mardi 7 avril 2015, par
Franchement si cette affaire n’avait pas tant de conséquences désastreuses sur ma vie personnelle, j’aurais encore bien ri lorsque j’ai lu la décision du recteur.
Déjà le rapport des inspecteurs de la vie scolaire du rectorat, la bêtise paraissait être une bonne blague. L’enquête pénale aussi était ubuesque. Bien-sûr, sur le coup, 8 heures de garde à vue et 5 heures d’interrogatoires ne m’ont pas vraiment fait marrer. Mais lorsque j’ai appris que le procureur avait classé l’affaire sans suite, le grotesque de la situation a repris le dessus et j’ai encore bien ri de cette bouffonnerie. Vu sa bassesse et sa bêtise, le communiqué du procureur, du niveau du rapport des inspecteurs du rectorat, niveau caniveau, était des plus hilarants. La commission de discipline, cette parodie de justice – rappelons qu’elle était présidée par le recteur, qui est juge et partie, qui nomme la moitié des membres de la commission et qui décide tout seul à la fin -, avait quelque chose d’incroyablement caricatural et surréaliste, vieillot aussi, digne des procès staliniens ! Encore une vraie bouffonnerie ! Et là, cerise sur le gâteau, cette décision grotesque du recteur !
Que m’y est-il reproché concernant ce fameux cours du 8 janvier ?
« – Considérant qu’il est établi, ainsi qu’il ressort, d’une part, du rapport du rapport de l’enquête administrative conduite par les IA-IPR d’établissements et vie scolaire et des témoignages recueillis, lors de cette enquête, auprès des élèves, d’autre part, des éléments communiqués par le procureur de la République de Poitiers dans sa lettre du 27 février 2015, qu’à l’occasion d’un cours dispensé à des élèves de terminale, le 8 janvier 2015, Monsieur Chazerans a instauré un débat portant sur l’assassinat des journalistes de Charlie Hebdo, lequel a opposé violemment deux groupes d’élèves, et que durant ce débat, il a notamment, devant les élèves caractérisé les journalistes de Charlie Hebdo de crapules ;
- Considérant que ce type de débat, a fortiori, lorsqu’il s’inscrit, ce qui était le cas en l’espèce, dans un contexte national et international particulièrement tendu, implique, ce que n’a pas fait ce professeur, non seulement un travail préalable de la préparation de la réflexion, mais aussi une organisation méticuleuse de l’argumentation et de la synthèse de la réflexion menée en concertation avec les élèves ;
- Considérant que ce type de débat, dès lors qu’il est organisé dans le cadre de la mission enseignante, doit avoir une finalité pédagogique, laquelle, contrairement à ce qui s’est produit en raison des propos tenus par ce professeur, ne saurait viser autre chose que l’apaisement des esprits par l’approfondissement des connaissances ;
- Considérant qu’en ayant organisé un tel débat, sans la moindre préparation, puis en ayant tenu en classe , de tels propos particulièrement inadaptés, eu égard au lourd contexte exposé ci-dessus, Monsieur Chazerans a commis des manquements graves aux obligations inhérentes à tout personnel enseignant ;
- Considérant également que les agissements de ce professeur ont porté atteinte, non seulement à l’image de la fonction enseignante, mais à celle du service public de l’Éducation nationale. »
Rappelons que je suis passé devant la commission de discipline pour faute grave puisque j’avais été suspendu 4 mois. Cette faute grave était d’avoir tenu des « propos inadéquats en classe ». Et là, le recteur me reproche dans sa décision, quasi-exclusivement, de n’avoir pas su organiser un débat philosophique et très accessoirement d’avoir tenu « des propos particulièrement inadaptés ». Car quels sont ces propos reprochés ? Ils se réduisent à un seul et unique propos : d’avoir « caractérisé les journalistes de Charlie Hebdo de crapules ». En fait de « propos », un seul mot : crapules ! Faute grave donc pour avoir employé à l’égard des dessinateurs de Charlie Hebdo, – qui étaient coutumiers de propos autrement plus provocants -, le mot « crapules » dans le sens de « petites crapules ». D’ailleurs aucun des élèves sauf un, n’a réagi à ce mot. Et, d’après les auditions contenues dans le dossier pénal aimablement fourni au rectorat par le procureur, l’élève à l’origine de l’affaire a mal compris ce que j’ai dit, elle a demandé à sa copine : c’est quoi « crapule » qui lui a répondu que c’étaient des « cons ». Elle n’a ensuite pas écouté ce qui a été dit !
Précisons que, lors de la commission de discipline, aucune question ne m’a été posée concernant l’emploi du mot « crapules ».
Donc les « propos » sont devenus un seul et unique mot qu’il n’est pas illégal de prononcer et, par conséquent, ce sont mes choix pédagogiques qui me sont reprochés. Mais mes choix pédagogiques ne sont pas des « propos » et ne peuvent m’être reprochés que par mon inspectrice pédagogique régionale, et ce seulement dans le cadre d’une inspection. Précisons là aussi qu’aucune question, non plus, ne m’a été posée lors de la commission de discipline concernant le débat en question. A-t-il vraiment « opposé violemment deux groupes d’élèves » ? Bien qu’il n’ai pas pu être « préparé », – comment aurait-il pu l’être d’ailleurs ? -, mes élèves n’étaient-ils pas « préparés » depuis le début de l’année à ce type de débat ? Je rappelle que le débat est le point central de ma méthode pédagogique, mise patiemment en place durant ces 20 dernières années. Mes élèves ont l’habitude de ces débats mis en place depuis le début de l’année scolaire, et celui du cours du 8 janvier dernier n’était pas différent des autres. En particulier ce débat, comme certains autres qui ont précédé, à suscité une bonne participation et des prises de positions fermes de la part des élèves mais en aucun cas il n’a été « violent ». Comment d’ailleurs aurait-il pu l’être puisque défendre une thèse en argumentant s’oppose à la violence de l’opinion. Certes des opinions violentes voire haineuse ont été exprimées ce jour-là par les élèves, en particulier qu’il fallait abattre les frères Kouachi comme des chiens, mais le débat à permis de les dépasser en les confrontant à des thèses argumentées.
Il faut donc en revenir à l’origine de l’affaire, à la saisine, comme dirait mon avocat. Mon chef d’établissement reçoit le 15 janvier dernier de le part d’un parent d’élève, une lettre de délation particulièrement malveillante, aux propos calomnieux et diffamatoires où il est écrit « Est-il normal que les professeurs défendent le terrorisme donnent leur opinion politique voire leur religion ? », et qui m’accuse d’avoir dit : « Les militaires envoyés dans les pays en guerre c’est de l’impérialisme » et « ces crapules de Charlie Hebdo ont mérité d’être tués ».
Évidemment, j’aurais été fautif si j’avais « défendu le terrorisme » et dit que « ces crapules de Charlie Hebdo ont mérité d’être tués ». Mais ni l’enquête administrative, ni l’enquête pénale ne conclut dans ce sens. Au contraire, dans le rapport de l’enquête administrative, il est écrit noir sur blanc que j’ai « déploré les meurtres ». Et l’enquête pénale à classé l’affaire sans suite. Je n’ai donc pas tenu les propos reprochés, ce qui était évident dès le début pour tout le monde, sauf l’élève et sa mère et… le recteur qui a lancé précipitamment une enquête administrative !
Il ne lui reste donc rien pour m’accuser d’une faute grave qui nécessitait une suspension de quatre mois, ce qui est clair dans sa décision puisqu’en fait de propos inadaptés, il m’est reproché d’avoir employé un seul mot, celui de « crapules ». Pourquoi alors me sanctionner quand même d’une mutation d’office sur la zone de remplacement départementale des Deux-Sèvres et me rattacher administrativement au Lycée Jean Moulin de Thouars ? Parce que les titulaires sur zones de remplacement pouvant être appelé à faire des remplacements dans les départements limitrophes, je suis de fait muté sur l’académie entière. Et le lycée de Thouars étant l’un des Lycées de la zone de remplacement des Deux-Sèvres les plus éloignés de Poitiers.
Je suis donc victime d’un véritable acharnement de la part du recteur. Prenant prétexte d’une seule lettre, qui plus est de délation, d’un parent d’une élève qui n’avait manifestement pas compris ni écouté ce qui a été dit, qui est même arrivée en retard la deuxième heure, et malgré l’« étonnement » de mon chef d’établissement, lance une enquête administrative. Il me suspend quand même malgré l’enquête qui n’est pas probante et même qui conclut que je n’aurais pas tenu les propos illégaux dont m’accusait la mère d’élève. Puis, il transmet le dossier au procureur de la république qui ouvre une enquête pour « apologie d’acte terroristes ». Enquête qui se termine par un classement sans suite. Et, le recteur ne s’arrête pas là, il maintient la commission de discipline. Rien, de probant et pour cause, à la commission de discipline concernant mes supposés « propos inadaptés » puisque je ne les ai pas prononcés, mais elle vote quand même une sanction. Et le recteur continue dans son acharnement, valide la sanction en me reprochant ma méthode pédagogique, et me mute d’office remplaçant sur l’académie, rattaché à l’un des Lycées de la zone de remplacement les plus loin de chez moi.
Billet publié dans Affaire, le 3 avril 2015, par Chaz
Pour : Madame la Ministre de l’Éducation Nationale
J-F. Chazerans, professeur de philosophie au lycée Victor Hugo de Poitiers, a été mis en cause par un courrier de parent d’élève suite à un cours fait le lendemain de l’attentat à Charlie Hebdo. Ce jour-là, tous les enseignants, comme J-F. Chazerans, ont été confrontés à une situation bien difficile : comment aborder un sujet aussi complexe, dans un moment où l’émotion prenait le pas sur la réflexion ?
Suite à la réception de ce courrier de parent, le recteur de l’académie de Poitiers l’a suspendu de ses fonctions, a fait un signalement au procureur de la république pour « apologie d’acte de terrorisme » et convoqué une commission disciplinaire pour « propos inadéquats tenus en classe ».
Malgré le constat fait par l’enquête de police que les phrases incriminées n’avaient pas été prononcées, malgré l’abandon des poursuites judiciaires, le recteur a maintenu la commission de discipline pour « propos inadéquats ». Il inflige maintenant à ce professeur une sanction grave de mutation d’office, en zone de remplacement dans un autre département.
Considérant cet enchainement de faits et le caractère incompréhensible et inacceptable de cette sanction, les signataires demandent, à Madame la Ministre, qu’elle soit annulée et que J-F. Chazerans soit rétabli dans ses fonctions au lycée Victor Hugo de Poitiers.
Cette pétition est soutenue par les organisations syndicales FSU, CGT Educ’action, SNFOLC-FO, SUD éducation-Solidaires.
Pour signer :http://petitionpublique.fr/PeticaoVer.aspx?pi=P2015N47580