médiatique / criminalisation préventive / répression punitive ne fonctionne plus, ne donne plus les résultats escomptés, c’est-à-dire lorsque la réalité des rapports de force commence à se modifier, alors les canaux d’interlocution et de médiation tendent à se rouvrir comme par enchantement. En attendant, le mouvement appelle à un rassemblement devant le tribunal dès lundi pour exiger la libération des 15 manifestants arrêtés, sans distinction entre “bons” et “mauvais” manifestants.
Au-delà, ces deux journées apparaissent comme une étape très importante dans un processus largement auto-organisé de recomposition sociale et de construction politique. A la différence des actions et mobilisations sans lendemain qui ponctuent l’ordinaire de l’agenda social et le ronronnement de la routine politique, ces deux initiatives ont su et pu s’articuler l’une à l’autre – signe d’une première maturation politique – et la manifestation du 19 octobre s’est conclue par l’occupation non symbolique d’une place, par un campement, une assemblée, une suite. Comme le dit un commentaire à propos de ces deux journées, « pour la première fois au cours des dernières années, cette manifestation a pris fin pour ne pas finir ». Une fin qui ressemble à un début.
A suivre donc.
J.F (pour OCLibertaire)
Le 20 octobre 2013
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Commentaire d’une des composantes romaines de l’initiative du 19 octobre
Rejoignez-nous à la Porte Pia ! ! Assiégeons les palais du pouvoir ! Demain 10 heures : assemblée
Les nombres et la qualité de la participation à la journée de mobilisation du #19o montrent, sans l’ombre d’un doute, que les stratégies de panique instaurée par la direction de la police et les médias mainstream au cours des jours précédents n’ont pas fonctionné. Le message de la terreur n’a pas retenu les gens chez eux, ni l’attitude de Trenitalia n’a empêché que milliers de personnes arrivent de toute Italie pour porter leur contribution et la voix des luttes en cours. Dans la manifestation il y avait, et il y a ce soir sur la place, les protagonistes des mouvements de lutte pour le logement, avec une composition métisse et métropolitaine, les mouvements contre la dévastation des territoires par la spéculation, les jeunes étudiants et/ou précaires qui s’auto-organisent dans les luttes pour les réappropriations du revenu et des connaissances.
Les seuls grands travaux qui nous intéressent sont le logement et le revenu pour tous/toutes ! Nous le réaffirmons d’ici, depuis cette place que nous nous sommes réappropriés par dizaines de milliers.
L’acampada d’aujourd’hui n’est pas le point d’arrivée mais le début du soulèvement : une contribution à l’amorce d’un processus social plus général de participation et de réappropriation.
De l’acampada qui assiège les palais de l’austérité de la Porte Pia, nous invitons la ville de Rome (même celle qui n’était pas là aujourd’hui) à une assemblée de discussion et de relance du processus de lutte demain matin à 10 heures.
Rejoignez-nous à la Porte Pia ! ! Assiégeons les palais du pouvoir !
Liberté pour tous/toutes
bpm / Abitare nella Crisi
Le 18 octobre
Commentaire rapide publié sur Info.aut
Un premier commentaire : cela a été une grande journée de mobilisation. Au moins 100.000 personnes ont manifesté contre l’Austérité et les politiques du gouvernement Letta, malgré le climat de peur crée à dessein par les médias pour décourager la participation au cortège. Mais comme il fallait s’y attendre, les saletés éculées et archi-rebattues sur les « infiltrés » ont commencé à circuler. Nous devons le dire clairement : aucune infiltré, aucun provocateur, aucun Black bloc de l’étranger (les seuls « noirs » étaient devant la Casa Pound) ; seulement une composition sociale et militante, des compagnes et des compagnons qui ont réalisé les objectifs qu’ils s’étaient fixés. Le ministère de l’Économie devait être assiégé, et le siège a été réalisé. Faire sentir sa rage devant le ministère du Travail, à l’ambassade d’Allemagne et sur d’autres objectifs reconnaissables, et il en fut ainsi. Aucun service d’ordre n’a empêché quoi que ce soit, parce que la maturité du mouvement n’en n’avait pas besoin. De la tête à la queue, un cortège uni, qui ne s’est pas brisé, même par les actes de provocations de la Guardia di Finanza et des carabiniers.
Cette manifestation n’a pas été une promenade - onze compagni sont actuellement encore en état d’arrestation – mais les pompiers et les politiciens étaient pour une fois à la fenêtre, se limitant à observer, sans pouvoir sortir l’habituelle petite fable du « piège », que, comme un disque rayé, nous avons dû avaler depuis Gênes 2001 jusqu’à maintenant.
La semaine qui a précédé la manifestation fournissait déjà des indications importantes pour la mobilisation d’aujourd’hui ; l’unité, la maturité, pour construire une subjectivité sociale en mesure de faire de l’affrontement et du conflit sans médiations son propre ADN : radicalité et réalisation de l’objectif. Ce sont là les signes importants qui viennent de cette manifestation, dont nous souhaitons qu’ils se reproduiront, sur d’autres terrains, dans d’autres métropoles. Enfin, un remerciement à Anonymous pour la précision et la ponctualité de ses attaques.
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Mise à jour du 25/10
Deux petits textes de bilan
Tout a commencé avec un siège
(Info.aut)
Repartons de la Piazza San Giovanni. Une place qui, le 15 octobre 2011 a été un tombeau pour les classes politiques, les institutionnels et le mouvement, balayée par une expression de l’antagonisme social irréductible aux formes de la représentation. Les deux années qui ont suivi ont confirmé que cela n’avait pas été une flambée épisodique, mais un point de non-retour. Alors qu’elle aurait dû se terminer par un meeting électoral, le 19 octobre de cette année, les enjeux électoraux ont absolument pas été mis au programme.
Au cours de ces deux années, la crise a transformé le contexte général, en transformant en profondeur les conditions sociales. Sur les territoires, les processus de décomposition déterminés par le renforcement des politiques d’austérité et d’appauvrissement sont devenus évidents, qui, si nous ne parvenons pas à les attaquer de manière adéquate, risquent de déterminer des rapports de force non favorables aux luttes. Les mouvements qui sont capables d’aller dans la bonne direction, en dépit des difficultés diverses, sont différents les uns des autres, mais unis – comme le No TAV, le No MUOS, la lutte pour le logement, etc. – par la capacité de construire des segments d’auto-organisation et la tentative de recomposer les différents segments. Il s’agit bien là de recomposition, non pas de la classe politique, mais des luttes et des segments sociaux, de ces sujets qui subissent la crise et en ont marre d’en payer le prix. Le 19 octobre a été la première tentative de donner une visibilité à ces processus, sans les déléguer à des calendriers fixés séparément, mais en donnant naissance à une nouvelle temporalité, décidée de manière autonome par les conflits. Cette journée a nécessité une préparation et de très grands efforts en raison des diversités qui se sont exprimé en son sein, mais nous étions tous conscients que c’était seulement un début.
Un regard attentif sur la manifestation peut rendre compte de cette diversité. Il y avait une grande quantité d’occupants de logement. Il ne s’agissait pas seulement de la récurrence de la nature cyclique des occupations relatives à l’habitation à Rome, mais de quelque chose de plus et de différent. Une trace visible de cela a été la présence massive des migrants en tant que protagonistes directs de la manifestation, et la propagation que le thème du logement a acquis dans des territoires où il n’avait jamais été présent jusque là. L’occupation devient une réponse concrète et même nécessaire à un besoin matériel de plus en plus remis en question ou ouvertement refusé par la crise. Il y avait ensuite, de manière consistante, la présence de la jeunesse précaire et des couches sociales privées de revenus et d’opportunités, qui paient les frais de la crise au prix fort. Il y avait, bien sûr, les sujets des luttes territoriales, qui sont maintenant une affirmation constante de ces dernières années.
Cette manifestation a exprimé deux aspects. La première est constituée de l’opposition aux institutions et à l’État, blindé en face de ce qui est pour eux un réel danger, pas en terme d’ordre public, mais d’ordre social. Parce que les segments sociaux qui ne veulent plus payer pour la crise se sont réunis pour le faire. Ici, le revenu n’est pas agité comme un drapeau idéologique, mais dans les pratiques matérielles de réappropriation. L’autre aspect est la construction d’une légitimité de l’illégalité, qui exigera encore de nombreuses étapes. Les formes de lutte ne sont jamais égales à elles-mêmes, autrement elles deviennent inefficaces : elles doivent être évaluées et testées en fonction des objectifs et des étapes politiques correspondantes.
Tandis que les médias ont essayé d’ensevelir le 19 octobre, d’abord sous une première chape de silence puis de criminalisation, la participation est allée bien au-delà de la composition militante. Nous ne sommes pas intéressés à jouer le 19 contre le 12 octobre[*], parce que ce sont deux choses qui agissent sur des terrains d’une incomparabilité radicale. Cela se mesure non seulement dans les chiffres, ce qui est en soi très important ; malgré la mobilisation des structures des partis et des syndicats et de la publicité médiatique dont a bénéficié la manifestation pour la défense de la Constitution, le 19 octobre a eu une participation deux fois supérieure. Mais la différence décisive qui nous intéresse ici, c’est surtout la qualité de cette participation. Il s’agit de la composition, précisément, de sujets – d’un point de vue de classe et générationnel – qui doivent se confronter directement avec la crise, qui n’ont plus rien à défendre, pour lesquels la non-représentabilité n’est pas une question idéologique, mais avant tout matérielle. C’est ce sur quoi se sont brisées toutes les tentatives de recomposition du cadre de la gauche institutionnelle, et c’est là la différence radicale du 19 octobre par rapport à de nombreuses échéances nationales des dernières années.
Un pari, comme nous l’avions défini. Eh bien, aujourd’hui, nous pouvons dire qu’une première partie de ce pari a été gagné. Ce n’était pas le résultat de la spontanéité, mais du travail de construction politique qui a cherché à faire prévaloir certaines priorités. En premier lieu, celle de faire émerger le caractère politique intrinsèque de la composition sociale et pas l’action des groupes et des structures. Deuxièmement, nous avons insisté sur le caractère du processus et non sur le simple évènement. Le 19 octobre avait déjà commencé au niveau territorial depuis plusieurs semaines, avec les nombreuses initiatives qui ont été lancées, relancées ou qui ont renforcées celles existantes ou encore à construire. Le 19 octobre renvoie à ce travail politique et territorial et c’est sur celui-ci que ce pari va être ultérieurement vérifié.
Dire qu’une première partie de ce pari est gagné, ne signifie pas faire des calculs de boutique et nous contenter d’un résultat important. Au contraire, nous savons que la route est longue, que le travail politique à faire est énorme, et que c’est vraiment la maturité de cette conscience qui peut nous permettre de poursuivre le processus du 19 octobre. Ce sont là les questions à l’ordre du jour : l’opposition et le rapport de forces entre les classes, entre les formes d’insurgence sociale et les institutions, doivent être pensés, proposés et organisés avec l’intelligence politique et le travail concret.
Nous sortons donc du 19 octobre en sachant qu’il n’y a pas de raccourci ou de table de négociations qui tiennent. Les classes politiques, toutes vaincues et vidées de leurs fonctions qu’elles soient, ne vont pas renoncer à essayer de réapparaitre sur un mode parasitaire. Mais aujourd’hui, nous sommes un peu plus fort, car au lieu d’un meeting électoral, cette manifestation s’est terminé par un campement, c’est-à-dire avec la volonté d’occuper une place pas seulement symboliquement et d’y rester. Pour la première fois au cours des dernières années, cette manifestation a pris fin pour ne pas terminer. Et nous savons tous que c’est dans ce processus que se joue le défi de la recomposition
La rédaction d’Info.aut, 20 octobre
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[*] Le 12 octobre, une manifestation en défense de la Constitution a rassemblé entre 30 et 40.000 personnes à Rome.
Quand la « racaille de la Porte Pia » se soulève
(Commonware)
Que signifie se soulever ? Personne ne pensait que le 19 octobre aurait donné une réponse ; poser la question était déjà un objectif ambitieux. De ce point de vue, la manifestation de Rome a atteint un premier résultat important, certainement partiel mais nullement simple ni évident.
Face aux évidents processus de fragmentation accomplis par la crise, le problème était, et est, de trouver les voies pour en inverser le cours. Il a été tenté de le faire en partant de la potentialité de généralisation qu’ont quelques luttes : celles du logement ou des travailleurs de la logistique, et évidemment les mouvements qui, jusqu’ici, ont été définis comme territoriaux – du No Tav au No Muos – et dont cette désignation est clairement devenue maintenant trop étroite.
Recomposition est un mot lourd, à manier avec précaution, parce qu’il y a toujours dans l’angle mort le risque de le confondre avec une simple addition de conflits et de réseaux, pire encore, de sigles. Il y avait même la crainte que le 19 octobre – dans la difficulté traversée par les mouvements, ceux qui existent et ceux qui n’existent pas – n’aille pas beaucoup plus loin que cet effort militant généreux et intense qui l’a rendu possible. Les choses en sont allées différemment, et cela est déjà une indication de méthode : sans prise en compte des hasards, sans oser prendre des paris, on ne construit ni saut ni pas en avant. Les choses en sont allées en différemment avant tout par le nombre : il importe peu ici de préciser s’ils étaient 70.000 ou 100.000 dans la rue ; une fois fixé un tel ordre de grandeur, on peut affirmer qu’ils étaient sûrement le double, sinon le triple, de ce qui était estimée comme une « bonne participation ». N’oublions pas que cette participation était – littéralement et hors de toute rhétorique – auto-organisée, c’est-à-dire par choix construite sans l’appui des structures institutionnelles, et par nécessité, sans même avoir essayé de trouver un accord avec Trenitalia, ce qui a de fait limité le droit de manifester, d’autant plus dans une crise qui prive toujours plus de larges pans de population de la possibilité de dépenser 50 ou 100 euro pour se déplacer. En outre, face à un dispositif médiatique qui a modulé la tactique du silence et la stratégie de la criminalisation, ces chiffres signifient que la peur a été défaite. Ou bien, peut-être, que la peur est tellement consubstantielle à la violence quotidienne croissante de la crise et de la paupérisation qu’elle a perdu tout effet d’épouvantail occasionnel. D’une manière ou d’une autre, les avantages de la normalité ont fait défaut.
En deuxième lieu, il faut avancer quelques considérations sur la composition de la manifestation. Ici probablement (plus encore que pour les chiffres et son caractère explicitement auto-organisé) doit être mesurée la distance, que nous oserions définir comme irréductible, avec les tentatives de construire des nouveaux agrégats de représentation de la gauche. Les sujets qui se sont reconnus dans l’espace du 19 octobre – avec différentes gradations de migrants, de précaires de première et seconde génération, des couches moyennes déclassées – ne se limitent pas à parler de la crise : ils la vivent, ils la subissent et en ont assez de la payer, indépendamment de Berlusconi et des alternances de gouvernement. Ils sont indifférents à la Constitution ne serait-ce que parce qu’ils n’ont jamais tiré avantage du pacte social qui la garantit, et à ce stade, n’en gardent même pas le moindre souvenir ou histoire. Ceux qui s’obstinent à parler de modèles qu’ils calquent sur celui des « deux sociétés » ne comprenaient déjà rien sur l’origine de ce processus, imaginez maintenant. Il s’agit de la société du travail cognitif et mobile dans la crise. C’est pourquoi la radicalité multiforme qui s’exprime dans certaines situations doit être lue en termes matérialistes et pas idéologiques : cela a à voir avec les conditions sociales et les comportements subjectifs (définis comme impolitiques par ceux qui confondent la politique avec la représentation), avant même les pratiques choisies par les composantes organisées. Du reste, le niveau symbolique qui a caractérisé beaucoup de pratiques de mouvement à partir de la fin des années 1990 s’est épuisé, précisément parce que la précarité de la vie n’a plus rien de symbolique.
Ces sujets, en troisième lieu, incarnent des thèmes que – bien que de manière embryonnaire et donc encore incomplète – nous pouvons appeler de « programme ». Le logement, avec des occupations qui se répandent à un niveau sans précédent ; même sa grosse expression romaine, où indubitablement existe une tradition enracinée, présente des éléments et caractéristiques nouveaux, à partir du rôle joué par les migrants. Le revenu, toujours plus incarné dans des pratiques concrètes, est devenu un sens commun, pas seulement des mouvements, mais de cette composition dans la crise (seuls les syndicats et la gauche continuent à ne pas s’en rendre compte ou presque). Le « droit à la ville » commence à prendre forme dans les luttes sur l’appropriation de l’espace urbain (même les mouvements « territoriaux » agissent pleinement dans cette dimension). Le protagonisme des migrants, désormais, n’est plus réductible aux questions de la citoyenneté et des droits : ils sont entièrement des figures des luttes sur le travail, pour l’habitat et la réappropriation de tranches de revenu. Se limiter aux « couleurs » de la manifestation fait partie d’une rhétorique multiculturelle trompeuse, qui en insistant sur leur caractère « séparé » ou sur leur irrecomposable hétérogénéité au regard de la composition de classe dans son ensemble risque de négliger les éléments de communauté objectifs et subjectifs.
Last but not least, le 19 octobre n’a pas été une échéance seulement italienne : à Lisbonne une imposante manifestation a bloqué le port, à Madrid une assemblée nourrie a envahi la Puerta du Sol ; d’autres initiatives surtout sur le logement se sont déroulées dans d’autres villes européennes. Que la lutte contre l’austérité et l’action politique en général ne puissent qu’être transnationales est maintenant une donnée matérielle acquise depuis longtemps. Comment les mettre en pratique reste une question à résoudre. Partir des luttes dans l’espace méditerranéen, semble être plus qu’une suggestion : elle est une hypothèse à parcourir pour arracher le discours sur l’Europe à l’idéologie ou à la répétition de formules obsolètes. Certes, le 19 octobre nous confirme que Christian Marazzi [*] a raison de soutenir que dans une situation historiquement différenciée, nous devons repérer et agiter les éléments communs, à partir des conditions de vie.
Le 19 octobre est-il suffisant ? Évidemment non. D’une part, parce que nous ne pouvons pas nous contenter d’une manifestation « automnale », dans ce schéma des saisons chaudes et froides que nous portons avec nous depuis les cycles des luttes ouvrières. La capacité des sujets sociaux qui ont été les protagonistes de la mobilisation de Rome de déterminer leur propre temporalité doit aller au-delà du 19 octobre, si celui-ci ne veut pas être seulement considéré comme un événement mais comme un processus. D’autre part, pendant les semaines de préparation de la manifestation, il y a eu diverses initiatives diffuses et pas seulement militantes, qui ont préfiguré, au moins en partie, ce qui s’est ensuite exprimé dans les rues de Rome. Ce sont là des signaux, petits mais considérables, à interpréter et sur lesquels s’appuyer.
Il y a quelques temps, en posant le problème de l’absence d’un équivalent du mouvement « Occupy » en Italie (avec l’exception du Val de Susa), nous avions parlé de « bouchons » qui en empêchaient le surgissement. Dire que ces bouchons ont maintenant enfin sauté serait hâtif. Il nous semble cependant que certains d’entre eux – par exemple ceux de la gouvernance dans et hors du mouvement – ont cédé. C’est peut-être ce dont se sont aussi aperçu ces journaux réactionnaires qui, au lendemain du 19 octobre, ont parlé – un peu haineux et un peu effrayés – de la « lie de la Porte Pia ». Comme Sarkozy en 2005 lorsqu’il a traité les banlieusards de « racaille », ce qu’ils cherchent à exorciser est une vérité simple : la « racaille de la Porte Pia » est aujourd’hui la condition commune de cette composition diversifiée du travail vivant contemporain, précarisé et paupérisé, qui a assiégé les ministères romains. Bien au-delà du 19 octobre, c’est précisément cela que nous pouvons, ou peut-être nous que devrions dire : qu’elle a déjà commencé à se soulever.
Nous voulons la liberté immédiate pour les compagnes et compagnons arrêtés le #19o : vous ne pouvez pas arrêter le vent…
Commonware, 20 octobre 2013
Source : http://www.commonware.org/index.php...
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[*] Christian Marazzi, ‟Dalla crisi dei Brics all’esplosione dell’euro : problemi e prospettive”, http://www.commonware.org/index.php...
Traduction rapide : OCLibertaire
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