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Україна

Déclaration du SAT-Kiev sur la tragédie d’Odessa

mardi 6 mai 2014, par WXYZ


Plus de 40 personnes ont été tuées et près de 200 ont été blessées dans les affrontements tragiques entre combattants de droite à Odessa le 2 mai : hooligans de football et auto-défense d’Euromaïdan d’un côté ; staliniens, paramilitaires pro-russes et police locale de l’autre.

Cela a commencé quand une foule en guerre, composée d’hommes portant les « rubans de Saint-Georges » et des brassards rouges (ces brassards ont également été repérés sur certains officiers de police), brandissant des bâtons et des armes à feu, s’est approchée de la marche « pour l’Ukraine unie » qui était constituée d’hooligans de droite, rejoints par une foule de personnes civiles. Alors que les combats ont commencé entre les deux bords, la police anti-émeute a fourni une couverture aux assaillants et a coopéré avec eux. 4 personnes ont été tuées. Il est à noter que, dans les jours précédents, les manifestants Antimaïdan ont marché à maintes reprises dans le centre d’Odessa sans n’avoir jamais rencontré de réaction physique, que ce soit de la part de leurs adversaires politiques ou de la police.

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[Photo : paramilitaires pro-russes tirant des coups de feu depuis l’arrière de la ligne défensive de la police anti-émeute / crédit : napaki.livejournal.com]

La foule de civils « pro-ukrainiens » ne s’est pas dispersée après la fusillade ; furieux, ils se sont lancés dans une contre-attaque. Alors que les affrontements devenaient assez intenses, certains des combattants pro-russes se sont repliés dans le centre commercial Afina, qui a ensuite été bloqué par la police. La foule, incitée par des hooligans, a poursuivi l’autre partie des assaillants et a continué en mettant en déroute le campement Antimaïdan situé près de la Maison des syndicats. Les manifestants Antimaïdan se sont alors enfuis vers ce bâtiment où les entrées ont été barricadées. Il convient également de noter qu’Alexey Albu, leader de l’organisation stalinienne Borotba, a personnellement exhorté les manifestants à entrer à l’intérieur du bâtiment bloqué, bien que lui-même ne les a pas rejoint. Nous voyons cela comme une preuve suffisante pour que toute organisation de gauche ou anarchiste dans le monde rompe tout lien, qu’il soit financier ou d’information, avec cette organisation. En leur envoyant de l’argent, vous financez la guerre civile ; en diffusant leurs déclarations et en les soutenant moralement, vous contribuez à leur propagande de guerre.

Les violences se sont poursuivies quand la foule d’Euromaïdan a entouré la maison des syndicats et quand des combattants des deux bords ont tiré des coups de feu et des cocktails Molotov, lancés à la fois en direction et depuis le toit de l’immeuble. En ce moment, il n’est pas encore évident de savoir quel facteur a le plus contribué à l’incendie, qui en a brûlé certains et a asphyxié les autres.

[Vidéo : des civils de ‟Euromaïdan” tentent de sauver les gens de la maison des syndicats en feu]

Nous sommes certains que la violence des hooligans d’extrême droite fait partie intégrante de cette tragédie. Cependant, il est clair que cette violence a été planifiée et calculée. Les personnes qui devraient également être tenues pour responsables sont les instigateurs pro-russes et la police locale qui les a soutenus.

Les membres du SAT tiennent à exprimer leurs profondes condoléances pour les victimes. Ils ont été la proie des intérêts des forces qui tentent systématiquement de provoquer une guerre civile en Ukraine. Malheureusement, de grandes parties de la classe ouvrière sont désorientées et servent simplement de marionnettes aveugles entre les mains de ces forces, en donnant leur vie pour des choses et des idées parfaitement stupides et dénuées de sens. L’effet immédiat de l’escalade de ce conflit tragiquement inutile est la division de la classe ouvrière en Ukraine. Alors que certains travailleurs menacent de déclencher une grève politique en soutien au mouvement Antimaïdan, plusieurs membres de la (pro-Maïdan) Confédération des syndicats libres sont kidnappés par les forces Antimaïdan. Au lieu de prendre une position unie contre les politiques néolibérales du gouvernement, des prolétaires se dédient à se combattre les uns les autres pour les intérêts de diverses cliques bourgeoises.

Le résultat final de ces politiques va être une guerre civile en Ukraine, ce qui signifie une catastrophe suprême pour la classe ouvrière. Nous ne sommes pas des pacifistes et nous serons du côté de la classe ouvrière toutes les fois qu’elle se bat contre la bourgeoisie, et peu importe avec quelles formes ces luttes se mènent – mais ce n’est pas le cas en Ukraine aujourd’hui. Le prolétariat désorienté et faible va s’engager dans son autodestruction ; les résultats seront la chute drastique des standards de vie, la montée du chômage et des activités criminelles, et la perte d’un grand nombre de vies. Toutes les perspectives d’auto-organisation et de mobilisation de la classe ouvrière seront enterrées pour un certain temps.

Nous pouvons voir que ce scénario est imposé par l’alliance entre différents groupes d’extrême-droite, nazis, conservateurs et les staliniens. Il est important de comprendre que le mouvement Antimaïdan ne peut pas être considéré comme une « protestation sociale de la classe ouvrière » : les exigences typiques de ce mouvement dans les différentes villes sont dictées par les cléricaux conservateurs les plus réactionnaires (abolition des cartes d’identité électroniques, car elles contiennent ‟le Nombre de la Bête”[*] ; interdiction de la vaccination, etc.) et ont très peu à voir avec les intérêts des travailleurs.

D’autre part, nous sommes écœurés par la réaction du grand public de droite, libéral et patriotique, qui se réjouit des morts d’Odessa. Aussi dans l’erreur qu’aient pu être les personnes tuées, elles n’auraient pas dû mourir dans cet accident bestial. De même que des travailleurs ukrainiens se rangent aux côtés de différents mouvements d’extrême-droite en guerre, ils glissent davantage du socialisme à la barbarie.
Le remède est bien connu : nous devons réaliser nos propres intérêts de classe, nous organiser dans les lieux de travail et diriger notre colère contre le véritable ennemi, pas les uns contre les autres. Dans des jours comme ceux-ci, la solidarité mondiale des travailleurs signifie beaucoup. La classe ouvrière mondiale est destinée à s’éliminer elle-même : soit dans le processus de la révolution sociale et la construction d’une société sans classes, soit dans le processus d’une guerre totale barbare.

Ni dieux, ni maîtres, ni nations, ni frontières !

Syndicat autonome des travailleurs - Kiev
(syndicaliste révolutionnaire)

ACT - Автономна Спілка Трудящих

Le 5 mai 2014
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Traduction : XYZ/OCLibertaire

NdT :
[*] Sorte de figure de l’Antéchrist. Référence à un passage (Apocalypse) du Nouveau Testament, voir ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Nombre_de_la_B%C3%AAte

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2 Messages

  • Pour information

    Personne ne veut mourir

    Après Odessa, ‟rester humain” est devenu un programme politique

     

    Au cours des deux jours qui se sont écoulés depuis les événements tragiques survenus à Odessa, nous avons entendu des dizaines de versions de ce qui s’est passé. Et toutes ces versions ont été, d’une façon ou d’une autre, liées à la recherche d’une ‟main invisible” qui aurait envoyé deux groupes armés de manifestants s’affronter et poussé l’un d’entre eux dans l’abattoir à la Maison des syndicats.

    La plupart de ces versions - de celle officielle de Kiev à celle des propagandistes russes - pointe la responsabilité de la police locale, qui d’une manière consciente et organisée, s’est abstenu de toute tentative pour empêcher la montée de la violence.

    Ces versions des événements offrent alors en règle générale un ‟scénario” explicatif, qui œuvre en faveur de l’un ou de l’autre camp : Ioulia Timochenko [ancienne Première ministre ukrainienne] saboterait les élections [présidentielles] du 25 mai [en Ukraine] afin d’assurer sa future victoire ; le gouvernement de Kiev intimiderait les ‟séparatistes” et ferait peser la responsabilité du bain de sang sur leurs partisans ; le gouvernement russe obtiendrait plus d’arguments convaincants pour discréditer les partisans de la ‟junte” [de Kiev] ; le clan Ianoukovitch [l’ancien président ukrainien] pousserait la Russie à une intervention [militaire] ouverte.

    D’une certaine manière, chacune de ces versions semble pour nous – le peuple russe et ukrainien – convaincante parce que nous savons qu’aucune des forces mentionnées n’hésiterait à effectuer n’importe quel crime pour parvenir à ses fins. Cet empressement à faire des victimes parmi ses propres citoyens a toujours été une condition nécessaire pour la sélection des membres de l’élite post-soviétique. Dans cette élite, il n’y a personne, absolument personne, qui ne soit pas moralement capable d’assassiner en masse.

    Mais, quelle qu’ait pu être l’intention initiale de celui qui a organisé la tragédie Odessa, il y aura – ou, plus vraisemblablement, il y a déjà – un autre résultat : la logique de la guerre civile a été lâchée, et il est maintenant presque impossible de l’arrêter. Au cours du dernier mois – avec ses attentes des opérations militaires, l’occupation des bâtiments, les prises d’otages, des escarmouches locales dans le Donbass – beaucoup de gens ont néanmoins conservé l’espoir timide que l’ensemble du processus était, en quelque sorte, géré par quelqu’un, et que cela signifiait qu’il pouvait être arrêté. Les principaux fondements de ces attentes ne résidaient pas seulement dans la volonté de Poutine, les puissances occidentales ou le gouvernement de Kiev – mais dans le fait que la majorité des Ukrainiens ne sont tout simplement pas prêts à s’entre-tuer.

    Mais nous devons nous rappeler de l’histoire pas si lointaine des années 1990, la sensation de cet odieux franchissement d’une frontière : voisins amicaux, ‟peuple soviétique”, qui, pendant des décennies avaient oublié comment se diviser les uns les autres en ‟ennemis” et ‟amis”, soudainement, en quelques jours, perdent toutes caractéristiques humaines et deviennent des monstres, dont l’existence possible n’était uniquement connue que grâce aux films patriotiques sur l’invasion fasciste.

    C’est ainsi que, après qu’ait été soulevée la question de la ‟langue de l’État”, la guerre en Transnistrie a commencé. C’est ainsi que les Serbes et les Croates ont atteint un point de non-retour, lors de ce match de football notoire à Split. Tout cela est trop connu pour ne pas comprendre que dans ces guerres les perdants sont tous les participants, sans exception. La vengeance pour les premières victimes ne fait qu’en produire de nouvelles – et fournit la base pour de nouveaux et justes actes de représailles. C’est le résultat le plus terrible des événements d’Odessa : des deux côtés, ils ont rendu toute vengeance, même la plus brutale, justifiée et inévitable.

    Dans les flammes qui ont éclaté à la Maison des syndicats, il n’était pas difficile de voir les profondeurs de la barbarie dans laquelle l’Ukraine pourrait facilement sombrer. Profondeurs dont l’ampleur ne semble pas être bien comprise par un seul des salauds qui ont orchestré les affrontements du 2 mai.

    Il n’y a pas si longtemps, le slogan « rester humain » aurait résonné comme un désir totalement abstrait. Maintenant, après le massacre d’Odessa, il est devenu un programme politique.
    _ _ _

    Traduction rapide : XYZ

    Ce commentaire d’Ilya Budraitskis, publié en russe sur le site web Open Left (Gauche ouverte) en Russie a été traduit en anglais sur le site People and Nature (http://peopleandnature.wordpress.co...)

    Ilya Budraitskis est historien et membre du Mouvement Socialiste Russe

    repondre message

    • par Kirill Buketov

      Les staliniens de toutes espèces saluent en chœur les opérations de la Russie en Ukraine, y voyant une tentative de restauration de l’URSS ou bien la formation d’une nouvelle structure capable de s’opposer à la puissance des États-Unis et de l’Europe de l’Ouest. Les arguments de ces gens-là sont d’une indigence pénible.

      Par ses opérations dans le sud-est ukrainien, Poutine a tout simplement rejeté la Russie 200 ans en arrière et en a refait le « gendarme de l’Europe » comme l’Empire russe l’était en son temps en envoyant une armée de 140 mille hommes en expédition punitive en Hongrie pour écraser la révolution démocratique de 1848-1849.

      Les élites dirigeantes de l’Est et de l’Ouest tâchent d’utiliser le conflit à leur avantage. Mais si l’impérialisme occidental est pragmatique dans son aspiration de contrôle les ressources, son rival russe suit une logique bien différente.

      La Russie n’a pas besoin de récupérer des ressources étrangères, elle en a suffisamment. Mais pour maintenir les siennes sous contrôle et en disposer sans entraves, les oligarques dirigeants doivent recourir à des procédés autoritaires. Ainsi tout ce qui menace d’ébranler le régime, que ce soit la liberté de presse, le mouvement pour la transparence électorale, la liberté des associations, - est férocement réprimé. L’apparition des alternatives, donc d’États démocratiques, dans le proche voisinage, sape le régime de Poutine, car leur exemple peut inspirer et animer le mouvement d’opposition et les conflits sociaux en Russie.

      C’est pourquoi la Russie prête des sommes énormes au régime autoritaire de Loukachenko en Biélorussie et punit sévèrement les pays qu’elle soupçonne de vouloir avancer vers la voie démocratique. Ainsi, il y a quelque temps la Moldavie a été punie par la séparation de la Transnistrie, plus tard la Géorgie l’a été par l’annexion de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, tout comme l’Ukraine de Maïdan l’est par la perte de la Crimée.

      La Russie n’a pas besoin de ces territoires comme tels, car elle a déjà pas mal de régions déprimées chez elle. C’est la logique du gendarme qui prévaut : « Punir, et que les autres prennent garde ! » Et affaiblir encore le pouvoir démocratique de sorte que, sans les territoires annexés, il ne puisse construire une économie durable et surtout, qu’un État libre, démocratique, sans corruption n’apparaisse à côté d’une Russie au visage hideux de la dictature.

      C’est suivant cette logique que les empereurs russes ont envoyé les armées punitives en Europe au XIXème siècle et que leurs successeurs staliniens ont écrasé les mouvements populaires en Europe Centrale et de l’Est au XXème siècle. Cependant, l’URSS, du moins dans sa rhétorique, prétendît être une société non capitaliste. La Russie d’aujourd’hui par contre ne représente aucune alternative au capitalisme et ne se distingue des grandes puissances capitalistes que par le niveau monstrueux de l’exploitation des ouvriers, avec un système des rapports de travail ouvertement répressif.


      _ _ _

      Paru le 17 avril en russe sur le site de l’Opposition de Gauche en Ukraine. Kirill Buketov est un fondateur du KAS-KOR (Confédération anarco-syndicaliste) en Russie dans les années 1980. Il travaille actuellement à l’UITA (Internationale des travailleurs de l’agroalimentaire) à Genève et collabore avec le Global Labour Institute.

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